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Les Visages de Mars

Ce premier recueil de nouvelles de Jean-Jacques Nguyen permettra à de nombreux lecteurs, il faut l'espérer, de découvrir le talent de ce jeune auteur que les fanzines s'arrachent depuis dix ans. En neuf récits éclectiques, il prouve qu'il se sent aussi à l'aise dans le Fantastique que la Science-Fiction.

En outre, un texte intrigant comme « Rêve de chine » (où une expédition française se perd dans les hauteurs de l'Himalaya) est fort éloigné dans sa facture de « Swing puzzle, Harlow » (un titre moderne pour un récit classique lovecraftien, agréablement renouvelé par la peinture du milieu hollywoodien des années 30), comme le sont « Incidents de villégiature », un petit chef-d’œuvre de Fantastique moderne, ou « Temps mort, morte saison », aux surréalistes images de vagues figées et de temps arrêté dignes d'un Ballard.

En Science-Fiction, Jean-Jacques Nguyen utilise avec brio le space opera comme dans « Les visages de Mars », qui est une intéressante variation sur le thème des civilisations disparues de Mars ; il se révèle aussi capable d'écrire de la hard science, son intérêt pour la physique quantique, ses dispositions pour l'informatique se mariant bien avec sa connaissance de l'astronomie. « L'homme singulier » est l'édifiant récit d'une personne qu'un trou noir dans le cerveau dote du pouvoir d'arrêter le temps ou d'avaler les informations, données informatiques ou souvenirs des gens, à la façon dont un véritable trou noir absorbe poussières et lumière. Les architectes du rêve puisent dans les souvenirs des anciens habitants de Paris pour la reconstituer virtuellement.

Nguyen est même capable de marier le Fantastique classique d'un Lovecraft et la physique des particules avec « L'ultime réalité », où la modélisation des structures de l'atome dessine l'insupportable image de ce qu'on peut contempler au-delà, derrière l'image des quarks.

Il existe cependant un point commun à tous ces textes : loin de ne servir qu'une idée, ils font une grande part à la psychologie, présentant des personnages (non, des personnes !) riches et complexes, et ils sont tous écrits dans une langue superbe.

Terraborn

Écrit avec la collaboration de Patrick Raveau, complice en écriture et en édition (puisque les mêmes viennent de publier — aussi à compte d'auteur — Emergence, comprenant deux novellas de Science-Fiction, dont l'une, Le vrai visage de Grégory, porte leurs deux signatures), ce court roman de Science-Fiction allie à nouveaux motifs spéculatifs et considérations métaphysiques.

Sur Terraborn, colonisée par la Terre, les humains ont bâti quatre cités expérimentant divers types d'organisation sociale. Sur Khern, on se livre au jeu. Celui-ci, dirigé par un Maître du jeu, Milord, permet d'emprunter autant d'identités qu'on le désire : il suffit, pour devenir quelqu'un, de tirer une des mémocartes recelant une personnalité. L'inventeur de ce jeu est Théo, grand fabriquant de mémocartes, qui vit avec la jeune et belle Tinamou, dont on ne sait si elle est la fille, l'amante ou la mère, ou si elle tient tous ces rôles à la fois.

Sur Terraborn vit également un peuple non humain, les Jivan-mukti, qui portent une pierre incrustée dans la poitrine, une pierre indispensable dans la mesure où elle contient la mémoire de tous leurs ancêtres qui vivent à travers eux. Les pierres de vie ne font pas que rappeler le principe des mémocartes : c'est à partir d'elles qu'a été conçu le jeu ! Les choses, pourtant, ne sont pas si simples, les pierres étant peut-être nées de la technologie terrienne. Au moment où Milord songe à intégrer la culture et les connaissances des Jivan-mukti, il est assassiné.

Loin d'être un roman d'action sauce cyberpunk, Terraborn est un livre onirique, traversé d'images surréalisantes, où une voix sculpte la matière, où les esprits des personnalités se mélangent. Technique déshumanisante et spiritualité new age s'affrontent ici pour un avenir meilleur.

Comme l'explique Planque dans sa postface, ce roman dédié à Stefan Zweig cherche à rendre à l'homme une dimension spirituelle que la science lui a ôtée en le coupant de la réalité.

Le Sang du monde

G. J. Arnaud poursuit inlassablement l'exploration de son monde de glaces avec le troisième volume des Chroniques Glaciaires où la découverte, en profondeur, d'un liquide proche du sang sème l'émoi : il ne congèle pas mais coagule et s'effrite à la chaleur. Rugika, un Archéo spécialisé dans l'exhumation des vestiges du passé et Kant, un glaciologue, sont contactés par les nouveaux dirigeants de la Compagnie, la Transeuropéenne, pour faire la lumière sur cette affaire. Ils ont, pour une fois, le droit de tenir un langage scientifique sans tenir compte des interdits qui occultent la réalité historique, principalement au niveau des dates, qui sont toutes falsifiées.

La recherche de la solution se complique du fait que l'origine de ce suintement se situe de l'autre côté de la frontière, chez la Muslim, petite compagnie musulmane où il est difficile de se rendre, d'autant plus que les recherches sur ce liquide pourraient déboucher sur des applications pratiques, à savoir la fabrication de soldats capables de supporter les grands froids.

Mais quelles créatures ont senti couler dans leurs veines ce sang si particulier ? Et sur quel plan de l'évolution se situent-elles ? En jouant à élucider progressivement cette énigme, sur un mode classique mais avec quelques belles scènes comme la mise au jour d'un charnier, Arnaud peint dans le même temps les mœurs sévères de la Muslim, guère éloignées de celles des actuels Intégristes, esquisse une communauté européenne glaciaire (après le règne des Sadon) dont il délivrera progressivement les modes de fonctionnement, n'en doutons pas, dans de prochains volumes. Les Chroniques Glaciaires ont bien des affinités avec les nôtres…

D'une lecture agréable et facile, ce roman d'aventures offre une excellente détente.

Poupées aux yeux morts

Premier roman ambitieux de Roland C. Wagner, après Le Serpent d'angoisse et Un Ange s'est pendu, Poupée aux yeux morts, qui comprenait dans sa première édition trois volumes, conte les tribulations de Kerl, un voyageur de l'espace qui, à la suite d'une panne sur son vaisseau, a vieilli durant le trajet. Ce septuagénaire tente de retrouver Sue, la bien-aimée qu'il a délaissée cinquante ans plus tôt, laquelle n'a paradoxalement pas pris une ride depuis qu'elle a été conditionnée pour devenir une prostituée.

Cette quête sentimentale se double vite d'une autre, à l'échelle cosmique. En effet, la rationalité est de plus en plus souvent prise en défaut : il semble qu'une autre logique venue du fond de l'espace, la Perturbation, progresse vers la Terre. Les premiers éléments de cette menace sont donnés à Kerl par l'intermédiaire d'un Fouinain, un extraterrestre dont le physique comique ne masque que mieux l'étendue des pouvoirs psychiques. C'est cependant à l'astronaute de rassembler en un tout cohérent les indices qu'il glane au cours de péripéties rocambolesques ; les Matraqueurs, qui hantent le métro et s'expriment en langage minimaliste, les Salvoïdes, clones dont la fonction même de faiseurs d'horribles jeux de mots est un mauvais jeu de mots, les Transylvaniens qui dansent en effectuant de courts sauts dans le temps, les Néopurs, ex régime fort mais encore puissant, d'un puritanisme exacerbé, renversé par la Rationalité et sa rigidité scientifique, comme d'autres extraterrestres ou d'autres personnages attachants, constituent, parfois sans en avoir conscience, un élément du puzzle. Références musicales et littéraires, principalement de Science-Fiction, culturelles en ce qui concerne les images du vieux Paris, scientifiques par rapport à la Perturbation sont autant de détails qui portent l'intrigue à un point d'ébullition.

L'art littéraire de Roland C. Wagner est de manipuler conjointement le motif et la trame. Comme dans Les Futurs Mystères de Paris, que ce roman préfigure, chaque motif de son puzzle répète un élément de la trame globale.

Comme toujours chez Wagner, l'action est rapide et échevelée, de multiples personnages se croisent, se perdent et se retrouvent, d'innombrables idées et postulats sont agités, concaténés pour finalement accoucher d'une théorie unifiée d'un univers imaginaire aussi foisonnant dans sa complexité que cohérent dans son ensemble. On sort d'une telle lecture un peu étourdi, mais ravi, ébloui par ce numéro d'équilibriste. Une réédition essentielle.

Nouvelles 1963-1981

Ce quatrième et dernier recueil des nouvelles complètes de Dick couvre une période de près de vingt ans. Celle-ci correspond à la période où Dick devient un auteur de premier plan, grâce à des romans devenus des classiques, et où cette dernière forme devient prédominante.

Bon nombre de ces nouvelles peuvent être considérées comme des ébauches de roman (« Au temps de Poupée Pat », « Rendez-vous hier matin », « Une odyssée terrienne », « Chaînes d'air, réseau d'éther »…) ce qui ne signifie pas que telles étaient forcément les intentions de Dick au départ. « Dans la nouvelle gisait le germe », écrit Dick qui avoue que certaines de ses idées restent mieux exprimées sous cette forme qu'intégrées à un projet plus vaste dans le cadre d'un roman.

Durant la décennie précédente, la question de la définition de l'humain et de la réalité avait souvent pris la forme d'invasions insidieuses, d'artefacts dont il était impossible de déterminer l'extranéité. On en trouve encore quelque trace comme dans « Un précieux artefact » (l'un des derniers humains se raccroche à un chat symbolisant son monde détruit, sans savoir que les extraterrestres vainqueurs l'ont fabriqué pour son bon équilibre psychique). On sent pourtant la veine s'appauvrir, Dick synthétisant ses doutes jusqu'à la caricature et ne se privant pas, du coup, de les traiter par l'humour : un humain se changeant en gélate 12 heures sur 24 ne se sent pas plus humain qu'une gélate se transformant les trois quarts du temps en (ravissante) humaine (« Ah ! Être un gélate ! ») ; comment se mêler aux humains sans se faire repérer se demande un des petits envahisseurs Fnouls ? Cigarettes, whisky et p'tites pépées font de vous un homme à condition de ne pas en abuser ! (« La guerre contre les Fnouls »).

À présent, il ne s'agit plus d'identifier une menace externe mais de démêler, à l'intérieur de soi, le vrai du faux : l'homme conditionné pour croire à des événements qui n'ont pas eu lieu (« Le retour du refoulé »), l'homme se faisant greffer des souvenirs de voyage (« Souvenirs à vendre »), l'homme apprenant qu'il n'est qu'une machine et que sa perception de la réalité (ou bien la réalité elle-même ?) ne dépend que de la bande perforée qui défile dans sa mémoire (« La fourmi électrique ») sont autant d'exemples où le héros dickien ne se contente plus de douter de ses sens mais de lui.

Est-ce pour cette raison qu'il éprouve le besoin de se livrer à quelques confidences autobiographiques, de faire le point, parfois par le biais de texte symbolique comme Cadbury, le castor en manque, où sont exprimées ses difficiles relations avec les femmes ?

Précédant le délire mystique de Dick, et en prolongement direct avec les thèmes qu'il ressasse sans cesse, de nombreux textes posent la question de la divinité (« La boîte noire », « La foi de nos pères », « L'œil de la sybille », « Le cas Rautavaara »), préfigurant entre autres les romans de la « trilogie divine » ou encore le roman qu'il projetait d'écrire, Le Hibou ébloui, dont on trouvera ici le synopsis inédit que Dick avait présenté à son éditeur.

Une chose est sûre à la lecture de ces quelques pages condensant davantage un projet qu'un récit : Dick n'aurait pas fini de nous étonner !

L'Enfant arc-en-ciel

Weber Gregston, écrivain de renom, est amené à terminer le film d'Horreur de son ami Philip Strayhorn, qui s'est suicidé pour de mystérieuses raisons. La cassette vidéo qu'il lui lègue ne se laisse lire que progressivement, au fur et à mesure que Weber progresse dans la connaissance du projet de Philip, qui touchait à la connaissance divine. Mentor dérangeant, une petite fille enceinte qui prétend être un ange l'avertit qu'une scène du film risque de libérer des forces maléfiques si elle n'est pas retrouvée et modifiée. En fait, elles sont déjà à l'œuvre : les proches de Philip décèdent ou sont atteints d'un cancer. Il n'est pas certain non plus qu'on puisse faire confiance à cet ange qui apparaît et disparaît mystérieusement.

La quête de Webster, dictée par l'urgence, est ardue tant les faux-semblants, les signes ésotériques brouillent sa lecture des événements. L'écrivain est amené à la connaissance de soi en tentant de percevoir la personnalité réelle de Philip, dont il ne réalise que progressivement combien celui-ci l'a plagié. La réalisation du film le pousse à réfléchir à la nature du mal, à ce qui fait son essence. Dans le même temps, le récit qui abonde en références cinématographiques présente de manière fort convaincante l'univers du cinéma hollywoodien et plus particulièrement du film d'Horreur.

Fantasmatiques, allégoriques, les romans de Jonathan Carroll ne ressemblent à nul autre et appartiennent à cette catégorie rare de Fantastique qui privilégie l'épouvante du mouvant et de l'incertain à l'horreur des gesticulations grand-guignolesques.

Réflexion sur la mort, l'âme et le mal, ce roman se situe dans le droit fil de La Morsure de l'ange précédemment paru dans la même collection.

La Bête de l'apocalypse

Raoul de Warren a l'art de maintenir un suspense constant, de mener le lecteur de surprise en surprise sans temps mort, non pas à l'aide de rebondissements dans l'action mais bien dans l'élucidation de l'intrigue ! Qu'on juge : un jeune homme, Philippe Lormel, venu voir un ami, atterrit chez son voisin de palier, Robert Noir, qui l'informe qu'il l'a attiré ici car il est hanté par des cauchemars qu'il compte lui inoculer ! Effectivement, Lormel rêve ensuite d'une jeune femme crucifiée sur un bateau en flammes. Charles de Mordigné, un jeune passionné de mystères, enquête pour lui et apprend qu'au fil des siècles, cinq navires nommés La bête de l'Apocalypse ont coulé au large de Cadix ! Ce nom est aussi le titre d'un film inachevé illustrant l'Apocalypse de Saint Jean, qui n'aurait été tourné que pour permettre à la secte des Chevaliers du même nom de sacrifier une femme afin de mettre fin au règne de la Bête et hâter l'avènement de la troisième période de l'Apocalypse, qui promet mille ans de bonheur avant la convulsion finale. Plus surprenant encore : les cauchemars de Philippe représentent une scène jouée par l'actrice du film. Au fur et à mesure que l'enquête progresse, des cadavres jonchent la route de Charles de Mordigné, vite accusé de meurtre et qui d'ailleurs en vient à conclure avec d'autres qu'il est le coupable, victime d'un dédoublement de personnalité !

Raoul De Warren, considéré comme le Gustave Meyrink français, ne craint pas d'abuser, en grand maître de la littérature populaire, de coïncidences et de hasards formidables, de dédoublements de la personnalité et même de filiations cachées ou ignorées ! Ce grand numéro d'équilibriste est peaufiné par l'agilité avec laquelle il manipule les chiffres pour faire coïncider les nombres ésotériques (666, 888) avec les événements de l'Histoire. La seconde guerre mondiale devient ainsi la trace tangible du règne de la Bête sur Terre.

Récit Fantastique, policier, d'espionnage, d'occultisme ? La bête de l'Apocalypse est tout cela à la fois et bien davantage. De la grande littérature populaire, vraiment !

Avril et des poussières

En alternance, un récit fantastique, celui d'Antonio, en 1998, chasseur de trésors anciens à l'image d'un Indiana Jones, et un récit de Science-Fiction qui conte au XXIIe siècle le voyage spatial et la colonisation d'une planète, Bêta X.

Antonio reprend les recherches de Laura, son amour disparu, parties d'un grimoire traitant de civilisations antérieures. Elles l'amènent à exhumer en Australie, alors qu'il est traqué par un mystérieux personnage, un moulin à prières qui le ballotte à travers l'espace et le temps, jusqu'à l'expédier finalement sur Bêta X.

Les colons de l'expédition, dominée par la NEE, la Nouvelle Ethique de l'Être, et ses prêtres rigoristes perdent la plupart de leurs scientifiques d'une manière aussi spectaculaire qu'incompréhensible. À l'arrivée, les colons se séparent des prêtres qui s'exilent dans les montagnes, pour des raisons connues d'eux seuls. Marie, une psycho-intuitive, qui donne à Bêta X le poétique nom d'Avril recevra la révélation de ces événements.

Il s'avère que des portes spatio-temporelles, à travers lesquelles passe Antonio, ont été placées par des extraterrestres qui s'affrontent sur Terre depuis des siècles.

La lutte classique d'Osiris et Isis contre Seth, empruntée à la mythologie égyptienne, a déjà inspiré nombre de récits. Il est impossible ici de ne pas faire référence au cycle de BD bilalien et principalement au premier tome, La foire aux immortels, où la religion est également très prégnante et où les demi-dieux investissent aussi des corps humains.

Mêlant action et suspense, le récit, élégamment écrit, cherche à dépasser sa dimension de roman populaire. Les titres des chapitres, références directes ou déguisées à des romans de SF et à quelques autres comme les extraits de livres qui les précèdent citant pêle-mêle le Coran, Mirabeau, Gautier, T.S. Eliot, Homère, Dirac, Breton, Louise Labé, Tristan Bernard montrent à quel point l'auteur cherche à embrasser toutes les cultures et les époques pour en synthétiser les messages de tolérance et de connaissance de soi. Si l'originalité manque au scénario, elle est présente dans les intentions, un brin mystiques, portant sur le temps et la place de l'homme dans l'univers…

Les Royaumes du Mur

Il  y a deux ans, dans sa nouvelle Carnets d'Henri James (in Les Eléphants d'Hannibal), Robert Silverberg faisait dire à cet auteur, parlant de l'un de ses amis écrivains : « Le meilleur de son œuvre est derrière lui, et il est évident qu'il le sait. Je prie Dieu, s'il existe, de ne pas me réserver pareil destin. » Il est certes facile pour le critique de sortir une phrase de son contexte et d'en tirer les conclusions qui l'arrangent, mais il n'en reste pas moins indiscutable que les derniers romans de Silverberg font pâle figure face aux chefs-d’œuvre qu'il signa il y a un quart de siècle. Dans une interview récente à la revue américaine Locus, l'auteur reconnaissait se sentir mal à l'aise avec la Science-Fiction actuelle et les contraintes du marché. Visiblement peu attiré par les thématiques modernes, il a ces dernières années opté pour un classicisme auquel il ne nous avait guère habitué, tant sur le fond que sur la forme, et s'est retrouvé catalogué, bon gré mal gré, « vieille gloire de la SF américaine ». Bref : un homme du passé.

Certes, Les Royaumes du mur, comme les romans qui lui ont succédé, n'est pas foncièrement mauvais. Les personnages que Silverberg met en scène sont plutôt attachants, et la société extraterrestre qu'il décrit, si elle n'est pas des plus originales, n'en est pas moins intéressante. Reste que l'on a l'impression d'avoir déjà lu cette histoire de pèlerins partis à la rencontre de leurs dieux des dizaines de fois, et que ce récit souffre de sa linéarité — au fil de leur progression, les héros affrontent un danger, puis un autre, puis un autre… Au bout du compte, si l'on n'a pas l'impression d'avoir perdu son temps à la lecture de ce livre, on a néanmoins tôt fait de le ranger dans quelque recoin poussiéreux de sa mémoire. Et l'admirateur de Robert Silverberg de constater, désolé, que celui-ci écrit désormais des romans oubliables.

Les vieux routiers de la Science-Fiction pourront retrouver dans Les Royaumes du mur le plaisir éprouvé à recevoir des nouvelles d'un vieil ami que l'on ne voit plus guère depuis qu'il est parti couler une retraite paisible sur la côte. Quant aux jeunes gens qui nous font le plaisir de nous lire, nous leur conseillons ardemment de faire un détour par les deux « Omnibus » récemment publiés par les Presses de la Cité, ils comprendront sans mal ce qui faisait de Silverberg un auteur d'exception.

Quatre cents milliards d'étoiles

Brièvement entrevu dans les pages de Fiction à la fin des années 80, publié dans l'anthologie Century XXI (Encrage) puis dans les pages de Galaxies, c'est au tour des grandes collections de SF françaises de s'intéresser à Paul J. McAuley, l'un des écrivains les plus talentueux de la nouvelle vague britannique. Après Les Conjurés de Florence (Denoël « Présences »), et en attendant la traduction du splendide Fairyland, J'ai Lu publie aujourd'hui son premier roman.

Quatre cents milliards d'étoiles se déroule dans un futur assez éloigné. L'humanité est en guerre contre les Alea, une race extraterrestre dont elle ignore tout. Afin de percer leurs secrets, Dorthy Yoshida, une jeune télépathe, est envoyée sur une planète terraformée par les Alea. Son rôle au sein de l'équipe d'exploration est de tenter d'entrer en communication avec les créatures primitives qui peuplent ce monde, surnommées les Bergers, et de découvrir le lien qui les unit aux Alea.

Même si McAuley a fait bien mieux par la suite, ce premier roman est loin d'être inintéressant. Quatre cents milliards d'étoiles est un space opera mâtiné de hard science, s'inscrivant dans une tradition établie par Hal Clement ou Larry Niven, et poursuivie ces dernières années par des auteurs comme David Brin et Gregory Benford. Le traitement des divers thèmes de ce roman (télépathie, écologie, première rencontre avec une civilisation extraterrestre, etc.) n'est pas foncièrement original, mais il est globalement bien maîtrisé. Paul J. McAuley a su créer un univers crédible et intéressant, dont il ne révèle que progressivement les mystères. Ajoutons à cela un personnage principal féminin attachant de par sa complexité, qui plus est traité sans une once de machisme, et l'on obtient un roman qui, s'il ne bouleverse pas les données du genre, se lit avec un plaisir évident.

Souhaitons que J'ai Lu aura la bonne idée de traduire les deux romans suivants de McAuley, Secret Harmonies et Eternal Light, situés dans le même univers que celui-ci.

Ça vient de paraître

Les Armées de ceux que j'aime

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 116
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