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Jour de l'an 1000

Après celles du Fleuve Noir et de Mnémos, Jour de l'an 1000 est la troisième anthologie de fantasy francophone publiée en à peine un an. J'avoue n'avoir guère trouvé matière à me rejouir à la lecture des deux premières, et j'ai bien peur que celle-ci ne m'ait pas plus convaincu.

Notons tout d'abord deux particularités de cette anthologie : le nombre d'auteurs peu ou pas connus figurant à son sommaire, et son thème : l'an mille — deux autres suivront, Jour de l'an 2000, consacrée au fantastique, et Jour de l'an 3000, dédiée à la SF. Il s'ensuit que la plupart des textes ici présents sont fortement imprégnés de catholicisme (ou plus souvent d'anticatholicisme), ce qui ne peut qu'indifférer le trotsko-bouddhiste que je suis, mais enfin… passons.

Pour être franc, on ne trouvera dans cette anthologie que peu de textes vraiment mauvais : « Jessie, le retour » d'Ayerdhal, qui se veut un hommage à Pierre Desproges et qui n'est que pitoyable ; et « Le Livre d'Ipazia » de Luc Verdier, suite de portraits d'un ennui souverain (Untel eut trois enfants, Truc, Bidule et Machine, laquelle épousa le prince Chose de Parlàbas, qui mourut étouffé dans son propre vomi, juste après avoir donné naissance à… il y en a vingt pages comme ça, mais je ne garantis pas l'authenticité de l'épisode du vomi). Deux textes à éviter sur douze, voilà qui n'est pas indigne. Le problème, c'est que les nouvelles vraiment bonnes ne sont pas plus nombreuses : celle de Fabrice Colin, « On est peu de choses», « monty pythonesque » en diable, qui nous révèle abruptement que Dieu est cinq manchots (les oiseaux, pas les estropiés), et qu'il a décidé de détruire la Terre ; et « L'Architecte » de Patrick Eris, histoire d'un fou génial qui, pour célébrer le millénaire de la naissance du Christ, a décidé de bâtir la plus grande cité de tous les temps.

Voilà pour le meilleur et pour le pire. Le reste, c'est-à-dire le gros de cette anthologie, se situe dans le registre du lisible, plus ou moins. « Mille ans de servitude », de Léa Silhol, nous raconte ce qu'est devenu Judas depuis son suicide et (c'est un scoop) sa résurrection. « La Table de poussière », de Jean-Baptiste Capdeboscq, est une discussion théologique entre un évêque et un démon qui paraîtra, aux yeux du lecteur, fort laïque — c'est le principal attrait de cette nouvelle. Mathieu Gaborit signe avec « L'Étreinte de Babylone » une histoire d'amour certes touchante mais manquant tout de même d'originalité. Même reproche à Jonas Lenn (alias Emmanuel Levillain-Clément), dont « Les Noces d'orage » s'inspirent de la myhologie scandinave. Clichés toujours avec  « Le Feu sacré » d'Antoine Lencou, qui soufre en outre d'une écriture parfois surprenante. Je veux bien être gentil, mais lorsque l'auteur me parle d'un silence « presque préhensible », je reconnais que mon agacement devient comme qui dirait palpable. « Frère Justice », de Jean Milleman, nous raconte brièvement l'extermination par le clergé de toutes les créatures magiques à l'approche du nouveau millénaire. C'est un peu mince, ce qu'a compris Raphaël Granier de Cassagnac, qui fait du thème de la nouvelle de Millemann son point de départ. Crispin, son héros, part à la recherche de ses compagnons lutins, étrangement disparus. Ce texte n'est certes qu'une sous-tolkiennerie, mais sa lecture est tout à fait plaisante. Ce n'est pas le cas de la nouvelle qui clôt cette anthologie, « L'Affaire du millénaire désenchanté » de Nicolas Cluzeau, récit hélas trop confus. En définitive, Jour de l'an 1000 me semble souffrir des mêmes défauts que les deux anthologies qui l'ont précédée : trop de remplissage, pas assez de bons textes.

Dommage.

L'Enfance attribuée

À la fin du vingt-et-unième siècle, le monde ne ressemble plus guère à ce que nous connaissons. La prospérité semble générale, les progrès de la science et de la médecine assurent à l'homme une quasi-immortalité, le système solaire est colonisé. Sam Harger est un créateur très coté, inventeur entre autres du papier d'emballage imitant la texture de la peau humaine, et qui, bien sûr, saigne lorsqu'on le coupe. Ses conquêtes féminines ne se comptent plus, mais sa relation avec Eleanor Starke, procureur multinational promise à un brillant avenir, va le transformer radicalement. Le fait que le ministère de la Santé les autorise à avoir un enfant — chose exceptionnelle dans un univers où la longévité accrue risque d'entraîner une surpopulation dramatique — ne peut qu'ajouter à leur bonheur. Pourtant, un grain de sable va s'insinuer dans ce meilleur des mondes et remettre en cause toutes les certitudes de Sam Harger…

De David Marusek, on ne sait à peu près rien, si ce n'est qu'il a publié deux autres nouvelles avant celle-ci (et depuis ?). Quoiqu'il en soit, L'Enfance attribuée est une novella absolument extraordinaire. L'univers mis en scène ici est tout à fait fascinant, fort complexe dans son fonctionnement mais décrit par l'auteur avec une acuité qui force le respect. C'est également l'une des sociétés les plus originales que la science-fiction nous ait offerte ces dernières années. En outre, sa brièveté ne fait que rendre ce récit plus intense.

La parution de L'Enfance attribuée me semble être un choc tout à fait comparable à celui que procura il y a quelques années le Baby Brain de Greg Egan. « [David Marusek] n'a pas fini de faire parler de lui dans les années à venir » s'exclame Gardner Dozois dans sa présentation de l'auteur. J'espère bien…

Baleinier de la nuit

Comme vous le savez, à Bifrost, nous aimons les petits maîtres de la SF. Vous aussi, je n'en doute pas. On me dit que vous êtes plusieurs centaines de milliers à suivre assidûment la rubrique d'André-François Ruaud. C'est bien. La réédition de Baleinier de la nuit devrait donc vous réjouir autant que nous. Robert F. Young eut en France sa petite heure de gloire, grâce aux efforts éditoriaux d'Alain Dorémieux, Jean-Pierre Fontana ou Daniel Walther. Malheureusement, depuis sa mort en 1986, il a quasiment disparu des rayonnages comme des sommaires des revues et anthologies. D'où la joie de le voir reparaître aujourd'hui.

Reconnaissons-le, Robert F. Young doit avant tout sa (modeste) réputation à ses nouvelles. Venu sur le tard au roman (son premier, La Quête de la Sainte Grille, est publié alors qu'il a déjà soixante ans), les cinq qu'il a écrit — deux restent inédits chez nous — n'ont pas laissé un souvenir impérissable. Excepté ce Baleinier de la nuit, unanimement reconnu comme étant le plus réussi. Ce roman trouve son origine dans une nouvelle de 1962, « Le Léviathan de l'espace » (in Fiction N° 110, repris dans le recueil éponyme paru chez Néo en 1984), récit sympathique sinon convaincant d'un homme découvrant dans une immense baleine spatiale une société humaine archaïque — c'est-à-dire semblable à notre XXe siècle.

En s'intéressant à nouveau à ces monstrueuses créatures cosmiques, capables de voyager aussi bien dans l'espace que dans le temps, et que les humains tuent pour les transformer en navires, Robert F. Young a adopté un ton beaucoup plus sombre. John Starfinder est l'un des chasseurs de baleines les plus réputés. L'un des plus instables aussi. Sa vie bascule lorsque, après avoir assassiné l'immortelle qu'il devait épouser, il est contacté par une baleine, retenue sur un chantier spatial mais toujours vivante. La créature lui propose un marché : si Starfinder l'aide à s'échapper, elle deviendra son esclave. L'accord est conclu, l'histoire peut réellement commencer.

Dans un premier temps, les aventures de John Starfinder semblent se suivre sans vraiment avoir de lien entre elles : il est attaqué par trois êtres mythiques, cause la perte d'une naufragée spatiale qu'il voulait sauver, recueille à bord de la baleine une adolescente perdue. Mais par la suite, et grâce à quelques voyages temporels plus ou moins volontaires, les différents fils de la trame se nouent et l'intrigue apparaît dans toute sa cohérence. Au final, Baleinier de la nuit se révèle être une belle réussite, et sa réédition on ne peut plus heureuse.

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Voyage

Et si, au lieu de se tourner vers la navette spatiale au lendemain d'Apollo, Richard Nixon s'était orienté vers une expédition martienne ? Dans la continuité de l'aventure lunaire, elle aurait suivi la même méthode générale, subissant son lot de contraintes budgétaires et de choix techniques minimalistes.

Comme Jules Verne, Baxter inscrit sa SF dans une période contemporaine (ou immédiatement passée : 1969-1986), et à sa différence, il pratique une uchronie pointilliste et pointilleuse. Documenté et précis sur les faits et les dates, il met en scène des réalisations astronautiques demeurées dans notre monde au stade des essais préliminaires (comme ce dernier étage de Saturn V à propulsion nucléaire !). Technophile passionné, Baxter se méfie pourtant de l'enthousiasme conquérant des successeurs de Von Braun. L'importance plus ou moins grande accordée à la protection de la vie des astronautes est au cœur des passages les plus poignants du livre.

Même audacieux, un vol spatial habité requiert une préparation minutieuse, apparemment interminable en regard des instants de gloire passés loin du plancher des vaches. Fort logiquement donc, le roman consacre l'essentiel de sa longueur (et ses meilleures pages) à cette préparation. Si le vol vers Mars s'envole dès les premières pages, son déroulement est entrecoupé de flash-backs beaucoup plus substantiels qui expliquent comment furent choisis hommes et matériel pour la mission. Souvent contre toute attente. Les interrogations du lecteur (on n'ose dire suspense) porteront donc sur le chemin tortueux qui mène au résultat déjà connu.

Rivalités entre astronautes et entre fournisseurs industriels de la NASA, enjeux de pouvoir bureaucratiques et politiques : cette uchronie où la survie de John F. Kennedy à Dallas se réduit à une toile de fond des débats entre Langley et Huntsville (deux centres de recherche de la NASA) peut paraître aussi aride que le désert martien. Au pire, on pense aux pavés explicatifs en bas d'image des Buck Danny de la grande époque. Toutefois, Baxter sait faire vivre un moment captivant, un accident spatial qui tient à la fois de celui d'Apollo 13 (qui appartient aussi à l'univers du roman) et à l'explosion de la navette Challenger. Ce moment n'a que le tort d'arriver tard dans le livre, vers la fin du premier volume.

Comme dans L'Étoffe des héros de Tom Wolfe, les personnages sont nombreux, parfois difficiles à distinguer au début (Baxter n'a pas la maîtrise romanesque de son modèle). Émerge heureusement la figure de Natalie York, première femme astronaute et première sur Mars, qui triomphe des obstacles placés sur son chemin par le machisme ordinaire. Et toute une galerie de scientifiques et d'administrateurs, avec leurs vies tordues, voire détruites par l'entreprise pharaonique à laquelle ils se sont voués.

Il faut sûrement pour plonger dans ce livre avoir conservé une pincée de passion pour l'aventure spatiale. Technophiles, amoureux d'écriture journalistique transparente, vous adorerez. Baxter laboure l'étroit sillon d'un réalisme « alternatif » : on peut se piquer à son jeu à condition d'avoir quelques prédispositions.

Vous avez dit virtuel ?

Si les modules de Réalité Virtuelle récréatifs les plus populaires sont ceux mettant en scène des guerres de gangs dans des villes post-apocalyptiques, quand les usagers commencent à mourir sous le casque au moment même où leur arrivent des malheurs dans le virtuel, il y a quelque chose qui cloche. Et de quoi motiver l'intervention de la police.

L'inspectrice Konstantin enquête sur le meurtre de Tomoyuki Iguchi, un jeune homme retrouvé la gorge tranchée dans le club de RV duquel il se connectait à Noo Yawk Sitty post-apocalyptique. Elle doit faire face à une patronne de club peu encline à coopérer avec les forces de l'ordre, à des employés frustrés, et à des clients qui éprouvent pour la virtualité une loyauté à la mesure de leur échec dans la réalité ordinaire. Pendant ce temps, Yuki, une jeune femme d'origine japonaise, recherche désespérément le même « Tom » Iguchi, qui n'a plus donné signe de vie après être entré en contact avec une femme à la réputation de caïd du milieu, Joy Fowler.

Chacune des moitiés de ce court roman pourrait constituer une longue nouvelle (et celle qui met en scène Konstantin a déjà été publiée en 1995 dans Omni On Line sous le titre « Death in the Promised Land », avec un dénouement quelque peu différent). Le résultat global est enlevé, moins ambitieux peut-être mais beaucoup plus lisible que Les Synthérétiques. Surtout, la virtualité y est vue avec beaucoup d'humour, sans doute parce que vue par les yeux de Konstantin, novice en matière de RV. Elle y accumule les bévues — souvent sans gravité — et s'indigne du commercialisme rapace et du légalisme hypocrite qu'on y rencontre sans cesse. Quant aux aficionados de la RV, ils paraissent aussi obsédés et ridicules que, disons, des fans de SF ! (du moins dans l'image la moins favorables qu'on peut s'en faire).

Un fantôme plein de dignité plane cependant sur ce livre, celui du Japon, englouti bien avant dans une catastrophe jamais détaillée. Le pays ne vit plus que dans les cœurs de ses enfants dispersés dans le monde, qui sont passionnés par sa culture sans toujours bien la comprendre. On pourrait prendre cela comme une touche d'ironie de plus, un regard biaisé sur la fascination japonaise des fondateurs du cyberpunk qu'ont été William Gibson et Bruce Sterling ; mais ce Japon virtuel sait exercer une véritable fascination, susciter de véritables émotions.

On peut comparer ce livre au Dixième Cercle de Guy Thuillier : celui de Cadigan est l'œuvre d'une auteur infiniment plus expérimentée, voire blasée ; ses personnages ne remettent pas en question la structure de leur univers, restent au niveau de l'anecdote, mais brillamment exécutée, pleine de petites trouvailles, et sans cesse prenante. Comme un très bon roman policier.

Frère Termite

Depuis la présidence d'Eisenhower, des extra-terrestres aux mœurs d'insectes se sont installés à la Maison Blanche et dans les allées du pouvoir américain. Nous sommes au 21e siècle, une sorte de gouvernement mondial est en place (greffé sur le pouvoir américain) ; et les Cousins, comme ils se nomment eux-mêmes, occupent ouvertement des postes-clé dans la hiérarchie. À commencer par Reen, protagoniste du livre, et sorte de proconsul extra-terrestre sur notre planète.

Il est l'inamovible chef d'état-major du Président Jeff Womack, lui-même installé à son poste depuis cinquante et un ans par la grâce d'un amendement constitutionnel dû au même Reen. Pendant que les Cousins préparent en secret l'extinction de la race humaine, les chefs respectifs de la CIÀ et du FBI se livrent une lutte féroce pour conquérir la confiance de Reen, tout en complotant chacun derrière son dos.

Les humains de base manifestent, eux, une haine beaucoup plus franche envers les extra-terrestres…

Pauvre Reen, finalement. Il est douloureusement surpris par toutes les trahisons qu'il découvre. D'autant plus douloureusement qu'il aime ces humains qu'il doit éliminer en douceur, et qu'il aime passionnément Marian Cole, directrice de la CIA et mère de son enfant.

Obtenue par recombinaison génétique, Angela est encore une petite fille, mais, avec une poignée d'autres, elle préfigure une race hybride, destinée à prendre la place à la fois des humains et des Cousins, rongés par un mal génétique inexorable.

Patricia Anthony adopte un style narratif très dépouillé, concis, factuel, fait de phrases courtes. Qui me rappelle Rebecca Ore. Et comme elle, elle met en scène des extra-terrestres qui s'intègrent dans un jeu social avec les humains ; ses Cousins me font penser à des patrons japonais venus s'adapter avec plus ou moins de bonheur aux employés américains des entreprises qu'ils auraient rachetées. Il faut préciser que l'humanité, dans le vécu du livre, se confond avec les USA, au point que les humains sont à un moment décrits comme des gens qui conduisent des Volvo, ou des pick ups Chevy, une distinction socio-culturelle qui appartient entièrement aux Etats-Unis des années 1980. L'étonnant, la marque du talent, c'est l'intensité de l'émotion tragique qu'elle arrive à susciter malgré la concision chirurgicale de sa narration.

Ce livre, en dépit d'affirmations téméraires de sa 4e de couverture, n'a rien à voir avec les « X-Files » (aucune paranoïa n'est nécessaire, on sait exactement ce que veulent les extra-terrestres, puisque le récit est de leur point de vue), et n'a en commun avec Docteur Folamour que se dérouler à la Maison Blanche. La traduction est parsemée d'anglicisme qui m'ont fait grincer les dents. Que ces péchés véniels de l'éditeur ne vous empêchent pas de découvrir un livre original et bien mené.

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Les Armées de ceux que j'aime

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