Les Filles de Monroe
Publié le
Ainsi qu’Antoine Volodine l’expliquait dans Libération (18/08/21) à propos des Filles de Monroe, ce roman, s’inscrivant comme Terminus radieux (Bifrost n° 77) et Kree (Bifrost n° 99), dans l’univers du « post-exotisme », en constitue l’une des ultimes manifestations. Les Filles de Monroe forme en effet le quarante-cinquième titre d’un extraordinaire cycle romanesque, liant (entre autres genres) SF et fantastique, et devant in fine en compter quarante-neuf, toujours selon l’auteur. Pour qui n’aurait pas encore parcouru les hallucinantes contrées post-exotiques, rappelons à très gros traits qu’elles se situent dans un futur à la proximité incertaine, quelque part entre notre très (très) basse Terre et le Bardo, un au-delà tout sauf paradisiaque. L’une et l’autre portent en effet les stigmates apocalyptiques de siècles de guerres (y compris nucléaires) et de violences idéologiques, allant jusqu’au génocide. La faute en incombe à des forces politiques sans cesse mutantes, à la manière de cellules cancéreuses, sur lesquelles plane l’ombre historique du communisme soviétique. Dans ce monde non pas de demain mais plutôt sans lendemain, on tente de survivre, à moins qu’on n’en finisse pas de mourir. En ces enfers terrestres comme dans les limbes du post-exotisme, il advient parfois que l’amour vienne fugitivement éclairer les ténébreux destins des derniers des femmes et des hommes…
Ainsi en va-t-il du protagoniste et narrateur (apparemment) anonyme des Filles de Monroe. Autrefois cosmonaute et à ce titre héros du « Parti », sans doute victime d’une énième purge ourdie par cette totalitaire entité, le narrateur des Filles de Monroe est désormais incarcéré dans un « camp psychiatrique […] vastissime ». Il entretient une curieuse relation avec Breton, qu’il décrit comme un autre prisonnier de ce complexe hospitalo-concentrationnaire destiné à engendrer la folie plutôt qu’à la soigner. Quant à la nature réelle du lien unissant les deux hommes, on laissera le soin aux lecteurs et lectrices de la découvrir et d’ainsi goûter le tour de force littéraire grâce auquel Antoine Volodine la restitue. Tout au plus indiquera-t-on que les deux hommes ont été recrutés (bien malgré eux) par les autorités du camp pour surveiller les intrusions qu’y font celles qu’on appelle les filles de Monroe. Bien qu’exécuté à l’occasion d’une autre épuration du Parti, ledit Monroe s’efforce d’en prendre le contrôle depuis le Bardo. Là, il y entraîne d’autres victimes du béhémoth despotique, les transformant ainsi en « dernières guerrières égalitaristes » qui une fois échappées des « ténèbres d’après la mort » mènent la plus étrange des guérillas à travers le camp. Parmi ces mortes-vivantes rompues à l’art du combat clandestin et d’une pureté doctrinale à toute épreuve, se trouve Rebecca Rausch. Celle-là même que le narrateur aima autrefois avec passion. Mais le retour de Rebecca Rausch va s’avérer pour son ex-amant aussi prodigieusement calamiteux que l’entreprise de révolution d’outre-tombe de Monroe. Car c’est une manière d’apocalypse que dépeint Les Filles de Monroe…
Celles et ceux qui sont coutumiers du post-exotisme objecteront qu’il n’y a là rien d’inédit en cette eschatologique matière. Aux unes et aux autres l’on répondra qu’ici, Volodine fait montre d’une capacité d’évocation, ou plutôt d’invocation, encore plus impressionnante que dans ses œuvres précédentes. Collant au plus près de la déliquescence des personnages et du monde les écrasant, l’écriture n’offre guère d’échappatoire, si ce n’est sous la forme de sombres éclairs d’humour d’un absurde grotesque. Inspiré par la phrase fameuse de Mao, l’on serain fine tenté d’écrire qu’avec Les Filles de Monroe Volodine fait la saisissante démonstration que la fin du monde n’est pas un dîner de gala…