Ocean Park
Publié le
Vous avez peut-être déjà rencontré Ludovic Debeurme dans l’une ou l’autre de ses treize bandes dessinées, la plus connue étant Lucille, gros morceau de cinq cents pages racontant l’histoire d’amour de deux adolescents brisés. Debeurme quitte cette fois les cases et phylactères pour nous offrir un premier roman qui, bizarrement, semble se libérer de toute contrainte et s’épanouir vers un monde de possibles parfois peu probables.
Dans Ocean Park, nous allons suivre deux frères. Le premier a plutôt bien réussi sa vie, financièrement parlant, mais s’avère être incapable de jouir autrement qu’avec des inconnues. Il multiplie les rencontres sexuelles, essayant d’assouvir une faim qui ne se calme pas. Le second a décidé de tout laisser derrière lui et d’être son propre maître en errant à travers le monde sans le moindre sou en poche, ce malgré la fortune conséquente de sa famille. Tous deux fuient l’emprise terrifiante de parents qui, ayant peur d’à peu près tout, se sont créé un nouveau monde « utopique » sur une île perdue. Ils auraient tous pu continuer à vivre de leurs traumatismes sans rien changer si une mère mourante n’avait réclamé la présence de sa progéniture. Et voilà maintenant que l’un des frères se met à la recherche de l’autre pour l’embarquer dans un monde aux règles bien différentes…
Ocean Park n’est pas à proprement parler du fantastique ou de la science-fiction. Pour tout dire, il est presque impossible de lui accoler une étiquette précise, ce roman s’amusant à voguer d’un genre à l’autre sans réellement se raccrocher définitivement à l’un d’eux. C’est que Ludovic Debeurme semble goûter avec délectation à la liberté laissée par l’esquisse — peut-être parce qu’il a pu ici s’éloigner de la figuration visuelle imposée par la bande dessinée (mais ce serait surinterpréter les choses que de considérer cette hypothèse comme juste). En tout cas, on sent chez lui un plaisir certain de la langue. Debeurme joue avec les mots, s’invente une esthétique propre et verse plus dans le conte poétique que dans la transcription réaliste d’une quête presque initiatique. Mais c’est peut-être là que le bât blesse. Il peine parfois à nous emmener avec lui dans son voyage, même s’il nous ravit de ses visions ; on reste au bord de l’eau à essayer de suivre un bateau qui tangue un peu trop sur l’océan.
Dès lors, reste à voir si le lecteur parviendra à s’approprier l’errance des personnages et de l’auteur à travers eux. Ce serait cependant dommage d’abandonner cette histoire en cours de route, parce qu’elle mène à un final qui, s’il n’est pas beaucoup plus concret que le récit l’ayant fait naître, ne s’en révèle pas moins délectable par son étrangeté. Ocean Park s’avère au final un premier essai des plus atypique. Et s’il n’est pas tout à fait concluant, il augure bien de l’avenir de romancier de Ludovic Debeurme.