[Critique portant sur les deux tomes des Enfants du Mirage.]
(Petit préambule : le signataire de cette chronique connaît une bonne part des écrivains ici représentés, entretient des relations d'amitié ou de travail avec certains d'entre eux, a publié dans son fanzine un des textes repris dans ces recueils… bref, l'objectivité de mise paraît hors d'atteinte. Merci au lecteur averti d'en tenir compte.)
Le projet : donner à lire (une fois le troisième volume de cette série paru) une sélection de trente ans de S-F française. Déjà, ce simple énoncé appelle plusieurs commentaires.
1. La sélection est partielle, ou partiale, car Richard Comballot, sous couvert de démontrer une spécificité de la S-F française, privilégie les auteurs les plus « indigènes » culturellement parlant, les moins ressemblants au modèle anglo-saxon, ce qui l'amène à choisir des textes… eh bien, parfois un peu franchouillards.
2. La période concernée est un peu bancale. Trente ans ? Il paraît des nouvelles de S-F française — je veux dire : clairement identifiées comme telles dans des publications spécialisées — depuis le milieu des années cinquante. De 1954 à 1970, deux revues en ont ainsi donné d'abondance, Satellite et surtout Fiction. Il y avait donc matière.
3. Pourquoi se limiter à l'Hexagone, quand la S-F de notre pays a su s'ouvrir depuis longtemps à la Francophonie, souvent avec profit ? La Belgique et plus récemment le Canada ont fourni d'excellents auteurs, lesquels, publiés à égalité avec les écrivains du crû, ont participé au dialogue toujours renouvelé qui est la S-F d'une langue spécifique.
Mais admettons… Une anthologie, c'est un ensemble de choix.
Parlons donc des objets, sans doute les plus beaux livres publiés à ce jour par Naturellement : deux énormes pavés illustrés de couvertures de Caza, rehaussés d'une maquette séduisante, et proposés à des prix tout à fait raisonnables. Il y a là des atouts non négligeables.
Le premier volume couvre les années soixante-dix. On y retrouve, de fait, la plupart des auteurs majeurs de la décennie (Andrevon, Curval, Demuth, Douay, Hubert, Jeury, Léourier, Pelot, Renard, Walther), quelques-uns de ceux qui feront l'actualité de la suivante (Barbéri, Brussolo, Frémion, Wintrebert), des francs-tireurs doués mais peu prolixes (Alain Dorémieux, Bernard Mathon, Gilbert Michel, Henry-Luc Planchat), et quelques auteurs franchement dispensables dans un tel contexte (Christian Vilà, alors débutant, Bernard Blanc, devenu depuis un excellent traducteur, René Durand, reconverti avec bonheur dans le scénario de BD).
Le problème, c'est qu'il y a là, même pour les auteurs reconnus, des textes un peu curieux. Jeury est ainsi représenté par une nouvelle atypique et, avouons-le, plutôt mineure, Douay et Andrevon dans leur veine « politique » première manière ont assez mal vieilli, Dorémieux joue à Ballard avec talent mais a donné ailleurs des textes autrement plus personnels, Barbéri a fait beaucoup mieux depuis, etc. Au bout du compte, c'est dans l'exhumation de perles dont personne ou presque ne se souvient que l'entreprise prend son sens : les textes de Léourier, Grimaud, Mathon, Michel, Christin ou Planchat, par exemple. Ce sont ces auteurs, depuis réduits au silence ou partis vers d'autres domaines, qui sont montrés sous leur meilleur jour. Un symptôme ? Se détachent aussi quelques réussites majeures, tels « La Créode » de Wintrebert, « Permis de mourir » de Curval, « Petite mort petite amie » de Frémion, une « Galaxiale » de Demuth et… heu, c'est tout. Le niveau d'ensemble, malgré quelques ratages, surtout dans le champ de la S-F « militante », reste toutefois convenable.
On sent Comballot beaucoup plus à l'aise sur les années quatre-vingt, qu'il connaît sans doute mieux pour avoir débuté dans le domaine au début de la décennie (je suis dans le même cas ; ceci explique peut-être cela). À moins que la S-F hexagonale n'ait fini, ces années-là, par se mieux définir.
Par ordre alphabétique, on portera au tableau d'honneur Andrevon, plus intimiste et fantastique ; Barbéri, ici égal à lui-même ; Berthelot, avec un chef-d'œuvre issu de Malgré le monde, le recueil collectif et contesté du groupe Limite ; Brussolo, qu'on a connu moins inspiré ; Canal, l'une des révélations de la période avec Dunyach (présent virtuellement au sommaire) ; Demuth, et son texte rare et fort et superbe ; Evrard, la voix la plus originale de la période ; Frémion, toujours poétique et sensuel ; Jouanne, avec un de ses plus beaux titres ; Klein, qui signait un retour fracassant qu'on espère toujours avec lendemain ; et Hubert, et Planchat, et Stolze, et Vernay, et Wintrebert, et de bons exemples de ceux qu'on qualifiait alors de « néo-formalistes », comme Bruno Lecigne, Sylviane Corgiat ou Daniel Martinange. Ici, il y a moins de canards boiteux, même si — mais ce n'est qu'une question de goût — les nouvelles de Jacques Mondoloni et Colette Fayard me semblent déparer l'ensemble. Et je n'ai même pas cité tout le monde !
Enfin, un mot sur les préfaces chaleureuses et engagées d'Andrevon et de Curval, respectivement, deux acteurs incontournables qui élucident le contexte avec profit.
À les relire, ces lignes forcément personnelles (cf. préambule) trahissent une grande perplexité. Mais je crois que le lecteur trouvera son compte dans ces recueils en décidant par avance de ce qu'il y recherche : s'il souhaite le meilleur de la S-F française, ses « chefs-d'œuvre » comme le proclame imprudemment le sous-titre de cette série, je crois qu'il devrait leur préférer les volumes francophones de la Grande anthologie…, au Livre de Poche, ou Les Navigateurs de l'impossible, chez ISF, qui rassemble les prix Rosny (volume critiqué plus avant) ; s'il veut une véritable vue en coupe de la science-fiction nationale, un échantillon représentatif — qualités et défauts —, l'entreprise, utile, effectuée par Comballot paraît plus aboutie, surtout dans son deuxième volume.
Bref, littérature ou histoire, chacun aura ici à boire et à manger, mais devra se pencher sur le menu avec discernement.