Le Dernier Monde
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« Inclassable, alliant un suspense très efficace à une poésie singulière, ce roman, qui n'appartient pas du tout au genre de la science-fiction, apparaît comme l'un des plus inspirés, des plus originaux de ces dernières années. Cette odyssée du dernier homme sur la Terre emprunte avec une étonnante puissance verbale à la technologie contemporaine comme aux plus anciennes sagas de l'humanité. »
Troisième roman et premier pavé pour Céline Minard, ce vaste bouquin de 514 pages intrigue.
Il intrigue parce qu'il est publié dans une collection mainstream. Or, il commence dans une station spatiale. Dans cette station se trouve Jaume Roiq Stevens, le héros de l'histoire. Un incendie s'y déclare, et tout le monde évacue. Tout le monde sauf Jaume, parce qu'il est jeune et rebelle, mais surtout convaincu que l'incendie ne présente aucun danger. Une fois ce dernier éteint, il apprécie les délices de la solitude spatiale, tout en gardant un contact radio avec la Terre. Jusqu'à ce que le contact soit rompu. Jaume pense d'abord à une avarie technique. Puis il envisage la folle hypothèse de la disparition de l'humanité… et décide de rentrer sur Terre, à Cap Canaveral. Il se rend alors compte que son intuition était juste : les humains semblent avoir disparu de la surface de leur planète. Point d'apocalypse nucléaire ou autre, puisque la nature est luxuriante. L'homo sapiens semble s'être évaporé en plein milieu d'une journée ordinaire. Jaume se demande donc où est passé le nageur dont il trouve le maillot de bain au fond d'une piscine — je vous fais grâce de la marque : si vous voyez Céline sur la plage cet été, regardez la marque de son maillot, l'auteure l'aura peut-être eu gratuitement contre cette petite séquence publicitaire… Puis Jaume a l'idée de visionner les vidéos de surveillance d'un centre commercial. Une étrange catastrophe semble avoir pris tout le monde au dépourvu, si l'on en croit ces films muets en noir et blanc. Etrange catastrophe qui n'a frappé que les humains, puisque tout est intact. Jaume décide alors de partir de Cap Canaveral pour parcourir le monde à la recherche d'éventuels survivants. Comme il est seul dans son coin de Floride, on comprend facilement qu'il n'ait que ça à foutre. Au volant d'une voiture empruntée, il se lance à travers les USA. La suite de son périple le conduira sur les autres continents, à la recherche d'éventuels survivants.
Vous l'aurez compris, nous ne sommes pas dans un roman de S-F.
Frottez-vous les yeux, pincez-vous : oui, nous ne sommes pas dans un roman de science-fiction. C'est bel et bien ce qu'affirme le site de Denoël, dont l'exergue de cette critique est tiré.
Certes, les satellites et les hommes dans l'espace ou sur la Lune sont une réalité. La science-fiction n'en a plus le monopole. Mais tout de même ! La disparition de l'homme, le dernier homme sur Terre, ce n'est pas de la S-F ? Car pour autant qu'on sache, l'homme n'a pas (encore) disparu. Le Monde enfin de Jean-Pierre Andrevon serait-il alors du mainstream publié dans une collection de S-F (en l'occurrence, « Rendez-vous ailleurs ») ?
Pourtant, le site de Denoël nous l'affirme haut et fort : « Ce roman […] n'appartient pas du tout au genre de la science-fiction. » Oui, vous avez bien lu. Pincez-vous à nouveau, frottez-vous à nouveau les yeux : « Ce roman […] n'appartient pas du tout au genre de la science-fiction. » Passons donc outre nos légitimes réticences sur cette spoliation, et penchons-nous d'avantage encore sur « ce roman, qui n'appartient pas du tout au genre de la science-fiction ».
Curieux début, puisque le roman commence au milieu d'un verbe, qui semble conjugué au conditionnel. Oui, à la seconde moitié d'un verbe coupé en deux. Pourquoi donc ? Vous le saurez si vous tenez jusqu'à la page 480. Et oui, pour comprendre le mystère de ce premier chapitre, il faut endurer stoïquement près de 450 pages d'inepties. En effet, comment juger autrement cette vaste odyssée coprolalique du dernier homme sur Terre ? Les descriptions qui lorgnent vers le Ballard des Vermilion sands ne sont qu'un alignement de fadeurs plates, profondément ennuyeuses et totalement creuses. On pourrait aussi penser par moment que l'auteur lorgne vers William Burroughs. Sauf qu'en lieu et place des délires dévergondés du génial junky, nous avons ici droit à un alignement consternant de scènes érotiques profondément soporifiques qui se veulent trash, et n'en sont que plus ennuyeuses et pitoyables. N'est pas Samuel Delany (Hogg) qui veut, loin de là !
Je ne résiste d'ailleurs pas au plaisir de vous en faire partager un petit florilège :
« Le barrage de Gezhouba est comme un Prince-Albert sur la bite de la Chine, il traverse l'urètre et ressort sur le frein, quand les eaux gonflent, le lit gonfle, le piercing s'incurve. » (p. 260) « Le gode en pénétrant faisait un petit bruit de pet mouillé. » (p. 261) « Wei lâcha une série de pets parfumés, lui colla sa chatte juteuse dans la bouche et pissa violemment au moment où l'Echampson affolé perdait pied et partait en pétard. » (p.264)
Le lecteur, frustré, ne saura pas à quoi les pets de cette Wei imaginaire, issue des délires de Jaume, étaient parfumés. Mais admirez tout de même le passage du pet au pétard, ou comment cette écriture pétaradante ne brasse finalement que du vent. Pardon : des vents.
Je vous fais grâce des pages précédentes, inoubliables variations sur la scatologie porcine. Leur seul intérêt est de nous mettre, en quelques dizaines de pages, la matière dans tous ses états : solide (étrons), liquide (urine) et gazeux (vents). De quoi combler les amateurs de hard science…
Finalement, « ce roman, qui n'appartient pas du tout au genre de la science-fiction », illustre une chose fondamentale : le sectarisme peut avoir du bon. Lisez les livres de S-F conseillés ce mois-ci. Lisez simplement de la S-F : vous éviterez ainsi Céline Minard, qui n'en écrit pas. Tant mieux pour la S-F.