L’exoplanète féministe de Joanna Russ
Publié le
Alors que les lecteurs de science-fiction français (re)découvrent Joanna Russ (1937-2011), la romancière avec L’Humanité-femme, réédition de son roman The Female Man chez Mnémos (précédemment paru en 1977 chez Robert Laffont sous le titre — assez misogyne — L’Autre moitié de l’homme), voici que sort un petit recueil sur sa prose hors fiction. Choisis et traduits par Charlotte Houette et Clara Pacotte, membres du groupe de recherche EAAPES (Exploration des Alternatives Arrivantes de Provenance Extra-Solaire), ces différents documents nous montrent Joanna Russ, la femme derrière la romancière et nouvelliste si peu traduite en France. Universitaire, amie au long cours de Samuel Delany, féministe et lesbienne fière de sa sexualité, mais également correspondante d’autres grandes dames de la SF comme Ursula Le Guin ou James Tiptree Jr, Joanna Russ n’avait pas la langue dans sa poche et pouvait avoir la plume acérée ou d’une douceur extrême suivant les sujets et les correspondants.
En choisissant des documents variés proposés à la traduction, les deux traductrices donnent à voir non seulement les différentes facettes de Joanna Russ, mais également du petit monde de la science-fiction américaine de la fin du vingtième siècle. Et certains textes comme « Cher collègue, je ne suis pas un homme honorifique » n’ont pas pris une ride et trouvent un écho troublant dans certaines réactions masculines de l’ère #MeToo et les fameux « Not All Men » ingénument hypocrites à chaque nouvelle affaire. D’autres comme « Sur Mary Wollstonecraft Shelley », « Amor Vincit Foeminam : la bataille des sexes dans la science-fiction » ou « A Boy and His Dog, la solution finale » s’avèrent des critiques littéraires jubilatoires par leur ton, et érudites par leur contenu. Encore plus intéressantes, les différentes correspondances présentées entre Joanna Russ et Alice B. Sheldon (plus connue à l’époque sous son pseudonyme de James Tiptree Jr), Monique Wittig ou Dorothy Allison qui montre les coulisses de l’écriture et les préoccupations multiples de ces écrivaines, ne se limitant pas du tout à la publication.
Bien qu’il ne fasse que 200 pages, ce petit livre s’avère très roboratif et intéressera les curieux et curieuses des coulisses littéraires et notamment de sa frange féministe. Si vous n’aimez pas quitter les rives de la fiction, passez votre chemin. Si en revanche, vous aimez les débats intellectuels vifs, ou voir ce qu’il se passe derrière le miroir, alors faites-vous plaisir et piocher à votre guise d’un texte à l’autre.