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Chansons de la Terre mourante T2

« […] l’œuvre de Jack Vance d’il y a cinquante ans se détache toujours. C’est une oasis pour l’imagination, un jardin farfelu au milieu d’un marécage. » C’est John C. Wright qui le dit, dans la postface à sa contribution à ce deuxième tome de la gigantesque anthologie « Chansons de la Terre mourante ». Le premier volume avait placé la barre assez haut, et l’on pouvait légitimement se montrer curieux de la suite. Retour, donc, à cet hommage passionné à l’une des plus belles créations vanciennes, avec huit nouvelles pour autant d’auteurs, et non des moindres parfois.

Cela dit, les plus célèbres peuvent se planter… et c’est hélas ce qui arrive dès le texte inaugural, avec « Evillo l’Ingénu » de Tanith Lee, ou l’histoire d’un jeune couillon fasciné par les récits concernant l’astucieux Cugel (on le comprend) ; hélas, si ce texte est référencé, c’est au point d’en être servile ; quant au côté picaresque, il est traité façon sprint : tout va très vite, trop vite, et l’on s’ennuie. Puisqu’on en est aux échecs, enchaînons sur « Gorlion d’Almérie » de Matthew Hughes : c’est dommage, ça partait vraiment bien, cette histoire de type qui se retrouve au mauvais endroit au mauvais moment, avec beaucoup d’astuce dans la mise en place et le point de vue ; mais le texte devient bien vite incroyablement confus, à vouloir trop en faire dans le baroque. Raté…

Deux récits assez sympathiques, ensuite, encore qu’un peu anodins. Il en va ainsi de « La Tragédie lamentablement comique (ou la comédie ridiculement tragique) de Lixal Laqavee » de Tad Williams, ou les mésaventures d’un petit escroc qui croyait pouvoir se faire un magicien et un déodande ; très amusant, plutôt bien fait, mais la fin donne une vague impression de bâclé. On citera également ici « Incident à Uskvosk » d’Elizabeth Moon, arnaque à la course de cafard orchestrée par un nain obligé de se faire passer pour un gamin ; rigolo, là encore, mais sans plus.

Un cran au-dessus, on trouve Paula Volsky, pour « Les Traditions de Karzh » : juste après la nouvelle de Tanith Lee, c’est une leçon de picaresque vancien plein d’astuce. John C. Wright, dans « Guyal le Conservateur », sait lui aussi pleinement profiter du cadre de la Terre mourante : c’est chatoyant, ça foisonne, bref, c’est vancien et tout à fait délicieux. Un texte légèrement problématique, ensuite, avec « La Proclamation de Sylgarmo » de Lucius Shepard : la nouvelle est indéniablement bonne, le projet ambitieux, l’idée de voir Cugel à travers les yeux de ses ennemis intéressante… mais, même en tenant compte de tout cela, votre serviteur n’y a guère reconnu la sympathique fripouille créée par Jack Vance ; cela dit, indépendamment, cela reste très recommandable. Reste enfin Neil Gaiman… qui fait débuter « Invocation de l’incuriosité » de nos jours, en Floride ! Un récit très bien pensé, d’une évidence élégante, et assurément très efficace.

Bilan plutôt positif, donc, pour ce deuxième volume des « Chansons de la Terre mourante ». Cela dit, on évolue quand même probablement dans une autre catégorie que pour le premier tome : on n’y trouve pas (à part peut-être chez Neil Gaiman, voire John C. Wright ?) de textes aussi marquants, et deux tristes ratages viennent quelque peu plomber le bouquin. Mais cela reste une lecture très plaisante ; hâte, du coup, de lire le dernier volume, avec des gens comme Dan Simmons ou Mike Resnick…

Pratès

« La Chronique de Tramorée » est un cycle de fantasy composé de quatre tomes dans son édition originale, en Espagne, et de cinq tomes pour son édition française, le quatrième ayant été coupé en deux par l’Atalante pour des raisons économiques, bien évidemment.

Zémal, premier tome de ces chroniques, est paru en mars 2005. Syfrõn, le tome 2, approfondit l’univers très vaste de Tramorée. L’intrigue n’y est plus seulement à l’échelle des personnages, mais des royaumes. Un livre monde et monstre de plus 800 pages, dans lequel on ne s’ennuie pas une seconde. Yugaroï poursuit l’aventure, à peu de chose près, là où s’arrêtait Syfrõn. Ce troisième tome contient d’importantes révélations sur les dieux et le monde de Tramorée. On bascule alors dans une fantasy matinée de concepts propres à la science-fiction. Agarta, quatrième tome français, poursuit dans cette veine non sans illustrer la célèbre citation d’Arthur C. Clarke : « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie ».

Ces quatre livres nous amènent à Pratès, ultime tome, difficile à résumer sans déflorer l’intrigue du cycle et gâcher la lecture d’Agarta. Le plus simple reste de plagier la quatrième de couverture : « Dans quelques jours, les trois lunes s’aligneront et le dieu Tubilok ouvrira les porte de l’infernal Pratès. La Tramorée sera anéantie. »

Le principal reproche que l’on pourrait faire à ce tome final est dû au découpage de l’édition française : des lignes narratives semblent surgir de nulle part, ce qui est carrément gênant pour quelqu’un qui lirait les tomes 4 et 5 à plusieurs mois d’intervalles. Le deuxième point négatif réside dans la présence d’événements narrés par plusieurs points de vue différents. Le rythme de l’intrigue en souffre, surtout au début.

Au-delà de ces modestes reproches, Javier Negrete confirme qu’il est un excellent conteur et un styliste exceptionnel. Que ce soit dans la narration de batailles, de duels, dans la description des villes ou des personnages, l’écriture est ciselée et précise. Une fois passées les lenteurs du début, le récit s’emballe et l’auteur tient en haleine le lecteur en insufflant un vrai souffle épique à son histoire. Concernant les personnages, on évolue assez loin des clichés de la fantasy, et pourtant la galerie est impressionnante (enfants, jeunes et vieux soldats, érudits, magiciens, dieux…). Attachants et intéressants, les personnages souffrent, doutent, jalousent, bref, suent leur humanité (ou inhumanité !) jusqu’au bout des ongles (griffes). Mention spéciale au Gourdin, qui amène une touche d’humour dans des moments pas toujours drôles.

« La Chronique de Tramorée » s’achève donc ici, et c’est avec regret que nous quittons ses héros et son univers dont les soubassements tiennent davantage de la science-fiction que de la fantasy. Ce cycle n’est pas une énième tolkiennerie comme il s’en produit à la chaîne, c’est une œuvre-univers extraordinaire, flamboyante, extrêmement bien pensée où tout a été réfléchi en amont. Oui, il y a cinq tomes, ou disons quatre très gros, mais chacun apporte des éléments à l’univers créé et ce n’est qu’à l’issue de ces cinq livres qu’on prend la véritable mesure de cette création magistrale qui semble passer quelque peu inaperçue par chez nous. À lire absolument.

Johan Heliot vous présente ses hommages

Un beau livre, tout d’abord. Jaquette, reliure toilée, papier épais, les Moutons électriques se sont mis en quatre pour nous proposer un écrin de choix. Il s’agit d’un retour sur la carrière de Johan Heliot, auteur qui trace un chemin personnel jalonné par de nombreux romans mais finalement assez peu de nouvelles. Le recueil, tiré seulement à huit cents exemplaires, est composé d’une vingtaine de récits écrits entre 2002 et 2009, dont un unique inédit. Le risque avec un tel ouvrage, après la préface élogieuse de rigueur (ici, Michel Jeury s’en tire avec beaucoup d’humour), c’est de voir le volume s’effondrer, par manque de cohésion, dans une succession d’histoires mal assemblées. Il n’en est rien. Les récits sont regroupés selon une suite de thématiques, assez discrètes pour ne pas orienter artificiellement la lecture, et assez fines pour nous surprendre dans les variations qu’elles proposent.

S’enchaînent ainsi des textes traitant d’histoire, « Pax Bonapartia », « Le Rêve d’Amerigo Vespucci », qui sont de petites merveilles uchroniques, et d’inévitables récits steampunk (la marque de l’auteur, et ce depuis ses débuts), où l’histoire et la fiction se mêlent harmonieusement : « Opération Münchhausen », « Vous rêvez trop de Fantômas », ou encore « Idylle du temps des ombres ». Bien évidemment, Lupin et Holmes sont présents, afin que l’hommage qui leur est dû leur soit rendu. Le recueil s’achève sur des textes qui évoquent la musique, notamment celle des Ramones (« La Musique des âmes », « Faërie Boots »).

Semblable voyage au côté de Johan Heliot nous rappelle combien son œuvre est constituée de nombreuses références et obsessions, avec son sens de l’humour et de la pointe, ses références littéraires et historiques. Le tout forme une promenade dans une culture populaire, pétillante et joyeuse. Heliot circule dans sa mémoire, qui est par bien des aspects celle d’une génération, celle qui a grandi dans l’ombre de Pompidou, un Jules Verne à la main et un Pif Gadget dans la poche. Une démarche mémorielle qui s’épanouit à merveille dans le steampunk, parce que le genre est assez meuble et souple pour admettre ses délires et accepter donc que de Gaulle devienne un super-héros, que Moriarty ne soit pas ce que l’on croit tandis que le pas lent de la créature de Frankenstein continue à résonner encore et encore.

L’uchronie selon Heliot s’avère alors un jeu avec l’histoire, mais dans tous les sens possibles du mot : aussi bien l’histoire humaine, dont les siècles gardent la trace, que l’histoire, au sens de fiction, de plaisir du récit et de la narration. Certes, on aurait aimé que l’auteur ne se contente pas de quelques mots d’introduction, qui se résument parfois à une pirouette, on aurait apprécié qu’il entrouvre davantage les coulisses de son travail… Tant pis. La somme réunie est assez belle en elle-même. Johan Heliot nous présente ses hommages ? On les accepte avec plaisir… dans l’attente d’Involution, son nouveau roman à paraître chez J’ai Lu dans la collection « Nouveaux Millénaires ».

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