Sunny Park
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À l'instar de Tourville, Sunny Park ausculte notre civilisation en chaussant des lunettes noires. Cependant, à la différence de Alex D. Jestaire, qui jouait sur la déréalisation et usait d'un langage SMS, Bernard Berrou fait le choix de décaler son roman très nettement dans le futur — à la fin du XXIe siècle, pour être précis — et il utilise une langue très travaillée, s'autorisant même quelques échappées clairement poétiques. Indiquons enfin que Sunny Park apparaît, au regard de la S-F, comme une œuvre qui s'inscrit de plain-(petit)pied dans le courant dystopique. Cette précision n'empêchera évidemment pas les laudateurs habituels — n'en doutons pas un instant — d'agiter l'épouvantail de l'anticipation sociale… Bref, passons.
Le synopsis de Sunny Park a de quoi séduire lorsque l'on parcourt d'un œil distrait la quatrième de couverture. Celui-ci nous présente la Ville — peu importe son nom — comme une entité qui s'étend quasiment désormais à l'ensemble du vieux continent. L'humanité y vit emmurée, coupée de tous ses liens avec la Nature, et nous apprenons que les montagnes sont peu à peu rabotées pour céder la place à de nouveaux quartiers et que les mers sont remblayées pour offrir des terre-pleins tout frais à l'irrésistible dilatation urbaine qui se nourrit des déchets de sa population ; eux-mêmes recyclés en un matériau de construction à bon marché : le compost-block. Ainsi la Ville croît-elle comme une tumeur cancéreuse, dévorant l'espace et la nature devant elle, à l'exception de la Forêt qui, semble-t-il, a décidé de passer à l'offensive pour repousser l'envahisseur. Dans cette Ville, la population est entrée en dévolution. Sa subsistance est assurée grâce à une allocation nourriture et elle se drogue au Ginger-up, une substance qui décuple son désir sexuel. Evidemment les livres, devenus superflus, sont stockés pour être détruits, et les habitants, devenus maladivement sédentaires, ne se contentent plus de sortir que pour fréquenter le miroir aux alouettes du Sunny Park où les loisirs et le spectacle sont permanents.
Si on mesure un roman à l'aune de ses choix thématiques, nul doute que Sunny Park a de l'ambition. Nous reviendrons plus tard sur la réalisation de cette ambition. Malheureusement, on mesure aussi un roman à son récit, sans quoi on achète un essai. Or, point de récit ici. Juste un fil conducteur bien mince que l'on a plus d'une fois envie de lâcher avec le livre. Nous suivons un couple — Gaspard et Sabine — qui baise à s'en faire péter les muqueuses une bonne partie du livre, pendant que la foule murmure dans la rue et que la Forêt, dopée par un savant fou, mine les fondations de la Ville. Et puis, on découvre les événements qui conduisent Gaspard et sa gourgandine à s'aventurer à l'extérieur. Mais en prenant son temps quand même… il faut éviter de casser le rythme effréné… Pendant ce temps, un troisième personnage nous assène, au cours de quelques exposés didactiques mollassons, l'histoire de la Ville. Que tout cela est lourd et ennuyeux, pense-t-on plus d'une fois… Et ce n'est pas le traitement des thématiques dystopiques qui nous tire de l'ennui profond où l'histoire nous plonge. Bernard Berrou recycle paresseusement des thèmes déjà vus dans Le Meilleur des mondes de Aldous Huxley, dans Farenheit 451 de Ray Bradbury, dans l'œuvre récente de J. G. Ballard sans doute aussi, et dans Le Monde vert de Brian Aldiss, même si ce dernier titre n'est pas à proprement parler une dystopie. Et que nous propose-t-il ? Une ambiance de fin du monde dépeinte à grands coups de rouleau baveux. Des descriptions poétiques monotones et interminables. Des exposés plombés sur le pourquoi-du-comment du désespoir tranquille de l'humanité. Une apocalypse molle, une dévolution fainéante et inexorable que seul le coup de fouet d'un retour aux racines — un peu passéiste pour le coup — vient inverser, et encore, pas pour tout le monde… pour les élus peut-être ?
Au final, Sunny Park appartient à cette catégorie de fictions françaises (dans le même style, on recommandera Infabula d'Emmanuel Werner) que l'on pourrait appeler le roman philosophique désenchanté et nombriliste (je viens d'inventer le terme à l'instant). Somme toute, un candidat de poids sur la longue liste des réussites dans l'art d'inventer le caoutchouc mou.