Précisons tout d'abord qu'à Bifrost, nous n'avons strictement rien contre les éditions Glyphe. Surtout quand elles publient un livre aussi excellent que La Chambre de sable, de Joëlle Wintrebert. Certes, me direz-vous, un excellent livre de Joëlle Wintrebert est un pléonasme. Mais passons.
Nous n'avons rien non plus contre Estelle Valls de Gomis.
Nous en avons simplement contre son anthologie d'une immense médiocrité. On peut y piocher les yeux fermés : on a au moins neuf chances sur dix d'y trouver un futur Razzie.
Si si, comme je vous le dis !
La première chose qui frappe, c'est le conformisme des textes. On y retrouve plus souvent qu'à son tour le rapport de séduction entre le vampire et sa proie. Il a la morsure douloureuse et sensuelle, fascine, blablabla… On a déjà lu ça cent fois. Les amateurs d'histoires sensibles à la Sturgeon ou d'humour en seront pour leurs frais. Si toutefois ils dépensent vingt euros pour ça. Précisons au passage que, normalement, la seule couverture fait fuir toute personne dotée d'un minimum de goût.
On y trouve tout d'abord quantité de vieilleries, qui auraient parfaitement eu leur place dans Weird Tales. Sauf que là, nous sommes en 2008 : fâcheux décalage ou paradoxe temporel ? Parmi ces vieilleries : Tonie Paul et Géraldine Blondel, qui nous resservent le bijou vampire. On a déjà lu ça cinquante fois (ben oui, encore…), et bien mieux écrit. Inutile de s'appesantir là-dessus, ça n'en vaut pas la peine. Mais la vieillerie des vieilleries, c'est le texte inaugural. « Varney le Vampyre ou le festin de sang », le début d'un roman fleuve aux deux auteurs apocryphes. On peut d'ailleurs s'interroger sur l'opportunité de mettre dans cette anthologie l'amorce d'un roman. Qui plus est un roman oublié, et qui aurait gagné à le rester. Ce texte est une reprise tirée du premier numéro de la revue depuis disparue Emblèmes, consacrée aux vampires. Une trentaine de pages à s'avaler, et c'est du lourd ! Du vieux roman gothique ranci sans talent, pâle imitation de Walpole ou Radcliffe. Un enculage de mouche ampoulé au possible, qui confine vite au calvaire. Tout y passe au niveau des clichés. La pluie, la grêle, parce que les vampires apparaissent rarement en pleine canicule. Le château, les lourdes portes de chêne massif, imaginez-vous un vampire ailleurs ? Le vampire aux ongles longs, et tutti quanti. On aurait plutôt préféré voir à la place Le Vampire de Polidori. Il y aurait au moins eu un autre texte à sauver. Même si ce texte a été publié bien avant Dracula, ça n'en fait pas un truc potable pour autant.
On voyage également dans le temps. Charlotte Bousquet nous envoie dans la sulfureuse Italie de la Renaissance, celle de Savonarole et des Borgia. C'est bien là sa seule originalité. Meddy Ligner lorgne du coté de Louis-Ferdinand Céline avec les fameux trois petits points. Sauf que ça ne prend pas du tout. N'est pas Antoine Volodine (Des enfers fabuleux) qui veut pour la forme. Quant à l'histoire en elle-même, elle est aussi crédible que la première rubrique astrologique venue.
On apprend que Nicolas F. J. Bailly écrit peu. Tant mieux ! Parce que lire des médiocrités torchées sur un coin de table en cinq minutes, on s'en passe sans problème !
Héloïse Jacob publie son premier texte. On apprend même que son premier roman est en préparation. On sent que l'auteur a voulu s'appliquer. Son amour du roman décadent s'y sent également. Comme s'y sent surtout un manque cruel de talent. Le pire est donc à venir en format roman : notez le nom de l'auteur !
On n'échappe pas non plus au trash de bas étage. Le dernier texte, « Canicule (aux prises avec Sirius) », se veut provocateur, il n'en est que ridicule, gratuit et surtout complètement loupé.
Au milieu de cette Bérézina surnagent tout de même quelques récits.
On peut en distinguer de pas trop mauvais, dont celui de Lucie Chenu. Elle envoie Nadar et Félix Faure chez… Sissi. Son histoire traîne en longueur, l'écriture est mollassonne. On n'y croit pas une seule seconde. Mais elle a au moins le mérite de sortir des sentiers battus. Le décor steampunk vaguement uchronique aurait vraiment gagné à être plus qu'un simple décor.
Sire Cédric, sans être exceptionnel, livre un texte tout à fait correct. Mécanique bien huilée, son histoire est sans surprise, mais au moins, ça marche. Vu le niveau général, on en viendrait presque à saluer ce qui passe ici pour une performance. Notez toutefois que l'on y retrouve la patte de l'auteur : mort, violence, sensualité. Jean Marigny propose lui aussi un texte sympathique, sur fond de Résistance. Si l'histoire est très prévisible, il signe certainement l'un des deux textes les mieux écrits.
En fait, seul Franck Ferric se singularise sur le fond et la forme. Il signe même de très, mais alors vraiment très, très loin, le meilleur de texte du recueil. Nous lisons le journal d'un soldat, au front du côté de Verdun. Epoque originale (la première Guerre mondiale est finalement peu abordée dans l'imaginaire), traitement original et sobre. L'ambiance, poisseuse et crépusculaire, est formidablement restituée. Sa mise en lumière de l'horreur que fut cette guerre pour ses soldats est magnifiquement décrite. Le monsieur est prof d'histoire-géo. À le lire, on aimerait vraiment assister à ses cours sur 14-18…
Enfin, du côté des auteurs morts, le meilleur côtoie le pire. Outre nos deux piteux feuilletonistes apocryphes, on y trouve Frederic Mistral et Guy de Maupassant. Le premier signe un texte du plus total inintérêt. Une pagnolade torchée à la va-vite, absolument consternante. Une simple réclame pour les produits d'un ami commerçant. On croirait lire Jimmy Guieu détaillant le bar de Gilles Novak, c'est dire. Par contre, Maupassant signe un excellent texte. Il s'aventure sur les terres de George A. Romero. Mais pas de Martin, non. Du côté des morts-vivants. Complètement hors de propos, dommage !
Un petit mot en passant sur la préface, signée Jean Marigny. Elle commence par un bref rappel historique du vampire. C'est concis et intéressant. Ensuite, s'enchaînent les spoilers de presque tous les textes. On y trouve aussi un éloge de l'anthologiste. Il y a de quoi être surpris à la simple vue de la médiocrité de l'ensemble. On comprend mieux, quand on sait que le préfacier est aussi l'auteur d'une des nouvelles. On n'est jamais aussi bien servi que par les siens…
Résumons donc : couverture ridicule et hideuse, nouvelles dans lesquelles on peut piocher à pleines mains pour les razzies. Il n'y a en fait qu'un tiers de préface et trois textes à sauver, dont un hors sujet. Ce bouquin vaut 20 euros.
Pour ce prix, n'hésitez pas à vous acheter autre chose : Eros vampire de Brite, Bloodsilver de Wayne Barrow, La Vierge de glace de Marc Behm. Les bons livres et films sur les vampires ne manquent pas… Et passez sans regret aucun à coté de cette piteuse anthologie. Dommage pour les quelques bons textes qu'elle recelait.