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Pékin 2050

Yuwen Wanghu, poète, va recevoir le prix Nobel de littérature d’ici quelques jours. Mais, sans raison apparente, il met fin à ses jours avant cette consécration. Li Pulei, son ami, essaie de saisir le sens de ce geste. Ne lui reste qu’un message : « Je m’arrête ici. Prends soin de toi.  » C’est peu. Heureusement, pour mener son enquête, Li Pulei est aidé, en principe, par les progrès technologiques. En Chine, en 2050, le téléphone est un « Âme-phone » (belle trouvaille !) et une majorité de personnes sont connectées, grâce à une puce implantée à l’âge de douze ans dans le cerveau, à une « Communauté de Conscience ». Cela permet d’échanger tout ce que l’on a vécu, car tout ce que l’on regarde, entend, sent, vit, peut être enregistré et transmis – un peu comme dans «  La vérité du fait, la vérité de l’émotion », nouvelle de Ted Chiang incluse dans le recueil Expiration. Ainsi, Li Pulei peut examiner la découverte du corps par les policiers. Néanmoins, il reste possible de se couper, par moments, de cette communauté. Or, Yuwen Wanghu avait stoppé sa connexion, ce qui fait que Li Pulei ne peut voir les derniers jours, ni l’instant du suicide.

Après avoir assisté à l’enterrement (qui détonne du reste du roman et rappelle, par ses paysages d’inspiration mongole, « Retour à n’dau  » de Kij Johnson), Li Pulei reprend son enquête et découvre rapidement l’existence d’un lien très fort entre son ami et la société à l’origine de l’invention de cette puce : Empire & Culture, dirigée par un homme surnommé par tous et en toute modestie l’Empereur. Il va donc devoir creuser dans les méandres de cette entreprise, gigantesque, tentaculaire, aux buts peu clairs. Et quel rapport avec la chose écrite, la publication de livres, qui est en voie de disparition dans cette nation digitalisée ? Ce thème de l’emprise d’une entité sur une nation, sur un ensemble d’individus fait évidemment penser au récent Gnomon. Mais dans ce roman, Nick Harkaway évoque une société dominée par une IA réputée bienveillante et juste, tandis que dans Pékin 2050, rien n’est organisé au niveau d’un État. La manipulatrice n’est autre qu’une entreprise privée : pas de direction affichée, à part, bien sûr, les profits. Sans oublier la vision de l’Empereur, partagée seulement avec des très proches. Et que le lecteur découvrira dans une confrontation finale éclairante…

L’auteur ne cache pas ses sources artistiques, au contraire, il les affiche même. Il cite Matrix que l’on retrouve dans le compte à rebours final, mais aussi dans les caractères chinois qui défilent, parfois, sur le décor ; ou The Truman Show, pour cette idée de manipulation des vies de certains individus, encore présente dans « Les Ruines circulaires » de Borges : notre vie nous appartient-elle ou est-elle est décidée par un autre ? Que pouvons-nous choisir ? Quelles libertés nous reste-t-il ? Et la littérature, les mots écrits, peuvent-ils nous aider à nous affranchir des contraintes ? Sont-ils les clefs de la prison ?

La force de Pékin 2050 n’est pas l’originalité des thèmes brassés, mais leur nombre et leur intrication, ainsi que la profondeur des réflexions. Cela, tout en restant accessible et aisé à lire. Car Li Hongwei raconte une véritable enquête, sans nous assener son point de vue brutalement. En suivant le raisonnement de son protagoniste, avec ses errements, ses revirements et ses doutes, il propose plusieurs idées et avis sur les sujets abordés et permet ainsi au lecteur de se faire une opinion réfléchie, solide. Sur le monde qui nous entoure et sur celui qui semble devoir nous être imposé, plus riche en communications, mais aussi, sans doute, moins libre. Une lecture éminemment recommandable, donc.

L’Appel des grands cors

Tout s’effondre pour les Chevauche-Brumes dans cet ultime roman de la trilogie éponyme initiée en 2019 (et chroniquée dans nos 95e et 99e livraisons). Nos héros, diminués, ne savent où donner de la tête. Et Jerod, le mage aux pouvoirs autrefois si puissants, en est réduit à retrouver la cathédrale noire en espérant y dénicher une clé à cette situation catastrophique. Catastrophique, oui, car les Humains, au lieu de s’unir face au péril phénoménal des mélampyges, se divisent. Juxs, l’Enochdil, a définitivement pris le pouvoir sur le Roy et donc sur les armées du Bleu-Royaume. La menace monstrueuse ne l’inquiète pas : seule l’annihilation de l’hérésie lui importe. Dans son délire de pureté, il laisse de côté les signes annonciateurs du désastre et mène ses troupes à l’assaut des armées d’Hondelbert, surnommé « la Muraille », bien conscient, lui, du sort qui menace l’humanité. Que pourront les quelques Chevauche-Brumes face à cette mécanique implacable ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Thibaud Latil-Nicolas ne recule devant rien pour entrainer son lecteur : que de batailles, que de retournements de situation, que d’aventures ! Ce dernier tome est particulièrement réussi et ferait presque regretter la fin de cette saga (presque, car rien de pire qu’une série qui se prolonge dans l’étiolement). Mais c’est une fin en feu d’artifice ! Tout se met en place dès les premières pages pour un affrontement final mémorable, et l’on n’est pas déçu. Mais attention, l’auteur ne glorifie pas la guerre, il ne la place pas, rutilante, sur un piédestal. Non, si le Verbe est fort et riche, il ne magnifie pas les combats, ne les esthétise jamais. Au contraire, il renforce leur violence, leur monstruosité, leur côté implacable. Thibaud Latil-Nicolas use de la langue française et de son vocabulaire varié pour créer des images puissantes à même de marquer les esprits. Il sait ne pas se montrer pompeux, évite les passages boursouflés. Ses descriptions sont belles et efficaces, originales. Trouvant le point d’équilibre entre narration pure et contemplation, il se permet – et ainsi permet au lecteur – de prendre la mesure de la situation, de s’immerger dans un paysage, de rencontrer des personnages sans trop ralentir l’action, épargnant à son lecteur de longues envolées lyriques inutiles, voire pénibles. Son style est agréable et parlant. Il sert l’histoire sans être transparent.

De plus, cet auteur aime ses personnages, c’est évident. Et de fait, il sait les faire aimer. Sans hésiter pour autant à leur faire subir des sorts peu enviables – de la mort à la torture la plus infâme. Plusieurs dizaines de pages consacrées à la caractérisation de personnages parfois brutalement réduits à néant ; un crève-cœur pour le lecteur, tant il avait su rendre ces derniers sympathiques, attachants, vivants. Il en va d’ailleurs de même pour les figures détestables ; Latil-Nicolas déploie un talent inchangé pour imaginer des êtres si repoussants qu’on s’en trouve presque soulagés lors de leur décès. Le monde dans lequel il nous invite transpire, sent l’oignon macéré, crie et rote, pleure et se réjouit. Il existe, pleinement, emplit les sens du lecteur.

Ceux qui n’ont pas encore abordé cette trilogie feraient bien d’y songer, d’oublier les faiblesses du premier tome pour se laisser emporter par cette fougue imagée, cette force évocatrice – ce souffle, ni plus ni moins. Les autres devront attendre les prochains romans de Thibaud Latil-Nicolas, une plume à suivre, nécessairement.

Liens de sang

Octavia E. Butler a écrit Kindred en 1979. Le roman a été publié en français sous le titre Liens de sang chez Dapper Littérature en 2000. Il est réédité en 2021 au Diable Vauvert dans une traduction révisée. On s’en réjouit.

« J’ai perdu un bras en rentrant de mon dernier voyage. » C’est sur cet incipit que s’ouvre l’histoire de Dana, femme noire américaine vivant avec Kevin, homme blanc américain, en Californie en 1976. Il se sont mariés contre l’avis de leurs familles. Dana et Kevin sont tous deux écrivains et leur situation financière est précaire. Quittant les loyers trop élevés de Los Angeles, ils déménagent pour s’installer dans une petite maison à quelques kilomètres de là. À peine installée, le jour de son vingt-sixième anniversaire, Dana est prise d’un malaise et s’évanouit… dans l’espace et le temps. Elle ouvre les yeux pour voir devant elle un enfant, blanc et roux, se noyer dans une rivière. Elle le sauve mais la mère de l’enfant la roue de coups. Dana revient à elle dans sa maison, auprès de Kevin. Quelques secondes se sont écoulées. Dès le lendemain, Dana est prise d’un nouveau malaise et se retrouve devant le même enfant, un peu plus âgé. Il se nomme Rufus Weylin, vit en 1815 dans une plantation du Maryland et est le fils unique d’un propriétaire d’esclaves. Le temps de quelques jours de 1976, Dana va subir de nombreux sauts temporels et vivre plusieurs jours, mois, puis années dans la plantation Weylin, parmi les esclaves puisque c’est la place que sa couleur de peau lui réserve. Elle y découvrira ses racines familiales.

Liens de sang est un chef-d’œuvre, et on le comprend dès les premières pages. C’est un roman puissant et réaliste, habité de nombreux personnages qui ne se réduisent jamais à une fonction romanesque. Ils possèdent un passé, un avenir, une psychologie, des souffrances et des peurs. Le génie d’Octavia E. Butler est, par le jeu du voyage dans le temps, de confronter une pensée moderne, celle du xxe siècle, celle de Dana et de Kevin, à celle du xixe, celle de Rufus et son père, mais aussi celle d’Alice, de Sarah, de Luke, de Nigel, de Carrie et de tous les esclaves côtoyés. Contrairement à Kevin, qui fera aussi partie du voyage, Dana n’est pas en position de rester spectatrice du passé esclavagiste de son pays. Elle en fait partie intégrante. Sa relation à Rufus illustre toute la complexité de la dynamique de dépendance au sein des rapports de pouvoir. L’histoire de l’esclave est l’histoire de la domination. Celle-ci est construite sur des relations complexes au sein d’un système d’oppression dont l’autrice met en lumière les mécanismes et qu’elle compare à un totalitarisme. Le fouet marque autant les chairs que les esprits. La violence, inouïe, s’exprime à tous les niveaux des interactions humaines.

Ce roman, difficile mais brillant, est porté par une écriture tranchante, droite, directe. Il n’y a pas un mot de trop, pas un qui manque. Octavia E. Butler ne fait ni détour ni raccourci, mais dit exactement ce qui doit être dit, de la première à la dernière phrase. Il faut lire Liens de sang.

Cinquante-trois présages

Une nouvelle religion est apparue sur Terre, La Multitude, laquelle, contrairement aux autres monothéismes, a des effets concrets sur la population, croyante ou non. L’entité originelle s’est fractionnée, désagrégée selon le terme officiel, en multiples individualités, désignés par un numéro. La Multitude ne renvoie pas à un au-delà, ne juge rien ni ne se réfère à une orthodoxie, sauf peut-être les Dieux Rouges, les plus violents et craints, que désapprouvent les autres entités. Ils peuvent en effet, très arbitrairement, décider de se débarrasser de leurs représentants sans raison valable, assassinés par leurs exécutants, les Bourreaux, tandis que leurs homologues s’opposent à toute forme de meurtre comme au tort fait aux animaux. Une Fédération chapeaute les Bureaux de prière disséminés à travers le pays où se présentent croyants et non-croyants avec des doléances diverses auprès des Désignés, représentants officiels des divinités bénéficiaires d’un pouvoir particulier, et de leurs employés.

La Désignation se manifeste par des fièvres, vomissements et maux de tête très coercitifs, atténués dans le cas Raylee Mire, au comportement rebelle voire asocial, par une grosse consommation de cannabis qui repousse l’emprise mentale de la divinité. Désignée du dieu Dix-neuf, elle a le pouvoir d’envoyer dans Prime, un ailleurs indéfini, ceux qui ont envie de disparaître un temps. Elle dispose aussi du don de micro-perception, soit la conscience de tout être vivant dans l’environnement proche, insectes et araignées compris, des pensées des gens ainsi que d’une foule de détails. Des visions l’informent sur certaines situations ou ce qu’elle doit faire. Une Désignation est un calvaire qui empêche d’avoir une activité normale. Raylee est employée par la Fédération dans un Bureau proche de Cherbourg pour un salaire de misère où elle reçoit les visiteurs qui lui exposent leurs problèmes, qui donnent une palette assez représentative des maux de la société actuelle. Autre effet secondaire, aucun dispositif électronique sans-fil ne fonctionne à proximité d’elle, ce qui présente autant davantages que d’inconvénients avec parfois des situations cocasses.

Par l’intermédiaire du lieutenant Hassan Bechry et de sa taupe, l’Observatoire européen des divinités, une officine de la police, s’intéresse de plus en plus à Raylee, suspectée d’être responsable des disparitions, et peut-être de meurtres.

On se demande dans un premier temps quel est intérêt de ce roman qui semble partir dans toutes les directions, sinon celui d’élucider une situation àa priori incongrue, où des dieux lovecraftiens opèrent au grand jour sans que cela émeuve ni étonne grand monde.

Raylee est la principale narratrice qui dévoile au fil des besoins les rouages de cet univers proprement fantastique, récit augmenté de passages centrées sur les enquêteurs, mais aussi d’e-mails et de comptes-rendus d’entretiens, de notes de service et même de poèmes, délivrant une multiplicité de points de vue sur la société et ses maux. Les allers et retours suivent un fil thématique, sans cependant gêner la progression du récit.

Polar par certains côtés, fantastique par d’autres, avec quelques touches de science-fiction, ce patchwork a toutes les allures d’un roman social pas comme les autres. De multiples détails glissés subrepticement renvoient en effet à une actualité récente, autour de mesures sociales, de violences policières, de la féminisation parfois absurde des mots, des pétitions et manifestations variées, de l’anti-avortement à la fermeture des parcs aquatiques. Se dessine en arrière-plan une société pétrie de contradictions et sans perspectives, aussi fragmentée que les divinités, où l’individualisme forcené et la liberté d’expression désordonnée faisant désormais office de religion, chacun confit dans sa vérité désormais sacralisée. Foisonnant et cohérent, une bonne surprise au final.

Hors-série Une Heure-Lumière 2021

[Critique commune à À dos de crocodile, Toutes les saveurs et le hors-série UHL 2021]

Pour la quatrième année consécutive, la collection « Une heure-lumière » publie un hors-série à l’occasion de ses parutions du printemps, ouvrage offert pour l’achat de deux titres de la collection. Il s’agit d’une catalogue de la collection, avec couverture et résumé, agrémenté d’une novelette inédite de Greg Egan et d’une introduction d’Olivier Girard qui réaffirme à cette occasion l’intérêt qu’il porte à Greg Egan, repéré par Francis Valéry et Sylvie Denis et dont sa maison d’édition s’est fait le promoteur, rappelant à travers ses titres emblématiques la place qu’il occupe au sein de la science-fiction.

« Un Château sous la mer », donc, au cœur dudit hors-série, est un récit bien dans la manière eganienne autour d’un concept étourdissant avec une forte dimension humaine, riche en clins d’œil et références de tous ordres, mais surtout littéraires, de Zola à Proust et d’abord Dostoïevski : quatre frères, Caius, Rufus, Silus et Linus, des quadruplets, référence mathématique bien nommée, partagent les mêmes souvenirs grâce à un lien neuronal, suite aux tentatives d’une secte, Physalia, autre détail signifiant, pour constituer une ruche d’esprits au service d’un dangereux mentor. Si la secte a été démantelée, les frères libérés ont gardé le lien neurologique qui les soude, un lien très fort malgré la distance de leurs habitats respectifs. Mais Silus a disparu, ce qui rompt leur unité puisque les trois autres ne retrouvent pas ses souvenirs au réveil. L’enquête, sur le mode policier, se poursuit à Paris, à HEC, jusqu’à révéler le fond de l’affaire, avec un final renversant. Les conséquences particulièrement originales du lien neuronal sont analysées avec finesse et intelligemment mises en scène à travers les interactions entre les quatre frères aux prénoms en us, symbole d’un « nous » qui peut révéler davantage de surprises qu’il n’y paraît. Un texte excellent !

À dos de crocodile abandonne le registre des technosciences pour des sommets plus philosophiques : dans l’Amalgame, une société galactique composée de milliers d’espèces évoluées, Leila et Jasim, âgés de milliers d’années, ont décidé de mourir après avoir accompli quelque chose de grandiose. Pour des quasi-
immortels capables de se dupliquer à l’infini le temps de réaliser une tâche de très longue haleine, et se déplaçant d’ailleurs de façon conventionnelle sur des milliers d’années, trouver un projet n’est pas évident. Aussi jettent-ils leur dévolu sur une énigme plus que millénaire, jamais résolue, concernant l’exploration du bulbe central de la galaxie : aucune tentative n’a jamais permis à quiconque de voir ou seulement deviner ce qui s’y trouve, ses habitants, dont on ignore tout, refusant tout contact. Les sondes envoyées cessent d’émettre à l’approche et reviennent, intactes. Jusqu’à ce que Leila et Jasim trouvent un moyen qui nécessite une longue mise en place, laquelle comporte des risques qui ne sont pas ceux qu’ils auraient pu imaginer… Plusieurs thèmes s’emboîtent astucieusement dans ce récit raconté avec élégance, celui du rapport entre satisfaction et insatisfaction, laquelle rejoint l’infini dans la mesure où chaque réponse amène de nouvelles questions, celui du sens de la vie quand tout a été vécu, celui des liens entre les êtres qui les unit autant qu’il les définit, la novella abordant à son tour, à sa manière, la notion de lien entre individus, sur les choix, enfin, qui tracent des chemins et dont l’histoire centrale se fait la métaphore. Le résultat de la quête, pour le moins inattendu, ramasse l’ensemble de ces questions non sans émotion. Sur ce versant métaphysique, Greg Egan se révèle également un auteur d’exception !

Toutes les saveurs de Ken Liu, autre auteur très apprécié au Bélial’, marie tout en finesse la mythologie chinoise et celle d’un pan de l’Histoire des États-Unis, loin des images d’Épinal cristallisées dans le western. Après avoir assisté à un incident sanglant entre des Chinois chercheurs d’or et deux anglo-saxons, voyous notoires, cherchant à les déposséder de leur bien, Lily Seaver se familiarise avec le groupe, par ailleurs locataire des baraques de son père, également propriétaire du magasin de fournitures de cette localité minière de l’Idaho. Attentif à sa fille, le père s’initie avec elle à la culture chinoise au travers de leurs jeux, des chants, des aliments et de boissons alcoolisées, chacun découvrant par ce biais les diverses saveurs de la culture de l’autre, agréables ou déplaisantes, apprenant à ne pas porter de jugement ni faire de généralisation… L’auteur de L’Homme qui mit fin à l’Histoire illustre ici au moyen de maintes histoires la rencontre de deux communautés apprenant à se connaître, à s’apprécier, et à faire front contre ceux qui, au nom de leurs préjugés, campent sur leurs positions, tandis que s’ouvre un procès qui ne peut qu’être défavorable aux Chinois. Les divers cas de figure offrent une palette très large, où l’emporte la tolérance et la résilience. Tout passe par les anecdotes ainsi que les contes de Guan Yu, le dieu chinois de la guerre, dont Lao Guan, un géant barbu, régale la jeune fille, sans qu’il soit possible de savoir si ce dernier emprunte ses souvenirs aux légendes de son pays ou s’il transforme ses expériences vécues en légendes. C’est avec beaucoup de fraîcheur et d’élégance que Ken Liu aborde en filigrane un pan tragique de l’Histoire de sa patrie d’adoption. Une réussite totale.

Toutes les saveurs

[Critique commune à À dos de crocodile, Toutes les saveurs et le hors-série UHL 2021]

Pour la quatrième année consécutive, la collection « Une heure-lumière » publie un hors-série à l’occasion de ses parutions du printemps, ouvrage offert pour l’achat de deux titres de la collection. Il s’agit d’une catalogue de la collection, avec couverture et résumé, agrémenté d’une novelette inédite de Greg Egan et d’une introduction d’Olivier Girard qui réaffirme à cette occasion l’intérêt qu’il porte à Greg Egan, repéré par Francis Valéry et Sylvie Denis et dont sa maison d’édition s’est fait le promoteur, rappelant à travers ses titres emblématiques la place qu’il occupe au sein de la science-fiction.

« Un Château sous la mer », donc, au cœur dudit hors-série, est un récit bien dans la manière eganienne autour d’un concept étourdissant avec une forte dimension humaine, riche en clins d’œil et références de tous ordres, mais surtout littéraires, de Zola à Proust et d’abord Dostoïevski : quatre frères, Caius, Rufus, Silus et Linus, des quadruplets, référence mathématique bien nommée, partagent les mêmes souvenirs grâce à un lien neuronal, suite aux tentatives d’une secte, Physalia, autre détail signifiant, pour constituer une ruche d’esprits au service d’un dangereux mentor. Si la secte a été démantelée, les frères libérés ont gardé le lien neurologique qui les soude, un lien très fort malgré la distance de leurs habitats respectifs. Mais Silus a disparu, ce qui rompt leur unité puisque les trois autres ne retrouvent pas ses souvenirs au réveil. L’enquête, sur le mode policier, se poursuit à Paris, à HEC, jusqu’à révéler le fond de l’affaire, avec un final renversant. Les conséquences particulièrement originales du lien neuronal sont analysées avec finesse et intelligemment mises en scène à travers les interactions entre les quatre frères aux prénoms en us, symbole d’un « nous » qui peut révéler davantage de surprises qu’il n’y paraît. Un texte excellent !

À dos de crocodile abandonne le registre des technosciences pour des sommets plus philosophiques : dans l’Amalgame, une société galactique composée de milliers d’espèces évoluées, Leila et Jasim, âgés de milliers d’années, ont décidé de mourir après avoir accompli quelque chose de grandiose. Pour des quasi-
immortels capables de se dupliquer à l’infini le temps de réaliser une tâche de très longue haleine, et se déplaçant d’ailleurs de façon conventionnelle sur des milliers d’années, trouver un projet n’est pas évident. Aussi jettent-ils leur dévolu sur une énigme plus que millénaire, jamais résolue, concernant l’exploration du bulbe central de la galaxie : aucune tentative n’a jamais permis à quiconque de voir ou seulement deviner ce qui s’y trouve, ses habitants, dont on ignore tout, refusant tout contact. Les sondes envoyées cessent d’émettre à l’approche et reviennent, intactes. Jusqu’à ce que Leila et Jasim trouvent un moyen qui nécessite une longue mise en place, laquelle comporte des risques qui ne sont pas ceux qu’ils auraient pu imaginer… Plusieurs thèmes s’emboîtent astucieusement dans ce récit raconté avec élégance, celui du rapport entre satisfaction et insatisfaction, laquelle rejoint l’infini dans la mesure où chaque réponse amène de nouvelles questions, celui du sens de la vie quand tout a été vécu, celui des liens entre les êtres qui les unit autant qu’il les définit, la novella abordant à son tour, à sa manière, la notion de lien entre individus, sur les choix, enfin, qui tracent des chemins et dont l’histoire centrale se fait la métaphore. Le résultat de la quête, pour le moins inattendu, ramasse l’ensemble de ces questions non sans émotion. Sur ce versant métaphysique, Greg Egan se révèle également un auteur d’exception !

Toutes les saveurs de Ken Liu, autre auteur très apprécié au Bélial’, marie tout en finesse la mythologie chinoise et celle d’un pan de l’Histoire des États-Unis, loin des images d’Épinal cristallisées dans le western. Après avoir assisté à un incident sanglant entre des Chinois chercheurs d’or et deux anglo-saxons, voyous notoires, cherchant à les déposséder de leur bien, Lily Seaver se familiarise avec le groupe, par ailleurs locataire des baraques de son père, également propriétaire du magasin de fournitures de cette localité minière de l’Idaho. Attentif à sa fille, le père s’initie avec elle à la culture chinoise au travers de leurs jeux, des chants, des aliments et de boissons alcoolisées, chacun découvrant par ce biais les diverses saveurs de la culture de l’autre, agréables ou déplaisantes, apprenant à ne pas porter de jugement ni faire de généralisation… L’auteur de L’Homme qui mit fin à l’Histoire illustre ici au moyen de maintes histoires la rencontre de deux communautés apprenant à se connaître, à s’apprécier, et à faire front contre ceux qui, au nom de leurs préjugés, campent sur leurs positions, tandis que s’ouvre un procès qui ne peut qu’être défavorable aux Chinois. Les divers cas de figure offrent une palette très large, où l’emporte la tolérance et la résilience. Tout passe par les anecdotes ainsi que les contes de Guan Yu, le dieu chinois de la guerre, dont Lao Guan, un géant barbu, régale la jeune fille, sans qu’il soit possible de savoir si ce dernier emprunte ses souvenirs aux légendes de son pays ou s’il transforme ses expériences vécues en légendes. C’est avec beaucoup de fraîcheur et d’élégance que Ken Liu aborde en filigrane un pan tragique de l’Histoire de sa patrie d’adoption. Une réussite totale.

À dos de crocodile

[Critique commune à À dos de crocodile, Toutes les saveurs et le hors-série UHL 2021]

Pour la quatrième année consécutive, la collection « Une heure-lumière » publie un hors-série à l’occasion de ses parutions du printemps, ouvrage offert pour l’achat de deux titres de la collection. Il s’agit d’une catalogue de la collection, avec couverture et résumé, agrémenté d’une novelette inédite de Greg Egan et d’une introduction d’Olivier Girard qui réaffirme à cette occasion l’intérêt qu’il porte à Greg Egan, repéré par Francis Valéry et Sylvie Denis et dont sa maison d’édition s’est fait le promoteur, rappelant à travers ses titres emblématiques la place qu’il occupe au sein de la science-fiction.

« Un Château sous la mer », donc, au cœur dudit hors-série, est un récit bien dans la manière eganienne autour d’un concept étourdissant avec une forte dimension humaine, riche en clins d’œil et références de tous ordres, mais surtout littéraires, de Zola à Proust et d’abord Dostoïevski : quatre frères, Caius, Rufus, Silus et Linus, des quadruplets, référence mathématique bien nommée, partagent les mêmes souvenirs grâce à un lien neuronal, suite aux tentatives d’une secte, Physalia, autre détail signifiant, pour constituer une ruche d’esprits au service d’un dangereux mentor. Si la secte a été démantelée, les frères libérés ont gardé le lien neurologique qui les soude, un lien très fort malgré la distance de leurs habitats respectifs. Mais Silus a disparu, ce qui rompt leur unité puisque les trois autres ne retrouvent pas ses souvenirs au réveil. L’enquête, sur le mode policier, se poursuit à Paris, à HEC, jusqu’à révéler le fond de l’affaire, avec un final renversant. Les conséquences particulièrement originales du lien neuronal sont analysées avec finesse et intelligemment mises en scène à travers les interactions entre les quatre frères aux prénoms en us, symbole d’un « nous » qui peut révéler davantage de surprises qu’il n’y paraît. Un texte excellent !

À dos de crocodile abandonne le registre des technosciences pour des sommets plus philosophiques : dans l’Amalgame, une société galactique composée de milliers d’espèces évoluées, Leila et Jasim, âgés de milliers d’années, ont décidé de mourir après avoir accompli quelque chose de grandiose. Pour des quasi-
immortels capables de se dupliquer à l’infini le temps de réaliser une tâche de très longue haleine, et se déplaçant d’ailleurs de façon conventionnelle sur des milliers d’années, trouver un projet n’est pas évident. Aussi jettent-ils leur dévolu sur une énigme plus que millénaire, jamais résolue, concernant l’exploration du bulbe central de la galaxie : aucune tentative n’a jamais permis à quiconque de voir ou seulement deviner ce qui s’y trouve, ses habitants, dont on ignore tout, refusant tout contact. Les sondes envoyées cessent d’émettre à l’approche et reviennent, intactes. Jusqu’à ce que Leila et Jasim trouvent un moyen qui nécessite une longue mise en place, laquelle comporte des risques qui ne sont pas ceux qu’ils auraient pu imaginer… Plusieurs thèmes s’emboîtent astucieusement dans ce récit raconté avec élégance, celui du rapport entre satisfaction et insatisfaction, laquelle rejoint l’infini dans la mesure où chaque réponse amène de nouvelles questions, celui du sens de la vie quand tout a été vécu, celui des liens entre les êtres qui les unit autant qu’il les définit, la novella abordant à son tour, à sa manière, la notion de lien entre individus, sur les choix, enfin, qui tracent des chemins et dont l’histoire centrale se fait la métaphore. Le résultat de la quête, pour le moins inattendu, ramasse l’ensemble de ces questions non sans émotion. Sur ce versant métaphysique, Greg Egan se révèle également un auteur d’exception !

Toutes les saveurs de Ken Liu, autre auteur très apprécié au Bélial’, marie tout en finesse la mythologie chinoise et celle d’un pan de l’Histoire des États-Unis, loin des images d’Épinal cristallisées dans le western. Après avoir assisté à un incident sanglant entre des Chinois chercheurs d’or et deux anglo-saxons, voyous notoires, cherchant à les déposséder de leur bien, Lily Seaver se familiarise avec le groupe, par ailleurs locataire des baraques de son père, également propriétaire du magasin de fournitures de cette localité minière de l’Idaho. Attentif à sa fille, le père s’initie avec elle à la culture chinoise au travers de leurs jeux, des chants, des aliments et de boissons alcoolisées, chacun découvrant par ce biais les diverses saveurs de la culture de l’autre, agréables ou déplaisantes, apprenant à ne pas porter de jugement ni faire de généralisation… L’auteur de L’Homme qui mit fin à l’Histoire illustre ici au moyen de maintes histoires la rencontre de deux communautés apprenant à se connaître, à s’apprécier, et à faire front contre ceux qui, au nom de leurs préjugés, campent sur leurs positions, tandis que s’ouvre un procès qui ne peut qu’être défavorable aux Chinois. Les divers cas de figure offrent une palette très large, où l’emporte la tolérance et la résilience. Tout passe par les anecdotes ainsi que les contes de Guan Yu, le dieu chinois de la guerre, dont Lao Guan, un géant barbu, régale la jeune fille, sans qu’il soit possible de savoir si ce dernier emprunte ses souvenirs aux légendes de son pays ou s’il transforme ses expériences vécues en légendes. C’est avec beaucoup de fraîcheur et d’élégance que Ken Liu aborde en filigrane un pan tragique de l’Histoire de sa patrie d’adoption. Une réussite totale.

Viendra le temps du feu

Voici le troisième roman de Wendy Delorme, jeune autrice engagée. C’est le premier paru aux éditions Cambourakis, dans la collection «?Sorcières?», qui publie des textes féministes. De la science-fiction là-dedans?? Eh bien oui?! De l’anticipation sociale et politique, une réflexion sur les manières de lutter dans un espace politique rétréci au besoin de procréation et de sécurité : telles sont les braises qui se consument dans Viendra le temps du feu, un carburant qui rappelle certains thèmes classiques de la littérature dystopique. Dans cet univers clos, les livres – enfin, les histoires bon marché standardisées – se vendent au poids et le mot d’ordre national est simple et dur comme le roc  : il faut contribuer (enfanter) ou accepter la déchéance et le mépris social.

Là n’est pourtant pas le cœur du propos – c’en est la toile de fond. Les façons de résister à une telle situation, voilà ce qui intéresse Wendy Delorme. C’est à partir de là qu’elle laisse l’histoire se constituer, et c’est aussi ce qui lui inspire ses personnages. Et bien qu’ils incarnent profondément leurs combats, ceux-ci ne sont pas que de simples arguments. Pour les animer, l’autrice leur donne voix tour à tour, créant ainsi un récit où dialoguent de multiples perspectives.

Il y a d’abord Ève et sa fille. Fantômes cachés dans la Cité, elles tentent de vivre une existence normale et discrète. Par amour, la première a quitté une communauté de femmes, des sœurs qui fabriquaient une autre voie au-delà de la rivière. Mais son geste et ce mensonge permanent lui coutent cher, au point de la faire sombrer dans la folie. Il y a aussi Louise, jeune adulte rebelle qui refuse d’entrer dans le rôle de contributrice. Elle adopte une stratégie de camouflage : employée dans un supermarché le jour, elle observe les mères fatiguées acheter de mornes denrées à coup de coupons (plus d’argent qui vaille, dans cette société qui a subi une catastrophe dont on ne saura presque rien). La nuit, elle danse dans un night-club pour hommes. Une discothèque que fréquente justement son petit ami de façade (mais véritable ami) Raphaël, ainsi que ses compagnons d’aventure : Paul, le philosophe trans, Louis, le tenancier du bar (une ancienne librairie), Samuel, l’amant de Raphaël, Lilian et Thamar. Ceux-ci se nomment les uraniens et développent une stratégie d’insurrection. Plus direct, leur mode d’action implique d’incendier les âmes, tout autant que les bâtiments publics… Enfin, il y a les représentantes de cette communauté pacifiste, Grâce et Rosa notamment, qui clament haut leur différence, au risque de voir leur projet détruit par le pouvoir établi…

Comment tous ces personnages se combineront-ils?? Seront-ils capables de faire jaillir des flammes un avenir?? Tel est l’enjeu de ce très bel ouvrage au style soigné et à la force douce, qui interroge les craintes et les espoirs de la société contemporaine.

L'Examen

Après sa trilogie des « Dossier Thémis » (cf. notre critique mitigée dans le Bifrost n°93), Sylvain Neuvel revient avec une novella, à l’origine prévue pour une série de livres estampillés Black Mirror outre-Manche.

Idir est un Iranien tirant vers la cinquantaine. Il a fui Téhéran avec son épouse et ses deux enfants ; une famille de confession musulmane qui inspire respect et confiance. Intégré depuis plusieurs années dans la banlieue londonienne, ce dentiste sans histoires doit néanmoins effectuer un examen pour garantir, à ses proches et à lui-même, le droit de demeurer sur le sol britannique. Il s’agit de passer une épreuve auprès du bureau de l’immigration en répondant à une série de questions en 45 minutes. Idir s’exécute de bonne grâce : il veut à tout prix gagner sa citoyenneté. Surgit alors un commando armé de terroristes, dans l’édifice d’abord, puis dans la salle où l’épreuve a lieu. Idir, le brave, l’aidant, cherche d’emblée à venir au secours d’un voisin de banc touché par un coup de carabine. Ce geste, il le payera cher. Repéré par la bande, il se verra propulsé en première ligne des événements, forcé de jouer un rôle dans l’établissement de la terreur.

Les dialogues de L’Examen créent une ambiance électrique où les tensions entre le chef et les otages ne peuvent que dégénérer. On se retrouve par ailleurs immergé, grâce au flux de conscience, dans les sensations et les réflexions en cascade du protagoniste pris au piège. Certaines scènes sont violentes, et c’est bien de la transmission de la haine que l’auteur semble avoir voulu parler. Il y parvient, notamment, en opposant à la force arbitraire cette image de bon samaritain (le livre est dédié «?À tous les gentils?»), et en regardant comment celle-ci évolue dans ce décor bureaucratique défiguré par l’horreur.

Attention, vous n’aurez pas pour autant affaire à un simple thriller avec ce court roman. Il est bel et bien aussi question de science-fiction. Par touches successives, l’ouvrage esquisse plusieurs thématiques classiques du genre, en les nouant de façon subtile dans un avenir qui ne paraît pas si lointain. Insensibilisation des mœurs, intelligence artificielle, contrôle sécuritaire de l’État, mouvements pour les droits civiques et l’environnement qui peuvent se transformer en diktats idéologiques, etc. : tout cela est intelligemment empaqueté et attaché à la question du terrorisme. Sylvain Neuvel donne à voir plutôt qu’il n’explique?; il fait confiance à l’imagination de son lecteur et c’est tout à son honneur.

L’Examen est donc un livre bref qui se consomme d’une traite?; un vrai page-turner. La trame narrative est rudement bien ficelée, les chapitres sont courts et s’enchaînent de façon très efficace. L’évolution est implacable et la fin bouleversante?; du moins, pour celles et ceux qui ont encore des émotions.

Demain l'écologie !

[Critique commune à Demain, l’écologie ! et Demain, la Commune !]

Avec ces deux nouvelles sorties, la collection « ArchéoSF » poursuit son travail, après des anthologies dédiées notamment aux uchronies (Une autre histoire du monde : 2500 ans d’uchronies) et aux révolutions (Demain, les Révolutions !). Comme son nom l’indique, l’originalité de la démarche consiste à excaver des textes d’anticipation sur des thèmes soit eux-mêmes anciens, soit actuels. Pour la Commune, il s’agit en effet d’aller dénicher des écrits postérieurs à l’événement, ayant la caractéristique de le prolonger par la réflexion et, surtout, l’imagination. Pour l’écologie en revanche, il s’agit plutôt de considérer l’enjeu environnemental contemporain à la lumière d’un temps où ces questions se formulaient à peine.

De Demain, l’écologie ! on retiendra tout particulièrement les nouvelles « La Fin du monde » de Mérinos (alias Eugène Mouton, 1872), ainsi que « Gaîtés de la semaine. Le bacille-homme » de Grosclaude (1885). La première prévoit le réchauffement climatique d’origine anthropique et annonce, sur un ton badin, la mort de la Terre. La seconde, beaucoup plus courte, se place aussi du point de vue de la planète et considère les tremblements qui la rongent comme une réaction épidermique à l’homme, ce vilain microbe (nous sommes en pleine révolution pastorienne et l’éruption du Krakatoa n’est pas un souvenir lointain). La plupart des autres textes – on ne comprend pas d’ailleurs pas très bien pourquoi en avoir choisi autant du même type – parlent de chasse, à ceci près que le chasseur tue désormais des canards ou des tigres mécaniques…

Demain, la Commune ! nous livre également quelques beaux épis, mais la moisson est somme toute frugale (pour un lecteur lambda moyennement intéressé aux spécificités de cette époque). À noter aussi qu’ici, les nouvelles sont sensiblement plus longues (d’où la taille du volume). Si on ne devait en retenir qu’un texte, ce serait sans doute la belle fable d’André Léo, « La Commune de Malenpis » (1874). Tissant sa trame sur fond de la récente Commune, l’auteur narre avec brio – et une joie communicative — l’histoire mouvementée de cette petite commune sise entre deux royaumes, qui gagne, puis perd à nouveau sa liberté.

Soyons francs : pour apprécier ces textes, il faut avoir un intérêt pour le XIXe siècle et son langage. Pour s’attacher durablement à leur lecture, il vous faudra goûter l’humour bourgeois (un bon nombre de ces nouvelles paraissent dans des revues humoristiques) et le style suranné de la France de Napoléon et des Expositions universelles. Mais si c’est le cas, alors ces deux ouvrages sont pour vous !

Ça vient de paraître

Les Armées de ceux que j'aime

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Bifrost n° 116
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