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Cap sur Gandahar

Le monde de « Gandahar » serait-il à Jean-Pierre Andrevon ce que « Majipoor » est à Robert Silverberg ? Trente ans après la parution de ce qui reste son plus grand succès, commercial sinon littéraire, Andrevon n'en finit plus, ces derniers temps, de revenir à cet univers : deux romans pour la jeunesse, une poignée de nouvelles et désormais ce Cap sur Gandahar, qui aurait lui aussi pu trouver sa place dans une collection pour les 10-12 ans, n'étaient les obsessions et les montées de sève de son héros qui réservent ces aventures à un public averti — mais rien ne vous empêche d'avertir votre petite soeur, elle en a vu d'autres.

Cap sur Gandahar conte le voyage du jeune Algar, alias Sylvin Lanvère, futur héros des Hommes-Machines contre Gandahar (disons-le tout de suite, puisque le résumé en quatrième de couverture ne laisse planer aucun suspense là-dessus), de ses montagnes natales jusqu'au continent mythique. Aventures, découverte du monde, initiation à l'amour, on pourrait s'arrêter là qu'on aurait tout dit. Le genre de romans que l'on a l'impression d'avoir déjà lu quelques milliers de fois ? Assurément. Rien de neuf par ici, n'empêche que cette histoire se lit avec plaisir. Parce qu'Andrevon reste un conteur d'exception, parce que le ton est léger, enjoué (on pense pas mal au Cugel de Jack Vance, en particulier du point de vue des dialogues), parce que les personnages sont attachants. Alors certes, ceux qui passeront à côté de ce roman ne rateront sans doute pas grand-chose, toutefois ceux qui se laisseront tenter n'auront pas pour autant l'impression de perdre leur temps.

Le Bal des Loups-garous

Parmi les mythes qui ont nourri la littérature et le cinéma, celui du loup-garou occupe une place non négligeable, même si sa situation est moins enviable que celle du vampire et a donné naissance a beaucoup moins de classiques et/ou de chefs-d’œuvre. Cette anthologie, concoctée par Barbara Sadoul, s'intéresse à l'interprétation du mythe à diverses périodes. C'est sa première qualité : mêler des textes des années trente (tous issus du Weird Tales de la grande époque) et des nouvelles plus récentes (années 80-90, à l'exception du Poul Anderson de 1956).

Commençons par les anciens. Sur les quatre proposés, on trouve au moins deux très bons textes : « Le Loup de Saint-Bonnot » de Seabury Quinn et « Norne » de Lireve Monet. Le premier est une aventure de jules de Grandin, détective de l'étrange français, héros malheureusement toujours trop méconnu — ceux qui ne l'auraient pas encore fait sont vivement incités à se jeter sur Jules de Grandin, le Sherlock Holmes du surnaturel, recueil paru il y a quatre ans en Fleuve Noir « Super Poche », ça peut peut-être encore se trouver. Le second raconte la fascination d'une petite fille pour sa tante, au charisme surnaturel, et l'évolution de cette relation au fil des ans. On a ici presque plus l'impression d'avoir affaire à une histoire de vampirisme que de ''garouage'', mais le résultat est très réussi. « L'horreur immortelle », de Manly Wade Wellman, est lui aussi un bon texte, hélas gâché par une fin inutilement moraliste. En fait, de ces récits anciens, seul celui d'Howard Wandrei, « La Main de la fille O'Mecca », accuse ses années et ne présente aujourd'hui plus grand intérêt.

Nouvelle intermédiaire et atypique, « Opération éfrit » de Poul Anderson part d'une idée originale et amusante : décrire une guerre moderne dans laquelle les dragons remplacent les blindés, les balais volants l'aviation, et où les loups-garous sont employés comme éclaireurs. Néanmoins, la farce tourne court assez rapidement et l'on finit par s'ennuyer.

Du côté des œuvres récentes, on lira avec amusement « Coupable » de Stephen Laws, dont la famille de dégénérés qui y est décrite rappelle furieusement celle de Massacre à la tronçonneuse. Bon texte également de Roberta Lannes, « La Proie », histoire d'amour entre une lycanthrope et un humain. En revanche, « La Marque de la bête » de Kim Antieau ne présente pas grand intérêt, et celui de Ramsey Campbell, « Le Changement », me semble des plus nébuleux. Reste « Au sud d'Oregon City », de Pat Murphy encore une histoire d'amour mais allant à l'encontre des conventions du genre, et qui clôt en beauté cette anthologie globalement plutôt réussie.

Billet sans titre

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Le Mystère de l'inquisiteur Eymerich

Cette fois, c'est en Sardaigne que le terrible inquisiteur va exercer ses talents. Il accompagne en effet le roi d'Espagne, venu à la tête d'une expédition militaire pour mettre fin à un culte païen dont les adeptes possèdent, semble-t-il, le pouvoir de guérir les malades, y compris les plus graves. Mais pourquoi les ruisseaux et torrents de l'île se mettent-ils à heure fixe à grouiller d'amibes et autres parasites rendant leur eau impropre à la consommation ? Ailleurs, prisonnier d'une cellule surréaliste située en un lieu indéterminé, Wilhelm Reich vit d'hallucinantes entrevues avec un Eymerich qui semble bien décidé à le psychanalyser. Ailleurs encore, dans un futur proche consécutif à l'effondrement des Etats-Unis causé par l'anémie falciforme, des jeunes gens originaires des différentes — et peu sympathiques — nations qui se partagent désormais le territoire nord-américain se retrouvent, pour punition, envoyés au mystérieux Lazaret… Enfin, certains chapitres content les épisodes cruciaux de la vie de Reich, dont les hypothèses sur les bions et l'énergie orgonique constituent la base même du roman.

 À la lecture du résumé ci-dessus, pas besoin d'être un habitué de la série pour comprendre que Le Mystère de l'inquisiteur Eymerich nage en plein délire. Aux psytrons et aux cathares mutants gavés de colchique ont « simplement » succédé les orgones. Continuant sa tournée des théories scientifiques alternatives, Evangelisti se retrouve à chasser, métaphoriquement parlant, sur les terres d'Arthur Koestler, lui aussi grand spécialiste des marges et marginaux de la science. Le tragique destin de Reich, persécuté par les nazis puis par la justice états-unienne — qui aura finalement sa peau — , n'est pas sans rappeler celui du malheureux Paul Kammerer, un biologiste autrichien dont les travaux, parce qu'ils semblaient confirmer les théories de Lamarck sur l'hérédité des caractères acquis, lui valurent d'être traîné dans la boue par la communauté scientifique internationale (L'Étreinte du crapaud — Calmann-Lévy). Dans les deux cas, on assiste à un acharnement dont les motifs relèvent plus de la politique — à tous les sens du terme — que de la science, et c'est la nature de cet acharnement que dénoncent Evangelisti et Koestler dans leurs ouvrages respectifs. L'un des personnages de la partie « biographique », lorsqu'on lui demande s'il croit aux théories de Reich, joue sans doute les porte-parole de l'auteur quand il répond : « Je ne puis vous dire si cette énergie existe ou pas. Je n'ai pas la compétence nécessaire, et puis la chose ne m'intéresse pas beaucoup. Mais ce n'est sûrement pas un 'expert' judiciaire inconnu qui peut juger de décennies de travail, d'essais, d'expérimentations. » Toutes les époques possèdent leurs inquisiteurs.

Il paraît clair que ce quatrième volume des aventures d'Eymerich marque une étape importante dans la série. Plus long, plus complexe, il a en outre le mérite de commencer à dévoiler le projet global d'Evangelisti. Le lecteur français est d'ailleurs considérablement avantagé sur le lecteur transalpin, puisqu'il a déjà pu lire dans Galaxies la novella « Metallica », parue en Italie bien après Le Mystère… alors qu'elle se situe chronologiquement entre Le Corps et le sang et le présent roman, dont elle met d'ailleurs en scène l'un des personnages. Le schéma général de l'histoire du futur « évangélique » se met en place, et il est frappant de constater combien cet avenir dystopique plonge ses racines dans le passé, et plus précisément à l'époque d'Eymerich. Certes, ce lien est avant tout une commodité littéraire, mais il est probable qu'il possède un sens que les prochains volumes finiront peut-être par dévoiler. Et pour ceux qui ignorent encore tout du redoutable dominicain, cette histoire d'horreur aux accents quasiment lovecraftiens constitue une excellente entrée en matière, puisqu'il s'agit du meilleur titre de la série traduit à ce jour.

Des milliard de tapis de cheveux

Ostvan est tisseur. Comme le veut la tradition, depuis qu'il a pris femme, il tisse un tapis à l'aide des cheveux de son épouse, ainsi que ceux de ses filles. Il y passe toutes ses journées, s'usant les yeux et les doigts. Pour vivre, les siens et lui ont l'argent que son père a tiré de la vente de son propre tapis de cheveux, bien des années plus tôt, et Ostvan espère bien que l'oeuvre de sa vie rapportera, lorsqu'elle sera achevée, une somme suffisante pour qu'Abron, son fils unique, puisse lui aussi consacrer sans souci son existence au tissage. Seulement, Abron ne semble pas avoir l'intention de succéder à son père, peut-être parce qu'il est allé à l'école, où il a appris à lire. Il se dresse même contre le vieil homme lorsque celui-ci, conformément à la coutume qui veut qu'un tisseur n'ait qu'un seul fils, parle de tuer son enfant à naître si celui-ci est un garçon. Mais le poids de la tradition, et la vénération à l'égard de l'Empereur immortel, véritable dieu vivant, est plus forte que l'amour paternel ; le jeune homme en fera la cruelle expérience…

C'est une bien étrange histoire qu'Andreas Eschbach, présenté comme la « figure de proue » de la SF allemande, a choisi de raconter pour son premier roman. Le résumé ci-dessus, qui ne couvre en fait que le premier chapitre, pourrait donner à penser que Des Milliards de tapis de cheveux relève de la fantasy ou, au mieux, de la science-fantasy. Il n'en est rien. Et, malgré un cadre galactique — et, pour tout dire, intergalactique —, ce n'est pas non plus un space opera. Certes, des éléments appartenant à tous les sous-genres ci-dessus sont bien présents, voire mis en avant, mais ils s'intègrent à une réflexion globale qui dépasse, transcende un éventuel premier degré. Pour ce faire, Eschbach emploie des techniques éprouvées, comme l'élargissement progressif du champ, tant spatiotemporel que cognitif1, mais il le fait dans le cadre d'une histoire purement insensée, où l'accumulation de détails absurdes se structure peu à peu en une réflexion sur le pouvoir. Le décor étriqué des premiers chapitres, le carcan mental qui oriente à jamais la volonté des Haar-teppichknüpfer et de la société figée dont leur existence fonde la structure, les clichés et poncifs savamment glissés dans le texte d'une manière qui indique à l'évidence que l'auteur a conscience de manipuler des tropes science-fictifs.

La suite du roman ne fait que confirmer cette impression : Des Milliards de tapis de cheveux reste une fable sur le pouvoir absolu, mais c'est une fable au second degré, une fable postmoderne, qui recèle une réflexion sur le genre auquel elle appartient. En ce sens, Eschbach apparaît proche du Pierre Stolze de Marylin Monroe et les samouraïs du Père Noël. On peut aussi penser que les similitudes entre le chapitre XIV et un texte de Harlan Ellison intitulé « Je n'ai pas de bouche mais il faut que je crie » ne sont nullement accidentelles, et qu'elles constituent pour l'auteur une manière, consciente ou inconsciente, de mettre en avant l'une de ses influences2. L'absence de héros, voire de personnage principal — en-dehors de l'Empereur, dont l'ombre plane bien évidemment sur tout le livre —, part elle aussi d'une volonté délibérée de déconstruction d'un certain nombre de thèmes et de motifs du space opera. Et derrière l'exercice de style apparent se profile une volonté de tordre le cou, non a une certaine SF américaine comme l'ont fait d'autres auteurs européens, mais à la figure archétypale qui écrase de tout son poids la SF allemande, je veux parler de Perry Rhodan.

Ainsi, au-delà d'une idée impressionnante dans son absurdité, au-delà d'une intrigue à la structure originale, au-delà du refus des facilités offertes par les conventions narratives du genre, c'est au meurtre du père qu'Andreas Eschbach nous convie d'assister.  À ce titre, Des Milliards de tapis de cheveux constitue peut-être l'acte fondateur d'une SF allemande moderne tout aussi dégagée de ses influences que peuvent l'être dans d'autres pays les œuvres d'Evangelisti, Masali, Stolze ou Dantec.

Vous l'avez compris, ce livre est à ne rater sous aucun prétexte.

Notes :

1. Le lecteur intéressé par ce procédé d'une grande efficacité pourra se reporter utilement au Vagabond de l'espace de Robert Heinlein, ainsi qu'à Zodiacal de Piers Anthony — entre autres.

2. Je sens que je vais avoir l'air fin si Eschbach n'a jamais lu Ellison.

L'Homme transformé

 Enfin est traduite en français la presque-intégrale des nouvelles de Card parue en 1990 sous le titre « Maps in a mirror » — les « Portulans » du sous-titre — , et il faut féliciter l'Atalante pour l'initiative. Le lecteur assidu de Card (ou des petits caractères en début de volume) notera bien sûr que quelques textes recoupent des recueils parus il y a longtemps chez Denoël, Card ayant procédé à un redécoupage thématique de l'ensemble de ses nouvelles.

Il distingue quatre livres consacrés respectivement aux « récits d'angoisse », de « futurs humains », aux « fables et fantasmes », et finalement aux récits de « mort, amour et sainteté ». En termes de division par genres, on penserait à l'horreur, à la SF, à la fantasy, et aux histoires à thème religieux. Sauf que tout cela s'entremêle dans l'oeuvre de Card, et que la plupart des nouvelles présentées (et au moins quatre des onze du présent volume) utilisent l'attirail de la SF. Le découpage est plus fonction des émotions évoquées chez le lecteur — et Card sait s'y prendre pour les rendre intenses, et féroces, mettant souvent en scène une grande violence physique ou émotionnelle.

Card fut au début de sa carrière un prolifique nouvelliste, et l'ensemble des « Portulans » est dominé (en quantité) par la période 1977-1981. Mais pas nécessairement en qualité — après des débuts foudroyants, Card a connu succès commercial et sévérité des critiques. La récession de l'édition l'a conduit à devenir au cours des années 80 salarié d'une entreprise de logiciels. D'où des à-coups, et des changements de cap, dans sa production. Une partie de ces événements sont retracés dans « Enfants perdus », dont les personnages sont Card lui-même et sa famille. Publié en 1989, ce texte (qui a enfanté un épais roman du même titre, Lost Boys) domine toutes les autres nouvelles du recueil, antérieures à 1981. Et il avait causé une polémique à sa parution, à cause du mélange inquiétant entre vie privée et invention littéraire. Une histoire de fantômes dont on ne sait pas qu'ils le sont… qui justifie à elle seule l'achat du recueil.

Ce qui ne signifie pas que le reste soit inutile. D'abord pour la postface, bourrée de détails sur la genèse de chaque texte. Fascinants aperçus du processus de création de Card. Mais nécessairement incomplets ; comme l'auteur lui-même le dit très justement, « J'en suis venu à considérer que le meilleur d'un auteur1 provient, non pas de ses idées conscientes, mais des impulsions et de ses bévues » (p. 252). C'est vrai pour tout écrivain, mais encore plus pour Card, qui écrit des histoires de péché et de châtiment dans lesquelles le péché et les pécheurs sont souvent les éléments les plus prenants. Prenons par exemple deux des textes forts du volume, « Les Euménides dans les toilettes du quatrième » et « Les chants du sépulcre ». Dans le premier, dont on peut regretter qu'il n'ouvre pas ici le livre comme c'était le cas dans l'édition originale, un homme est puni pour ses actes sexuels envers sa fille adolescente2. Dans le deuxième, un psychothérapeute tombe amoureux d'une adolescente gravement handicapée (elle a perdu ses quatre membres) qui imagine un dialogue télépathique avec un pilote de vaisseau spatial. Ou est-ce seulement son imagination ? Peu importe, car la focalisation émotionnelle est sur cette relation presque aussi incestueuse (certes platonique), mais pas d'une nature différente de celle qui est châtiée dans « Les Euménides… » Et ça, Card ne l'a sans doute pas tramé consciemment.

Peurs, mais aussi inquiétudes et frustrations (suis-je un mauvais écrivain ? Pourquoi suis-je obèse ?) se retrouvent de façon plus ou moins ouvertes, plus ou moins crédibles dans le reste de ce recueil, qui n'est jamais ennuyeux (à la différence des suites gonflées de certaines séries), et finalement très varié dans ses situations. Ne manquez pas ce recueil, et n'oubliez pas les suivants, surtout le quatrième.

Notes :

1. En fait, Card utilise le mot « storyteller », qui a des connotations bien différentes et correspond à « raconteur ».

2. Notons à ce propos que la traduction omet une phrase-clé : p. 67, à la fin du troisième paragraphe, après « Et le visage de Rhiannon » (qu'il vient de dessiner), il y avait dans le texte original « Mais pour sa fille Rhiannon, il ne put pas s'arrêter au visage ».

eXistenZ

Allegra Geller est une vedette du monde des jeux de réalité virtuelle, et quand son employeur, Antenna Research, organise une séance de test de son prochain produit, eXistenZ, les clients se bousculent pour profiter de l'essai gratuit. Hélas, parmi eux se glisse un terroriste qui en veut à la vie de Geller, et celle-ci, blessée, s'échappe en compagnie d'un vigile stagiaire, Ted Pikul. Commence alors une équipée bizarre, dans une campagne truffée de personnages inquiétants, puis dans la virtualité du jeu, car — explique Geller — il faut absolument jouer pour préserver la santé de la cellule de jeu, ordinateur organique unique et infiniment précieux.

On s'en doute, les niveaux emboîtés de réalité virtuelle vont finir par se brouiller, et la plongée (déjà passablement incontrôlée) du couple de protagonistes va virer au cauchemar. L'intérêt premier du film de Cronenberg ne réside pas à mon sens dans ce jeu sur le réel qui, pour n'être pas mal fait, ne surprendra pas le lecteur accoutumé à Philip Dick… ou même Christopher Priest ! Le sel du film réside plutôt dans l'usage de machinerie à base organique : les cellules de jeu construites à partir de systèmes nerveux de batraciens mutants, le pistolet du terroriste, assemblage d'os de rat qui tire des dents en guise de balles. L'effet est visuel avant tout, et Cronenberg est coutumier du procédé — voir Videodrome, un film de 1982 où intervenaient des ingrédients bien similaires. Et, comme dans Videodrome, une bonne partie de la tension du jeu (et du film) est sexuelle : Geller exerce sur Pikul une séduction qui tient à son physique et à sa notoriété, et la connexion au système informatique du jeu se fait par la pénétration d'un câble organique dans le bioport, un orifice ménagé à la base de la colonne vertébrale. Très efficaces en film, ces éléments passent moins bien par l'écrit.

L'écriture du roman du film est un exercice toujours périlleux, à cause du décalage entre les effets émotionnels produits par l'image et par le texte. Priest s'est ici attelé à la besogne avec application, mais sans transcender ce qui reste un descriptif minutieux du film, sans apporter de profondeur nouvelle. Lisible, mais je ne vois pas l'intérêt — mieux vaut voir le film, ou la cassette vidéo qui ne manquera pas de sortir. On se demande comment un écrivain du talent de Priest s'est fourvoyé dans cette entreprise — il faut croire qu'il avait besoin d'argent…

Croisière sans escale

Sans être aussi connu que Fondation ou Demain les chiens, ce livre vieux de 40 ans mérite de figurer parmi les classiques de la SF et sa réédition est bienvenue. Aldiss a brillamment exploité une idée très présente dans la SF des années 40 à 60 — celle du vaisseau stellaire lancé dans un voyage long de plusieurs générations, et dont les occupants perdent et le souvenir de leur mission, et les connaissances nécessaires à maîtriser leur environnement (un exemple plus récent est fourni par le cycle du Long Soleil de Gene Wolfe.) Pas de space opera flamboyant ici, mais déjà un regard plus pessimiste, une obsession de l'enfermement, et — SF britannique oblige — un goût pour la catastrophe.

Roy Complain, donc, est un modeste chasseur d'une tribu des couloirs, qui vit du gibier, de l'élevage et de la récolte des poniques qui poussent à foison dans leur quartier. Un concours de circonstances lui fait quitter les siens en compagnie d'un quatuor de célibataires mal adaptés, et découvrir au terme d'un éprouvant voyage dans les Mortes-Voies la tribu moins primitive de l'Avant. Au passage, il frôlera les êtres semi-légendaires qui hantent le vaisseau, Géants, Hors-Venus, et des hordes de rats décidément trop malins…

On se lasse vite de la vie et des combats d'une tribu primitive au sein d'un univers technologique dégradé et incompris. Aldiss sait relancer l'intérêt grâce aux êtres étranges rencontrés par Complain et ses compagnons, et les révélations sur le sort du Vaisseau qui se succèdent en fin de volume. L'explication de la plongée dans l'ignorance de l'équipage de départ a un petit goût de maladie « de la vache folle » — fortuit mais amusant. Surtout, les coutumes des tribus sont colorées par une religion démente, à base de psychanalyse mal digérée, prônant la libération des instincts colériques. Comme allégorie grinçante de la bestialité humaine, Croisière sans escale conserve aujourd'hui beaucoup de son originalité.

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