Un amour d'outremonde
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Ce n’est pas de la SF, et on n’y parle que secondairement de musique. Quoique. La SF est tout de même là, comme élément de la culture populaire : autour de 1990, le personnage principal survit en revendant les jouets « futuristes » offerts par ses parents vers la fin des années 1960 ; à neuf ans, après avoir vu L’Invasion des profanateurs de sépulture, il a décidé de ne plus dormir par peur d’être victime des extraterrestres ; il est aussi question des flirts du capitaine Kirk, ou de Blade Runner. Comme de Twin Peaks ou de la fin d’Autant en emporte le vent. Et des soucoupes volantes du Nevada, quand le même personnage, racontant pour un temps sa vie aux touristes dans un bistrot, croit voir l’amour de sa vie en une stripteaseuse embauchée pour être sa fiancée venue de la Planète interdite.
D’un autre côté, ce même Homer B. Alienson ou Boda ou Boddah rencontre sous un pont un jeune vagabond prénommé Kurt, qui lui offre un « arrangement » en poudre, pour qu’il puisse dormir en paix ; ledit Kurt laisse derrière lui des graffitis aux limites du surréalisme, et emprunte en bibliothèque les livres dont le nom de l’auteur commence par B. Le texte charrie des morceaux de discussions entre lui et sa sœur, entre sa petite amie et Boda, des morceaux de lettres, le récit d’un enregistrement en Californie en 1991, guitares brisées comprises, des rats et une lampe psychédélique, la puanteur de tortues et leur fragilité, ou une boite en forme d’amour. Sur fond de grisaille, de forêts, de nord-ouest américain, du moins au début. Et si le nom de Kurt Cobain n’est cité que sur un bandeau ajouté par l’éditeur, c’est bien de lui qu’il s’agit, et Boda est le meilleur ami imaginaire qu’il s’est inventé enfant, et qui le suit à travers des épisodes plus ou moins réels et plus ou moins fantasmés, jusqu’au suicide de l’un et de l’autre — et à la dernière lettre de Kurt, adressée à Boda…
Pas de SF, donc, l’écho de la SF. Et de la vie du météore du grunge. Avec une écriture froide faite pour perdre le lecteur et le captiver à la fois. Captivant en tous cas le traducteur soussigné malgré sa totale incompétence musicale. Mais avec un chiffre de ventes relevant du petit accident industriel : au lieu d’intéresser et les fans de Nirvana et les amateurs de SF, le roman aura touché une partie de ceux qui cumulaient ces deux caractéristiques. Peut-être parce que le résumer est un exercice vain, parce qu’il faut avoir l’idée de l’ouvrir et accepter de se laisser capter, parce que la couverture est calamiteuse, parce que, parce que, parce que… Dommage. Très dommage.
Lire aussi la critique de Laurent Queyssi dans le Bifrost 30.