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À partir du vendredi 30 septembre, retrouvez sur le nouvel onglet Critiques du site du Bélial' l'ensemble des chroniques de livres parues dans Bifrost !

L'Océanide

(Note : critique commune aux Gladiateurs de Thulé, à La Fille de Terre Deux et à L'Océanide)

Joëlle Wintrebert commence à publier des nouvelles de SF à la fin des années soixante-dix. À un rythme soutenu et avec une qualité constante. Son premier roman, Les Olympiades truquées, paraît en 1980 (et sera prochainement réédité dans la collection Bifrost/Étoiles Vives). Depuis, Joëlle Wintrebert mène une carrière comme on les aime : loin de l'agitation et du microcosme parisien, loin des modes et des clans, en ciselant des livres qui composent peu à peu une œuvre importante, aussi ouverte que variée. Pour notre plus grand bonheur, ce petit bout de femme s'illustre avec le même talent dans la SF ou dans le roman historique, elle utilise aussi bien les vecteurs traditionnels (roman, nouvelle, scénario) que des approches plus rares : son dernier livre paru, La colonie perdue, (Le Seuil, 1998) est un récit épistolaire confondant de maîtrise. Détail qui tue : la bibliographie de Joëlle Wintrebert (13 romans et un recueil — mais elle a signé des dizaines de nouvelles non rééditées) se partage en parts égales entre l'écriture « généraliste » et les romans pour la jeunesse (7 dont 5 de science-fiction).

Ces derniers mois, la collection Castor Poche a inscrit à son catalogue trois romans SF de Joëlle Wintrebert — des presque inédits, car si synopsis et personnages ont été conservés, les trois livres ont été remaniés et souvent de manière très significative. Il s'agit bien là de réécritures — dans le sens noble du terme.

La première mouture de Nunatak — devenu Les Gladiateurs de Thulé — fut le galop d'essai de Wintrebert en littérature jeunesse. Un vaisseau est arraisonné par des pirates et son équipage capturé. Les adultes sont transformés en esclaves sans volonté tandis que les enfants sont partagés entre les ravisseurs. Contraints et forcés, les héros — deux jumeaux — se retrouvent dans la peau de gladiateurs. On s'en doute : ils mèneront la révolte et permettront aux autorités impériales de repérer la planète servant d'asile aux pirates. Probablement influencé par la SF américaines des années 50 — difficile de ne pas penser à certains romans d'Asimov signés Paul French — Nunatak témoigne également du fort intérêt qu'a eu l'auteur à une époque, pour les Inuits. Le beau livre de Jean Malaurie, Les derniers rois de Thulé, a d'ailleurs été largement utilisé pour décrire la vie et les coutumes de ce peuple fascinant. On peut cependant regretter que le petit lexique Inuit présent dans la première édition ait été supprimé dans la réédition.

La Fille de Terre deux a, me semble-t-il, moins de souffle romanesque. Probablement parce que la dimension exotique est réduite à une ou deux scènes pendant lesquelles fhérdine « visite » virtuellement le monde de son double venu d'un univers parallèle. Mais il permettra de familiariser le jeune lectorat avec le motif des terres alternatives. Notons qu'il s'agit d'un des rares romans de SF destinés (plus spécialement… mais ne commençons pas à construire des sous-sous-ghettos) aux filles !

L'Océanide me paraît le roman le plus achevé des trois — mais certainement le plus difficile à lire. Je reste confondu de le voir cataloguer par l'éditeur « 11/12 ans ». Alors que la structure du roman est relativement complexe — avec des indices semés ça et là quant à la nature du personnage féminin (en particulier une ritournelle dont le sens ne s'éclaire qu'après la lecture de l'avant-dernier chapitre). Alors que l'écriture est particulièrement soignée et que l'auteur donne libre court à toute son inventivité linguistique. L'Océanide est vraiment un bouquin formidable.

Point commun des trois livres : une réflexion sur la dualité des êtres : jumeaux, doubles évoluant de part et d'autre d'un miroir, clones.

Je souhaiterais conclure en faisant remarquer deux choses. La première est que les écrivains de SF « pour la jeunesse » les plus convaincants sont souvent des gens ayant travaillé — et continuant de le faire — dans le domaine adulte, et y ayant rencontré le succès. Je pense à Joëlle Wintrebert mais également à Christian Léourier ou à Jean-Pierre Andrevon. Ce qui me conforte dans l'idée — c'est une évidence dans les pays anglo-saxons — que tous les cloisonnements sont imbéciles, et qu'il n'existe que deux sortes d'écrivains : les bons et les mauvais. La seconde remarque est que la littérature pour la jeunesse — en particulier la SF pour la jeunesse — permet de faire passer à peu près tout. Seul le talent est nécessaire. Les auteurs pour les jeunes pratiquant l'auto-censure ont donc tort de le faire et Joëlle Wintrebert le prouve : allusions à la pédophilie dans Les Gladiateurs de Thulé — où des enfants captifs et rabaissés au rang de jouets sont livrés à un potentat libidineux ; réflexions sur la violence dans nos sociétés dans La Fille de Terre Deux — et le naturel avec lequel les gens feignent de ne pas s'en apercevoir ; réflexion sur la différence et l'évidence qu'au-delà des apparences, il n'existe qu'une seule race humaine, etc.

Ce qui m'incite à penser que l'unique spécificité de la littérature pour la jeunesse est le choix du point de vue — et non pas la thématique abordée ou le style employé. Ce qui est probablement une autre évidence. Dommage qu'elle soit si peu partagée en France.

Les Gladiateurs de Thulé

(Note : critique commune aux Gladiateurs de Thulé, à La Fille de Terre Deux et à L'Océanide)

Joëlle Wintrebert commence à publier des nouvelles de SF à la fin des années soixante-dix. À un rythme soutenu et avec une qualité constante. Son premier roman, Les Olympiades truquées, paraît en 1980 (et sera prochainement réédité dans la collection Bifrost/Étoiles Vives). Depuis, Joëlle Wintrebert mène une carrière comme on les aime : loin de l'agitation et du microcosme parisien, loin des modes et des clans, en ciselant des livres qui composent peu à peu une œuvre importante, aussi ouverte que variée. Pour notre plus grand bonheur, ce petit bout de femme s'illustre avec le même talent dans la SF ou dans le roman historique, elle utilise aussi bien les vecteurs traditionnels (roman, nouvelle, scénario) que des approches plus rares : son dernier livre paru, La colonie perdue, (Le Seuil, 1998) est un récit épistolaire confondant de maîtrise. Détail qui tue : la bibliographie de Joëlle Wintrebert (13 romans et un recueil — mais elle a signé des dizaines de nouvelles non rééditées) se partage en parts égales entre l'écriture « généraliste » et les romans pour la jeunesse (7 dont 5 de science-fiction).

Ces derniers mois, la collection Castor Poche a inscrit à son catalogue trois romans SF de Joëlle Wintrebert — des presque inédits, car si synopsis et personnages ont été conservés, les trois livres ont été remaniés et souvent de manière très significative. Il s'agit bien là de réécritures — dans le sens noble du terme.

La première mouture de Nunatak — devenu Les Gladiateurs de Thulé — fut le galop d'essai de Wintrebert en littérature jeunesse. Un vaisseau est arraisonné par des pirates et son équipage capturé. Les adultes sont transformés en esclaves sans volonté tandis que les enfants sont partagés entre les ravisseurs. Contraints et forcés, les héros — deux jumeaux — se retrouvent dans la peau de gladiateurs. On s'en doute : ils mèneront la révolte et permettront aux autorités impériales de repérer la planète servant d'asile aux pirates. Probablement influencé par la SF américaines des années 50 — difficile de ne pas penser à certains romans d'Asimov signés Paul French — Nunatak témoigne également du fort intérêt qu'a eu l'auteur à une époque, pour les Inuits. Le beau livre de Jean Malaurie, Les derniers rois de Thulé, a d'ailleurs été largement utilisé pour décrire la vie et les coutumes de ce peuple fascinant. On peut cependant regretter que le petit lexique Inuit présent dans la première édition ait été supprimé dans la réédition.

La Fille de Terre deux a, me semble-t-il, moins de souffle romanesque. Probablement parce que la dimension exotique est réduite à une ou deux scènes pendant lesquelles fhérdine « visite » virtuellement le monde de son double venu d'un univers parallèle. Mais il permettra de familiariser le jeune lectorat avec le motif des terres alternatives. Notons qu'il s'agit d'un des rares romans de SF destinés (plus spécialement… mais ne commençons pas à construire des sous-sous-ghettos) aux filles !

L'Océanide me paraît le roman le plus achevé des trois — mais certainement le plus difficile à lire. Je reste confondu de le voir cataloguer par l'éditeur « 11/12 ans ». Alors que la structure du roman est relativement complexe — avec des indices semés ça et là quant à la nature du personnage féminin (en particulier une ritournelle dont le sens ne s'éclaire qu'après la lecture de l'avant-dernier chapitre). Alors que l'écriture est particulièrement soignée et que l'auteur donne libre court à toute son inventivité linguistique. L'Océanide est vraiment un bouquin formidable.

Point commun des trois livres : une réflexion sur la dualité des êtres : jumeaux, doubles évoluant de part et d'autre d'un miroir, clones.

Je souhaiterais conclure en faisant remarquer deux choses. La première est que les écrivains de SF « pour la jeunesse » les plus convaincants sont souvent des gens ayant travaillé — et continuant de le faire — dans le domaine adulte, et y ayant rencontré le succès. Je pense à Joëlle Wintrebert mais également à Christian Léourier ou à Jean-Pierre Andrevon. Ce qui me conforte dans l'idée — c'est une évidence dans les pays anglo-saxons — que tous les cloisonnements sont imbéciles, et qu'il n'existe que deux sortes d'écrivains : les bons et les mauvais. La seconde remarque est que la littérature pour la jeunesse — en particulier la SF pour la jeunesse — permet de faire passer à peu près tout. Seul le talent est nécessaire. Les auteurs pour les jeunes pratiquant l'auto-censure ont donc tort de le faire et Joëlle Wintrebert le prouve : allusions à la pédophilie dans Les Gladiateurs de Thulé — où des enfants captifs et rabaissés au rang de jouets sont livrés à un potentat libidineux ; réflexions sur la violence dans nos sociétés dans La Fille de Terre Deux — et le naturel avec lequel les gens feignent de ne pas s'en apercevoir ; réflexion sur la différence et l'évidence qu'au-delà des apparences, il n'existe qu'une seule race humaine, etc.

Ce qui m'incite à penser que l'unique spécificité de la littérature pour la jeunesse est le choix du point de vue — et non pas la thématique abordée ou le style employé. Ce qui est probablement une autre évidence. Dommage qu'elle soit si peu partagée en France.

La Fille de Terre Deux

(Note : critique commune aux Gladiateurs de Thulé, à La Fille de Terre deux et à L'Océanide)

Joëlle Wintrebert commence à publier des nouvelles de SF à la fin des années soixante-dix. À un rythme soutenu et avec une qualité constante. Son premier roman, Les Olympiades truquées, paraît en 1980 (et sera prochainement réédité dans la collection Bifrost/Étoiles Vives). Depuis, Joëlle Wintrebert mène une carrière comme on les aime : loin de l'agitation et du microcosme parisien, loin des modes et des clans, en ciselant des livres qui composent peu à peu une œuvre importante, aussi ouverte que variée. Pour notre plus grand bonheur, ce petit bout de femme s'illustre avec le même talent dans la SF ou dans le roman historique, elle utilise aussi bien les vecteurs traditionnels (roman, nouvelle, scénario) que des approches plus rares : son dernier livre paru, La colonie perdue, (Le Seuil, 1998) est un récit épistolaire confondant de maîtrise. Détail qui tue : la bibliographie de Joëlle Wintrebert (13 romans et un recueil — mais elle a signé des dizaines de nouvelles non rééditées) se partage en parts égales entre l'écriture « généraliste » et les romans pour la jeunesse (7 dont 5 de science-fiction).

Ces derniers mois, la collection Castor Poche a inscrit à son catalogue trois romans SF de Joëlle Wintrebert — des presque inédits, car si synopsis et personnages ont été conservés, les trois livres ont été remaniés et souvent de manière très significative. Il s'agit bien là de réécritures — dans le sens noble du terme.

La première mouture de Nunatak — devenu Gladiateurs de Thulé — fut le galop d'essai de Wintrebert en littérature jeunesse. Un vaisseau est arraisonné par des pirates et son équipage capturé. Les adultes sont transformés en esclaves sans volonté tandis que les enfants sont partagés entre les ravisseurs. Contraints et forcés, les héros — deux jumeaux — se retrouvent dans la peau de gladiateurs. On s'en doute : ils mèneront la révolte et permettront aux autorités impériales de repérer la planète servant d'asile aux pirates. Probablement influencé par la SF américaines des années 50 — difficile de ne pas penser à certains romans d'Asimov signés Paul French — Nunatak témoigne également du fort intérêt qu'a eu l'auteur à une époque, pour les Inuits. Le beau livre de Jean Malaurie, Les derniers rois de Thulé, a d'ailleurs été largement utilisé pour décrire la vie et les coutumes de ce peuple fascinant. On peut cependant regretter que le petit lexique Inuit présent dans la première édition ait été supprimé dans la réédition.

La fille de Terre Deux a, me semble-t-il, moins de souffle romanesque. Probablement parce que la dimension exotique est réduite à une ou deux scènes pendant lesquelles fhérdine « visite » virtuellement le monde de son double venu d'un univers parallèle. Mais il permettra de familiariser le jeune lectorat avec le motif des terres alternatives. Notons qu'il s'agit d'un des rares romans de SF destinés (plus spécialement… mais ne commençons pas à construire des sous-sous-ghettos) aux filles !

L'Océanide me paraît le roman le plus achevé des trois — mais certainement le plus difficile à lire. Je reste confondu de le voir cataloguer par l'éditeur « 11/12 ans ». Alors que la structure du roman est relativement complexe — avec des indices semés ça et là quant à la nature du personnage féminin (en particulier une ritournelle dont le sens ne s'éclaire qu'après la lecture de l'avant-dernier chapitre). Alors que l'écriture est particulièrement soignée et que l'auteur donne libre court à toute son inventivité linguistique. L'Océanide est vraiment un bouquin formidable.

Point commun des trois livres : une réflexion sur la dualité des êtres : jumeaux, doubles évoluant de part et d'autre d'un miroir, clones.

Je souhaiterais conclure en faisant remarquer deux choses. La première est que les écrivains de SF « pour la jeunesse » les plus convaincants sont souvent des gens ayant travaillé — et continuant de le faire — dans le domaine adulte, et y ayant rencontré le succès. Je pense à Joëlle Wintrebert mais également à Christian Léourier ou à Jean-Pierre Andrevon. Ce qui me conforte dans l'idée — c'est une évidence dans les pays anglo-saxons — que tous les cloisonnements sont imbéciles, et qu'il n'existe que deux sortes d'écrivains : les bons et les mauvais. La seconde remarque est que la littérature pour la jeunesse — en particulier la SF pour la jeunesse — permet de faire passer à peu près tout. Seul le talent est nécessaire. Les auteurs pour les jeunes pratiquant l'auto-censure ont donc tort de le faire et Joëlle Wintrebert le prouve : allusions à la pédophilie dans Les Gladiateurs de Thulé — où des enfants captifs et rabaissés au rang de jouets sont livrés à un potentat libidineux ; réflexions sur la violence dans nos sociétés dans La fille de Terre-Deux — et le naturel avec lequel les gens feignent de ne pas s'en apercevoir ; réflexion sur la différence et l'évidence qu'au-delà des apparences, il n'existe qu'une seule race humaine, etc.

Ce qui m'incite à penser que l'unique spécificité de la littérature pour la jeunesse est le choix du point de vue — et non pas la thématique abordée ou le style employé. Ce qui est probablement une autre évidence. Dommage qu'elle soit si peu partagée en France.

Magie et Cristal

1978 : Roland le pistolero fait ses premiers pas de héros dans « The Gunslinger », une courte nouvelle publiée par The Magazine of Fantasy and Science Fiction.

1998 : Roland et son katet animent sans peine les six cents pages et plus de Magie et cristal, le quatrième tome du Cycle de La Tour Sombre.

En vingt ans, le pourtant fort prolifique Stephen King n'a écrit que quatre chapitres de la quête de Roland de Gilead, le dernier pistolero de l'Entre-Deux-Mondes. Cette série de romans d'aventures écrite en parallèle à l'œuvre classique de Stephen King continue à vivre et à grandir grâce aux milliers de fans qui ne cessent de rappeler au romancier du Maine qu'il s'était engagé, voici donc bientôt vingt ans, à écrire un véritable cycle romanesque consacré au monde de Roland. Fidèle à ses promesses, Stephen King livre enfin le quatrième volet des aventures du Pistolero et s'engage, dans sa postface, a boucler le présent cycle de son vivant…

Pour l'heure, le romancier nous invite à retrouver Roland, Eddie, Susannah, Jake et Ota dans la bien mauvaise posture où il les avait placés à la fin des Terres perdues, entre les griffes de Blaine le Mono Une fois passée cette première épreuve, Roland, héros du récit de King, se transforme à son tour en conteur pour livrer à ses compagnons d'aventures quelques-uns de ses secrets. Il leur raconte comment, à peine âgé de quinze ans, il fit ses premières armes de pistolero en affrontant, aux côtés de ses amis Alain et Cuthbert, quelques-uns des séides de John Farson. Il leur confie également comment il rencontra Susan Delgado, le seul amour de sa vie de pistolero.

Comme c'est devenu une habitude chez le romancier du Maine, Stephen King tisse quelques liens plus ou moins ténus entre ses différentes œuvres. Ce jeu de références est parfois subtil et souvent amusant. Cette fois, il s'agit plutôt d'énormes cordages puisque King nous fait visiter la ville de Topeka dévastée par une supergrippe, une catastrophe en tous points semblable à celle du Fléau.

On prend un grand plaisir à retrouver l'univers du Pistolero, même sachant que si King continue sur le même rythme, il faudra attendre 2002 pour lire le cinquième volet des aventures de Roland. Un héros qui, pourtant, ne cesse de se rapprocher de son but : la Tour Sombre… En attendant, les lecteurs américains auront plus de chance que nous puisqu'ils pourront bientôt lire une longue nouvelle située dans le monde du Pistolero, « The little sisters of Eluria », qui doit paraître dans l'anthologie Legends : Stories By the Masters of Modern Fantasy dirigée par Robert Silverberg. À suivre…

Psychoville

Ça faisait un bout de temps qu'on en parlait, de cette fameuse collection « Millénaires » en format semi-poche de nos amis de chez J'ai Lu. Faut dire que le concept est intéressant : « une présentation luxueuse, une sélection des meilleurs romans inédits à paraître dans les domaines du fantastique, genre millénaire, de la science-fiction, qui explore les millénaires à venir, et de la fantasy » (on remarquera en passant que la fantasy n'explore rien du tout et n'est pas un genre millénaire…). Et puis les auteurs annoncés ont de quoi susciter l'intérêt : Fowler, Gaiman et Lehman pour les premiers, Baxter et Jeter (avec la suite de Blade Runner !) pour les suivants… (Soit un francophone pour quatre anglo-saxons – bel effort, ajoutera-t-on un peu cyniquement.)

Le Fowler fut le premier à être imprimé mais pas à être diffusé, puisque chacun des trois auteurs sus-cités verra son bouquin sortir conjointement avec celui des copains). Il fut dont le premier à nous parvenir. Une nouvelle collection, ça se regarde attentivement. La couverture de Psychoville est spéciale mais très identifiable (d'après les visuels fournis par l'éditeur, celle du Gaiman est très belle, celle du Lehman pas terrible du tout). En tous cas, elle fait son effet… Quant à la maquette d'ensemble, c'est noir, extrêmement sobre, très polar, en fait. On se dit qu'il y a là une réelle unité ; on se laisse aller à conclure que côté visuel, ça tient la route.

Et puis on ouvre le livre…

Les March sont des victimes. Expropriés, ils sont contraints de quitter Londres et ses quartiers vivants et populaires. Ils se retrouvent alors logés dans une de ces banlieues cossues ou la petite bourgeoisie anglaise se plaît à couler des jours sans saveur mais paisibles. Ici commence la chronique des petites misères quotidiennes d'une famille prolétaire confrontée à la bassesse, la malveillance larvée, l'ostracisme d'une classe sociale aisée qui se refuse à voir son paysage gâché par la présence de voisins avec qui elle n'a rien en commun. On va pas non plus se laisser emmerder par le populo, ces gens qui roulent dans des voitures pourries, font du bruit, n'ont aucun goût, aucune culture, et sont d'une propreté douteuse. Non ? Ainsi, de désillusions en séries d'ennuis chroniques, la famille March se retrouvera bientôt marginalisée, conspuée, jusqu'à l'ultime déchéance, la fuite et la mort… Dix années passent. Un jeune couple propre sur lui, pimpant, brillant. vient s'installer dans cette même résidence qu'occupaient les March. Et les cadavres de ces petits bourgeois obtus de s'accumuler à grande vitesse, la terreur de s'installer dans cet univers de prospérité stérile…

La force de Psychoville réside dans ses personnages. Fowler est un auteur qui porte sur son prochain un œil aigu, précis, quasi clinique. Son roman en est une belle démonstration. Chacun des protagonistes (nombreux) est dépeint avec un réalisme consommé, une vraisemblance qui confère à l'ensemble de l'œuvre un aspect réellement saisissant. La misère humaine qui s'étale au fil des pages nous envahit peu à peu : on en viendrait presque à l'introspection, c'est dire. Côté narration, Fowler maîtrise là aussi impeccablement sa partition, sans brio certes, mais avec un professionnalisme évident. Jusqu'au dernier ressort de l'intrigue qui, s'il n'est pas époustouflant, remplit néanmoins son office.

On en conclura donc que Psychoville est un bon roman. Quant à la science-fiction, le fantastique ou la fantasy, à l'encontre de l'argumentaire fourni par l'éditeur, ne les cherchez pas ici. Car nous parlons bel et bien de polar… On s'interrogera donc sur la pertinence de cet ouvrage dans la collection « Millénaires » et, du même coup, de la présence de cette critique dans les pages de Bifrost

La Part du Conquérant

Après L'orgueil du conquérant en 96 et Le sang du conquérant en 97, voici donc que nous arrive la fin de cette volumineuse trilogie.

Souvenez-vous… Le premier tome nous contait l'implacable agression Jirrj vue par les Terriens : comment ces ET sans pitié achevaient les humains après les combats spatiaux à la manière dont les nazis des U-boat mitraillaient les canots de sauvetage. Pendant que la guerre à outrance embrasait la galaxie, Stewart Cavanagh, ex-parlementaire et homme d'affaires, montait un commando contre l'avis des autorités militaires pour retrouver son fils Pheylan, porté disparu. Considéré comme un traître, Cavanagh commençait alors à entrevoir la possibilité que les Mrachani, un peuple sous influence humaine, soient impliqués dans la guerre…

Le second tome, à l'inverse, nous montrait l'ignominieuse agression dont les Jirrj avaient été victimes de la part d'un peuple impitoyable (les humains) usant sans scrupule aucun d'armes gérontocides. On y apprenait combien les Jirrj, tout comme les humains, étaient divisés. D'un côté Thrr-Mezzaz et son frère Thrr-Gilag, officier et chercheur ; de l'autre Cvv-Panav, politicien peu scrupuleux cherchant à se servir de la guerre pour assouvir ses ambitions personnelles…

La Part du conquérant commence là où, dans les deux camps, en parallèle, certains – les bons – entrevoient que cette guerre est que le fruit d'un terrible malentendu. Petit à petit, la certitude se fait jour, alors que, poussés par Circé, une arme imaginaire, les Jirrj mènent une blitzkrieg et envahissent l'un après l'autre les mondes humains. Manipulés par les Mrachani, ils attaquent les Ycromae et envisagent de lancer l'assaut final contre la Terre. Pourtant, les humains ont trouvé les parades à l'arsenal Jirrj. Il faut mettre un terme au conflit avant que l'irréparable ne soit commis.

C'est donc de space opera qu'il s'agit, de la facture la plus classique qui soit, avec ses mondes étranges et ses aliens. Des aliens au demeurant parfaitement humains quant à leurs motivations, qu'ils soient bons ou méchants. Le clivage entre bons et méchants est d'ailleurs explicite. Il n'est pas ici question de bons humains contre de méchants aliens. Ni l'inverse. Les bons sont les artisans de la paix, les méchants les va-t-en-guerre des deux camps. Les politiciens sont discrédités, réduits à ne chercher qu'à assouvir leurs ambitions, au besoin par la guerre, et ce au profit des chercheurs mais aussi des soldats qui n'ont pas tous le mauvais rôle. Timothy Zahn reprend exactement la même configuration, en parallèle, tant chez les Jir que chez les humains. Tous les éléments de cette trilogie sont symétriques.

Si l'écriture est fluide et la lecture agréable, tout cela manque cruellement d'originalité, de sens of wonder. Les personnages sont bien campés mais manquent à ce point de souplesse que ça finit par paraître bien terne. On est à ce cent lieues du space opera flamboyant. Bien que cette trilogie n'arrive pas à la cheville du Cycle de la Culture de Iain M. Banks, on pourra toutefois à loisir comparer le pacifisme des deux œuvres : le si vis pacem para bellum de la Culture, qui l'amène à induire un autre peuple à l'agresser pour répliquer à titre préventif (voir ma critique de Excession), et cette guerre née d'un malentendu à laquelle, de part et d'autre, on essaye de mettre un terme. Le roman de Zahn est aussi naïf que celui de Banks est cynique, mais la comparaison de leurs conceptions du pacifisme vaut d'être faite…

Les 1200 pages de cette trilogie laissent au final une certaine déception. C'est et ça garde encore l'odeur de la fabrique. Si ce n'est pas mal fait, cela demeure trop peu inspiré. Malgré ses couvertures brillantes, cette trilogie manque d'éclat.

Excession

La Culture de Iain M. Banks serait supérieure à Fondation, Dune ou à L'Instrumentalité. Ce qui est certain, c'est que cette société galactique qui sert de toile de fond aux space opera de notre auteur est d'une richesse considérable, d'une densité exceptionnelle. C'est aussi là que le bât blesse : motifs et personnages s'évaporent dans le décor. Ils sont insignifiants et perdent leur sens. Du tableau de la Culture, on peut dire qu'il est trop chargé et que les personnages s'y noient.

Dans ce quatrième volume du cycle surgit une excession – terme qui désigne une entité/artefact d'un ordre supérieur à la Culture, un concept qui la dépasse, qu'elle est incapable d'appréhender – laquelle va servir d'appât pour les Affronteurs, aussi bêtes que méchants…

Dans la Culture coexistent humains et Intelligences Artificielles – les vaisseaux, notamment – qui sont des personnages à part entière, voire les principaux. Ils entretiennent avec les humains des rapports qui ne sont pas sans analogies avec ceux d'un chien à ses puces.

L'intrigue, qui lie les humains Genar-Hofoen, Ulver Seich et Dajeil Gelian, est d'ordre affectif et n'implique que le seul vaisseau Service Couchette – c'est son nom… Elle n'interfère pas avec les événements mettant en cause l'excession et les Affronteurs, bien que Genar-Hofoen ait été ambassadeur auprès d'eux. Et que fait l'ambassadeur à l'heure où la guerre menace ? Il se réconcilie avec ses amours de jeunesse Pour des raisons d'adhésion du lecteur Banks a besoin de personnages humains. Mais leur histoire relève davantage de littérature générale (où il s'illustre par ailleurs) que de la SF ; et ça délaie la sauce d'autant.

L'explicitation n'est pas le fort de Banks. Trop de flou subsiste pour que ce soit artistique. L'auteur ne semble préoccupé que d'affiner sa fresque « Culturelle », dépeinte à petites touches qui, chacune, apportent plus d'informations relatives à la Culture (au fond, donc), qu'au récit proprement dit. Les événements, tant à l'échelle des Mentaux (I.A.) que des humains, restent en fin de compte assez simples.

La Culture est dite anarchiste, cynique, hédoniste, éthique, décentralisée, égalitaire, opulente et pacifiste… Tous ces attributs ne conviennent pas. Les humains de la Culture ont du pain et des jeux à ne savoir qu'en faire. Comme des puces, ils vont là où va le chien et sautent, à l'occasion, de l'un à l'autre. Hédoniste, la Culture ? Certes. Mais les humains de la Culture maîtrisent-ils encore leur destin ou l'ont-ils remis entre les mains (virtuelles) des mentaux ? Banks dit (in Galaxies n° 1) que la Culture est anarchiste à l'extérieure et socialiste à l'intérieur (des vaisseaux). De fait, il n'y a pas d'égalité entre les mentaux et les humains. Nous avons là deux niveaux de société. La Culture est une société de mentaux dont l'habitat est la Galaxie qui, bien que décentralisée, n'en connaît pas moins les hiérarchies.

Une fois que l'on a vu le VSG Service Couchette produire 80 000 vaisseaux de guerre à partir d'eau et de roc, on a une idée de la capacité de production de la Culture qui, soit dit en passant, n'occupe pas d'humains. Peut-on encore parler de socialisme quand chacun a tout ce qu'il peut désirer sauf des responsabilités ? Ou est-ce la forme paroxystique de l'état-providence ?

 La Culture apparaît bien comme une expression littéraire de l'impérialisme post-moderne. Elle est agressive, belliqueuse à outrance et prosélyte, comme l'Affront en fera ici l'humiliante expérience. De la Culture, Banks met en scène Contact (l'armée) et Circonstances Spéciales (les services secrets). Ceux-ci ont monté une opération destinée à amener l'Affront à agresser la Culture afin que celle-ci ait prétexte à le mettre au pas. L'Affront est une société guerrière et sadique — peu ragoûtante, en somme – dont l'honneur s'accommoderait d'une dévastation assortie de conditions draconiennes ; ce serait là une défaite pour la Culture qui aurait ainsi adopté les valeurs de l'Affront. Sa victoire implique qu'elle esquive ce cas de figure en manipulant l'Affront, qui se voit imposer des conditions si « soft » qu'il serait inconséquent de les refuser, mais suffisantes pour pervertir sa culture et instiller les valeurs de la Culture. Rien, en définitive, qui ne soit conforme à la politique actuelle des Etats-Unis… Elle fait preuve d'une arrogance morale qui la fonde à gendarmer la Galaxie. La Culture se sent investie d'une mission évangélique où son impérialisme éthique comble sa vacuité. Tout comme en cette fin de XXème siècle, la guerre est dictée par des impératifs éthiques et non plus géo-politiques ou économiques, parce que l'intervention militaire est désormais le sous-produit d'un conflit sémantique global. La Culture pratique, elle aussi, la guerre du sens.

Iain M. Banks a créé l'utopie de la Culture en réaction aux formes classiques du totalitarisme et de l'exploitation. En tant qu'écrivain spéculatif, il apparaît victime de formes nouvelles et plus évoluées de contraintes qui restent invisibles et incompréhensibles aux communs, et tirent de là leur puissance. L'opulence matérielle ne saurait abolir la tyrannie et se contente de l'occulter. Dire de la Culture qu'elle est un space opera qui a le cœur à gauche suffit-il à ce que cela soit ? Qu'entendre par là ? La Culture veut s'imposer par ses principes moraux plutôt que par ses canons. Elle n'en cherche pas moins à s'imposer. Imposer des comportements à autrui, que ce soit par force ou manipulation, c'est toujours de l'impérialisme et c'est typique du space opera, Banks ne nous dit pas que la Culture est un anti-modèle, au contraire…

La Culture n'en reste pas moins une des créations littéraires majeures de la S-F, impressionnante de richesses, que tout amateur se doit de visiter. De plus, Banks fait l'effort de faire une proposition sociétale intéressante, même s'il faut la déchiffrer à la lueur d'une bonne connaissance de la réalité contemporaine. Et puis, après tout, si l'on peut critiquer à n'en plus finir les problématiques sous-jacentes au cycle de la Culture, cela ne tient qu'à l'ampleur et à la profondeur de l'univers dépeint. La plus grande circonspection est également de rigueur quant aux textes relatifs au cycle, qu'ils soient ou non de Banks. Excession est un livre qui subvertit les subversifs. Ça mérite d'être lu… Après tout, il faut savoir lire dangereusement !

Lire la critique de Sophie Gozlan de l'édition originale d'Excession dans Bifrost n° 6.

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