Incandescence
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Soit un avenir distant de centaines de milliers d’années ; l’humanité a essaimé dans les étoiles, rencontrant d’autres peuplades extraterrestres avec lesquelles elle a formé la métacivilisation de l’Amalgame, qui s’étend sur tout le disque galactique. Seul le cœur de la Voie lactée reste inaccessible : les Aloof (« les Distants ») qui l’occupent refusent depuis toujours le moindre contact avec l’Amalgame.
L’univers de l’Amalgame est introduit dans la novella « Riding the crocodile » (2007), qui raconte l’histoire de Leila et Jasim, un couple de posthumains. Âgés de milliers d’années et estimant avoir fait le tour des choses, ils décident de mourir… non sans avoir accompli auparavant un exploit. Ce sera la traversée du bulbe galactique, avec tous les risques que cela comporte. Une novella à la beauté élégiaque, dont les événements appartiennent à un passé déjà lointain quand débute Incandescence. D’un côté, il y a Rakesh, posthumain qui trouve le temps long dans cet Amalgame où tout a été étudié jusqu’à l’échelle atomique. Or, voilà que se présente une opportunité : une voyageuse lui affirme que les Aloof lui ont donné un fragment de météorite comportant des traces d’ADN. En retrouver l’origine va lancer Rakesh et son amie Parantham dans une quête jusqu’au cœur du bulbe galactique. De l’autre côté, il y a Roi et les siens, créatures crabesques menant une existence monotone dans les profondeurs de l’Écharde, un astéroïde truffé de cavernes. Mais l’Écharde est en danger, son intégrité physique compromise en raison de la nature même de l’astre autour duquel elle orbite. Mais révéler la nature de l’Écharde et de son environnement extérieur gâcherait le plaisir du lecteur, qui suivra avec Roi et les siens l’élaboration de théories pour comprendre son monde.
Incandescence voit Egan s’intéresser à des thématiques rôdées : la survie et la connaissance. Au lieu de se montrer simple suiveur d’Iain M. Banks avec sa formidable Culture, Egan propose un autre type de métacivilisation, résolument pacifique et curieuse : on n’atteint pas les étoiles sans laisser derrière soi ses instincts guerriers. Que l’on habite d’un côté ou de l’autre de la Galaxie, la connaissance prime avant toute chose. De fait, les chapitres consacrés à Roi et les siens sont d’un abord techniques, ces créatures découvrant la théorie de la relativité par d’autres biais que nous autres humains. Ardus, ces pages sont à même de ravir les plus matheux des lecteurs – qui se muniront d’un crayon –, les autres choisiront de passer leur chemin ou de se laisser porter par la poésie mathématique qui se dégage ici.
Deux autres novellas poursuivent l’exploration de l’Amalgame. La première, « Gloire » (2007, in anthologie Le Nouveau Space Opera, Bragelonne), s’intéresse au devenir des civilisations. Désireuses d’étudier des artefacts mathématiques datant d’une ancienne peuplade disparue, deux exploratrices de l’Amalgame se rendent sur une planète où prospère une nouvelle vie indigène intelligente. Mais leur venue va mettre le feu aux poudres… Inédit en français, « Hot Rock » (2009) nous présente deux autres exploratrices face à une anomalie spatiale : le caillou chaud du titre, c’est cette planète sans soleil, errant à travers l’espace interstellaire. Selon toute logique, ce devrait être un monde glacé ; pourtant, ses profondeurs bouillent de chaleur et regorgent d’une vie pas entièrement indigène. Qui sont ces habitants ? Sont-ils à l’origine de la femtotechnologie assurant à l’astre vagabond une existence pérenne ? Là aussi, la venue des exploratrices va bouleverser l’existence autarcique des habitants de la planète vagabonde.
Mondes étranges et civilisations qui ne le sont pas moins, l’ensemble de ces quatre textes dédiés à l’exploration de l’Amalgame constitue une belle incursion dans le space opera pour Egan. Ce dernier n’est pas Jack Vance, mais il s’agit là de ce que l’auteur australien a fait de plus chatoyant. Un régal.