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Origines, épisode 7

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J.R.R. Tolkien, une biographie

Tous les connaisseurs le savent : Tolkien n’aimait guère l’idée d’une biographie, parce qu’il pensait que « retracer la vie d’un écrivain est une manière fausse et entièrement vaine d’approcher son œuvre ». Il y a quelque chose de fascinant dans ce jugement a priori du travail biographique mené à bien par Humphrey Carpenter, car à lire son remarquable ouvrage, on découvre justement comment est né « Le Seigneur des anneaux », en particulier et plus globalement le « Légendaire » tolkienien : premières années de J. R. R. Tolkien en Afrique du sud, la perte de ses parents, sa conversion au catholicisme (initiée par sa mère), ses études sans le sou à Oxford, son don pour les langues mortes, l’horreur de la Première Guerre mondiale, sa maladie et les fatigues à répétition de son épouse Edith. Et puis le calme d’une vie studieuse, l’amitié avec C.S Lewis. On voit naître le Mordor dans le champ de bataille de la Somme ; l’amour des arbres et des forêts se dessine de l’enfance jusqu’à la fin de la vie de l’écrivain ; les personnages du « Seigneur des Anneaux » et de Bilbo le Hobbit apparaissent ici et là sous d’autres noms, d’autres visages : Gandalf est un guide de montagne à l’impressionnante barbe, Sam Gamegie est l’archétype du soldat anglais fier et idéaliste, etc. L’entreprise au long cours d’Humphrey Carpenter (qui passa huit mois chez Christopher Tolkien, cinq jours par semaine, rien que pour étudier les archives familiales) impressionne à bien des égards.

En 280 pages (à peine), d’une incroyable densité, Carpenter expose la vie de Tolkien, la porte au grand jour, explique le rapport de l’auteur avec le Catholicisme, la guerre, le mariage et la paternité (pas aussi idylliques que pourraient le laisser supposer la rédaction de Bilbo le Hobbit et, avant ça, Roverandom : Tolkien faisait régulièrement preuve d’un immense égoïsme). On perçoit le poids du « Seigneur des Anneaux », d’abord dans la vie de son auteur, puis dans le monde entier, un poids qu’on peut évidemment rapprocher au fardeau que devient l’anneau Unique pour son porteur : Frodo/Frodon. On s’amuse aussi d’apprendre que Tolkien a beaucoup joué au rugby, n’aimait pas voyager dans les pays qui le fascinaient pourtant, détestait cordialement les œuvres de Shakespeare et ne trouvait guère d’intérêt aux grands philosophes grecs qu’il fut évidemment obligé d’étudier à Oxford.

J.R.R. Tolkien, une biographie est un exemple saisissant de travail méticuleux où, avec une constance admirable, le sérieux et la précision l’emportent sur la passion ; par définition, certains aspects de la vie de Tolkien sont moins palpitants que d’autres, mais passée la page cent, au moment où le « Légendaire » tolkienien commence à émerger de l’esprit de son démiurge (grosso modo à la fin de la Première Guerre mondiale), tout amateur du « Seigneur des Anneaux » ne pourra qu’être happé par les détails (parfois intimes) d’une des plus im-pressionnantes success stories littéraires.

Tolkien et la grande guerre

Tolkien et la Grande Guerre, le récent ouvrage critique magistral de John Garth sur ces années de formation de Tolkien qui furent concomitantes à la Grande Guerre, est doté d’un titre un peu trompeur. En effet, si Tolkien en est le personnage central, il est surtout l’une des parties du TCBS (Tea Club, Barrovian Society), la « confrérie » qui structura ses jeunes années. Quant à la guerre, Tolkien y passa finalement peu de temps, même si elle contraignit longtemps son existence ; de fait, elle n’arrive pour lui qu’à peu près au milieu du livre.

Garth présente la genèse de la mythologie de Tolkien, entamée avant le début du conflit, et son évolution dans les années capitales de la guerre et de l’immédiat après. Il le fait au fil d’un récit biographique chronologique dans lequel vie et œuvre se mêlent, approche plus déroutante que si elle avait été thématique. La quantité de détails fait de l’ouvrage une somme d’informations de grande valeur ; elle rend aussi la lecture ardue tant est dense le savoir accumulé. Aucune ligne n’est anecdotique dans le livre. Tout compte.

Avant la Guerre, Tolkien, orphelin et étudiant à Oxford, fonde la TCBS avec ses amis Christopher Wiseman (son « Grand Frère Jumeau ») et Rob Gilson. Geoffrey Smith les rejoint vite, puis quelques autres finalement exclus pour excès d’ironie. En effet, le projet du TCBS est d’atteindre à la grandeur, de ramener par l’art la Beauté dans le monde. Rien de moins. Ce projet et sa réalisation concrète occuperont sans cesse les pensées et la correspondance ininterrompue du quatuor durant les premières années de leur vie intellectuelle. La part de Tolkien fut la création d’un mythe.

Avant la Guerre, Tolkien abandonne ses études classiques pour se consacrer à sa passion, les langues anglo-saxonnes d’origine germanique, puis le finnois. Il se donne une culture résolument nordique, tournant le dos aux mythes et récits antiques classiques. Pratiquant la philologie comme une science doublée d’un art, Tolkien commence l’invention du qenya (cette langue elfique qu’auraient entendue les primitifs européens préchrétiens et à laquelle ils auraient fait des emprunts), puis, utilisant à rebours les règles de déformation philologique, celle de l’eldarin ancien qui en serait la source perdue. Du lexique, pour le faire vivre, Tolkien tire progressivement une géographie et une mythologie qui se construisent au fil des poèmes et récits. Le projet de Tolkien s’inscrit dans une filiation romantique, mais il retourne vers un passé antédiluvien imaginé, qui aurait pu être. Ce projet, toujours en chantier, sera celui de toute sa vie.

Et la guerre dans tout ça ? En Angleterre, en 1914, pas de conscription. Les soldats anglais seront donc des volontaires. Tolkien, en voie d’épouser celle qui sera l’amour de sa vie et contraint par sa situation personnelle à terminer ses études afin de briguer un poste universitaire, sera le dernier des quatre TCBS à s’engager. Après une formation assez longue, il est envoyé en France le 6 juin 1916. Juste à temps pour être au cœur de la très meurtrière bataille de la Somme comme officier de transmission. Toujours au front mais jamais dans le no man’s land, sa vie sera celle de tous ces intellectuels soldats décrite par Nicolas Mariot dans Tous unis dans la tranchée ? Il y découvrira, avec l’ennui et l’inconfort, les manifestations évidentes de ce qu’il y a de meilleur et de pire dans l’humanité, des deux côtés du front. Il y ressentira de l’admiration pour ces hommes du peuple, simples, qu’il n’avait jamais côtoyés et qui font leur devoir avec abnégation. Ils inspireront le personnage de Sam Gamegie. Le 8 novembre, atteint de la fièvre des tranchées, il est rapatrié en Angleterre. D’hôpitaux en camps d’entraînement, de permissions en service réduit, il ne sera finalement démobilisé qu’après la fin des hostilités. Il entamera alors sa carrière universitaire. Ses ouvrages les plus connus ne viendront que plus tard, son ami C.S. Lewis l’ayant incité à rechercher la publication.

Mais le monde dans lequel était revenu Tolkien avait profondément changé. Gilson, Smith, et nombre d’autres amis étaient tombés, et le peuple d’Oxford avait payé un lourd tribut au conflit. Le machinisme et la modernité, que Tolkien n’aimaient pas car, comme l’écrivait Max Weber, ils désenchantaient le monde, avaient trouvé leur point culminant dans cette guerre qui fut la première à opposer des hommes à des machines, au détriment des premiers. La fin de la faerie était définitivement consommée ; « La Chute de Gondolin », écrit à cette période, illustre la perte de l’âge d’or et annonce les terreurs à venir. Nombre de ses écrits suivants auront une trame crépusculaire, le regret d’une fin. Qu’on pense aux Havres Gris.

De la guerre, Tolkien retiendra l’horreur, mais il voudra aussi garder l’héroïsme de l’effort, même désespéré. On peut être un héros vaincu. La Grande Guerre en compta beaucoup. Ses histoires aussi. Quelques scènes furent peut-être inspirées des champs de mort de la Somme, mais Tolkien rejettera l’idée d’une transposition symbolique de son expérience combattante. Reste le sentiment d’une lutte frontale entre le Bien et le Mal qui parcourt son œuvre, une lutte qui oppose le meilleur et le pire de ce que nous sommes.

Dictionnaire Tolkien

Sans contestation possible, Vincent Ferré est le spécialiste français de Tolkien. Agrégé de lettres modernes, ancien lecteur au Trinity College de Cambridge, aujourd’hui professeur de littérature générale et comparée à l’université Paris-Est Créteil, c’est à lui qu’on doit les dernières éditions de Tolkien en France chez Christian Bourgois, éditeur auprès duquel il supervise tout travaux concernant de près ou de loin notre bon papy John Ronald Reuel (tout en dirigeant la collection « Médiévalisme(s) » aux éditions du CNRS, dans laquelle on retrouve le Tolkien et ses légendes de notre collaboratrice Isabelle Pantin évoqué plus haut). Bref, Vincent Ferré et Tolkien, vielle histoire s’il en est, c’est du lourd, du costaud, du très sérieux. Ainsi, quand notre spécialiste s’entoure de soixante-trois collaborateurs (tout de même !) pour nous proposer un dictionnaire encyclopédique de plus d’un kilo (1,2 kg, pour être précis ; j’ai vérifié !) comportant trois cent quarante notices sur pas loin de sept cents pages, le tout représentant plus de deux millions et demi de signes, autant dire qu’on s’attend à avoir du solide. Et force est de constater qu’on n’est pas déçu, loin s’en faut. Tout y passe, en fait, de l’œuvre elle-même (contexte, origine, constitution et constituants), y compris ses rameaux les moins connus et/ou inédits en français, ses sources (Beowulf, qualifié « d’une des plus importantes inspirations de Tolkien », Wagner, ou plutôt l’antiwagnérisme, l’Edda…), continuateurs et enrichisseurs (Alan Lee, John Howe, Peter Jackson et compagnie), sans oublier, de fait, les supports dérivés (cinéma, jeux de rôle, etc.), mais aussi l’auteur lui-même, sa vie, ses proches, femme, enfants et petits-enfants, et bien sûr quantité de mots clés (« sacrifice », « guerre », « religion »…). De là à faire du présent Dictionnaire un incontournable pour tout amateur tolkienien digne de ce nom, il n’y a qu’un pas qu’on s’empressera de franchir sans sourciller. Naturellement, l’esprit chagrin, le Sauron en chacun de nous, en somme, ne manquera pas de relever quelques coquilles agaçantes, surtout au regard de la haute tenue globale du propos (et de ceux qui les tiennent, tous ou presque universitaires, qui jamais (ou quasi) ne versent dans l’abscons), ou encore un manque d’uniformité dans le ton (soixante-trois collaborateurs, rappelons-le) qui rappelle qu’un polissage supplémentaire de l’ensemble n’aurait peut-être pas été de trop. Enfin, bien sûr, l’actualité autour de Tolkien étant ce qu’elle est, certaines entrées mériteraient déjà quelques mises à jour (la traduction de Beowulf par Tolkien est désormais disponible, par exemple). Mais quoi ? Ce Dictionnaire Tolkien, au sein d’un corpus critique pourtant fort chargé, s’impose d’emblée comme imparable, une somme passionnante qui à elle seule, par la richesse de l’œuvre qu’elle expose et décrypte, achèvera de convaincre quiconque de l’importance majeure de son sujet dans le champ littéraire mondial — et au diable la quarantaine d’euros qu’il vous en coûtera, ce livre les vaut, et de beaucoup.

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