Pizzeria Inferno
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La guerre des mondes selon Wells n'aura pas lieu. Les armes économiques sont bien plus redoutables pour conquérir un adversaire, comme en témoigne ce roman très humoristique. Comment, en effet, Johnson Mukerjii saurait-il sauver sa société conceptrice d'un écran holographique quand des extraterrestres se présentent avec des produits cent fois plus performants ? La Terre se débarrasse un peu vite de ses possessions en échange de secrets industriels que sa technologie est incapable de fabriquer, voire de comprendre. La récession provoque l'effondrement de la Bourse.
Mukerjii ne peut se refaire qu'en se battant sur le même terrain : il conçoit un gadget pour vaisseaux spatiaux, aussi ridicule que promu à un brillant avenir, qui intéresse les riches touristes aux yeux pédonculés. Tout en démontant les mécanismes du capitalisme d'entreprise, Greg Costikyan raconte avec jubilation les aventures échevelées de son P.D.G. poursuivi par une pléiade de plaignants, avocats, militaires, gouvernements et hommes d'affaires.
Il est dommage qu'une farce aussi réussie repose sur un argument peu crédible, le gadget qu'invente Mukerjii pour réussir sa reconquête économique, un porte-boissons à fixer au mur au moyen d'une ventouse pour ne pas laisser flotter sa consommation dans le vaisseau ; en effet, on peine à croire que des civilisations extraterrestres disposant ailleurs de l'anti-gravité comme de la gravité artificielle n'aient pas songé à installer celle-ci sur leurs moyens de transport.
Hormis ce défaut, on est enchanté par cette farce caustique, dont les sarcasmes n'épargnent rien ni personne. La location d'un stand à une foire-exposition interstellaire est un morceau d'anthologie.
Issu de l'univers du jeu de rôle, Greg Costikyan confirme sa réputation d'auteur déjanté aussi brillant qu'hilarant. Avec $pace O.P.A., il se glisse d'emblée à la hauteur d'un Sheckley.
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Mars la Rouge, le premier tome de la « trilogie martienne » de Kim Stanley Robinson, vient de paraître en deux volumes chez Pocket, dans une édition augmentée. Il décrit de façon hyperréaliste les étapes de la colonisation de Mars, ainsi que les enjeux politiques et sociologiques de l'entreprise. Si, durant le voyage, les dissensions entre les Cent Premiers, scientifiques triés sur le volet, sont peu marquées, elles se radicalisent au fur et à mesure de la progression de la terraformation. Le désir de préserver la beauté sauvage de la planète les divise en plusieurs factions, depuis les adeptes de la terraformation dans le respect de valeurs écologiques jusqu'aux opposants à la moindre modification climatique.
Le projet utopique de faire de Mars un monde basé sur la fraternité et la solidarité butte aussi devant l'afflux trop important de colons soumis à de rudes conditions d'existence à leur arrivée. Il s'effrite sous la pression de la Terre minée par la surpopulation et le manque de ressources, qui souhaite récupérer les bénéfices de ses investissements et dicter ses conditions sans prendre en compte les réalités du terrain, manipulée par les transnationales appliquant sans cesse sa logique du profit effréné. Entre John Boone, héroïque astronaute de la première expédition martienne, qui refuse la tutelle terrienne, et Franck Chalmers, plus pragmatique, qui cherche à composer avec la Terre, l'amitié se double d'une rivalité feutrée. Quand commence la révolution, c'est un rêve qui s'écroule. La conquête de Mars débute par un regrettable désastre.
D'autres figures marquantes émergent dans ce roman, comme Maya Toitovna, affectivement instable, Arkady Bogdanov, qui, depuis Phobos, incite à la rébellion, ou encore Hiroko Ai qui entre en clandestinité. Les relations entre les protagonistes, toujours plus complexes à mesure qu'on apprend à les connaître, accroissent l'effet de réel suscité par le soin minutieux du détail que Robinson a apporté à l'ensemble de cette œuvre aussi intelligente que forte, où la réflexion le dispute à la passion.
On ne peut être qu'emporté par le souffle évocateur de Robinson qui a mis dix-sept ans à bâtir cette formidable épopée, récompensée par le Nebula et le British SF Award, et dont Cameron projette de réaliser un feuilleton télévisé. La « Trilogie de Mars » est un chef-d'œuvre à côté duquel il ne faut pas passer.
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Est-il possible d'écrire de la hard science avec loufoquerie ? Oui, prétend Bisson, qui le démontre sur le champ avec trois nouvelles qui se suivent chronologiquement mais sont lisibles indépendamment. Sous-titré « E=MC3 », ou encore « Tout le monde devrait avoir un ami comme Wilson Wu », ce recueil met en scène Irving, un avocat subissant des difficultés professionnelles et conjugales. Ses problèmes ne sont qu'un aspect secondaire de la question, mais ils mettent souvent en lumière les étranges phénomènes que son étonnant ami Wu parvient à expliquer, voire à enrayer avec la plus déconcertante facilité. Celui-ci, diplômé en droit, médecine, mathématiques et physique, qui exerça des activités aussi diverses que pâtissier, ingénieur, musicien de rock, entomologiste et météorologue, est un hyperactif curieux de tout qui ne manque jamais de rendre service et a en outre le don de tomber sur les phénomènes les plus étranges, qu'il parvient à expliquer.
« Le Trou dans le Trou » présente une fissure de l'espace-temps, baptisée adjacence méta-euclidienne néotopologique (non-congruente et périodique de surcroît), qui permet de récupérer, depuis une casse automobile, le Lunar abandonné sur la Lune (une partie, du moins). Dans « Le Bord de l'univers », Wu détecte une onde d'inversion anti-entropique amorçant le début du Big Crunch ; Irving en constate les effets sur une automobile abandonnée dans un terrain vague puis dans son entourage immédiat, à sa grande déception, puisque cela compromet ses chances de refaire sa vie avec Candy. Mais Wu résout toutes les difficultés, de sorte qu'Irving peut envisager une lune de miel à New York. Celle-ci risque malheureusement d'être mise à mal par une fuite de temps transitionnel provoquant une singularité chronologique compressant le temps à New York. Et voilà pourquoi taxi et métro sont à l'heure !
Les arguments pour expliquer ces aberrations sont d'une rigoureuse logique et s'appuient sur les récentes théories, ce qui permet probablement à Bisson d'affirmer en première page de son ouvrage : « Basé sur des faits réels ! » Mais les effets qu'il en tire, constatés à l'échelle de la vie banale d'Irving, sont des plus désopilants. Humour décalé et hard science rigolote font de ce recueil une lecture réjouissante.
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Le temps a toujours fasciné la S-F, le plus souvent pour les paradoxes qu'il engendre, mais jamais une idée aussi séduisante que celle de Wilson n'avait encore été exploitée ni traitée avec un tel talent. Un monument de pierre apparaît à Chumphon, en Thaïlande, fait dans un matériau inconnu, inaltérable ; il commémore une victoire que gagnera un dénommé Kuin dans vingt ans. Le froid qui accompagne son apparition provoque une onde de choc thermique qui dévaste les alentours. Bientôt, les impressionnants obélisques se multiplient en Asie, tous à la gloire du même seigneur de la guerre. À qui sont destinés ces chronolithes et que signifient-ils ? Le supposé tyran asiatique partant à la conquête de la planète est-il d'ores et déjà assuré des victoires qu'il commémore ou bien cherche-t-il à impressionner d'éventuels opposants ? D'ores et déjà, le conflit se situe sur le plan de la communication, en annonçant comme inéluctable l'issue de batailles à venir.
Scott Warden, qui a assisté à l'apparition du premier chronolithe et qui connaît de difficiles passages dans sa vie personnelle, est malgré lui une des pièces de cet échiquier temporel, une pièce recrutée par Sulamith Chopra, la physicienne la mieux placée pour étudier le phénomène grâce à ses travaux sur la turbulence Tau, au moment où l'onde de choc psychologique liée à l'apparition des chronolithes fait entrer le monde en récession. Les Etats-Unis procèdent à un surarmement préventif et se réservent les technologies sensibles tandis qu'un courant mystique de kuinistes, qui voient dans le leader du futur un messie salvateur, pousse les plus extrémistes à assister, au péril de leur vie, aux prochaines apparitions de chronolithes, qu'on a su prévoir grâce aux modifications de la radioactivité.
Le roman met en évidence l'effet larsen des chronolithes amplifiant les événements du futur ainsi que la force persuasive de l'information sur les esprits. Plutôt que de narrer les épisodes géopolitiques susceptibles de favoriser cet avènement, Robert Charles Wilson choisit une narration plus intimiste, à partir du point de vue de Warden, dont les déboires affectifs et familiaux sont une métaphore de l'impact des chronolithes : à cause d'eux, il brise son ménage puis perd son emploi. Mais c'est grâce à eux également qu'il reconquiert l'affection de sa fille, ce qui laisse augurer d'un possible renversement de situation dans cette guerre temporelle idéologique. L'écriture est elle aussi parfaitement adaptée au sujet en choisissant de présenter les protagonistes placés dans des situations nouvelles, chronolithes dont on accepte l'augure, avant d'expliquer les événements qui les y ont conduits. Tout à la fois roman psychologique retraçant l'essentiel d'une vie, avec ses bonheurs et ses déboires, et spéculation orchestrée autour d'une brillante idée, Les Chronolithes est le roman le plus marquant et le plus intelligent de ces derniers mois.
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Florence, 1498. Un corps atrocement mutilé est retrouvé dans l’Arno, les instances politiques s’en mêlent et Niccolò Machiavel, jeune secrétaire de la chancellerie, mène l’enquête. Plusieurs autres corps vont suivre le même chemin que le premier. L’affaire, qui met en danger la république florentine, implique aussi un moine étrange : Savonarole.
Voilà un premier roman (visiblement écrit en français par un auteur italien) qui n’a rien de scandaleux, qui tient plus de l’enquête policière que de l’uchronie et qui comporte des scènes d’une rare violence (une scène de torture notamment, presque insoutenable). Reste que Raphaël Cardetti ne respecte pas le lien implicite qui le lie avec ses lecteurs (il triche sans honte aucune pour maintenir le suspens) et manque cruellement de sensualité quand il décrit la Renaissance, ses souterrains, ses figures politiques, ses vices et ses bordels. Un auteur à suivre, a priori, mais qui livre ici un premier livre ennuyeux, farci de dialogues inutiles et souffrant surtout de la comparaison avec un autre ouvrage mettant en scène Machiavel : Les Conjurés de Florence de Paul J. McAuley (qui reste encore à ce jour le meilleur livre de son auteur).
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Daniel Innes, électricien, vit seul depuis sa séparation avec Sheila. Ensemble, ils ont eu deux enfants : Phil, une grenouille de bénitier plus radine que Scrooge, et Charlie, une insoumise qui considère son père comme un débile mental depuis qu’elle a treize ans. Plutôt que de donner une conclusion satisfaisante à ses études à Oxford (un truc de nazes…), Charlie a cédé aux sirènes du sud-est asiatique, notamment à la consommation d’opium. Apprenant que sa « petite fille » est emprisonnée à Chiang Mai pour trafic de drogue et risque la peine de mort, Daniel se rend en Thaïlande avec Phil et son meilleur ami, le gros Mick. Là, il ne va pas tarder à découvrir que la jeune femme incarcérée n’est pas sa fille, mais une « fourmi » nommée Claire Marchand qui a dérobé son passeport à Charlie alors que celle-ci faisait un mauvais trip dans un village perdu du nord-ouest thaïlandais. Pour Daniel, le véritable voyage peut commencer maintenant qu’il sait où chercher Charlie : à la frontière avec la Birmanie, dans une zone interdite aux touristes, sur laquelle règnent des bandes armées héritées de l’époque où Khun Sha était le Kaiser Söze thaïlandais. Accompagné par deux guides, Coconut et Bhun, puis par un jeune guide akha, notre trio britannique ne tardera pas à retrouver Charlie (p. 208)… Mais les esprits de la montagne rôdent dans ce coin perdu du monde extrême-oriental.
Voilà un livre qui ne manquent pas de défauts et qui, pourtant, se lit avec grand plaisir, presque comme un thriller estival. Pour ce qui est des défauts, ils sont surtout cantonnés dans la première moitié du récit où Joyce et ses gros sabots ne nous épargnent rien : Phil, le fils fanatique religieux, est un personnage tellement outré que le lecteur a du mal à y croire ; le consul britannique est probablement pédophile (ce qui permet à Mick de le faire chanter) ; Mick tombe amoureux d’une magnifique thaïlandaise de grande taille, Mae-Lin, qui est bien évidemment un travesti ; le trio anglais se comporte de manière odieuse la plupart du temps (forcément, les asiatiques sont de gros hypocrites, de sales vendeurs de drogue, des types qui bradent leurs gamines aux étrangers et violent celles des autres) ; les prostituées sont toutes plus belles les une que les autres (l’auteur nous le dit trois fois en moins de vingt pages). Et au final, Joyce est bien plus à l’aise dans sa description de la jungle et des villages montagnards (pp. 208 à 397), plutôt que dans celle de Chiang Mai — la Perle du Nord — (pp. 79 à 183) dont il donne un portrait extrêmement réducteur, limite cliché. Il est d’ailleurs étonnant de remarquer que le récit s’améliore au fur et à mesure que les personnages de Joyce perdent leurs préjugés racistes et se laissent pénétrer par l’ambiance asiatique, les odeurs, les couleurs et les saveurs.
Pour conclure cette critique, il convient sans doute d’avertir le lecteur de Bifrost sur un point important : malgré la collection dans laquelle Fumée d’opium est publié, il ne s’agit pas d’un livre d’horreur, mais d’un solide roman de littérature générale comportant quelques éléments fantastiques (et encore…). Le ou les véritables sujets de ce roman relèvent clairement du mainstream ; Joyce nous parle de l’incommunicabilité entre un père ouvrier spécialisé et ses enfants plus éduqués, de la découverte d’un pays autre. Il en profite pour mettre en parallèle, de façon satisfaisante, le paradis naturel thaïlandais et le paradis artificiel offert par l’opium. Voilà donc un bon roman sur la Thaïlande auquel le lecteur curieux de découvrir ce pays préférera néanmoins la lecture de La Plage d’Alex Garland, livre-culte qui n’a pas volé son statut et parle des paradis artificiels et naturels avec beaucoup plus de mordant que Fumée d’opium.
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La structure. Un monde en cloche, limité par la Paroi, traversé par des poutrelles, des canalisations, des ascenbus, des trains à vapeur. Là, vivent deux strates de la même civilisation italianisante : les poutrelliers et les vapeuriers. Les premiers, supérieurs, sont les serviteurs de Valladolis, leur déité, dont le domaine se trouve au-delà de la Paroi. Les seconds sont principalement des ouvriers, les maîtres du magma qui sert à fabriquer la vapeur.
Quel décor ! On se croirait chez Rintaro et son Metropolis, chez Miyazaki et son Château dans le ciel (d'ailleurs, Paquet rend un hommage appuyé à ce réalisateur : on se balade dans Laputa et on rencontre une télépathe nommée Noshikaa). Dans ce paysage fabuleux, ce premier roman nous narre alternativement l'histoire d'un père, Victor Mégare, et de son fils, Jehan. Le géniteur a été blessé par la vapeur (en fait un sabotage) ; Jehan, lui, a fait son choix, il sera poutrellier et vivra loin de la vapeur et de ses dangers, il rencontrera sa marraine Marquisa, changera de nom et d'amis. Mais la vie n'est jamais simple et un rapport des mineurs va tout compliquer, pousser les uns et les autres sur des voies inattendues ; en effet, la structure va bientôt se trouver à court de minerai de fer, ce qui pourrait bien déclencher une guerre entre les poutrelliers et les vapeuriers. On s'en doute dès le départ, ce que l'auteur veut nous montrer, hors une classique lutte de classes, c'est la guerre, ses origines, son déroulement, ses victimes…
Voilà un roman bien écrit (à l'exception notable des dialogues, d'une platitude à faire passer Jane Birkin pour un kit sexuel de montagnes russes), un roman construit avec rigueur qui laisse néanmoins une assez tiède impression. Le tout semble scolaire, aurait mérité d'être resserré et au final ce texte libère un ennui discret (comme certaines nouvelles d'Ursula K. Le Guin ou de Brian Stableford, trop professorales pour être passionnantes). On sent, presque à chaque page, que Structura Maxima est un livre réellement intéressant, ambitieux, mais il manque quelque chose, une étincelle de folie, un peu d'ambiguïté, un peu de méchanceté ou de sentiments exacerbés. Et puis il y a tous ces mots en italien, ces insupportables notes de bas de page qui font gadget. Dommage, surtout quand on s'attarde à penser que Structura Maxima risque fort d'être le meilleur premier roman francophone de l'année 2003.
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« Il suivit l'homme en tenue de chirurgien jusqu'à un bureau où une jeune fille semblait les attendre d'un air un peu triste. Elle portait un tailleur un peu ringard, un imprimé fleuri avec épaulettes mais, excepté cela, elle était vraiment jolie. Très jolie. Un visage harmonieux, de longs cheveux sombres. Henry dit bonjour en souriant. « Elle ne vous répondra pas », dit le chirurgien. Devant l'air étonné d'Henry, il rajouta : « C'est une vache ». » Page 48.
« Le très honorable et très vénérable Moon Joon Jr, à la sagesse multipliée par cinq, grand ordonnateur du yin et du yang, fils du lièvre et frère du cochon, cousin de la loutre, neveu du serpent et père du dragon, lui avait tout appris sur la douleur […] il lui avait déchiré chaque muscle, tordu chaque articulation, cassé chaque os, percé la peau, brûlé les yeux, arraché les ongles, électrifié les testicules, perforé l'abdomen et déplacé les vertèbres, une par une comme les pièces d'un foutu domino. Bruce avait résisté à tout ça avec le flegme glacial qui allait, plus tard, asseoir sa réputation. » Page 87.
Voilà un recueil de sept nouvelles où l'on rencontre, entre autres, de bien étranges personnages : un homme (au bord de la rupture conjugale avec aspersions) trouvant une girafe morte dans son jardin et confiant le problème à l'ouvrier polonais qui a repeint son appartement ; un homme (ignoble de médiocrité intellectuelle) qui, lui, kidnappe des auto-stoppeuses et finit par y mettre le feu ; un homme (esseulé et sinistre) qui, après avoir lu une étonnante petite annonce, prend une vache à apparence humaine comme compagne. Et, cerise sur le gâteau, Bruce Lee (le seul, l'unique !) en grand péril face aux quatre plus dangereuses triades chinoises.
Avec ce livre de 192 pages, maquetté avec de gros caractères pour vieilles taupes acariâtres, dédié à son chat mort en 2001, Thomas Gunzig (dont la langue fait penser à Brel et à Brassens, et l'humour vachard à Francis Mizio), confirme qu'il est un grand auteur, un de ceux qui n'a pas peur de mélanger les genres (kung fu et uchronie ! pour « L'Ours, le coucou, le frelon, la rainette ») et de donner dans l'absurde kafkaïen (« La Girafe »). En guise d'info collatérale, rappelons que ce jeune auteur belge avait reçu le prix Victor-Rossel et le prix Club Méditerranée 2001 pour son précédent ouvrage au Diable Vauvert, Mort d'un parfait bilingue.
Un recueil à lire, donc, car formidable d'inventivité, d'humour et de maîtrise. Cependant, n'en déplaise au Diable, on se permettra un bémol : à quinze euros l'entrée pour une visite de deux heures, ce zoo, bien que ciselé à la dent de requin et poli au scrotum de tigre, est tout simplement hors de prix.
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Il y a des livres que l'on attend avec impatience, des livres sur lesquels on fonde beaucoup d'espoir. J'avoue qu'au moment où mon rédac'chef préféré m'a proposé de critiquer Les Enfants de l'éternité, un des deux nouveaux ouvrages de l'espagnol Juan Miguel Aguilera, j'ai sauté sur l'occasion de replonger dans l'œuvre d'un auteur que j'avais tout particulièrement apprécié avec La Folie de Dieu (malgré une traduction pénible). L'autre, Rihla, est sorti en avril Au Diable Vauvert et aurait dû être critiqué dans ces pages… Sauf que l'éditeur n'a pas jugé bon de nous envoyer l'ouvrage1.
Pour ce qui est de l'action de ce roman écrit en collaboration avec Javier Redal, elle se déroule dans plusieurs millions d'années (rassurez-vous, on n'y croit pas une seconde) dans le petit amas globulaire d'Akasa-Puspa (en effet, faut pas pousser !). Là, trois forces sont en présence : l'Empire (tiens tiens), la Fraternité (un groupement de fanatiques religieux) et la Utsarpini (à vos souhaits !), une armée liée à la Fraternité. Tout le début du roman tourne autour de la destruction d'un rickshaw — mot qui vient de la contraction du japonais jin (personne), riki (force) et sha (véhicule), et qui désigne ici une grosse navette se déplaçant à un quart de la vitesse de la lumière. En enquêtant sur cette « attaque » pour le compte de la Utsarpini dans laquelle il a été enrôlé de force, Jonas Chandragupta ne va pas tarder à découvrir un fascinant objet stellaire (dixit le quatrième de couverture) et à vérifier ses thèses scientifiques considérées comme hérétiques (c'est le Darwin de son époque). Ajoutez à cela des baleines de l'espace et leurs parasites, des extraterrestres presque toujours méchants (normal, ce sont des extraterrestres), une absence totale de personnages féminins dignes de ce nom et un gourou très « chevalier Jedi constipé » : vous voici avec un tableau assez précis du contenu de ce livre.
Bon, raconté comme ça, ça pourrait presque être séduisant… Sauf que ce roman est d'un ennui mortel, tout est cousu de fil blanc. Certains passages sont inutiles (en fait plus de la moitié des scènes des deux cents premières pages !), d'autres sont carrément ridicules, comme le voyage de Jonas à bord du Vajra, où l'on a droit à une dératisation d'ordinateur géant opérée avec les chats des cuisines, à la confection d'un thé sur un réchaud à alcool, à la présence de saucissons pendus dans les dortoirs — ce n'est pas un vaisseau spatial qui nous est décrit, mais La Amistad équipée de voiles solaires… Rien ne fait vrai, tous les petits détails jurent (ils boivent du cognac, se baladent dans des ascenseurs spatiaux appelés babels, ont des patronymes arabes et hindous et, cerise sur le gâteau, le héros a chopé la polio quand il avait quatre ans !).
Les Enfants de l'éternité est un roman qu'on a déjà lu cent fois au bas mot, c'est Dune (sans le sable) mélangé avec le cycle « Terre des origines » d'Orson Scott Card et « Les Guerriers du silence » de Pierre Bordage. Sauf que la mayonnaise n'a pas pris, le cocktail a foiré, ne donnant aucun plaisir, juste une gueule de bois de cinq cents pages.
Néanmoins, si on me le permet2, je finirai sur une note positive : ce gros truc foireux qui coûte quand même 23 euros est traduit dans un français impeccable, ce qui prouve que Sylvie Miller a du talent et du courage à revendre. Autre point positif, l'objet est orné de la plus belle couverture jamais achetée par ISF — un Manchu médiocre, mais un Manchu quand même.
Notes :
1. Après avoir menacé de plastiquer les locaux du Diable, voire de lui tirer la queue, nous sommes désormais en mesure de vous proposer une critique de Rihla, mais il vous faudra patienter jusqu'au prochain Bifrost… [NDRC.]
2. Allez… si ça peut te faire plaisir… [NDRC.]