Pour quelle raison bizarre et irrationnelle des êtres humains adultes, responsables et occidentaux, pourvus pour la plupart de conjoints et de progéniture, de métiers, de positions sociales même, enfin bref, des gens comme vous et moi, lisent-ils des histoires d'empires galactiques, de batailles spatiales, d'aventuriers stellaires et autres fariboles situées dans des futurs aussi lointains qu'improbables ?
Parce que, la plupart du temps, c'est par là qu'ils ont commencé à lire de la S-F et que, pour qui a succombé aux charmes d'Edmond Hamilton, de Leigh Brackett, de Poul Anderson, de Jack Vance et de bien d'autres, la perspective d'un horizon où ne cessent de se lever des étoiles nouvelles est irrésistible.
Comme le penchant de la science-fiction à créer des mouvements et des étiquettes que l'on peut à loisir coller sur les vieux pots où l'on fait les meilleures nouvelles soupes, à moins que ce ne soit le contraire ?
Le « Nouveau Space Opera » a été lancé dans le magazine américain Locus en août 2003 par (entres autres) des articles de Ken Mac Leod, Paul McAuley et Gwyneth Jones, que l'on retrouve tous les trois au sommaire de notre ouvrage.
Les anthologistes donnent comme définition : « Littéraire, stimulant, sombre et souvent dérangeant, mais aussi grandiose et romantique, excitant, plein de suspense […] et situé dans des décors grandioses. » Bref, le new space opera, c'est de la science-fiction après la new wave, le cyberpunk et le vingt-et-unième siècle, parce qu'après tout, si nos vies doivent se résumer à des tracas administratifs et autres chafouineries quotidiennes, que ce soit avec des administrations galactiques, si l'humanité doit connaître la guerre jusqu'à la fin des temps, qu'on fracasse des planètes et qu'on pulvérise des galaxies…
C'est, on vous l'a dit et répété, une question d'échelle et cela me rappelle une réflexion d'un collègue professeur de philosophie à propos de l'horoscope tant honni des rationalistes. Qu'est-ce que ça peut faire, disait-il, si des gens lisent l'horoscope, c'est un moyen comme un autre d'être en relation avec le cosmos. Voilà : le space opera, c'est ni plus ni moins un moyen comme un autre de se faire citoyen de la galaxie, et dans la mesure où c'est le seul qui soit à notre portée de citoyen de ce siècle, je ne vois vraiment pas pourquoi s'en priver.
Cela dit, à 25 euros l'anthologie, on est en droit d'avoir envie d'en savoir un peu plus.
Dix-huit textes donc, dont certains, à mon avis, auraient pu trouver place ailleurs. « In the valley of the gardens »1 de Tony Daniel, « Maelstrom » de Kage Baker, et « Splinters of Glass » de Mary Rosenblum se déroulent sur des planètes et ne les quittent pas. « Splinters of Glass » étant des trois la mieux menée, avec du suspense, de l'amour et de l'aventure sous les glaces de Io.
Viennent ensuite les nouvelles qui partent du principe que l'argent, la guerre et la tromperie étant éternelles, on peut nouer de belles intrigues entre les planètes et les dimensions. C'est le cas dans « Saving Tiamatt » de Gwineth Jones, « Send them Flowers » de Walter John Williams, en petite forme, « Winning Peace » de Paul MacAuley, ou « Who's afraid of Wolf 359 » de Ken McLeod, amusant, mais pas mémorable. La moins réussie dans la catégorie des histoires d'aventuriers étant « Dividing the Sustain », de James Patrick Kelly, peu inspiré dans sa tentative de création de société mâtinée de situations grotesques à la Greg Egan. C'est d'ailleurs l'une des caractéristiques de plusieurs de ces textes que de comporter des idées intéressantes et une intrigue qui n'est pas à la hauteur.
Que nous reste-t-il donc de vraiment costaud à nous mettre sous la dent ?
« Verthandi's Ring », de Ian Mac Donald, parvient à traiter de guerre à grande échelle et de posthumanité en créant une atmosphère des plus étranges tout à fait convaincante. L'effet d'échelle fonctionne à plein dans les textes basés sur un de ces artefacts dont la science-fiction a le secret, comme « The Worn Turns » de Gregory Benford, ou l'excellent « Hatch » de Robert Reed, qui fait partie de sa série de textes se déroulant sur un vaisseau de la taille d'une planète de type jupitérien. Mais là où le space opera comme moyen de faire de nous des habitants du cosmos se révèle le plus efficace, c'est dans les textes où des espèces ou des personnages extrêmement éloignés les uns des autres se rencontrent — pour le pire, la guerre, le génocide ou l'incompréhension radicale et irrémédiable dans un univers indifférent.
« Art of War » de Nancy Kress présente peut-être des personnages un peu caricaturaux et se révèle très démonstratif, mais ses extraterrestres indéchiffrables, sauf par le personnage principal, et sa guerre, s'avèrent forts convaincants.
Dans « The Emperor and the Maula », Robert Silverberg parvient à dresser le tableau d'un empire galactique où l'homme n'est qu'un barbare insignifiant tout en revisitant l'histoire de Shéhérazade.
« Muse of Fire » de Dan Simmons est à peu de chose près le premier texte que je lis de lui depuis que je n'ai pas réussi à finir l'une des suites d'Hypérion. Les fans seront ravis, je peux donc émettre quelques réserves sur ce tour de force qui présente une humanité dont la culture et la liberté lui ont été enlevés par des extraterrestres tout puissants et énigmatiques. Le portrait et la trajectoire de cette troupe shakespearienne forcée de jouer devant des créatures de plus en plus étranges et des décors sans cesse plus grandioses sont d'une redoutable efficacité. L'utilisation de la cosmogonie gnostique produit un effet d'étrangeté merveilleux sur le voyage dans l'espace. Le problème étant pour moi que la fin est plus que convenue et attendue. Et que, le temps passant, on se demande pourquoi l'auteur nous a fait part au passage de ses brillantes (mais un peu longues) analyses de Shakespeare, et surtout, comment il a pu nous faire croire que des entités aussi puissantes et étrangères ont bien pu y comprendre quoi que ce soit et baser le sort de l'humanité sur cette compréhension…
« Remembrance » de Stephen Baxter, située dans l'univers des Xeelee, parvient à donner le sentiment que même dans un univers où elle est plus ou moins condamnée à être la victime de civilisations plus puissantes, comme les Squeem, les Qax et les Xeelee, l'humanité peut encore prendre quelques décisions importantes — à condition d'avoir la mémoire longue. « Glory », de Greg Egan, est peut-être dans une thématique similaire avec ses archéologues qui recherchent le moyen de sauver la civilisation du Big Crunch dans les mathématiques d'un peuple disparu depuis des éons. Un bon texte qui vient compléter le portrait de la civilisation galactique de l'Amalgame, mais pas du très grand Egan.
On trouve un même vertige, mêlé de mélancolie et de fatalisme dû à l'éloignement et l'incompréhension, chez le personnage de « Minla's Flowers » d'Alastair Reynold, qui grâce à l'éternelle panne de moteur dans l'équivalent de l'hyperespace, se retrouve obligé d'aider une civilisation plongée dans la guerre. Ne pouvant le faire qu'en dormant sur de longues périodes, il vit le destin de ces gens tel un dieu mélancolique et désabusé avant de repartir poursuivre ses propres aventures. Peut-être ma nouvelle préférée, avec celles de Silverberg, Baxter et Reed. Mon plus grand regret, dans cette anthologie, étant de n'avoir pas trouvé de texte où l'auteur aurait développé de nouveaux styles d'empires, sociétés et de manières d'être pour une humanité cosmique. À l'exception de Ian MacDonald, ceux qui ont joué le jeu du cadre galactique l'on fait dans des univers déjà connus de leurs lecteurs. J'aurais aimé en découvrir d'autres.
Cette anthologie a tout de même, par sa simple taille, de quoi satisfaire les goûts d'un lectorat varié, en attendant le tome 2 dont la sortie est prévue pour juillet 2009 en anglais — autant dire maintenant.
Notes :
Bragelonne n'ayant pas daigné nous envoyer leur ouvrage, la présente critique a été faite d'après la lecture de l'édition VO américaine, d'où les titres des nouvelles en anglais et l'absence de référence à la traduction française, dont on ne peut estimer la qualité. [NdRC]