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Le Réveil d'Ymir

Nous sommes en 2284 sur Europa II, satellite de Jupiter (enfin, c'est ce que veut nous faire croire l'auteur). Le professeur Philippe XVI Kelsen met fin à ses jours en coupant le chauffage de sa combinaison spatiale plutôt que de tomber dans les griffes de l'assassin qui le poursuit. Kelsen enquêtait sur le « Réveil d'Ymir ». Sa mort suspecte appelle une autre enquête qui sera, elle, menée par le linguiste Elie IV Merrivale et une jolie étudiante : Eléonore.

Il y a beaucoup à dire sur ce quatrième roman de Nicolas Bouchard, auteur découvert avec le sympathique Terminus Fomalhaut (Encrage). On regrettera tout d'abord la première scène de poursuite, qui aurait dû être haletante, rythmée, et qui se contente (sans doute la faute à un style qui oscille entre le médiocre et l'épouvantable) d'être fort ennuyeuse, sans relief, avec une psychologie à peu près du niveau d'un roman de Jimmy Guieu à l'époque où il écrivait ses œuvres seul. Et puis, dans ce même chapitre, on trouvera, outre des ficelles narratives dignes de la pire littérature de gare (ce personnage que Kelsen connaît et qu'il appelle « elle »), des spéculations scientifiques qui se rapprochent dangereusement du concept révolutionnaire de l'éradication du moustique nocturne au lance-roquettes (notamment les moteurs ioniques sur les propulseurs dorsaux, rien que ça !, comme si des cartouches de gaz comprimé ne pouvaient pas suffire).

Dommage, car le sujet du livre : le langage et la description d'une société coupée entre universitaires plénipotentiaires et hors cursus aurait pu donner un très bon polar-SF. Mais comparé à des œuvres comme Babel 17 de Samuel Delany ou encore Les Langages de Pao de Jack Vance, Le Réveil d'Ymir fait bien pâle figure, surtout à 110 FF/16,77 € (alors que vous trouverez les ouvrages sus-cités en poche). Il serait bon que les éditeurs de tous poils (notamment Bragelonne, Mnémos et Nestiveqnen, qui vient de battre un record en publiant un gros navet de Claire Panier à 159 FF) cessent de publier à plus de 15 euros les « petits bouquins sympas sans plus » qui ont fait les grandes heures du Fleuve Noir « Anticipation ». Il y a un vrai danger à publier en grand format des romans qui ne le méritent pas : à force de se foutre de la gueule du lecteur, il finit par changer de fournisseur.

La Reine de Vendôme

La Reine de Vendôme est le premier volume du cycle éponyme de Colin Marchika, dont le second et dernier opus sortira en février 2002. On y suit un dénommé Eyr à la cours de la reine Sémiramis. Mais qui est Eyr ? Un aventurier ? Un conteur ? Visiblement, il s'agit du rejeton du magicien Manitardès, mais aussi du dépositaire des dernières volontés du Chevalier Corneille. Il sera au centre de toutes les intrigues qui animent le royaume. Et dans les dernières lignes de ce premier volume, comme dans Fight Club, vous aurez une révélation…

Il y a (en gros) deux façons d'écrire un roman de fantasy. La façon classique. Où les points de vue s'enchaînent, tout en descriptions et dialogues : scène 1 : Machin tue le dragon ; scène 2 : il trousse la princesse que gardait le dragon ; scène 3 : Bidule revient d'entre les morts, apprend que la princesse n'est plus vierge et décide de foutre un sacré bordel dans le royaume, etc. Jusqu'à la scène 69 où Machin tue Bidule et trousse (bis) la princesse. Et puis il y a la façon langage parlé : un compte-rendu des événements mené à la première personne, dans un style censé être enjoué ou enlevé (histoire de rigoler un peu).

Colin Marchika a choisi la seconde manière. C'est ce qui rend son roman attachant. Seulement, contrairement à ce que clament les éditions Mnémos, n'est pas Zelazny qui veut. Et mettre en regard Marchika avec l'auteur des Princes d'Ambre sur la quatrième de couverture tient d'une comparaison qu'on qualifiera… d'outrée, pour le moins. Car le style de Marchika — heurté et redondant — est l'exact opposé de celui du Zelazny des Princes d'Ambre : tendu et d'une limpidité constante. Pire, Eyr, en tant qu'unique narrateur, nous propose une galerie de personnages souvent superficiels, incohérents, aux motivations totalement troubles. Dénué d'une gouaille suffisante, Colin Marchika se brise sur les mêmes écueils que bien des auteurs du néo-polar français : il nous impose un narrateur irritant, qui s'empêtre sans cesse dans son récit, commente tout et n'importe quoi, jusqu'au moment où, lassé de ces bavardages inutiles, le lecteur-payeur n'a plus rien à secouer de ce qui arrive à ce héros fatiguant. Quant aux problèmes de style qui rendent la lecture pénible… un coup d'œil au premier chapitre suffira à convaincre que si Marchika en a sous le pied, il a encore du boulot avant de comprendre comment se servir de l'accélérateur.

Avec plus de maîtrise littéraire, une rigueur qui fait cruellement défaut (« style parlé » ne veut pas dire « style bafouillé avec des contradictions »), une narration plus serrée (si vous voulez comprendre quelque chose, un bon conseil : prenez des notes), cette Reine de Vendôme aurait pu être une grande réussite. Voilà un roman qui se contente de révéler un auteur prometteur (ce qui n'est déjà pas si mal). On passe pour cette fois (et son volume 2), mais on se jettera sur le prochain, pour voir l'évolution, que l'on espère positive, de cette nouvelle voix de la fantasy d'expression française, une voix d'ores et déjà originale et attachante. Enfin, histoire de conclure sur une note désagréable, on se permettra un commentaire sur la couverture (la carte de visite de cet ouvrage) : tout simplement monstrueuse, maronnasse et peu engageante ; elle devrait, si ce n'est tuer le livre en librairie, du moins lui faire sacrément mal…

Éros Millénium

La nuit, quand les gens honnêtes rêvent de leurs feuilles d'impôts ou de l'émoustillante poitrine de leur voisine, toute une part de la richesse insoupçonnée du monde se réveille : les jouets sortent de leurs coffres pour protéger les enfants endormis, les statues se mettent à danser sous une Lune complice, et, dans les hypermarchés du sud parisien, les haut-parleurs se mettent à crachoter : « Le petit Serge Lehman est attendu à l'accueil par ses lecteurs. » Après un long silence que seule une sympathique nouvelle dans Destination 3001 avait entamé, « Magma » marque le retour de Serge Lehman. À première vue, c'est un texte inepte, navrant et grotesque, narrant une fiesta-partouze sur un yacht gigantesque. Mais c'est surtout la preuve, s'il fallait encore l'apporter, que Serge Lehman est un écrivain complètement bloqué dès qu'il s'agit de parler de la chose sexuelle (difficile d'oublier les scènes de cul ridicules d'Aucune étoile aussi lointaine). Pour le reste de cette anthologie, on lira de très bonnes nouvelles de Luca Masali, Neil Gaiman, Henryk H. Loyche, Clive Barker, James Morrow… Et surtout un chef-d'œuvre, le texte de K.W Jeter, où l'auteur californien se lance dans un ballet d'Eros et de Thanathos en milieu hospitalier, une mise à mort à glacer le sang. Par ailleurs, on notera l'abyssale faiblesse de la sélection francophone, dont le meilleur texte est de loin celui de Roland C. Wagner, ayant le bon goût de ne pas se prendre au sérieux. Et on s'amusera beaucoup à lire l'avant-propos de Jean-Marc Ligny, qui enfonce à peu près autant de portes ouvertes que les chariots de réanimation dans une saison d'Urgences.
Pour conclure, voilà une anthologie à la lecture facile que le texte de K.W Jeter et, dans une moindre mesure, celui de Luca Masali, transforment en livre incontournable. On achète, et vite !

Le Business

Kate Telman, écossaise sexy, gauchiste et armée d'un humour digne de l'acier chirurgical, travaille comme cadre de niveau trois dans le Business, une entreprise de participations en investissements qui ressemble fort à une secte et posséderait des fonds baptismaux antérieurs à la chute de l'Empire Romain. Une nuit, alors qu'elle vient de s'envoyer en l'air avec son chauffeur personnel (on tue le temps comme on peut), un des cadres de l'entreprise l'appelle et lui mâchonne une histoire à dormir debout : il est allé en boîte de nuit, il y a rencontré une fille qu'il a mis dans son lit et, le lendemain matin, la moitié de ses dents lui manquaient (d'où les drôles de bruits qu'il fait dans le combiné). Qui lui a arraché les ratiches la veille d'une importante négociation ? Et surtout, pourquoi ? Commence alors pour Kate Telman une enquête nonchalante (ce n'est pas vraiment le sujet du livre), entre intrigues hiérarchiques et escapades pittoresques au Thulahn, un petit état de l'Himalaya que voudrait bien « acquérir » le Business afin d'y installer son siège social.

Ce roman aurait pu être le nouveau chef-d'œuvre de Iain Banks (le pendant littérature générale du Iain M. Banks de La Culture) après A Song of Stone (inédit en français). Il n'en est rien — ce n'est ni plus ni moins qu'un Bridget Jones dans l'univers de la haute finance et de ses magouilles géopolitiques dignes de la C.I.A. Le Business dresse principalement le portrait d'une femme de presque quarante ans qui semble avoir tout et à qui il manque le principal : l'amour. Quant au lecteur de science-fiction, il se régalera à deux ou trois reprises, car Banks cache au milieu de son roman de littérature générale quelques scènes hallucinées dignes de la meilleur S-F spéculative. Reste que si vous voulez lire un grand roman de littérature générale de cet auteur, lisez Un Homme de glace chez Pocket, un thriller impressionnant (et en poche !).

Les Ombres de Wielstadt

Imaginez le très sérieux Nom de la Rose, d'Umberto Eco, transposé dans un monde où toutes les créatures de la fantasy, du fantastique et des contes de fées surgissent à chaque page — faunes, goules, fées, centaures ou dragons —, avec en supplément un clin d'œil à la Cour des Miracles de Notre Dame de Paris, et des références érudites au texte biblique. Vous y êtes ? Eh bien vous avez Les Ombres de Wielstadt.

À la lecture du prologue, on pense plonger tout droit dans le roman gothique : sur le mode impersonnel, on nous explique qu'un dragon millénaire veille sur « sa » ville au passé tumultueux, aux prises alors avec les conflits politico-religieux entre catholiques et protestants. Pourtant, dés le premier chapitre, le roman semble opter pour le conte, avec l'apparition d'une petite fée volante poursuivie par un corbeau. Ce personnage, récurrent dans l'œuvre, fait partie de ces nombreux éléments sans véritable rôle dans le récit mais qui contribuent par leur seule présence à créer une ambiance très « baroque ». Quelques pages plus loin, entre en scène le héros, Kantz, qui incarne la troisième orientation du roman : une sorcellerie toute fantasy. Si l'on ajoute à cela, intercalée entre ces chapitres, l'apparition d'un personnage mystérieux — et qui le restera pendant la plus grande partie du récit, on constate que l'ouverture du roman est extrêmement touffue ; d'aucuns diraient confuse. Mais pas de panique : les fils se nouent et, passée l'épreuve des cinquante premières pages, on a tout remis dans le bon ordre.
L'intrigue repose sur le récit sanglant des exactions d'une bande de goules assoiffées de violence et de sang, et sur l'enquête menée par le Chevalier Kantz, exorciste patenté, qui ne rechigne pas à fréquenter les bas-fonds de la ville et le « Roi Misère » dans sa démarche. Le texte, qui ne se refuse pas quelques descriptions délicieusement « gore », a le souci de les contrebalancer par des anecdotes drôles et des dialogues savoureux. L'écriture, au rebours de la veine classique de la fantasy, amoureuse des digressions géographiques et sociologiques sur son univers, est dynamique, et le suspense parfaitement maintenu par une série de retournements et de révélations surprenantes. La conclusion, qui fait intervenir la mythique Sainte Vehme — et souligne le goût manifeste de l'auteur pour l'Histoire médiévale — est implacable.
Les puristes du genre feront peut-être remarquer que l'ambiance fantasy du roman n'est qu'un décorum pour une simple intrigue historico-policière : il est vrai que le rythme effréné des événements entre en conflit avec l'élaboration d'un univers franchement original. Cela se passe comme si le monde que nous offre Pevel allait de soi. Un univers que n'auraient pas renié les tenants de la littérature décadente, dans lequel un faune tenancier d'auberge est aussi commun qu'un Monsieur Homais propriétaire d'une pharmacie dans Madame Bovary. Wielstadt n'est certes pas la Terre du Milieu. On est moins pris par un monde parallèle que par une galerie de personnages, drôles, attachants ou mystérieux, comme cette très énigmatique « Femme en Rouge », qui semble tout droit sortie des Trois Mousquetaires d'Alexandre Dumas.

En dépit de cette relative « modestie », il est clair qu'une fois rentré dans l'œuvre, on va jusqu'au bout, cette dernière ligne qui, achevée, nous fait dire qu'après tout, on signerait bien pour un second volume. Voilà qui n'est pas si courant en fantasy francophone, une réussite récemment saluée par le Prix de l'Imaginaire 2002, et à juste titre.

Mars

Quiconque ouvrirait Mars, avec à l'esprit l'idée que Ben Bova est un auteur de hard science, verrait surgir le spectre de la trilogie de Kim Stanley Robinson. Pour ma part, j'y suis entrée à reculons, il faut bien l'avouer… et je l'ai terminé à regret. L'argument est simple : un groupe de colons de diverses nationalités est envoyé sur Mars pour une première exploration. Une moitié d'entre eux descend à la surface tandis que la seconde reste en orbite pour jouer les doublures potentielles et se pencher sur Phobos et Deimos. Jusque-là, rien de très original. En fait, c'est la façon dont cette trame est développée par Bova qui est intéressante. Son récit se penche sérieusement sur les problèmes psychologiques rencontrés par les colons, soit dans leur rapport à la planète rouge, soit, de façon peut-être plus passionnante, dans leurs rapports interpersonnels. Le roman est construit autour d'un va-et-vient constant entre le présent de l'exploration et un passé terrestre, dans lequel se mélangent épisodes de la période d'entraînement et de sélection des explorateurs, fragments d'histoires personnelles et récit des démêlés politiques qui président au départ de la mission. Sur ce dernier point, l'analyse que fait Bova du rôle des gouvernements et de l'importance des jeux politiques dans une mission qui devrait — dans l'absolu — avoir un but purement scientifique est tout à fait pertinente.

Par ailleurs, l'auteur a fort intelligemment choisi de s'attacher à un personnage en particulier, en l'occurrence celui de Jamie, le géologue du groupe de surface, le Peau-Rouge, le « pseudo-américain » recruté à la dernière minute, le fauteur de trouble patenté. Attachant, scientifique passionné en lutte contre l'invasion de la politique sur le domaine scientifique, il est à lui seul le symbole de l'idéal défendu par l'auteur. Son statut de « héros » renforce l'aspect romanesque de l'œuvre, à la manière du roman de formation. Le style d'écriture est limpide et, si l'on sent un net désir de vraisemblance scientifique, le ton n'est jamais pédant — il n'est pas nécessaire d'être docteur en biochimie pour comprendre le texte. Et de fait, au total, si l'on met tous ces éléments bout à bout, on est tenté de dire que Bova rejoint ici cette S-F un peu vieillotte, à coup sûr évocatrice de grand voyage, de dépaysement, d'horizons changeants, en un mot : l'Anticipation. Une sorte de Tour du monde en quatre-vingt jours des temps modernes, si vous voulez.
Impression renforcée par le fait que Mars n'est pas dénué de certaines naïvetés. De crainte de tuer le suspense, on s'abstiendra d'en donner la liste. Mais sachez au moins que les cent dernières pages ne sont peut-être pas ce qu'elles pourraient — ou devraient — être. Disons que l'auteur tente de mener de front un roman de hard science et une esthétique que l'on serait tenté de qualifier de bradburyenne. Si si, comme je vous le dis : il suffit de constater que le roman s'ouvre sur le récit d'un mythe des « Anciens » — et fera fréquemment référence à des récits de ce type — pour s'en convaincre. Évidemment, l'ensemble grince parfois un peu, d'autant que la fin confine au space opera. Mais honnêtement, soit vous aimez les « happy end », et alors tout est parfait, soit vous considérez que ce choix est entièrement guidé par un désir de « boucler » le roman en parfaite corrélation avec sa problématique politique sous-jacente, laquelle faisait de ce voyage une sorte de message publicitaire interplanétaire pour les gouvernements en place. Ce qui signifie que les râleurs tenants de la hard S-F purement scientifique n'auront qu'à réfléchir sur une étude comparée entre les formes du récit de Bova et la structuration d'une campagne publicitaire. La psychologie du marketing de masse est aussi une science. Et toc !

Pour conclure, on se contentera d'affirmer que Mars n'est pas une somme exégétique sur la planète rouge et les conditions de sa colonisation — encore moins de sa terraformation. Son auteur n'a pas oublié que la science-fiction est un genre littéraire. Alors, même si ce n'est pas un texte à la pointe de la modernité, ni un de ces romans fondateurs de « dynasties » — genre Dune ou Neuromancien —, on passe un fort bon moment de lecture.

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