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La Fin du monde

Science-fiction décalée, mainstream, fantasy… Inclassable, Fabrice Colin fait partie des stakhanovistes de l'édition capables d'écrire pour à peu près tous les publics sans se soucier des étiquettes. Avec La Fin du monde, il s'attaque une nouvelle fois à la littérature jeunesse (son septième bouquin dans la même collection, tout de même), via un roman sombre, maîtrisé, très éloigné des poncifs généralement associés au genre. L'exercice était casse-gueule, dans la mesure où la frontière entre littérature adulte et littérature jeunesse reste mince, mais Fabrice Colin s'en sort avec talent, tout en s'offrant le luxe de faire souffrir ses lecteurs avec un to be continued du plus bel effet. Car, oui, La Fin du monde appelle une suite, prévue pour… bientôt. En attendant, adultes et adolescents peuvent s'attaquer au roman sans arrière-pensée, tant l'ensemble tient la route : ici, pas de manichéisme excessif, pas de simplification outrancière, mais plus une « adultisation » du texte, reflet d'un monde agonisant. Partant du principe que les jeunes (pour faire large) ne sont ni naïfs, ni stupides, Fabrice Colin distille son histoire apocalyptique avec un réalisme inquiétant. Certes, on suit le parcours de plusieurs adolescents liés entre eux par les hasards de l'existence — un point de départ ô combien classique — mais ce cliché tout relatif s'arrête là. Un jeune bourgeois parisien bien dans ses pompes, mais opposé à tout rapport sexuel avec sa copine pour des raisons religieuses même pas intégristes, un fils de médecin chinois extraordinairement doué pour les échecs, une ex-martyre palestinienne installée au Caire, un fils de sénateur américain, autant de presque adultes qui vivent leur vie de leur côté, sans qu'a priori rien ne les réunisse. Sauf que World of Warcraft en lie plusieurs, que le père de l'un soigne la mère de l'autre et en tombe irrémédiablement amoureux, malgré le cancer, qu'un autre père a une dette envers la jeune martyre (ou une mission ?), bref que le miracle de la mondialisation réussit à mettre en rapport des gens qui, vingt ans plus tôt, ne se seraient jamais rencontrés. Des vies, donc, bien entamées et déjà débarrassées du soleil de l'enfance. L'histoire ne s'arrête évidemment pas là ; la Chine décide d'en finir avec les Etats-Unis, et pour ça, rien de tel qu'une ogive nucléaire. On s'en doute, les bombes pleuvent, le monde s'écroule, et voilà nos héros embarqués dans une histoire qui les dépasse, à la recherche d'un abri mythique situé au Groenland, dernière poche de civilisation sur une planète dévastée. De cette quête, Fabrice Colin se tire admirablement bien, notamment en s'intéressant de plus près au jeune chinois qui traverse l'Asie lors d'un voyage au bout de l'enfer très personnel et d'une brutalité à faire peur. Si La Fin du monde s'arrête là, c'est évidemment pour laisser place à la suite. Une suite qu'on attend avec impatience, preuve que l'auteur a réussi son coup.


 

Le Feu de Dieu

La science-fiction a une longue tradition catastrophiste — notamment anglaise, tant la mémoire collective de nos amis britanniques fut marquée par le Blitz et ses terreurs… Or il y a peu, cette glorieuse tradition à laquelle nous devons quelques chef-d'œuvres du genre (on citera le Sécheresse de J. G. Ballard ou encore, dans un registre fort différent, Génocides de Thomas Disch) semblait bien derrière nous, et ce de manière définitive. Mais voilà : c'est la Crise, ma bonne dame. La grosse, celle qui rigole pas, celle qui cogne même dans le portefeuille des riches (c'est dire !). Sans parler d'un ciel que nous autres, Gaulois, regardons depuis longtemps d'un œil suspect et qui semble bien décider à nous tomber sur le coin de la figure à grands coups de dérèglements climatiques majeurs. Eh oui : la France à peur (si si, le journal de TF1 le dit). Et pas que la France, d'ailleurs. Du coup, revoilà films et romans catastrophistes et post-apocalyptiques qui fleurissent un peu partout — jusqu'en littérature jeunesse, avec par exemple des fous furieux du genre Fabrice Colin, qui n'hésite pas à expliquer La Fin du monde à nos chers têtes, blondes ou pas, chez Mango ! Et croyez bien qu'on ne s'arrêtera pas là : on attend ainsi de pied ferme le Flood de Stephen Baxter et son déluge de fin du monde (un peu comme Kim Stanley Robinson dans les Quarante Signes de la pluie, oui, mais les bâillements et maux de tête en moins).

Ainsi, Pierre Bordage emprunte donc à son tour ce chemin de fin du monde à la fois très balisé et jouissant d'un récent regain d'intérêt, circonstances obliges… En décidant de nous narrer les aventures de Franx, coincé à Paris alors qu'un hiver cataclysmique s'abat sur le monde suite à de multiples irruptions volcaniques provoquées par on ne sait trop quoi, si ce n'est la connerie humaine (peu importe, la vraisemblance n'est définitivement pas le propos du présent roman), Franx, donc, condamné à traverser une France livrée au chaos et à des températures polaires pour rejoindre une forteresse bâtie de ses mains dans le Périgord où l'attend sa famille, on pouvait espérer (rêver ?) que Pierre Bordage lorgne un tantinet du côté du Cormac McCarthy de La Route. Après tout, le contexte est le même : un héros paumé accompagné d'un gamin qu'il va tenter de sauver dans un monde ravagé. Las… N'est pas McCarthy qui veut, et il semble bien que ce soit plutôt le Roland Emmerich du Jour d'après qui rattrape notre auteur.

Pierre Bordage a du métier, et un savoir-faire indéniable. Nul ne reviendra là-dessus, et s'il est ce qu'on pourrait appeler un « gros vendeur », c'est sans doute aucun à ces exceptionnels talents de conteur qu'il le doit. Sauf qu'ici Bordage ne fait rien d'autre qu'appliquer la recette, enfile les clichés et les invraisemblances, fait le minimum et ce minimum-là, c'est n'est pas assez. L'action se divise en deux lignes narratives. D'un côté Franx et une gamine muette dotée d'étranges pouvoirs qu'il « ramasse » en bord de route dès le début de son odyssée. De l'autre la femme et les enfants de Franx, enfermés avec un malade mental dans le Feu de dieu, une ferme fortifiée du Périgord préparée par Franx et quelques autres illuminés en prévision de la fin du monde (si si, ils le savaient !). Bordage déroule donc son savoir-faire et ses deux lignes narratives comme un métronome, alternant l'une et l'autre histoire en rythme avec cliffhanger obligé à chaque fin des courts chapitres. Et l'auteur a beau plaquer là-dessus l'odyssée homérienne — Franx / Ulysse aura droit à Polyphème et autre Circée avant de retrouver sa Pénélope infidèle en fin de périple —, la sauce ne prend pas, à cause d'un balisage par trop évident. Au mieux le livre distrait de temps en temps, au pire il agace (souvent — les invraisemblances, les relents new age dont l'auteur semble se faire une spécialité, la dimension fabriquée de la narration et des personnages…). Au final un livre-produit qui se laisse lire autant qu'il se laisse oublier, ce que nous vous engageons vivement à faire.

Cowboy Angels

Il a suffi que l'Amérique « réelle » découvre en 1966, sous Nixon, le moyen de passer dans des univers parallèles grâce aux portes de Türing, pour que s'engage une lutte tentant d'imposer la démocratie partout où le communisme a triomphé. L'ampleur de la tâche nécessite l'emploi d'un service d'agents secrets aux pratiques pas toujours recommandables chargés de créer les conditions de la victoire, expédiant si nécessaire un contingent militaire pour appuyer sur place les défenseurs de la liberté. Les univers parallèles étant sans fin, cette guerre souterraine est également éternelle, c'est pourquoi Jimmy Carter, une fois président, y met fin, au grand dam de quelques gradés belliqueux et d'agents sur le terrain qui, comme Tom Wawerly, ne comprennent pas qu'on abandonne dans des univers parallèles des combattants incités à se soulever ni n'acceptent cette mise à la retraite anticipée. Ce n'est pas le cas d'Adam Stone, qui se retire sur un univers rural n'ayant pas connu la révolution technologique, jusqu'à ce qu'on lui demande de reprendre du service. En effet, Tom Wawerly, qui fuit à travers les mondes avec un art consommé de la discrétion, a entrepris d'assassiner toutes les versions d'une mathématicienne ayant travaillé sur les portes de Türing : Adam doit mettre fin à ce massacre et inciter son ami à se rendre. Mais il lui importe également de découvrir pourquoi cette femme est systématiquement assassinée et de comprendre les motivations secrètes de ceux qui l'ont missionné, car il devient vite évident que les dés sont pipés et que les véritables raisons de cette traque sont au cœur d'un projet d'une inimaginable ampleur auquel il est irrémédiablement mêlé.

Impossible, avec un tel scénario, de ne pas songer aux coups tordus imaginés par la CIA à travers le monde durant la période du cadre du roman, pas plus qu'on n'est surpris de constater que les USA, en découvrant ces territoires transversaux, tiennent à établir leur hégémonie partout où elle fait défaut. McAuley s'en donne à cœur joie en décrivant des Amériques parallèles aux destins politiques divers, agrémentant ces sociétés de détails qui peuvent concerner des auteurs de S-F à qui il rend hommage. Il développe également quelques aspects habituellement ignorés dans ce type de récit exploitant d'ordinaire les situations générées par de subtiles modifications affectant le quotidien d'un individu ou d'un groupe, ou empruntant les chemins plus globaux de l'uchronie. Ici, tout en jouant sur ces schémas narratifs avec un brio certain, les passages d'un monde à l'autre ressemblent fort à des voyages temporels ayant généré des paradoxes affectant l'époque d'origine, jusqu'à créer ces imbroglios inextricables mettant en scène plusieurs versions d'un même personnage traversant des sociétés ne différant de la réelle que par de menus détails, qui sont autant de pièges pour les visiteurs ne maîtrisant pas tous les codes. Hormis les sociétés rurales, les univers parallèles accessibles sont toujours relativement proches du réel, phénomène qui n'a jamais trouvé d'explication satisfaisante à ce jour. McAuley glisse des détails savoureux comme cette émission de télé-réalité qui permet de suivre le destin de célébrités dans des mondes où elles sont restées anonymes ou ont produit des succès inconnus ici, et aux joueurs de voir leurs « doppels » dans des trames divergentes les consolant parfois de leur vie présente. Autre originalité, la stabilité de quelques individus ou événements qu'on est assuré de retrouver dans les faisceaux les plus divergents, comme Elvis Presley, le Coca Cola ou McDo.

Plus convenue est l'intrigue proprement dite, récit d'espionnage mouvementé à l'action soutenue et souvent musclée, mais qu'on trouvera parfois répétitive. Elle réserve néanmoins nombre de surprises liées aux univers parallèles, imbriquant habilement les situations qu'ils génèrent avec les rebondissements de la trame romanesque. Un McAuley d'excellente cuvée !

La Terre et les Temps

Marlson. Le patronyme ne dira rien aux lecteurs moins que quadragénaires. Il s'agit de la version courte de « Pierre Marlson », pseudonyme de Martial-Pierre Colson. Cet auteur français a publié une vingtaine de nouvelles concentrées pour la plupart sur la seconde moitié des seventies. Il se situait dans la mouvance écolo-gauchiste qui prévalait alors dans le milieu et qui a disparu au début de la décennie suivante, comme si l'élection de Mitterrand avait réalisé « l'utopie tout de suite », titre d'une collection, emblématique de la science-fiction politique, où Marlson a donné un de ses deux romans en solo. Il a collaboré sur un autre roman avec Michel Jeury, ou plutôt Albert Higon, et, sur une nouvelle, avec un Roland C. Wagner juste sorti des langes. Après avoir débuté dans Fiction, comme un peu tout le monde à l'époque, il a figuré au sommaire du premier Retour à la Terre (une série d'anthologies dirigées par Jean-Pierre Andrevon) et à celui de plusieurs collectifs chez Kesselring et Ponte Mirone. Il revient avec ce recueil qui paraît dans une collection des éditions Libertaires intitulée « Nos futurs », laquelle, à la lecture de son catalogue en fin de volume, donne l'impression de vouloir sa S-F proche dans le temps et militante dans l'esprit.

Tout ceci me chatouillerait agréablement la glande protestataire, si les textes ici rassemblés n'étaient d'une médiocrité consternante.

« L'enfant et le capitaine » (paru dans Phénix en 1990, et chacun sait combien cette revue belge privilégiait l'excellence… ah, on me souffle dans l'oreillette que le sarcasme, ce n'est pas gentil) donne le ton d'entrée de jeu : un centurion romain, Marcus Florinus, croise le chemin d'un Juif qui le conduit là où son Roi, un bébé, vient de naître, un bébé au regard si rempli d'amour que le vieux soldat acariâtre et un gros poil antisémite dépose les armes devant lui… mais ce n'était qu'un rêve, ainsi que le constate Mark Florhens, un soldat de l'armée israélienne passé par la Légion étrangère, à son réveil… sauf que ce n'était pas qu'un rêve, vu que son uniforme a été dégradé, que ses armes ont disparu et que, comme répond son camarade Simon quand il s'inquiète de la date, « NOUS SOMMES LE VINGT-CINQ DECEMBRE » (en Majuscule dans le texte original, adjectif que j'emploie avec une certaine générosité).

Inutile de s'attarder sur le reste du sommaire (trois textes, dont deux longs), tout est du même acabit : style surchargé, dialogues ampoulés, idées rebattues, DES MAJUSCULES CHAQUE FOIS QU'IL FAUT MENAGER UN COUP DE THEATRE, voilà bien un recueil que j'aurais aimé trouver sympathique et qui ne m'a paru qu'agaçant. À fuir, surtout si l'on partage les idées de l'auteur…

Durastanti (moi aussi, je peux m'écourter pour faire djeûn)

Dimension URSS

On oppose souvent « amateur » à « professionnel », or il convient de rappeler que le premier terme dérive de la même racine (latine) que le verbe « aimer », et c'est à un véritable travail d'amateur, dans l'acception la plus noble du mot, que nous convie Dimension URSS, une anthologie à dimension historique, mais à la vocation plus littéraire qu'on pourrait le croire.

Cela commence pourtant assez mal. La préface de Patrice Lajoye, où il explique sa démarche de proposer un complément aux précédents recueils couvrant cette littérature, dont le « Livre d'or » Science-fiction soviétique (Leonid Heller, Presses-Pocket, 1984), n'est certes pas en cause, mais il faudra un brin de bonne volonté au lecteur pour aller au bout de la pièce de théâtre de Valeri Brioussov, « La Terre, scène des temps futurs » : même si le décor, notre planète enchâssée dans une ville géante désormais presque vide à la suite du déclin de l'humanité, et l'ambiance, une fin du monde feutrée, peuvent séduire, les péroraisons de ses protagonistes valent un bon Valium. (Et, publiée en 1904, elle n'appartient pas stricto sensu à la période concernée.) Le style reste très pesant dans « Au-dessus du néant » (1927), d'Alexandre Beliaev, le comble pour une nouvelle traitant de l'annihilation de la gravité — ceci dit, dans Amazing Stories, à la même époque, on ne faisait pas mieux…

Puis, dès « L'Eveil du professeur Berne » (1956), de Vladimir Savtchenko, le niveau d'ensemble s'élève nettement pour ne plus trop redescendre ; ce texte à chute n'aurait guère paru déplacé dans un Galaxy de la même période. Avec « L'Astronaute » (1960), de Valentina Jouravlovia, on est plutôt dans l'école Astounding, et non loin des nouvelles d'un Tom Godwin ; il s'agit du premier texte vraiment émouvant de l'anthologie. « Sur un sentier poudreux » (1966), de Dmitri Bilenkine, apparaît plus mineur, une vignette à la Fredric Brown sans l'humour, mais « Le Pré » (1968), de Karen A. Simonian, aurait pu être signé par Simak ou Sturgeon. « Une Dernière histoire de télépathie » (1976), de Roman Podolny, démontre une fois de plus à quel point l'art du récit bref est difficile, quelle que soit la langue, et « Quels drôles d'arbres » (1975), de Victor Koloupaev, manque un peu sa cible malgré une narration habile, à cause d'une pirouette finale qui l'est moins.

S'enchaînent ensuite trois récits majeurs. « Pygmalion » (non daté), de Vladimir Drozd, une variation poétique et nostalgique sur le mythe classique, bénéficie d'une belle écriture joliment rendue (malgré la révision des traductions, pour la plupart issues de la revue Lettres soviétiques, reconnaissons que tous les textes n'ont pas cette chance), « Un Cheechako dans le désert » (1981), de Kir Boulytchov, nous ramène vers une science-fiction plus dure, avec une réussite certaine, tandis que « La Station intermédiaire » (1984), de Valentina Soloviova, aborde le fantastique ou le fantasmatique : l'auteure se met en scène dans une nouvelle qui évoque un épisode de La Quatrième dimension scénarisé par Philip K. Dick.

« La Toute dernière guerre au monde » (1984 encore), de Vladimir Pokrovski, et « Vingt milliards d'années après la fin du monde » (1984 toujours), de Pavel Amnouel, m'ont moins convaincu, car il s'agit de textes plus militants (militants pour la paix, ceci dit), mais le recueil s'achève en beauté sur un second récit de Karen A. Simonian, « Le Saule épanché et le roseau tremblant » (non daté), qui confirme le talent de la dame et son goût pour les ambiances inquiètes.

Enfin, il s'achève pour les fictions, car on peut encore lire une étude de Patrice Lajoye et admirer une galerie de couvertures, reproduites en noir et blanc. Bref, cette somme plaisante et roborative fait honneur aux « amateurs » un peu fêlés qui dirigent Rivière Blanche. Spassiba, camarades.

100 chefs d'oeuvre incontournables de l'imaginaire

« Mais dans quelle galère sommes-nous allés nous fourrer ? » demandent les trois co-auteurs de cet opuscule sur sa quatrième de couverture, comme pour anticiper les critiques qu'on ne manquera pas de leur adresser. L'entreprise, qui consiste ici à traiter, en une page chacun, ce que l'on nous présente comme les « 100 chefs-d'œuvre incontournables » de la science-fiction, du fantastique et de la fantasy, avait tout du casse-gueule ; le bilan, on va le voir, n'en est que mitigé, ce qui constitue déjà une manière de victoire.

Une courte préface signée du seul Eric Holstein définit les limites de l'exercice (une œuvre par auteur, même s'il peut en fait s'agir de séries) et signale que la sélection procède d'un critère de qualité plus que de popularité. Pourtant, dans le corps même de certaines critiques, on verra fleurir des assertions qui semblent démentir ce bel adage : entre autres, Pern est un « cycle interminable », tandis qu'Harry Potter ne présente « aucune originalité » et doit son succès à « un plan marketing sans précédent ». Curieuses louanges, pour des « chefs-d'œuvre incontournables »…

Ce petit livre au prix modique n'a évidemment rien d'un guide où l'amateur éclairé pourrait découvrir quoi que ce soit. Il y verra plutôt un pense-bête pour choisir quels livres conseiller à qui aimerait aborder l'Imaginaire, servi en cela par une liste qui comprend, par exemple, Fondation, L'Homme démoli, Dune, L'Oreille interne, Les Voies d'Anubis, Hypérion et American gods. Les écrivains francophones ne sont pas négligés (Jeury, Curval, Ayerdhal, Lehman, Wagner et Bordage, notamment), et le tout, présenté par ordre chronologique et démarrant sur L'An 2440, de Louis-Sébastien Mercier, tente d'esquisser, l'air de rien, un panorama historique de notre domaine. Les papiers, certes brefs, vont justement à l'essentiel, sans lasser par des gloses interminables, et ne se privent pas d'évoquer d'autres œuvres importantes de l'auteur de l'œuvre traitée.

Somme toute, même s'il représente un peu une occasion manquée — n'aurait-il pas mieux valu profiter du format pour proposer un guide de lecture décliné des ouvrages les plus faciles d'abord aux plus complexes ? —, on retiendra de ce fin volume son accessibilité, sa lisibilité et, pour l'essentiel, la pertinence de ses choix.

NSO - Le Nouveau Space Opera

Pour quelle raison bizarre et irrationnelle des êtres humains adultes, responsables et occidentaux, pourvus pour la plupart de conjoints et de progéniture, de métiers, de positions sociales même, enfin bref, des gens comme vous et moi, lisent-ils des histoires d'empires galactiques, de batailles spatiales, d'aventuriers stellaires et autres fariboles situées dans des futurs aussi lointains qu'improbables ?

Parce que, la plupart du temps, c'est par là qu'ils ont commencé à lire de la S-F et que, pour qui a succombé aux charmes d'Edmond Hamilton, de Leigh Brackett, de Poul Anderson, de Jack Vance et de bien d'autres, la perspective d'un horizon où ne cessent de se lever des étoiles nouvelles est irrésistible.

Comme le penchant de la science-fiction à créer des mouvements et des étiquettes que l'on peut à loisir coller sur les vieux pots où l'on fait les meilleures nouvelles soupes, à moins que ce ne soit le contraire ?

Le « Nouveau Space Opera » a été lancé dans le magazine américain Locus en août 2003 par (entres autres) des articles de Ken Mac Leod, Paul McAuley et Gwyneth Jones, que l'on retrouve tous les trois au sommaire de notre ouvrage.

Les anthologistes donnent comme définition : « Littéraire, stimulant, sombre et souvent dérangeant, mais aussi grandiose et romantique, excitant, plein de suspense […] et situé dans des décors grandioses. » Bref, le new space opera, c'est de la science-fiction après la new wave, le cyberpunk et le vingt-et-unième siècle, parce qu'après tout, si nos vies doivent se résumer à des tracas administratifs et autres chafouineries quotidiennes, que ce soit avec des administrations galactiques, si l'humanité doit connaître la guerre jusqu'à la fin des temps, qu'on fracasse des planètes et qu'on pulvérise des galaxies…

C'est, on vous l'a dit et répété, une question d'échelle et cela me rappelle une réflexion d'un collègue professeur de philosophie à propos de l'horoscope tant honni des rationalistes. Qu'est-ce que ça peut faire, disait-il, si des gens lisent l'horoscope, c'est un moyen comme un autre d'être en relation avec le cosmos. Voilà : le space opera, c'est ni plus ni moins un moyen comme un autre de se faire citoyen de la galaxie, et dans la mesure où c'est le seul qui soit à notre portée de citoyen de ce siècle, je ne vois vraiment pas pourquoi s'en priver.

Cela dit, à 25 euros l'anthologie, on est en droit d'avoir envie d'en savoir un peu plus.

Dix-huit textes donc, dont certains, à mon avis, auraient pu trouver place ailleurs. « In the valley of the gardens »1 de Tony Daniel, « Maelstrom » de Kage Baker, et « Splinters of Glass » de Mary Rosenblum se déroulent sur des planètes et ne les quittent pas. « Splinters of Glass » étant des trois la mieux menée, avec du suspense, de l'amour et de l'aventure sous les glaces de Io.

Viennent ensuite les nouvelles qui partent du principe que l'argent, la guerre et la tromperie étant éternelles, on peut nouer de belles intrigues entre les planètes et les dimensions. C'est le cas dans « Saving Tiamatt » de Gwineth Jones, « Send them Flowers » de Walter John Williams, en petite forme, « Winning Peace » de Paul MacAuley, ou « Who's afraid of Wolf 359 » de Ken McLeod, amusant, mais pas mémorable. La moins réussie dans la catégorie des histoires d'aventuriers étant « Dividing the Sustain », de James Patrick Kelly, peu inspiré dans sa tentative de création de société mâtinée de situations grotesques à la Greg Egan. C'est d'ailleurs l'une des caractéristiques de plusieurs de ces textes que de comporter des idées intéressantes et une intrigue qui n'est pas à la hauteur.

Que nous reste-t-il donc de vraiment costaud à nous mettre sous la dent ?

« Verthandi's Ring », de Ian Mac Donald, parvient à traiter de guerre à grande échelle et de posthumanité en créant une atmosphère des plus étranges tout à fait convaincante. L'effet d'échelle fonctionne à plein dans les textes basés sur un de ces artefacts dont la science-fiction a le secret, comme « The Worn Turns » de Gregory Benford, ou l'excellent « Hatch » de Robert Reed, qui fait partie de sa série de textes se déroulant sur un vaisseau de la taille d'une planète de type jupitérien. Mais là où le space opera comme moyen de faire de nous des habitants du cosmos se révèle le plus efficace, c'est dans les textes où des espèces ou des personnages extrêmement éloignés les uns des autres se rencontrent — pour le pire, la guerre, le génocide ou l'incompréhension radicale et irrémédiable dans un univers indifférent.

« Art of War » de Nancy Kress présente peut-être des personnages un peu caricaturaux et se révèle très démonstratif, mais ses extraterrestres indéchiffrables, sauf par le personnage principal, et sa guerre, s'avèrent forts convaincants.

Dans « The Emperor and the Maula », Robert Silverberg parvient à dresser le tableau d'un empire galactique où l'homme n'est qu'un barbare insignifiant tout en revisitant l'histoire de Shéhérazade.

« Muse of Fire » de Dan Simmons est à peu de chose près le premier texte que je lis de lui depuis que je n'ai pas réussi à finir l'une des suites d'Hypérion. Les fans seront ravis, je peux donc émettre quelques réserves sur ce tour de force qui présente une humanité dont la culture et la liberté lui ont été enlevés par des extraterrestres tout puissants et énigmatiques. Le portrait et la trajectoire de cette troupe shakespearienne forcée de jouer devant des créatures de plus en plus étranges et des décors sans cesse plus grandioses sont d'une redoutable efficacité. L'utilisation de la cosmogonie gnostique produit un effet d'étrangeté merveilleux sur le voyage dans l'espace. Le problème étant pour moi que la fin est plus que convenue et attendue. Et que, le temps passant, on se demande pourquoi l'auteur nous a fait part au passage de ses brillantes (mais un peu longues) analyses de Shakespeare, et surtout, comment il a pu nous faire croire que des entités aussi puissantes et étrangères ont bien pu y comprendre quoi que ce soit et baser le sort de l'humanité sur cette compréhension…

« Remembrance » de Stephen Baxter, située dans l'univers des Xeelee, parvient à donner le sentiment que même dans un univers où elle est plus ou moins condamnée à être la victime de civilisations plus puissantes, comme les Squeem, les Qax et les Xeelee, l'humanité peut encore prendre quelques décisions importantes — à condition d'avoir la mémoire longue. « Glory », de Greg Egan, est peut-être dans une thématique similaire avec ses archéologues qui recherchent le moyen de sauver la civilisation du Big Crunch dans les mathématiques d'un peuple disparu depuis des éons. Un bon texte qui vient compléter le portrait de la civilisation galactique de l'Amalgame, mais pas du très grand Egan.

On trouve un même vertige, mêlé de mélancolie et de fatalisme dû à l'éloignement et l'incompréhension, chez le personnage de « Minla's Flowers » d'Alastair Reynold, qui grâce à l'éternelle panne de moteur dans l'équivalent de l'hyperespace, se retrouve obligé d'aider une civilisation plongée dans la guerre. Ne pouvant le faire qu'en dormant sur de longues périodes, il vit le destin de ces gens tel un dieu mélancolique et désabusé avant de repartir poursuivre ses propres aventures. Peut-être ma nouvelle préférée, avec celles de Silverberg, Baxter et Reed. Mon plus grand regret, dans cette anthologie, étant de n'avoir pas trouvé de texte où l'auteur aurait développé de nouveaux styles d'empires, sociétés et de manières d'être pour une humanité cosmique. À l'exception de Ian MacDonald, ceux qui ont joué le jeu du cadre galactique l'on fait dans des univers déjà connus de leurs lecteurs. J'aurais aimé en découvrir d'autres.

Cette anthologie a tout de même, par sa simple taille, de quoi satisfaire les goûts d'un lectorat varié, en attendant le tome 2 dont la sortie est prévue pour juillet 2009 en anglais — autant dire maintenant.

Notes :
Bragelonne n'ayant pas daigné nous envoyer leur ouvrage, la présente critique a été faite d'après la lecture de l'édition VO américaine, d'où les titres des nouvelles en anglais et l'absence de référence à la traduction française, dont on ne peut estimer la qualité. [NdRC]

Le Guide des Fées. Regards sur la femme

Quand on se penche sur les livres disponibles en France sur les fées (laissons de côté la bande dessinée), on trouve vraiment de tout : le faux carnet d'une jeune fille qui communique prétendument avec les fées (Le Livre des fées séchées, attribué à Lady Cottington), plusieurs beaux livres (Les Fées de Brian Froud et Alan Lee, La Grande encyclopédie des fées de Pierre Dubois, illustrée par Claudine et Roland Sabatier), des études (Le Monde des fées dans l'Occident médiéval de Laurence Harf-Lancner par exemple), des divagations (Les Fées sont parmi nous de Sir Arthur Conan Doyle)… et même des livres de cuisine (La Cuisine des fées et autres contes gourmands), sans parler des innombrables romans (Le Parlement des fées de John Crowley, pour n'en citer qu'un). Alors quand ActuSF publie son Guide des fées, la méfiance est de mise, même si le sous-titre, « Regards sur la femme », laisse supposer que Virginie Barsagol et Audrey Cansot ont trouvé un (trop grand ?) angle.

À la lecture de l'ouvrage (qui complète plutôt bien l'encyclopédie susnommée de Pierre Dubois), on est surpris non pas par son fond (c'est diablement intéressant, tout ça) mais par une forme, qui oscille entre le foutraque trop succinct et la bouillie pour chat du Cheshire : « Tout comme l'Autre Monde, comme est souvent nommé le monde des fées, fourmille en passerelles avec le monde rationnel, celui des mortels, le pôle des forces obscures et celui de l'énergie bienveillante ne sont pas étanches. » lit-on page 9. Ah bon… Mais ça veut dire quoi ? Ah oui, en lisant trois fois la phrase dans son contexte on comprend qu'il y a parfois des passerelles entre la magie noire et la magie blanche.

Une forme qui n'est pas à la hauteur de l'érudition du fond. Dommage. Mais ce qui est surtout regrettable, c'est que les auteurs vont trop vite et considèrent comme évidents/acquis des éléments, des détails historiques inconnus du commun des mortels.

Si vous cherchez un livre pas cher sur les fées, un amuse-gueule, ce petit ouvrage fera l'affaire (toutefois une édition augmentée, un poil réécrite ne serait pas du luxe), mais si vous voulez de la saveur, de l'érudit et/ou du rêve à l'état brut, je ne peux que vous conseiller un cocktail La Grande encyclopédie des fées de Pierre Dubois chez Hoëbeke / Les Fées de Brian Froud et Alan Lee, chez Albin Michel. 10 euros d'un côté, 49 de l'autre.

Fée selon ton désir, cher lecteur.

Fiction T9

Parce que Fiction ose (audace dans le choix de ses textes, audace dans le choix de ses portfolios), parce que Fiction donne sa chance à de nombreux auteurs, illustrateurs et traducteurs en devenir, voilà une entreprise à soutenir (préférez toujours l'abonnement à l'achat au numéro).

Au-delà de ces quelques lignes militantes, on notera toutefois, avec une inquiétude certaine, le caractère un brin kamikaze de l'entreprise qui, en ces temps de crise, ose (décidément !) la couverture la plus anti-commerciale de ces quinze dernière années (exceptions faites du non travail de Jackie Paternoster au Livre de Poche, hors concours depuis que la série de logiciels Bryce existe).

Au sommaire de ce neuvième opus, un certain nombre de surprises qui rendent Fiction indispensable :

  • Les petites BDs de Jean-Jacques Girardot et Florence Delaporte, qu'on pourrait surnommer « les aventures de Garfield Schrödinger »
  • La nouvelle de Laurent Genefort, entre space op' et hard science, qui évoque, excusez du peu, le grand Greg Egan.
  • « Le Retour du capitaine Rayo » de Pablo Dobrinin, qui rappelle les textes mélancoliques de Andrew Weiner, « Signaux lointains » notamment.
  • « Un voyage dans l'au-delà » de M. Rickert, qui nous fait découvrir cette écrivaine américaine née en 1959, et en même temps un futur grand nom de la traduction : Célia Chazel (ceci écrit avec le plus grand des sérieux, la traduction de ladite Chazel se révélant tout à fait pertinente).
  • La nouvelle de Tim McDaniel, parce qu'elle est délicieusement idiote, génialement courte et percutante.
  • « La Dame des os » de Charles de Lint, nouvelle preuve, s'il en fallait, que cet auteur canadien ne mérite pas l'ostracisme que lui réserve depuis des années l'édition française.
  • Loin d'être sans intérêt, les nouvelles de Jeffrey Ford, Léo Henry et Ray Vukcevich sont à mon sens un cran en dessous, bien que toutes les trois folles, à leur manière.

Comme d'habitude (presque cinq ans déjà !), on regrettera les nombreuses fautes de mise en page, les coquilles et les fautes de français — un comble pour une revue à la non-fiction volontiers pédante et snob, en un mot : prétentieuse. Dommage, trois fois dommage, car Fiction ose et publie vraiment de bons textes.

N'oubliez pas de signer votre chèque.

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