Fiasco
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Futur. L’Euridyce, un vaisseau scientifique géant, est envoyé de la Terre pour tenter d’établir un premier contact avec une civilisation dont des traces radio ont été détectées sur Quinta, la cinquième planète de l’étoile Zêta de Harpie. À quelques années-lumière de sa destination, l’Eurydice se place en attente dans le voisinage d’un trou noir et envoie l’Hermès, un astronef équipé tant pour le contact que pour le combat, faire ce qu’on nommerait aujourd’hui le « dernier kilomètre ». À son bord, un équipage réduit, au sein duquel on compte le rescapé d’une mission titanienne et un physicien qui est aussi prêtre dominicain. Les intentions, inspirées par le programme SETI, sont pacifiques ; mais quand le vaisseau arrive à proximité de Quinta, l’équipage comprend vite qu’une guerre est en cours entre entités politiques quintaniennes, et, de là, rien ne va tourner comme prévu.
On retrouve dans Fiasco le thème central de l’œuvre de Lem, à savoir l’incommunicabilité insurmontable entre humains et aliens ; thème traité ici avec un pessimisme extrême qui tient sans doute tant à la situation polonaise de l’époque qu’aux derniers instants de la course aux armements entre les USA et l’URSS.
Pris dans un engrenage de théorie des jeux et d’approche minimax, les Quintaniens, invisibles sauf par ce que leurs infrastructures stratégiques disent d’eux, considèrent ces nouveaux venus dans la partie seulement comme des adversaires à éliminer, ne serait-ce que pour éviter qu’ils s’allient à « l’autre camp ». En dépit de la bonne volonté des humains de l’Hermès, il ne sera jamais possible de vaincre la méfiance des sociétés quintaniennes, rendue structurelle par des décennies de guerre. Quant au point de Schelling – cette solution que des joueurs incapables de communiquer peuvent déduire pour se rejoindre —, il ne sera jamais découvert, faute de culture commune indiquant les solutions acceptables pour l’autre. Il ne sera même pas vraiment possible — sauf à la toute fin – de contacter directement les Quintans autrement que par des manœuvres de plus en plus agressives et éloignées de l’objectif initial. Comme si la folie guerrière se répandait telle une peste au sein même de l’équipage de l’Hermès, et que la main tendue devienne celle d’un bourreau, au fil d’une « riposte graduée » qui monte aux extrêmes jusqu’au fiasco donnant son titre au roman.
Entre Schelling et MacNamara, théoriciens de la guerre froide et de la course aux armements, Lem démontre que la belligérance au long cours façonne l’intégralité tant des infrastructures physiques que de la superstructure mentale des sociétés ; qu’au bout d’un certain temps il n’y a plus de société en guerre mais seulement des sociétés de guerre dont le moindre aspect est déterminé par le conflit ; triste constat fait par un homme de l’Est au crépuscule de quarante ans de guerre froide.
On peut trouver que beaucoup de scènes sont un peu trop longues, on peut s’interroger même sur l’utilité de l’introduction qui ramène Pirx le pilote. Mais que de beauté et de réflexion dans ce roman. Que de poésie dans les descriptions des paysages titaniens. Que de précision dans les mécanismes géologiques qui les expliquent. Que de plaisir aussi à voir longuement développées les théories scientifiques qui sous-tendent le texte (même si, parfois, il faut suspendre son incrédulité pour admettre les pouvoirs colossaux que le contrôle de la gravité donne aux humains) ou les discussions théologiques qu’amène l’existence de nouveaux « prochains ». Que de terreur même lorsqu’on voit une lune détruite pour lancer l’Eurydice, puis une autre ensuite pour appuyer un argument ; et quelle ironie de voir que, malgré cette puissance quasi-divine maîtrisée par l’humanité, l’Autre reste intrinsèquement inatteignable. Comme le disait Wittgenstein : « Si un lion pouvait parler, nous ne le comprendrions pas. »