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Léviatown

[Critique commune à Cold Gotha, Tous ne sont pas des monstres, Mastication, Question de mort, Délires d’Orphée, Léviatown et Mickey Monster.]

« Il arrive que l’œil capture une silhouette, celle d’un monstre sur un mur de béton, que l’oreille entende un hurlement surgissant d’une impasse. On se dit que c’est la fatigue, le stress de la vie moderne, et l’esprit reprend le dessus, pour retourner à la routine rassurante. En général, c’est ce qu’il faut faire, parce que la vie est banale, qu’elle n’a rien d’extraordinaire. Mais parfois il y a un monstre dans le béton, et l’horreur se déchaîne dans l’impasse. Alors on ne peut compter que sur le Club Van Helsing. » (Texte du rabat de droite.)

Voici donc les sept premiers volumes du Club Van Helsing, une collection créée et dirigée par Guillaume Lebeau et Xavier Mauméjean qui rappelle un peu L’Agence Arkham de Francis Valéry (série publiée il y a quelques années aux défuntes éditions DLM et dont, logiquement, au vu de la qualité des textes qui la composaient, personne ne se souvient). Première bonne surprise concernant Le Club Van Helsing : les livres sont jolis, avec leur couvertures N&B, leur pelliculage sélectif et leurs rabats.

Mais qu’est-ce que le Club Van Helsing ?

Ceux qui, comme moi, ont commencé par la lecture du Maud Tabachnik Tous ne sont pas des monstres, mais qui, contrairement à moi, n’ont pas poursuivi la série, ne pourront guère répondre à cette question, car le club de chasseurs de monstres n’y apparaît pas, à part une rencontre londonienne (et inutile) entre le personnage principal, Nathan, et Hugo Van Helsing, entrevue falote à laquelle on ajoutera une inscription sur une tombe et c’est à peu près tout. Pour le reste, nous avons affaire à un texte éclaté en nombreux points de vue qui évoque les pires pages paranoïaques de Philippe de Villiers, Maurice G. Dantec et Dan Simmons : d’un côté de sales arabes de merde financés par Ben Laden (ah ah ah !) invoquent un Djinn en banlieue ; de l’autre, face à l’incurie des forces de maintien de l’ordre françaises, incurie qui pourrait bien provoquer la fin de notre monde occidental aux si belles valeurs (le pognon avant tout !), un super-héros juif (un peu con, mais ça c’est mon point de vue) va à Prague où il réveille le golem du Rabbi Löw. Le bien (les Juifs), le mal (les Arabes), la banlieue qui flambe à cause du noyautage terroriste islamiste (et surtout pas du chômage, du culte de l’argent facile et du racisme ambiant) ; un tel concentré de clichés pro-israéliens et anti-islamistes laisse pantois et il n’en faut pas plus pour jeter cet étron tiède à la poubelle en espérant que les éboueurs (probablement issus de l’immigration) ne tarderont pas à passer. C’est sûr qu’avec des textes de cet acabit, au mieux maladroits, au pire manichéens et simplistes, on progresse sur la voie de la tolérance et de l’intégration. A boycotter avec force ! Même si les intentions de Tabachnik (connue pour ses engagements politiques) étaient probablement bien moins puantes que son livre.

Ça ne s’arrange guère avec Cold Gotha de Guillaume Lebeau où Hugo Van Helsing joue au chasseur de vampires en Californie. L’auteur a visiblement trop regardé 24 heures chrono et trop lu la sous littérature de Tom Clancy ; résultat, il se prend pour un auteur de best-sellers américain et nous inonde de marques (Paul Smith, Vuitton, Converse, Yohji Yama-moto…), de détails techniques inutiles (« … les trois moteurs Honeywell TFE731-60 se turent », page 8), de calibres divers et variés (« un SABR calibre 5,56 mm. Lance-roquettes 20 mm semi-automatique alimenté par chargeur », page 23). Au final, ça ressemble à « Bécassine vient de découvrir les possibilités infinies d’Internet et écrit son SAS », et les seules fois où on rit, c’est face au sérieux imperturbable de ce mini-thriller-vampirique ennuyeux, plus con que le Da Vinci Code et rempli jusqu’aux marges de « Mossberg 500 », d’« Igla-S développé par KBM Mashynostroeniya », de « GT-500KR 1968 ». On imagine sans mal ce que donnerait une scène de cul écrite par Lebeau : « Il déroula sur les 144 premiers millimètres de sa verge en expansion sanguine un préservatif Durex nervuré, modèle straightpussy, marque déposée, n°de lot Fr-0666252134. Puis il soupesa ses testicules d’un diamètre de 3,81 cm à droite, 3,92 à gauche, avant de pénétrer Belinda avec un angle de 37,2° (le matin ?)… ». Allez, zou, poubelle !

Arrivé à la seconde fournée, un choix cornélien s’impose : soit lire le Bizien sur les loups-garous, soit lire le Heliot sur le sphinx. Après une courte hésitation, j’attaque le Bizien, qui commence très très mal : « Le personnage de cette histoire est raciste, homophobe et sanguinaire. Si l’auteur a eu grand plaisir à narrer ses aventures, il est évident qu’il ne partage aucunement ses idées », page 5. Si c’est si évident, pourquoi l’écrire ? Il me semblait que depuis la parution de La Mort est mon métier de Robert Merle, ce type de justifications ambiance « les lecteurs sont tellement cons, surtout levons toute ambiguïté » était devenue totalement inutile. Il faut croire que non… Quant au texte, il met en scène, sans grand panache, Vuk, ex-légionnaire et vétéran serbe qui massacre la moitié des vampyres et lycanthropes du sous-Paris, pour le compte de Winston Lester Kobayashi Takakura, à moins que ça ne soit pour celui d’Hugo Van Helsing. Ecriture coup de poing et bâclée (on dirait un Blade — pas le vampire, l’autre), scènes d’action nombreuses mais sans enjeux, récit sans véritable horizon d’attente : Mastication c’est Underworld 2 sans Kate Beckinsale, une aventure plus Kronenbourg  que glamour, saupoudrée d’une bonne dose du jeu de rôle Vampire — la Mascarade… Une série B un brin rock’n’roll, pleine de clins d’œil cinéma, de blagues foirées ; un textaillon (équivalent littéraire du gravillon) qui se laisse lire, dans le métro par exemple, mais qu’on oubliera sitôt la dernière page tournée. Pas scandaleux, jamais enthousiasmant. En tout cas, un texte qui est bien plus à sa place, chez Baleine, que les deux précédents.

Passons maintenant au cas Johan Heliot : Question de mort.

Big B. est un monstre, énorme, surarmé. Il se promène dans un Hummer avec, à l’arrière, une créature qui n’est ni un chien ni un singe et ne semble consommer que des sauces en sachet.

Big B. est un justicier qui travaille comme chasseur de monstres pour le compte d’Hugo Van Helsing, ce qui ne l’empêche pas, bien au contraire, d’avoir une vision de la justice particulière : « Partout, on trouvait des clones de ce mec, qui veillaient à ce que leurs contemporains appliquent à la lettre les lois et règlements édictés pour le bien de la collectivité. Partout, ils cassaient les burnes aux dangereux terroristes du quotidien qui ne ramassaient pas les merdes de chiens ou traversaient aux feux rouges. Ces citoyens incarnaient les valeurs morales du pays avec une fierté d’autant plus imbécile qu’elle représentait le plus haut degré d’engagement politique dont ils étaient capables. » (Page 36.)

Big B. est à la poursuite du Sphinx et de ses deux assesseurs. Un sphinx qui découpe ses victimes quand celles-ci ne savent pas répondre à ses énigmes, un monstre qui n’hésite pas à faire des snuff movies qu’il balance ensuite sur l’Internet.

Première réussite du Club Van Helsing, Question de mort est une série B très marquée par les films d’horreur des années 70 et du début des années 80 (Massacre à la tronçonneuse, Evil dead, Vendredi 13, La Colline a des yeux…) Ce portrait d’une Amérique dégénérée évoque le célèbre épisode de la saison 4 de la série X-Files, « La Meute » (« Home » en VO). On est là face à un texte d’ambition restreinte, mais bien écrit, bien mené et plein d’humour (parfois pipi-caca — les lecteurs de Stephen King ne seront pas dépaysés). Adepte d’une littérature populaire de qualité, Johan Heliot semble être le seul des quatre premiers auteurs à avoir trouvé l’esprit Van Helsing, c’est-à-dire l’esprit X-Files, pour simplifier.

Vient ensuite Délire d’Orphée de Catherine Dufour, le mieux écrit des sept, sans aucun doute, mais paradoxalement le plus ennuyeux. On y suit Senoufo Amchis, tueur de cachalot, engagé par Hugo Van Helsing pour détruire une carapace de tortue d’un coup de harpon. Si ce petit livre est un joli portait de chasseur de monstres, c’est surtout une novella ultra linéaire, sans surprise aucune, dont l’histoire (d’adultère…) tient sur un ticket de métro plié en deux. Dans ses moments les plus inspirés, Dufour livre de belles pages sur Londres, la mer, le désir ; le reste du temps, elle étire comme elle le peut la matière d’une novelette. Dommage.

Mickey Monster de Denis Bretin et Laurent Bonzon (auteurs du Masque qui signent Bretin & Bonzon) surprend. D’abord, parce que c’est le Club Van Helsing qui respecte le plus la bible de la série. Ensuite, parce que cet hommage appuyé aux séries Z (plusieurs sont d’ailleurs planquées ici et là, au détour d’une description ou d’un dialogue) fonctionne à 100%. En deux mots, Mickey Monster est un remake de Blob (avec Steve McQueen) et Gremlins (le personnage du narrateur est inventeur, comme le papa acheteur du mogwai). Ce court roman a une petite musique, très agréable. L’ambition n’est pas bien haute, mais le résultat est tout à fait sympathique. Et je me suis même surpris à éclater de rire deux ou trois fois ; notamment lors de la scène de la demande en mariage, tout à fait savoureuse, faisandée comme il se doit. Malgré quelques failles scénaristiques dignes d’Ed Wood, ce Club Van Helsing est un petit bijou, crétin et jouissif, parfum Braindead. Dans la même veine que le Heliot, mais en plus marrant.

Quant à Leviatown de Philip Le Roy, c’est plus ou moins Notre-Dame des ténèbres de Fritz Leiber réécrit par Chuck Norris ou Steven Seagal. Même à doses homéopathiques (3-4 pages, le soir) ce concentré de ninjâneries, de blagues de mercenaires et de citations cinématographiques est insupportable. Extrait :

« Desert Eagle .50 Action Express, déclara Samsonite. Le calibre le plus puissant au monde pour une arme de poing semi-automatique. A faire passer du .44 Magnum pour une crotte de nez.

– ‘Utain cha fait mal conach’ ! se plaignit Mendez

– Le fait qu’il y ait écrit GROS CON sur ton front et DESERT EAGLE sur mon flingue devrait pousser tes deux petites noix à se casser et toi avec. » (page 27.)

Au final, de ces sept premiers Club Van Helsing, on retiendra le Johan Heliot, maîtrisé et plaisant, et l’hommage de Bretin & Bonzon à tous les Attaque de la moussaka géante, Blob et autres tomates tueuses. Pas de quoi sauter au plafond, surtout à dix euros le petit livre.

Délires d'Orphée

[Critique commune à Cold Gotha, Tous ne sont pas des monstres, Mastication, Question de mort, Délires d’Orphée, Léviatown et Mickey Monster.]

« Il arrive que l’œil capture une silhouette, celle d’un monstre sur un mur de béton, que l’oreille entende un hurlement surgissant d’une impasse. On se dit que c’est la fatigue, le stress de la vie moderne, et l’esprit reprend le dessus, pour retourner à la routine rassurante. En général, c’est ce qu’il faut faire, parce que la vie est banale, qu’elle n’a rien d’extraordinaire. Mais parfois il y a un monstre dans le béton, et l’horreur se déchaîne dans l’impasse. Alors on ne peut compter que sur le Club Van Helsing. » (Texte du rabat de droite.)

Voici donc les sept premiers volumes du Club Van Helsing, une collection créée et dirigée par Guillaume Lebeau et Xavier Mauméjean qui rappelle un peu L’Agence Arkham de Francis Valéry (série publiée il y a quelques années aux défuntes éditions DLM et dont, logiquement, au vu de la qualité des textes qui la composaient, personne ne se souvient). Première bonne surprise concernant Le Club Van Helsing : les livres sont jolis, avec leur couvertures N&B, leur pelliculage sélectif et leurs rabats.

Mais qu’est-ce que le Club Van Helsing ?

Ceux qui, comme moi, ont commencé par la lecture du Maud Tabachnik Tous ne sont pas des monstres, mais qui, contrairement à moi, n’ont pas poursuivi la série, ne pourront guère répondre à cette question, car le club de chasseurs de monstres n’y apparaît pas, à part une rencontre londonienne (et inutile) entre le personnage principal, Nathan, et Hugo Van Helsing, entrevue falote à laquelle on ajoutera une inscription sur une tombe et c’est à peu près tout. Pour le reste, nous avons affaire à un texte éclaté en nombreux points de vue qui évoque les pires pages paranoïaques de Philippe de Villiers, Maurice G. Dantec et Dan Simmons : d’un côté de sales arabes de merde financés par Ben Laden (ah ah ah !) invoquent un Djinn en banlieue ; de l’autre, face à l’incurie des forces de maintien de l’ordre françaises, incurie qui pourrait bien provoquer la fin de notre monde occidental aux si belles valeurs (le pognon avant tout !), un super-héros juif (un peu con, mais ça c’est mon point de vue) va à Prague où il réveille le golem du Rabbi Löw. Le bien (les Juifs), le mal (les Arabes), la banlieue qui flambe à cause du noyautage terroriste islamiste (et surtout pas du chômage, du culte de l’argent facile et du racisme ambiant) ; un tel concentré de clichés pro-israéliens et anti-islamistes laisse pantois et il n’en faut pas plus pour jeter cet étron tiède à la poubelle en espérant que les éboueurs (probablement issus de l’immigration) ne tarderont pas à passer. C’est sûr qu’avec des textes de cet acabit, au mieux maladroits, au pire manichéens et simplistes, on progresse sur la voie de la tolérance et de l’intégration. A boycotter avec force ! Même si les intentions de Tabachnik (connue pour ses engagements politiques) étaient probablement bien moins puantes que son livre.

Ça ne s’arrange guère avec Cold Gotha de Guillaume Lebeau où Hugo Van Helsing joue au chasseur de vampires en Californie. L’auteur a visiblement trop regardé 24 heures chrono et trop lu la sous littérature de Tom Clancy ; résultat, il se prend pour un auteur de best-sellers américain et nous inonde de marques (Paul Smith, Vuitton, Converse, Yohji Yama-moto…), de détails techniques inutiles (« … les trois moteurs Honeywell TFE731-60 se turent », page 8), de calibres divers et variés (« un SABR calibre 5,56 mm. Lance-roquettes 20 mm semi-automatique alimenté par chargeur », page 23). Au final, ça ressemble à « Bécassine vient de découvrir les possibilités infinies d’Internet et écrit son SAS », et les seules fois où on rit, c’est face au sérieux imperturbable de ce mini-thriller-vampirique ennuyeux, plus con que le Da Vinci Code et rempli jusqu’aux marges de « Mossberg 500 », d’« Igla-S développé par KBM Mashynostroeniya », de « GT-500KR 1968 ». On imagine sans mal ce que donnerait une scène de cul écrite par Lebeau : « Il déroula sur les 144 premiers millimètres de sa verge en expansion sanguine un préservatif Durex nervuré, modèle straightpussy, marque déposée, n°de lot Fr-0666252134. Puis il soupesa ses testicules d’un diamètre de 3,81 cm à droite, 3,92 à gauche, avant de pénétrer Belinda avec un angle de 37,2° (le matin ?)… ». Allez, zou, poubelle !

Arrivé à la seconde fournée, un choix cornélien s’impose : soit lire le Bizien sur les loups-garous, soit lire le Heliot sur le sphinx. Après une courte hésitation, j’attaque le Bizien, qui commence très très mal : « Le personnage de cette histoire est raciste, homophobe et sanguinaire. Si l’auteur a eu grand plaisir à narrer ses aventures, il est évident qu’il ne partage aucunement ses idées », page 5. Si c’est si évident, pourquoi l’écrire ? Il me semblait que depuis la parution de La Mort est mon métier de Robert Merle, ce type de justifications ambiance « les lecteurs sont tellement cons, surtout levons toute ambiguïté » était devenue totalement inutile. Il faut croire que non… Quant au texte, il met en scène, sans grand panache, Vuk, ex-légionnaire et vétéran serbe qui massacre la moitié des vampyres et lycanthropes du sous-Paris, pour le compte de Winston Lester Kobayashi Takakura, à moins que ça ne soit pour celui d’Hugo Van Helsing. Ecriture coup de poing et bâclée (on dirait un Blade — pas le vampire, l’autre), scènes d’action nombreuses mais sans enjeux, récit sans véritable horizon d’attente : Mastication c’est Underworld 2 sans Kate Beckinsale, une aventure plus Kronenbourg  que glamour, saupoudrée d’une bonne dose du jeu de rôle Vampire — la Mascarade… Une série B un brin rock’n’roll, pleine de clins d’œil cinéma, de blagues foirées ; un textaillon (équivalent littéraire du gravillon) qui se laisse lire, dans le métro par exemple, mais qu’on oubliera sitôt la dernière page tournée. Pas scandaleux, jamais enthousiasmant. En tout cas, un texte qui est bien plus à sa place, chez Baleine, que les deux précédents.

Passons maintenant au cas Johan Heliot : Question de mort.

Big B. est un monstre, énorme, surarmé. Il se promène dans un Hummer avec, à l’arrière, une créature qui n’est ni un chien ni un singe et ne semble consommer que des sauces en sachet.

Big B. est un justicier qui travaille comme chasseur de monstres pour le compte d’Hugo Van Helsing, ce qui ne l’empêche pas, bien au contraire, d’avoir une vision de la justice particulière : « Partout, on trouvait des clones de ce mec, qui veillaient à ce que leurs contemporains appliquent à la lettre les lois et règlements édictés pour le bien de la collectivité. Partout, ils cassaient les burnes aux dangereux terroristes du quotidien qui ne ramassaient pas les merdes de chiens ou traversaient aux feux rouges. Ces citoyens incarnaient les valeurs morales du pays avec une fierté d’autant plus imbécile qu’elle représentait le plus haut degré d’engagement politique dont ils étaient capables. » (Page 36.)

Big B. est à la poursuite du Sphinx et de ses deux assesseurs. Un sphinx qui découpe ses victimes quand celles-ci ne savent pas répondre à ses énigmes, un monstre qui n’hésite pas à faire des snuff movies qu’il balance ensuite sur l’Internet.

Première réussite du Club Van Helsing, Question de mort est une série B très marquée par les films d’horreur des années 70 et du début des années 80 (Massacre à la tronçonneuse, Evil dead, Vendredi 13, La Colline a des yeux…) Ce portrait d’une Amérique dégénérée évoque le célèbre épisode de la saison 4 de la série X-Files, « La Meute » (« Home » en VO). On est là face à un texte d’ambition restreinte, mais bien écrit, bien mené et plein d’humour (parfois pipi-caca — les lecteurs de Stephen King ne seront pas dépaysés). Adepte d’une littérature populaire de qualité, Johan Heliot semble être le seul des quatre premiers auteurs à avoir trouvé l’esprit Van Helsing, c’est-à-dire l’esprit X-Files, pour simplifier.

Vient ensuite Délire d’Orphée de Catherine Dufour, le mieux écrit des sept, sans aucun doute, mais paradoxalement le plus ennuyeux. On y suit Senoufo Amchis, tueur de cachalot, engagé par Hugo Van Helsing pour détruire une carapace de tortue d’un coup de harpon. Si ce petit livre est un joli portait de chasseur de monstres, c’est surtout une novella ultra linéaire, sans surprise aucune, dont l’histoire (d’adultère…) tient sur un ticket de métro plié en deux. Dans ses moments les plus inspirés, Dufour livre de belles pages sur Londres, la mer, le désir ; le reste du temps, elle étire comme elle le peut la matière d’une novelette. Dommage.

Mickey Monster de Denis Bretin et Laurent Bonzon (auteurs du Masque qui signent Bretin & Bonzon) surprend. D’abord, parce que c’est le Club Van Helsing qui respecte le plus la bible de la série. Ensuite, parce que cet hommage appuyé aux séries Z (plusieurs sont d’ailleurs planquées ici et là, au détour d’une description ou d’un dialogue) fonctionne à 100%. En deux mots, Mickey Monster est un remake de Blob (avec Steve McQueen) et Gremlins (le personnage du narrateur est inventeur, comme le papa acheteur du mogwai). Ce court roman a une petite musique, très agréable. L’ambition n’est pas bien haute, mais le résultat est tout à fait sympathique. Et je me suis même surpris à éclater de rire deux ou trois fois ; notamment lors de la scène de la demande en mariage, tout à fait savoureuse, faisandée comme il se doit. Malgré quelques failles scénaristiques dignes d’Ed Wood, ce Club Van Helsing est un petit bijou, crétin et jouissif, parfum Braindead. Dans la même veine que le Heliot, mais en plus marrant.

Quant à Leviatown de Philip Le Roy, c’est plus ou moins Notre-Dame des ténèbres de Fritz Leiber réécrit par Chuck Norris ou Steven Seagal. Même à doses homéopathiques (3-4 pages, le soir) ce concentré de ninjâneries, de blagues de mercenaires et de citations cinématographiques est insupportable. Extrait :

« Desert Eagle .50 Action Express, déclara Samsonite. Le calibre le plus puissant au monde pour une arme de poing semi-automatique. A faire passer du .44 Magnum pour une crotte de nez.

– ‘Utain cha fait mal conach’ ! se plaignit Mendez

– Le fait qu’il y ait écrit GROS CON sur ton front et DESERT EAGLE sur mon flingue devrait pousser tes deux petites noix à se casser et toi avec. » (page 27.)

Au final, de ces sept premiers Club Van Helsing, on retiendra le Johan Heliot, maîtrisé et plaisant, et l’hommage de Bretin & Bonzon à tous les Attaque de la moussaka géante, Blob et autres tomates tueuses. Pas de quoi sauter au plafond, surtout à dix euros le petit livre.

Question de mort

[Critique commune à Cold Gotha, Tous ne sont pas des monstres, Mastication, Question de mort, Délires d’Orphée, Léviatown et Mickey Monster.]

« Il arrive que l’œil capture une silhouette, celle d’un monstre sur un mur de béton, que l’oreille entende un hurlement surgissant d’une impasse. On se dit que c’est la fatigue, le stress de la vie moderne, et l’esprit reprend le dessus, pour retourner à la routine rassurante. En général, c’est ce qu’il faut faire, parce que la vie est banale, qu’elle n’a rien d’extraordinaire. Mais parfois il y a un monstre dans le béton, et l’horreur se déchaîne dans l’impasse. Alors on ne peut compter que sur le Club Van Helsing. » (Texte du rabat de droite.)

Voici donc les sept premiers volumes du Club Van Helsing, une collection créée et dirigée par Guillaume Lebeau et Xavier Mauméjean qui rappelle un peu L’Agence Arkham de Francis Valéry (série publiée il y a quelques années aux défuntes éditions DLM et dont, logiquement, au vu de la qualité des textes qui la composaient, personne ne se souvient). Première bonne surprise concernant Le Club Van Helsing : les livres sont jolis, avec leur couvertures N&B, leur pelliculage sélectif et leurs rabats.

Mais qu’est-ce que le Club Van Helsing ?

Ceux qui, comme moi, ont commencé par la lecture du Maud Tabachnik Tous ne sont pas des monstres, mais qui, contrairement à moi, n’ont pas poursuivi la série, ne pourront guère répondre à cette question, car le club de chasseurs de monstres n’y apparaît pas, à part une rencontre londonienne (et inutile) entre le personnage principal, Nathan, et Hugo Van Helsing, entrevue falote à laquelle on ajoutera une inscription sur une tombe et c’est à peu près tout. Pour le reste, nous avons affaire à un texte éclaté en nombreux points de vue qui évoque les pires pages paranoïaques de Philippe de Villiers, Maurice G. Dantec et Dan Simmons : d’un côté de sales arabes de merde financés par Ben Laden (ah ah ah !) invoquent un Djinn en banlieue ; de l’autre, face à l’incurie des forces de maintien de l’ordre françaises, incurie qui pourrait bien provoquer la fin de notre monde occidental aux si belles valeurs (le pognon avant tout !), un super-héros juif (un peu con, mais ça c’est mon point de vue) va à Prague où il réveille le golem du Rabbi Löw. Le bien (les Juifs), le mal (les Arabes), la banlieue qui flambe à cause du noyautage terroriste islamiste (et surtout pas du chômage, du culte de l’argent facile et du racisme ambiant) ; un tel concentré de clichés pro-israéliens et anti-islamistes laisse pantois et il n’en faut pas plus pour jeter cet étron tiède à la poubelle en espérant que les éboueurs (probablement issus de l’immigration) ne tarderont pas à passer. C’est sûr qu’avec des textes de cet acabit, au mieux maladroits, au pire manichéens et simplistes, on progresse sur la voie de la tolérance et de l’intégration. A boycotter avec force ! Même si les intentions de Tabachnik (connue pour ses engagements politiques) étaient probablement bien moins puantes que son livre.

Ça ne s’arrange guère avec Cold Gotha de Guillaume Lebeau où Hugo Van Helsing joue au chasseur de vampires en Californie. L’auteur a visiblement trop regardé 24 heures chrono et trop lu la sous littérature de Tom Clancy ; résultat, il se prend pour un auteur de best-sellers américain et nous inonde de marques (Paul Smith, Vuitton, Converse, Yohji Yama-moto…), de détails techniques inutiles (« … les trois moteurs Honeywell TFE731-60 se turent », page 8), de calibres divers et variés (« un SABR calibre 5,56 mm. Lance-roquettes 20 mm semi-automatique alimenté par chargeur », page 23). Au final, ça ressemble à « Bécassine vient de découvrir les possibilités infinies d’Internet et écrit son SAS », et les seules fois où on rit, c’est face au sérieux imperturbable de ce mini-thriller-vampirique ennuyeux, plus con que le Da Vinci Code et rempli jusqu’aux marges de « Mossberg 500 », d’« Igla-S développé par KBM Mashynostroeniya », de « GT-500KR 1968 ». On imagine sans mal ce que donnerait une scène de cul écrite par Lebeau : « Il déroula sur les 144 premiers millimètres de sa verge en expansion sanguine un préservatif Durex nervuré, modèle straightpussy, marque déposée, n°de lot Fr-0666252134. Puis il soupesa ses testicules d’un diamètre de 3,81 cm à droite, 3,92 à gauche, avant de pénétrer Belinda avec un angle de 37,2° (le matin ?)… ». Allez, zou, poubelle !

Arrivé à la seconde fournée, un choix cornélien s’impose : soit lire le Bizien sur les loups-garous, soit lire le Heliot sur le sphinx. Après une courte hésitation, j’attaque le Bizien, qui commence très très mal : « Le personnage de cette histoire est raciste, homophobe et sanguinaire. Si l’auteur a eu grand plaisir à narrer ses aventures, il est évident qu’il ne partage aucunement ses idées », page 5. Si c’est si évident, pourquoi l’écrire ? Il me semblait que depuis la parution de La Mort est mon métier de Robert Merle, ce type de justifications ambiance « les lecteurs sont tellement cons, surtout levons toute ambiguïté » était devenue totalement inutile. Il faut croire que non… Quant au texte, il met en scène, sans grand panache, Vuk, ex-légionnaire et vétéran serbe qui massacre la moitié des vampyres et lycanthropes du sous-Paris, pour le compte de Winston Lester Kobayashi Takakura, à moins que ça ne soit pour celui d’Hugo Van Helsing. Ecriture coup de poing et bâclée (on dirait un Blade — pas le vampire, l’autre), scènes d’action nombreuses mais sans enjeux, récit sans véritable horizon d’attente : Mastication c’est Underworld 2 sans Kate Beckinsale, une aventure plus Kronenbourg  que glamour, saupoudrée d’une bonne dose du jeu de rôle Vampire — la Mascarade… Une série B un brin rock’n’roll, pleine de clins d’œil cinéma, de blagues foirées ; un textaillon (équivalent littéraire du gravillon) qui se laisse lire, dans le métro par exemple, mais qu’on oubliera sitôt la dernière page tournée. Pas scandaleux, jamais enthousiasmant. En tout cas, un texte qui est bien plus à sa place, chez Baleine, que les deux précédents.

Passons maintenant au cas Johan Heliot : Question de mort.

Big B. est un monstre, énorme, surarmé. Il se promène dans un Hummer avec, à l’arrière, une créature qui n’est ni un chien ni un singe et ne semble consommer que des sauces en sachet.

Big B. est un justicier qui travaille comme chasseur de monstres pour le compte d’Hugo Van Helsing, ce qui ne l’empêche pas, bien au contraire, d’avoir une vision de la justice particulière : « Partout, on trouvait des clones de ce mec, qui veillaient à ce que leurs contemporains appliquent à la lettre les lois et règlements édictés pour le bien de la collectivité. Partout, ils cassaient les burnes aux dangereux terroristes du quotidien qui ne ramassaient pas les merdes de chiens ou traversaient aux feux rouges. Ces citoyens incarnaient les valeurs morales du pays avec une fierté d’autant plus imbécile qu’elle représentait le plus haut degré d’engagement politique dont ils étaient capables. » (Page 36.)

Big B. est à la poursuite du Sphinx et de ses deux assesseurs. Un sphinx qui découpe ses victimes quand celles-ci ne savent pas répondre à ses énigmes, un monstre qui n’hésite pas à faire des snuff movies qu’il balance ensuite sur l’Internet.

Première réussite du Club Van Helsing, Question de mort est une série B très marquée par les films d’horreur des années 70 et du début des années 80 (Massacre à la tronçonneuse, Evil dead, Vendredi 13, La Colline a des yeux…) Ce portrait d’une Amérique dégénérée évoque le célèbre épisode de la saison 4 de la série X-Files, « La Meute » (« Home » en VO). On est là face à un texte d’ambition restreinte, mais bien écrit, bien mené et plein d’humour (parfois pipi-caca — les lecteurs de Stephen King ne seront pas dépaysés). Adepte d’une littérature populaire de qualité, Johan Heliot semble être le seul des quatre premiers auteurs à avoir trouvé l’esprit Van Helsing, c’est-à-dire l’esprit X-Files, pour simplifier.

Vient ensuite Délire d’Orphée de Catherine Dufour, le mieux écrit des sept, sans aucun doute, mais paradoxalement le plus ennuyeux. On y suit Senoufo Amchis, tueur de cachalot, engagé par Hugo Van Helsing pour détruire une carapace de tortue d’un coup de harpon. Si ce petit livre est un joli portait de chasseur de monstres, c’est surtout une novella ultra linéaire, sans surprise aucune, dont l’histoire (d’adultère…) tient sur un ticket de métro plié en deux. Dans ses moments les plus inspirés, Dufour livre de belles pages sur Londres, la mer, le désir ; le reste du temps, elle étire comme elle le peut la matière d’une novelette. Dommage.

Mickey Monster de Denis Bretin et Laurent Bonzon (auteurs du Masque qui signent Bretin & Bonzon) surprend. D’abord, parce que c’est le Club Van Helsing qui respecte le plus la bible de la série. Ensuite, parce que cet hommage appuyé aux séries Z (plusieurs sont d’ailleurs planquées ici et là, au détour d’une description ou d’un dialogue) fonctionne à 100%. En deux mots, Mickey Monster est un remake de Blob (avec Steve McQueen) et Gremlins (le personnage du narrateur est inventeur, comme le papa acheteur du mogwai). Ce court roman a une petite musique, très agréable. L’ambition n’est pas bien haute, mais le résultat est tout à fait sympathique. Et je me suis même surpris à éclater de rire deux ou trois fois ; notamment lors de la scène de la demande en mariage, tout à fait savoureuse, faisandée comme il se doit. Malgré quelques failles scénaristiques dignes d’Ed Wood, ce Club Van Helsing est un petit bijou, crétin et jouissif, parfum Braindead. Dans la même veine que le Heliot, mais en plus marrant.

Quant à Leviatown de Philip Le Roy, c’est plus ou moins Notre-Dame des ténèbres de Fritz Leiber réécrit par Chuck Norris ou Steven Seagal. Même à doses homéopathiques (3-4 pages, le soir) ce concentré de ninjâneries, de blagues de mercenaires et de citations cinématographiques est insupportable. Extrait :

« Desert Eagle .50 Action Express, déclara Samsonite. Le calibre le plus puissant au monde pour une arme de poing semi-automatique. A faire passer du .44 Magnum pour une crotte de nez.

– ‘Utain cha fait mal conach’ ! se plaignit Mendez

– Le fait qu’il y ait écrit GROS CON sur ton front et DESERT EAGLE sur mon flingue devrait pousser tes deux petites noix à se casser et toi avec. » (page 27.)

Au final, de ces sept premiers Club Van Helsing, on retiendra le Johan Heliot, maîtrisé et plaisant, et l’hommage de Bretin & Bonzon à tous les Attaque de la moussaka géante, Blob et autres tomates tueuses. Pas de quoi sauter au plafond, surtout à dix euros le petit livre.

Mastication

[Critique commune à Cold Gotha, Tous ne sont pas des monstres, Mastication, Question de mort, Délires d’Orphée, Léviatown et Mickey Monster.]

« Il arrive que l’œil capture une silhouette, celle d’un monstre sur un mur de béton, que l’oreille entende un hurlement surgissant d’une impasse. On se dit que c’est la fatigue, le stress de la vie moderne, et l’esprit reprend le dessus, pour retourner à la routine rassurante. En général, c’est ce qu’il faut faire, parce que la vie est banale, qu’elle n’a rien d’extraordinaire. Mais parfois il y a un monstre dans le béton, et l’horreur se déchaîne dans l’impasse. Alors on ne peut compter que sur le Club Van Helsing. » (Texte du rabat de droite.)

Voici donc les sept premiers volumes du Club Van Helsing, une collection créée et dirigée par Guillaume Lebeau et Xavier Mauméjean qui rappelle un peu L’Agence Arkham de Francis Valéry (série publiée il y a quelques années aux défuntes éditions DLM et dont, logiquement, au vu de la qualité des textes qui la composaient, personne ne se souvient). Première bonne surprise concernant Le Club Van Helsing : les livres sont jolis, avec leur couvertures N&B, leur pelliculage sélectif et leurs rabats.

Mais qu’est-ce que le Club Van Helsing ?

Ceux qui, comme moi, ont commencé par la lecture du Maud Tabachnik Tous ne sont pas des monstres, mais qui, contrairement à moi, n’ont pas poursuivi la série, ne pourront guère répondre à cette question, car le club de chasseurs de monstres n’y apparaît pas, à part une rencontre londonienne (et inutile) entre le personnage principal, Nathan, et Hugo Van Helsing, entrevue falote à laquelle on ajoutera une inscription sur une tombe et c’est à peu près tout. Pour le reste, nous avons affaire à un texte éclaté en nombreux points de vue qui évoque les pires pages paranoïaques de Philippe de Villiers, Maurice G. Dantec et Dan Simmons : d’un côté de sales arabes de merde financés par Ben Laden (ah ah ah !) invoquent un Djinn en banlieue ; de l’autre, face à l’incurie des forces de maintien de l’ordre françaises, incurie qui pourrait bien provoquer la fin de notre monde occidental aux si belles valeurs (le pognon avant tout !), un super-héros juif (un peu con, mais ça c’est mon point de vue) va à Prague où il réveille le golem du Rabbi Löw. Le bien (les Juifs), le mal (les Arabes), la banlieue qui flambe à cause du noyautage terroriste islamiste (et surtout pas du chômage, du culte de l’argent facile et du racisme ambiant) ; un tel concentré de clichés pro-israéliens et anti-islamistes laisse pantois et il n’en faut pas plus pour jeter cet étron tiède à la poubelle en espérant que les éboueurs (probablement issus de l’immigration) ne tarderont pas à passer. C’est sûr qu’avec des textes de cet acabit, au mieux maladroits, au pire manichéens et simplistes, on progresse sur la voie de la tolérance et de l’intégration. A boycotter avec force ! Même si les intentions de Tabachnik (connue pour ses engagements politiques) étaient probablement bien moins puantes que son livre.

Ça ne s’arrange guère avec Cold Gotha de Guillaume Lebeau où Hugo Van Helsing joue au chasseur de vampires en Californie. L’auteur a visiblement trop regardé 24 heures chrono et trop lu la sous littérature de Tom Clancy ; résultat, il se prend pour un auteur de best-sellers américain et nous inonde de marques (Paul Smith, Vuitton, Converse, Yohji Yama-moto…), de détails techniques inutiles (« … les trois moteurs Honeywell TFE731-60 se turent », page 8), de calibres divers et variés (« un SABR calibre 5,56 mm. Lance-roquettes 20 mm semi-automatique alimenté par chargeur », page 23). Au final, ça ressemble à « Bécassine vient de découvrir les possibilités infinies d’Internet et écrit son SAS », et les seules fois où on rit, c’est face au sérieux imperturbable de ce mini-thriller-vampirique ennuyeux, plus con que le Da Vinci Code et rempli jusqu’aux marges de « Mossberg 500 », d’« Igla-S développé par KBM Mashynostroeniya », de « GT-500KR 1968 ». On imagine sans mal ce que donnerait une scène de cul écrite par Lebeau : « Il déroula sur les 144 premiers millimètres de sa verge en expansion sanguine un préservatif Durex nervuré, modèle straightpussy, marque déposée, n°de lot Fr-0666252134. Puis il soupesa ses testicules d’un diamètre de 3,81 cm à droite, 3,92 à gauche, avant de pénétrer Belinda avec un angle de 37,2° (le matin ?)… ». Allez, zou, poubelle !

Arrivé à la seconde fournée, un choix cornélien s’impose : soit lire le Bizien sur les loups-garous, soit lire le Heliot sur le sphinx. Après une courte hésitation, j’attaque le Bizien, qui commence très très mal : « Le personnage de cette histoire est raciste, homophobe et sanguinaire. Si l’auteur a eu grand plaisir à narrer ses aventures, il est évident qu’il ne partage aucunement ses idées », page 5. Si c’est si évident, pourquoi l’écrire ? Il me semblait que depuis la parution de La Mort est mon métier de Robert Merle, ce type de justifications ambiance « les lecteurs sont tellement cons, surtout levons toute ambiguïté » était devenue totalement inutile. Il faut croire que non… Quant au texte, il met en scène, sans grand panache, Vuk, ex-légionnaire et vétéran serbe qui massacre la moitié des vampyres et lycanthropes du sous-Paris, pour le compte de Winston Lester Kobayashi Takakura, à moins que ça ne soit pour celui d’Hugo Van Helsing. Ecriture coup de poing et bâclée (on dirait un Blade — pas le vampire, l’autre), scènes d’action nombreuses mais sans enjeux, récit sans véritable horizon d’attente : Mastication c’est Underworld 2 sans Kate Beckinsale, une aventure plus Kronenbourg  que glamour, saupoudrée d’une bonne dose du jeu de rôle Vampire — la Mascarade… Une série B un brin rock’n’roll, pleine de clins d’œil cinéma, de blagues foirées ; un textaillon (équivalent littéraire du gravillon) qui se laisse lire, dans le métro par exemple, mais qu’on oubliera sitôt la dernière page tournée. Pas scandaleux, jamais enthousiasmant. En tout cas, un texte qui est bien plus à sa place, chez Baleine, que les deux précédents.

Passons maintenant au cas Johan Heliot : Question de mort.

Big B. est un monstre, énorme, surarmé. Il se promène dans un Hummer avec, à l’arrière, une créature qui n’est ni un chien ni un singe et ne semble consommer que des sauces en sachet.

Big B. est un justicier qui travaille comme chasseur de monstres pour le compte d’Hugo Van Helsing, ce qui ne l’empêche pas, bien au contraire, d’avoir une vision de la justice particulière : « Partout, on trouvait des clones de ce mec, qui veillaient à ce que leurs contemporains appliquent à la lettre les lois et règlements édictés pour le bien de la collectivité. Partout, ils cassaient les burnes aux dangereux terroristes du quotidien qui ne ramassaient pas les merdes de chiens ou traversaient aux feux rouges. Ces citoyens incarnaient les valeurs morales du pays avec une fierté d’autant plus imbécile qu’elle représentait le plus haut degré d’engagement politique dont ils étaient capables. » (Page 36.)

Big B. est à la poursuite du Sphinx et de ses deux assesseurs. Un sphinx qui découpe ses victimes quand celles-ci ne savent pas répondre à ses énigmes, un monstre qui n’hésite pas à faire des snuff movies qu’il balance ensuite sur l’Internet.

Première réussite du Club Van Helsing, Question de mort est une série B très marquée par les films d’horreur des années 70 et du début des années 80 (Massacre à la tronçonneuse, Evil dead, Vendredi 13, La Colline a des yeux…) Ce portrait d’une Amérique dégénérée évoque le célèbre épisode de la saison 4 de la série X-Files, « La Meute » (« Home » en VO). On est là face à un texte d’ambition restreinte, mais bien écrit, bien mené et plein d’humour (parfois pipi-caca — les lecteurs de Stephen King ne seront pas dépaysés). Adepte d’une littérature populaire de qualité, Johan Heliot semble être le seul des quatre premiers auteurs à avoir trouvé l’esprit Van Helsing, c’est-à-dire l’esprit X-Files, pour simplifier.

Vient ensuite Délire d’Orphée de Catherine Dufour, le mieux écrit des sept, sans aucun doute, mais paradoxalement le plus ennuyeux. On y suit Senoufo Amchis, tueur de cachalot, engagé par Hugo Van Helsing pour détruire une carapace de tortue d’un coup de harpon. Si ce petit livre est un joli portait de chasseur de monstres, c’est surtout une novella ultra linéaire, sans surprise aucune, dont l’histoire (d’adultère…) tient sur un ticket de métro plié en deux. Dans ses moments les plus inspirés, Dufour livre de belles pages sur Londres, la mer, le désir ; le reste du temps, elle étire comme elle le peut la matière d’une novelette. Dommage.

Mickey Monster de Denis Bretin et Laurent Bonzon (auteurs du Masque qui signent Bretin & Bonzon) surprend. D’abord, parce que c’est le Club Van Helsing qui respecte le plus la bible de la série. Ensuite, parce que cet hommage appuyé aux séries Z (plusieurs sont d’ailleurs planquées ici et là, au détour d’une description ou d’un dialogue) fonctionne à 100%. En deux mots, Mickey Monster est un remake de Blob (avec Steve McQueen) et Gremlins (le personnage du narrateur est inventeur, comme le papa acheteur du mogwai). Ce court roman a une petite musique, très agréable. L’ambition n’est pas bien haute, mais le résultat est tout à fait sympathique. Et je me suis même surpris à éclater de rire deux ou trois fois ; notamment lors de la scène de la demande en mariage, tout à fait savoureuse, faisandée comme il se doit. Malgré quelques failles scénaristiques dignes d’Ed Wood, ce Club Van Helsing est un petit bijou, crétin et jouissif, parfum Braindead. Dans la même veine que le Heliot, mais en plus marrant.

Quant à Leviatown de Philip Le Roy, c’est plus ou moins Notre-Dame des ténèbres de Fritz Leiber réécrit par Chuck Norris ou Steven Seagal. Même à doses homéopathiques (3-4 pages, le soir) ce concentré de ninjâneries, de blagues de mercenaires et de citations cinématographiques est insupportable. Extrait :

« Desert Eagle .50 Action Express, déclara Samsonite. Le calibre le plus puissant au monde pour une arme de poing semi-automatique. A faire passer du .44 Magnum pour une crotte de nez.

– ‘Utain cha fait mal conach’ ! se plaignit Mendez

– Le fait qu’il y ait écrit GROS CON sur ton front et DESERT EAGLE sur mon flingue devrait pousser tes deux petites noix à se casser et toi avec. » (page 27.)

Au final, de ces sept premiers Club Van Helsing, on retiendra le Johan Heliot, maîtrisé et plaisant, et l’hommage de Bretin & Bonzon à tous les Attaque de la moussaka géante, Blob et autres tomates tueuses. Pas de quoi sauter au plafond, surtout à dix euros le petit livre.

Tous ne sont pas des monstres

[Critique commune à Cold Gotha, Tous ne sont pas des monstres, Mastication, Question de mort, Délires d’Orphée, Léviatown et Mickey Monster.]

« Il arrive que l’œil capture une silhouette, celle d’un monstre sur un mur de béton, que l’oreille entende un hurlement surgissant d’une impasse. On se dit que c’est la fatigue, le stress de la vie moderne, et l’esprit reprend le dessus, pour retourner à la routine rassurante. En général, c’est ce qu’il faut faire, parce que la vie est banale, qu’elle n’a rien d’extraordinaire. Mais parfois il y a un monstre dans le béton, et l’horreur se déchaîne dans l’impasse. Alors on ne peut compter que sur le Club Van Helsing. » (Texte du rabat de droite.)

Voici donc les sept premiers volumes du Club Van Helsing, une collection créée et dirigée par Guillaume Lebeau et Xavier Mauméjean qui rappelle un peu L’Agence Arkham de Francis Valéry (série publiée il y a quelques années aux défuntes éditions DLM et dont, logiquement, au vu de la qualité des textes qui la composaient, personne ne se souvient). Première bonne surprise concernant Le Club Van Helsing : les livres sont jolis, avec leur couvertures N&B, leur pelliculage sélectif et leurs rabats.

Mais qu’est-ce que le Club Van Helsing ?

Ceux qui, comme moi, ont commencé par la lecture du Maud Tabachnik Tous ne sont pas des monstres, mais qui, contrairement à moi, n’ont pas poursuivi la série, ne pourront guère répondre à cette question, car le club de chasseurs de monstres n’y apparaît pas, à part une rencontre londonienne (et inutile) entre le personnage principal, Nathan, et Hugo Van Helsing, entrevue falote à laquelle on ajoutera une inscription sur une tombe et c’est à peu près tout. Pour le reste, nous avons affaire à un texte éclaté en nombreux points de vue qui évoque les pires pages paranoïaques de Philippe de Villiers, Maurice G. Dantec et Dan Simmons : d’un côté de sales arabes de merde financés par Ben Laden (ah ah ah !) invoquent un Djinn en banlieue ; de l’autre, face à l’incurie des forces de maintien de l’ordre françaises, incurie qui pourrait bien provoquer la fin de notre monde occidental aux si belles valeurs (le pognon avant tout !), un super-héros juif (un peu con, mais ça c’est mon point de vue) va à Prague où il réveille le golem du Rabbi Löw. Le bien (les Juifs), le mal (les Arabes), la banlieue qui flambe à cause du noyautage terroriste islamiste (et surtout pas du chômage, du culte de l’argent facile et du racisme ambiant) ; un tel concentré de clichés pro-israéliens et anti-islamistes laisse pantois et il n’en faut pas plus pour jeter cet étron tiède à la poubelle en espérant que les éboueurs (probablement issus de l’immigration) ne tarderont pas à passer. C’est sûr qu’avec des textes de cet acabit, au mieux maladroits, au pire manichéens et simplistes, on progresse sur la voie de la tolérance et de l’intégration. A boycotter avec force ! Même si les intentions de Tabachnik (connue pour ses engagements politiques) étaient probablement bien moins puantes que son livre.

Ça ne s’arrange guère avec Cold Gotha de Guillaume Lebeau où Hugo Van Helsing joue au chasseur de vampires en Californie. L’auteur a visiblement trop regardé 24 heures chrono et trop lu la sous littérature de Tom Clancy ; résultat, il se prend pour un auteur de best-sellers américain et nous inonde de marques (Paul Smith, Vuitton, Converse, Yohji Yama-moto…), de détails techniques inutiles (« … les trois moteurs Honeywell TFE731-60 se turent », page 8), de calibres divers et variés (« un SABR calibre 5,56 mm. Lance-roquettes 20 mm semi-automatique alimenté par chargeur », page 23). Au final, ça ressemble à « Bécassine vient de découvrir les possibilités infinies d’Internet et écrit son SAS », et les seules fois où on rit, c’est face au sérieux imperturbable de ce mini-thriller-vampirique ennuyeux, plus con que le Da Vinci Code et rempli jusqu’aux marges de « Mossberg 500 », d’« Igla-S développé par KBM Mashynostroeniya », de « GT-500KR 1968 ». On imagine sans mal ce que donnerait une scène de cul écrite par Lebeau : « Il déroula sur les 144 premiers millimètres de sa verge en expansion sanguine un préservatif Durex nervuré, modèle straightpussy, marque déposée, n°de lot Fr-0666252134. Puis il soupesa ses testicules d’un diamètre de 3,81 cm à droite, 3,92 à gauche, avant de pénétrer Belinda avec un angle de 37,2° (le matin ?)… ». Allez, zou, poubelle !

Arrivé à la seconde fournée, un choix cornélien s’impose : soit lire le Bizien sur les loups-garous, soit lire le Heliot sur le sphinx. Après une courte hésitation, j’attaque le Bizien, qui commence très très mal : « Le personnage de cette histoire est raciste, homophobe et sanguinaire. Si l’auteur a eu grand plaisir à narrer ses aventures, il est évident qu’il ne partage aucunement ses idées », page 5. Si c’est si évident, pourquoi l’écrire ? Il me semblait que depuis la parution de La Mort est mon métier de Robert Merle, ce type de justifications ambiance « les lecteurs sont tellement cons, surtout levons toute ambiguïté » était devenue totalement inutile. Il faut croire que non… Quant au texte, il met en scène, sans grand panache, Vuk, ex-légionnaire et vétéran serbe qui massacre la moitié des vampyres et lycanthropes du sous-Paris, pour le compte de Winston Lester Kobayashi Takakura, à moins que ça ne soit pour celui d’Hugo Van Helsing. Ecriture coup de poing et bâclée (on dirait un Blade — pas le vampire, l’autre), scènes d’action nombreuses mais sans enjeux, récit sans véritable horizon d’attente : Mastication c’est Underworld 2 sans Kate Beckinsale, une aventure plus Kronenbourg  que glamour, saupoudrée d’une bonne dose du jeu de rôle Vampire — la Mascarade… Une série B un brin rock’n’roll, pleine de clins d’œil cinéma, de blagues foirées ; un textaillon (équivalent littéraire du gravillon) qui se laisse lire, dans le métro par exemple, mais qu’on oubliera sitôt la dernière page tournée. Pas scandaleux, jamais enthousiasmant. En tout cas, un texte qui est bien plus à sa place, chez Baleine, que les deux précédents.

Passons maintenant au cas Johan Heliot : Question de mort.

Big B. est un monstre, énorme, surarmé. Il se promène dans un Hummer avec, à l’arrière, une créature qui n’est ni un chien ni un singe et ne semble consommer que des sauces en sachet.

Big B. est un justicier qui travaille comme chasseur de monstres pour le compte d’Hugo Van Helsing, ce qui ne l’empêche pas, bien au contraire, d’avoir une vision de la justice particulière : « Partout, on trouvait des clones de ce mec, qui veillaient à ce que leurs contemporains appliquent à la lettre les lois et règlements édictés pour le bien de la collectivité. Partout, ils cassaient les burnes aux dangereux terroristes du quotidien qui ne ramassaient pas les merdes de chiens ou traversaient aux feux rouges. Ces citoyens incarnaient les valeurs morales du pays avec une fierté d’autant plus imbécile qu’elle représentait le plus haut degré d’engagement politique dont ils étaient capables. » (Page 36.)

Big B. est à la poursuite du Sphinx et de ses deux assesseurs. Un sphinx qui découpe ses victimes quand celles-ci ne savent pas répondre à ses énigmes, un monstre qui n’hésite pas à faire des snuff movies qu’il balance ensuite sur l’Internet.

Première réussite du Club Van Helsing, Question de mort est une série B très marquée par les films d’horreur des années 70 et du début des années 80 (Massacre à la tronçonneuse, Evil dead, Vendredi 13, La Colline a des yeux…) Ce portrait d’une Amérique dégénérée évoque le célèbre épisode de la saison 4 de la série X-Files, « La Meute » (« Home » en VO). On est là face à un texte d’ambition restreinte, mais bien écrit, bien mené et plein d’humour (parfois pipi-caca — les lecteurs de Stephen King ne seront pas dépaysés). Adepte d’une littérature populaire de qualité, Johan Heliot semble être le seul des quatre premiers auteurs à avoir trouvé l’esprit Van Helsing, c’est-à-dire l’esprit X-Files, pour simplifier.

Vient ensuite Délire d’Orphée de Catherine Dufour, le mieux écrit des sept, sans aucun doute, mais paradoxalement le plus ennuyeux. On y suit Senoufo Amchis, tueur de cachalot, engagé par Hugo Van Helsing pour détruire une carapace de tortue d’un coup de harpon. Si ce petit livre est un joli portait de chasseur de monstres, c’est surtout une novella ultra linéaire, sans surprise aucune, dont l’histoire (d’adultère…) tient sur un ticket de métro plié en deux. Dans ses moments les plus inspirés, Dufour livre de belles pages sur Londres, la mer, le désir ; le reste du temps, elle étire comme elle le peut la matière d’une novelette. Dommage.

Mickey Monster de Denis Bretin et Laurent Bonzon (auteurs du Masque qui signent Bretin & Bonzon) surprend. D’abord, parce que c’est le Club Van Helsing qui respecte le plus la bible de la série. Ensuite, parce que cet hommage appuyé aux séries Z (plusieurs sont d’ailleurs planquées ici et là, au détour d’une description ou d’un dialogue) fonctionne à 100%. En deux mots, Mickey Monster est un remake de Blob (avec Steve McQueen) et Gremlins (le personnage du narrateur est inventeur, comme le papa acheteur du mogwai). Ce court roman a une petite musique, très agréable. L’ambition n’est pas bien haute, mais le résultat est tout à fait sympathique. Et je me suis même surpris à éclater de rire deux ou trois fois ; notamment lors de la scène de la demande en mariage, tout à fait savoureuse, faisandée comme il se doit. Malgré quelques failles scénaristiques dignes d’Ed Wood, ce Club Van Helsing est un petit bijou, crétin et jouissif, parfum Braindead. Dans la même veine que le Heliot, mais en plus marrant.

Quant à Leviatown de Philip Le Roy, c’est plus ou moins Notre-Dame des ténèbres de Fritz Leiber réécrit par Chuck Norris ou Steven Seagal. Même à doses homéopathiques (3-4 pages, le soir) ce concentré de ninjâneries, de blagues de mercenaires et de citations cinématographiques est insupportable. Extrait :

« Desert Eagle .50 Action Express, déclara Samsonite. Le calibre le plus puissant au monde pour une arme de poing semi-automatique. A faire passer du .44 Magnum pour une crotte de nez.

– ‘Utain cha fait mal conach’ ! se plaignit Mendez

– Le fait qu’il y ait écrit GROS CON sur ton front et DESERT EAGLE sur mon flingue devrait pousser tes deux petites noix à se casser et toi avec. » (page 27.)

Au final, de ces sept premiers Club Van Helsing, on retiendra le Johan Heliot, maîtrisé et plaisant, et l’hommage de Bretin & Bonzon à tous les Attaque de la moussaka géante, Blob et autres tomates tueuses. Pas de quoi sauter au plafond, surtout à dix euros le petit livre.

Cold Gotha

[Critique commune à Cold Gotha, Tous ne sont pas des monstres, Mastication, Question de mort, Délires d’Orphée, Léviatown et Mickey Monster.]

« Il arrive que l’œil capture une silhouette, celle d’un monstre sur un mur de béton, que l’oreille entende un hurlement surgissant d’une impasse. On se dit que c’est la fatigue, le stress de la vie moderne, et l’esprit reprend le dessus, pour retourner à la routine rassurante. En général, c’est ce qu’il faut faire, parce que la vie est banale, qu’elle n’a rien d’extraordinaire. Mais parfois il y a un monstre dans le béton, et l’horreur se déchaîne dans l’impasse. Alors on ne peut compter que sur le Club Van Helsing. » (Texte du rabat de droite.)

Voici donc les sept premiers volumes du Club Van Helsing, une collection créée et dirigée par Guillaume Lebeau et Xavier Mauméjean qui rappelle un peu L’Agence Arkham de Francis Valéry (série publiée il y a quelques années aux défuntes éditions DLM et dont, logiquement, au vu de la qualité des textes qui la composaient, personne ne se souvient). Première bonne surprise concernant Le Club Van Helsing : les livres sont jolis, avec leur couvertures N&B, leur pelliculage sélectif et leurs rabats.

Mais qu’est-ce que le Club Van Helsing ?

Ceux qui, comme moi, ont commencé par la lecture du Maud Tabachnik Tous ne sont pas des monstres, mais qui, contrairement à moi, n’ont pas poursuivi la série, ne pourront guère répondre à cette question, car le club de chasseurs de monstres n’y apparaît pas, à part une rencontre londonienne (et inutile) entre le personnage principal, Nathan, et Hugo Van Helsing, entrevue falote à laquelle on ajoutera une inscription sur une tombe et c’est à peu près tout. Pour le reste, nous avons affaire à un texte éclaté en nombreux points de vue qui évoque les pires pages paranoïaques de Philippe de Villiers, Maurice G. Dantec et Dan Simmons : d’un côté de sales arabes de merde financés par Ben Laden (ah ah ah !) invoquent un Djinn en banlieue ; de l’autre, face à l’incurie des forces de maintien de l’ordre françaises, incurie qui pourrait bien provoquer la fin de notre monde occidental aux si belles valeurs (le pognon avant tout !), un super-héros juif (un peu con, mais ça c’est mon point de vue) va à Prague où il réveille le golem du Rabbi Löw. Le bien (les Juifs), le mal (les Arabes), la banlieue qui flambe à cause du noyautage terroriste islamiste (et surtout pas du chômage, du culte de l’argent facile et du racisme ambiant) ; un tel concentré de clichés pro-israéliens et anti-islamistes laisse pantois et il n’en faut pas plus pour jeter cet étron tiède à la poubelle en espérant que les éboueurs (probablement issus de l’immigration) ne tarderont pas à passer. C’est sûr qu’avec des textes de cet acabit, au mieux maladroits, au pire manichéens et simplistes, on progresse sur la voie de la tolérance et de l’intégration. A boycotter avec force ! Même si les intentions de Tabachnik (connue pour ses engagements politiques) étaient probablement bien moins puantes que son livre.

Ça ne s’arrange guère avec Cold Gotha de Guillaume Lebeau où Hugo Van Helsing joue au chasseur de vampires en Californie. L’auteur a visiblement trop regardé 24 heures chrono et trop lu la sous littérature de Tom Clancy ; résultat, il se prend pour un auteur de best-sellers américain et nous inonde de marques (Paul Smith, Vuitton, Converse, Yohji Yama-moto…), de détails techniques inutiles (« … les trois moteurs Honeywell TFE731-60 se turent », page 8), de calibres divers et variés (« un SABR calibre 5,56 mm. Lance-roquettes 20 mm semi-automatique alimenté par chargeur », page 23). Au final, ça ressemble à « Bécassine vient de découvrir les possibilités infinies d’Internet et écrit son SAS », et les seules fois où on rit, c’est face au sérieux imperturbable de ce mini-thriller-vampirique ennuyeux, plus con que le Da Vinci Code et rempli jusqu’aux marges de « Mossberg 500 », d’« Igla-S développé par KBM Mashynostroeniya », de « GT-500KR 1968 ». On imagine sans mal ce que donnerait une scène de cul écrite par Lebeau : « Il déroula sur les 144 premiers millimètres de sa verge en expansion sanguine un préservatif Durex nervuré, modèle straightpussy, marque déposée, n°de lot Fr-0666252134. Puis il soupesa ses testicules d’un diamètre de 3,81 cm à droite, 3,92 à gauche, avant de pénétrer Belinda avec un angle de 37,2° (le matin ?)… ». Allez, zou, poubelle !

Arrivé à la seconde fournée, un choix cornélien s’impose : soit lire le Bizien sur les loups-garous, soit lire le Heliot sur le sphinx. Après une courte hésitation, j’attaque le Bizien, qui commence très très mal : « Le personnage de cette histoire est raciste, homophobe et sanguinaire. Si l’auteur a eu grand plaisir à narrer ses aventures, il est évident qu’il ne partage aucunement ses idées », page 5. Si c’est si évident, pourquoi l’écrire ? Il me semblait que depuis la parution de La Mort est mon métier de Robert Merle, ce type de justifications ambiance « les lecteurs sont tellement cons, surtout levons toute ambiguïté » était devenue totalement inutile. Il faut croire que non… Quant au texte, il met en scène, sans grand panache, Vuk, ex-légionnaire et vétéran serbe qui massacre la moitié des vampyres et lycanthropes du sous-Paris, pour le compte de Winston Lester Kobayashi Takakura, à moins que ça ne soit pour celui d’Hugo Van Helsing. Ecriture coup de poing et bâclée (on dirait un Blade — pas le vampire, l’autre), scènes d’action nombreuses mais sans enjeux, récit sans véritable horizon d’attente : Mastication c’est Underworld 2 sans Kate Beckinsale, une aventure plus Kronenbourg  que glamour, saupoudrée d’une bonne dose du jeu de rôle Vampire — la Mascarade… Une série B un brin rock’n’roll, pleine de clins d’œil cinéma, de blagues foirées ; un textaillon (équivalent littéraire du gravillon) qui se laisse lire, dans le métro par exemple, mais qu’on oubliera sitôt la dernière page tournée. Pas scandaleux, jamais enthousiasmant. En tout cas, un texte qui est bien plus à sa place, chez Baleine, que les deux précédents.

Passons maintenant au cas Johan Heliot : Question de mort.

Big B. est un monstre, énorme, surarmé. Il se promène dans un Hummer avec, à l’arrière, une créature qui n’est ni un chien ni un singe et ne semble consommer que des sauces en sachet.

Big B. est un justicier qui travaille comme chasseur de monstres pour le compte d’Hugo Van Helsing, ce qui ne l’empêche pas, bien au contraire, d’avoir une vision de la justice particulière : « Partout, on trouvait des clones de ce mec, qui veillaient à ce que leurs contemporains appliquent à la lettre les lois et règlements édictés pour le bien de la collectivité. Partout, ils cassaient les burnes aux dangereux terroristes du quotidien qui ne ramassaient pas les merdes de chiens ou traversaient aux feux rouges. Ces citoyens incarnaient les valeurs morales du pays avec une fierté d’autant plus imbécile qu’elle représentait le plus haut degré d’engagement politique dont ils étaient capables. » (Page 36.)

Big B. est à la poursuite du Sphinx et de ses deux assesseurs. Un sphinx qui découpe ses victimes quand celles-ci ne savent pas répondre à ses énigmes, un monstre qui n’hésite pas à faire des snuff movies qu’il balance ensuite sur l’Internet.

Première réussite du Club Van Helsing, Question de mort est une série B très marquée par les films d’horreur des années 70 et du début des années 80 (Massacre à la tronçonneuse, Evil dead, Vendredi 13, La Colline a des yeux…) Ce portrait d’une Amérique dégénérée évoque le célèbre épisode de la saison 4 de la série X-Files, « La Meute » (« Home » en VO). On est là face à un texte d’ambition restreinte, mais bien écrit, bien mené et plein d’humour (parfois pipi-caca — les lecteurs de Stephen King ne seront pas dépaysés). Adepte d’une littérature populaire de qualité, Johan Heliot semble être le seul des quatre premiers auteurs à avoir trouvé l’esprit Van Helsing, c’est-à-dire l’esprit X-Files, pour simplifier.

Vient ensuite Délire d’Orphée de Catherine Dufour, le mieux écrit des sept, sans aucun doute, mais paradoxalement le plus ennuyeux. On y suit Senoufo Amchis, tueur de cachalot, engagé par Hugo Van Helsing pour détruire une carapace de tortue d’un coup de harpon. Si ce petit livre est un joli portait de chasseur de monstres, c’est surtout une novella ultra linéaire, sans surprise aucune, dont l’histoire (d’adultère…) tient sur un ticket de métro plié en deux. Dans ses moments les plus inspirés, Dufour livre de belles pages sur Londres, la mer, le désir ; le reste du temps, elle étire comme elle le peut la matière d’une novelette. Dommage.

Mickey Monster de Denis Bretin et Laurent Bonzon (auteurs du Masque qui signent Bretin & Bonzon) surprend. D’abord, parce que c’est le Club Van Helsing qui respecte le plus la bible de la série. Ensuite, parce que cet hommage appuyé aux séries Z (plusieurs sont d’ailleurs planquées ici et là, au détour d’une description ou d’un dialogue) fonctionne à 100%. En deux mots, Mickey Monster est un remake de Blob (avec Steve McQueen) et Gremlins (le personnage du narrateur est inventeur, comme le papa acheteur du mogwai). Ce court roman a une petite musique, très agréable. L’ambition n’est pas bien haute, mais le résultat est tout à fait sympathique. Et je me suis même surpris à éclater de rire deux ou trois fois ; notamment lors de la scène de la demande en mariage, tout à fait savoureuse, faisandée comme il se doit. Malgré quelques failles scénaristiques dignes d’Ed Wood, ce Club Van Helsing est un petit bijou, crétin et jouissif, parfum Braindead. Dans la même veine que le Heliot, mais en plus marrant.

Quant à Leviatown de Philip Le Roy, c’est plus ou moins Notre-Dame des ténèbres de Fritz Leiber réécrit par Chuck Norris ou Steven Seagal. Même à doses homéopathiques (3-4 pages, le soir) ce concentré de ninjâneries, de blagues de mercenaires et de citations cinématographiques est insupportable. Extrait :

« Desert Eagle .50 Action Express, déclara Samsonite. Le calibre le plus puissant au monde pour une arme de poing semi-automatique. A faire passer du .44 Magnum pour une crotte de nez.

– ‘Utain cha fait mal conach’ ! se plaignit Mendez

– Le fait qu’il y ait écrit GROS CON sur ton front et DESERT EAGLE sur mon flingue devrait pousser tes deux petites noix à se casser et toi avec. » (page 27.)

Au final, de ces sept premiers Club Van Helsing, on retiendra le Johan Heliot, maîtrisé et plaisant, et l’hommage de Bretin & Bonzon à tous les Attaque de la moussaka géante, Blob et autres tomates tueuses. Pas de quoi sauter au plafond, surtout à dix euros le petit livre.

 

Callisto

Odell Deefus, un grand nigaud âgé de 22 ans, traverse le Kansas dans sa vieille Chevry Monte Carlo. Son but : atteindre la petite ville de Callisto, où se trouve un bureau de recrutement de l’armé américaine. Odell est résolu à s’engager pour aller combattre en Irak. Il a vu des « islamistes » à la télévision, et il les a trouvé très méchants. Et comme, en plus, il y a une prime pour les soldats qui acceptent de partir en Irak… Mais quelques kilomètres avant d’arriver à destination, sa voiture lâche. Il fait alors la connaissance de Dean Lowry, qui accepte de l’héberger. Dean est un type assez étrange, un petit dealer qui s’est récemment converti à l’islam. Odell se méfie de lui, et par un triste concours de circonstances, il le tue d’un méchant coup de batte de baseball. Puis il découvre un cadavre dans le congélateur de Dean. Odell se retrouve donc avec deux cadavres sur les bras et un énorme problème : il va falloir qu’il réfléchisse à tout ça. Et réfléchir, ce n’est pas vraiment le point fort d’Odell. C’est alors qu’il a une très mauvaise idée : pour justifier la disparition de Dean, il raconte à la police que celui-ci a proféré des menaces de mort à l’encontre du sénateur Ketchum, futur candidat républicain aux présidentielles américaines. Et, comme si ça ne suffisait pas, il explique que Dean est parti dans une voiture, en compagnie de plusieurs de ses « frères musulmans ». Il n’en faut pas plus pour que la mécanique paranoïaque se mette en branle et fonctionne à plein régime, jusqu’au délire total : policiers douteux, mystérieux agents de la sécurité nationale, FBI, télévangéliste à la tête d’une très politique « fondation pour le renouveau de la foi », reporters de chaînes de télévision en quête de scoop… Odell est aussitôt encerclé par une horde de tordus frénétiques, tous convaincus qu’il détient des renseignements essentiels sur un complot terroriste de grande ampleur. Tout le monde manipule tout le monde. Et Odell, déjà complètement dépassé par les évènements, doit faire face à une succession de situations délirantes. S’ajoute à tout ça l’apparition soudaine de Lorraine, gardienne de prison et sœur de Dean Lowry, dont Odell tombe instantanément amoureux…

La grande force de Callisto, c’est d’être un roman qui ne cherche pas à tromper son lecteur. D’entrée de jeu, les choses sont claires, les choix sont nets, tranchés : Callisto est une satire politique cruelle et survoltée. Une farce énorme, déjantée, décapante, et qui s’assume comme telle. Les personnages sont tellement chargés, tellement too much, qu’ils sont sans cesse à la limite de la caricature. Et les développements de l’intrigue atteignent vite un stade qui se situe très au-delà du crédible, ou même du simple réalisme. Mais c’est justement ce parti pris — radical, outrancier, excessif — qui fait de Callisto un roman unique. L’autre point fort de Callisto, c’est d’avoir choisi le personnage d’Odell Deefus comme seul et unique narrateur. Car ce grand gaillard a toujours — au minimum ! — un temps de retard sur l’action. D’où un effet comique à répétition, un peu facile, souvent cruel, mais d’une efficacité redoutable. On assiste, éberlué, aux mésaventures hilarantes d’Odell. Et bien sûr, on finit par s’attacher à ce type étonnant, devenu bien malgré lui la victime expiatoire d’un système politique démentiel. Au fil du récit, le personnage d’Odell évolue : il comprend peu à peu qu’on lui a menti, et que le vrai visage de l’Amérique n’est pas tout à fait celui qu’il a vu à la télévision. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que pour parvenir à cette vérité simple, il lui faudra passer par les pires épreuves.

Callisto est donc une vraie curiosité littéraire. Une sorte de composite bizarroïde, qu’on peut situer quelque part entre les polars teigneux de Jim Thompson (1275 âmes) et les fictions frapadingues de Chuck Palahniuk. Mais on peut aussi le lire comme un roman d’espionnage sous acide, voire même comme un cauchemar éveillé que subit le narrateur. Dans tous les cas, c’est un roman étrange, inclassable.

D’autant plus étrange qu’on ne sait rien de l’auteur. Torsten Krol refuse les interviews, les photos, les apparitions publiques. Personne ne sait à quoi il ressemble, même pas ses éditeurs. Opération marketing ? Ou gros problème de timidité excessive ? Torsten Krol est un écrivain-mystère. A tel point que certains critiques ont imaginé qu’il pouvait s’agir d’un écrivain célèbre utilisant le pseudonyme de Torsten Krol (on dirait le nom d’un personnage de Tolkien !). On a même cité le nom de J.D. Salinger, l’auteur du roman culte L’Attrape-cœurs, que personne n’a vu depuis des décennies. Tout simplement à cause du fait que l’écriture de Krol ressemble un peu à celle de Salinger… Mais bon, finalement peu importe. Qu’il ait été écrit par un Krol — ou par un Troll ! — ne change rien à l’affaire : Callisto est un livre qui se suffit à lui-même, et qui aurait facilement pu se passer de cette polémique un peu vaine. Alors surtout, ne passer pas à côté ; car un roman de ce calibre, on n’en lit pas tous les jours. Et ça, au moins, c’est une certitude.

Extrêmes

À découvrir sur le blog Bifrost, l'avis extrêmement complet de Sylvain Fontaine sur Extrêmes ! Quand le cinéma dépasse les bornes de Julien Bétan !

Rouge sang

Londres, XXIIe siècle. La société a fait un grand bond en arrière, revenant à la féodalité. Cruauté et violence sont les principaux moyens de gouverner et de maintenir l'ordre.

La capitale britannique est ravagée, le gouvernement et l'Etat l'ont désertée. Ses ruines sont tombées aux mains de deux chefs de guerre, en lutte pour le contrôle total de la ville. Val Volson, qui règne sur la majeure partie de la cité, décide de faire comme les monarchies d'Ancien régime. Il veut donner sa fille Signy en mariage à son rival, Connor. Il espère ainsi que cette union politique et charnelle mettra fin au conflit qui l'oppose à son rival. C'est donc sans aucune joie que Signy, véritable garçon manqué, accepte ce mariage. La cérémonie sera fastueuse, et marquée par un étrange signe des dieux. Stratège ou félon, Connor entend bien profiter de ce mariage pour faire main basse sur Londres. Naïf ou trop confiant, Val n'y verra que du feu. C'est donc dans la surprise que Connor lance son raid contre les Volson. Il réussit à tuer Val, ainsi que deux de ses trois fils. Seul Siggy, le jumeau de Signy, échappera à l'appétit d'un monstre mi-homme mi-cochon, le Pourceau…

Etrange créature que ce Pourceau. Il est un des nombreux Mi-Hommes, chimères mi-humaines et mi-animales qui habitent la banlieue londonienne. Ces êtres, issus de lointaines expérimentations génétiques, sont toujours méprisés et parfois lynchés. Mais c'est pourtant l'un d'entre eux qui recueillera et soignera Siggy. Le prince se comporte d'abord comme une peste avec celle qui l'a recueilli et remis sur pied. Il prendra ensuite conscience de l'humanité et de la profonde misère dans laquelle vivent les Mi-Hommes. Ivre de son nouveau pouvoir, le maître incontesté de Londres va vouloir étendre son royaume au-delà de la seule capitale. Il vise donc les terres des Mi-Hommes. La conquête et l'occupation des terres vont devenir le prétexte à la plus extrême brutalité contre les Mi-Hommes. Ces derniers vont alors tenter de renverser le tyran en s'alliant avec les humains. Qui, mieux que Siggy, pourrait les aider ?

Quant à Signy, mutilée par son époux et incapable de se déplacer, elle ne cesse de ruminer sa vengeance. Elle ne veut qu'une seule chose : la mort du tyran. Elle est prête à tout et aux pires sacrifices pour étancher sa soif de vengeance. Mais comment faire, alors qu'elle est emprisonnée dans un donjon dont elle ne peut s'extraire ? Il ne lui reste plus qu'à s'appuyer sur son chat, qui est bien plus qu'un simple félin…

Disons-le tout net, cette fantasy post-apocalyptique, initialement publiée dans une collection jeunesse, est un excellent cru qui vaut très largement ses 480 pages. On peste régulièrement dans ces colonnes contre les longueurs et les tirages à la ligne, mais là, rien à dire. L'écriture, d'abord lente mais fastueuse, bascule ensuite dans une nervosité qui colle parfaitement aux fracas des batailles. Loin de tout manichéisme, Burgess travaille soigneusement la psychologie de ses personnages. Il en fait des êtres profondément humains par leur ambivalence et l'ivresse de leur passion vengeresse ou conquérante. L'univers est lui aussi remarquablement travaillé, et ne se contente pas d'être un simple décor assurant l'unité de lieu. Bien sûr, les amateurs de hard SF purs et durs trouveront toujours à redire sur la génétique des Mi-Hommes. Mais qu'importe. On pense même par moment à Theodore Sturgeon, quand les Mi-Hommes et les humains révèlent à l'Autre sa part d'humanité. La quatrième de couverture évoque le bruit, la fureur, les larmes et le sang. Je ne peux manquer d'y ajouter l'ivresse des passions, qui donne parfois au roman des accents tragiques dignes de Sophocle ou Shakespeare. Les protagonistes sont emportés par la force des passions, et leurs vies se fracassent sur l'autel d'un destin qui les dépasse.

Melvin Burgess, auteur pour enfants et ados, s'est fait une spécialité d'aborder des thèmes assez difficiles à l'intention de son jeune public. Qu'il traite de sexualité ou de toxicomanie, il en montre la réalité sans fard, et sans moraliser. Ici, c'est la violence, à coup de massacres et de tortures qui pourra choquer les plus jeunes. Recommandé à partir de 15 ans, ce roman est une parfaite réussite. Saluons d'ailleurs la volonté de Folio « SF » de le sortir dans une collection tout public. Aussi bien destiné aux adolescents qu'à leurs parents, cette saga est le genre de livre idéal pour la plage. De l'aventure et du dépaysement à haute dose, mais d'une qualité aux antipodes de la littérature de gare.

Faut-il donc que ce livre ait un défaut ? Il est bien connu que Bifrost est toujours à la recherche de la petite bête. Celle-ci est vraiment toute petite, voire nanoscopique. On aurait juste aimé avoir les références de la fameuse saga islandaise dont ce livre est inspiré. Passez donc outre ce défaut, parce qu'il fallait bien en trouver un. Achetez-le pour vous, vos enfants, vos neveux, les adolescents et lecteurs de votre entourage. Il trouvera sa place dans toute excellente bibliothèque, aux côtés d'À la croisée des mondes de Philip Pullman. De jeunesse ou pas, peu importe la collection pourvu qu'on ait de la bonne littérature. Croyez bien qu'avec Rouge sang, Melvin Burgess ne vous décevra pas !

Les limites de l’enchantement

La vie suit son cours régulier dans le petit village de Hallaton. Les changements que connaissent l'Angleterre des années 60 et le monde ne s'y font pas vraiment sentir. Sauf peut-être à la télévision, qui diffuse l'avancée de la conquête spatiale ou Au-delà du réel. Animaux morts satellisés et feuilleton de science-fiction troublent Fern quand elle suit les programmes télé chez son amie Judith. Car la jeune fille est davantage habituée aux rituels invariables de Megan Cullen, sa mère adoptive. Maman Cullen, âgée de soixante-dix-sept ans, est une figure éminente du village. Sage-femme dont l'expérience vaut davantage que les diplômes d'Etat, elle a libéré la plupart des habitantes en les faisant accoucher ou en se chargeant de les faire avorter. Son savoir s'étend à l'herboristerie, aux pratiques folkloriques teintées de magie quotidienne, et aux détails des coucheries touchant les notables, qu'il vaut mieux tenir secrets. Mais la guérisseuse d'Hallaton se fait vieille, et Fern devra lui succéder. Aussi se prépare-t-elle à subir la Question, sorte d'initiation qui garantira le passage et la permanence des traditions. C'est compter sans la nouveauté, à peine dérangeante au début quand des hippies viennent s'installer à proximité de la chaumière, jeunes universitaires qui s'en remettent au flower power pour s'improviser fermiers. Les bouleversements se précipitent quand Maman Cullen est hospitalisée suite à une chute provoquée. Fern se retrouve bientôt seule, ce qui revient pour elle à être entourée de gens dont elle doit éprouver l'amitié. Menacée jusque dans sa petite demeure, elle mesure les limites de l'enchantement…

D'une certaine façon, ce roman de Graham Joyce fait suite à son remarquable Lignes de vie, comme on le dirait d'un contrepoint, à la fois opposé et complémentaire. Lignes de vie décrivait, au travers d'une profusion d'existences, la permanence d'un quotidien que la guerre elle-même ne peut troubler. Les Limites de l'enchantement parle des modifications profondes qui sont le fait des temps de paix. Cette fois-ci par le biais d'un récit linéaire, histoire à nouveau de femmes dont la figure de l'accoucheuse, présente dans les deux romans, tient lieu de transition. Il incombe à Fern d'endosser ses choix, voulus ou imposés, sans autre guide que la pratique. Certains, comme la Question, n'ont déjà plus lieu d'être, car d'autres mutations sont davantage effectives. Ainsi de la découverte des garçons, Chas le hippy et le fidèle Arthur McCann, ou des hommes comme le docteur aux crèmes brûlées, suppôt du sinistre Mr Venables, directeur de l'agence immobilière aux manières doucereuses, surnommé « l'anguille de Norfolk ». Fern devra demeurer attentive, sous peine de rester bloquée à distance de l'existence qui l'attend, car il suffit de battre des cils pour que cinq minutes passent, ou toute une vie. La jeune femme apprendra à feindre tout en restant elle-même, à utiliser des grands mots comme « vertex » pour parler d'un bébé qui se présente tête la première. Heureusement, elle pourra compter sur des alliés inattendus, tels Mme Marlène Mitchell, dite MMM, puéricultrice diplômée à la démarche silencieuse, ou ce lièvre, cousin du lapin d'Alice qui se fraye un passage entre les mondes. Après avoir subi la violence des mots et des coups, Fern retrouvera l'enchantement lors de la Fête du Lièvre, durant la Ruée de la Tourte et la Mêlée aux Bouteilles, traditions qui perdurent sans être entachées par la modernité.

Un très beau roman, proche de l'imaginaire du sublime écrivain irlandais Niall Williams, auteur notamment de Quatre lettres d'amour (Flammarion) et de Comme au Ciel (Denoël), tous deux situés dans le comté de Clare. Saluons enfin le travail de Mélanie Fazi, véritable sœur en esprit du romancier, qui va bien au-delà de la simple traduction. En témoigne par exemple le rendu du cryptage des carnets de Fern, à la fois authentique création et fidélité au texte.

Ça vient de paraître

Au-delà du gouffre

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 120
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