Au carrefour des étoiles
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Au Carrefour des étoiles, lauréat du prix Hugo 1964, est peut-être le livre le plus connu de Clifford D. Simak – après Demain les chiens.
Toute l’histoire se déroule dans et autour d’une ferme isolée près de Millville, dans le Wisconsin – Simak est né et a vécu dans une telle ferme, dans cette même région. À son retour de la guerre de Sécession, après la mort de ses parents, Enoch Wallace est contacté par Ulysse, un extraterrestre qui propose de transformer la ferme familiale en une station de transit galactique dont Wallace sera le gardien. Il y verra passer quantité d’êtres plus étranges les uns que les autres, mais plutôt sympathiques, qui lui offrent des tas de cadeaux dont il ignore l’usage. La première moitié du roman nous présente cette situation en recourant à maints flash-backs. Ceci se passe, bien sûr, à l’insu du reste de l’humanité. Mais en dépit de l’isolement et de sa discrétion, un homme de plus de 120 ans qui en paraît trente finit par attirer l’attention…
On est à mille lieues d’une SF à grand spectacle. Au Carrefour des étoiles est un roman quasiment minimaliste tant au regard des décors que de la poignée de personnages mis en scène. Outre Enoch Wallace lui-même et Ulysse, l’extraterrestre, on ne croisera guère que Lucy, l’étrange fille sourde-muette de voisins peu avenants, qui semble douée de pouvoirs paranormaux, Winslowe Grant, le facteur, seul lien de Wallace avec le vaste monde et son unique ami, Mary, une sorte d’avatar, de personnalité virtuelle comme on ne disait pas encore, qui lui tient compagnie et dont il devra au final aussi accepter la perte, et enfin Claude Lewis, l’agent de la CIA qui enquête vainement sur l’occupant des lieux. Ceci posé, la crise peut survenir.
Si le roman est empreint d’humanisme, il n’en reste pas moins plutôt sombre, marqué par la mort et le spectre de la perte. Pour tenir son rôle, il fallait que Wallace fût un humaniste solitaire se tenant à l’écart d’une humanité qui ne l’est guère. En ces temps troublés, loin du Wisconsin, entre « missiles de Cuba » et « Baie des Cochons », assassinat de JFK et concert de godasse khrouchtchevien, la Terre est au bord du gouffre d’une troisième guerre mondiale nucléaire. Mais la galaxie ne va pas bien non plus : le Talisman, un artéfact qui permet de catalyser la force spirituelle cosmique et maintenait l’harmonie dans le cosmos, a été perdu et les rapports entre les innombrables races peuplant la Voie lactée se délitent. Les tensions renaissent et la Terre pourrait bien en faire les frais, se retrouver isolée pour longtemps du reste de l’univers. Un dilemme cornélien déchire Enoch Wallace entre sa fidélité au Central Galactique et son appartenance à la Terre qui l’a vu naître. Perdre la galaxie ou renoncer à la Terre. Tout se précipite lorsqu’est violée la sépulture d’un alien enterré au fond du jardin…
Le roman est aussi empreint d’un mysticisme christique, proche de celui que l’on a pu voir dans Le Crépuscule deBriareus de Richard Cowper (réédité il y a peu, cf. le Bifrost 102), bien que ces deux romans soient on ne saurait plus différents. Le Talisman par lequel la force spirituelle cosmique se transmet aux peuples de la galaxie apparaît telle une version SF du Graal, qui lui aussi était perdu (et l’est de nouveau), et sa récipiendaire a tout de la sainte. Simak transpose la foi chrétienne dans un contexte cosmique, offrant une dimension spirituelle à sa SF. La fin heureuse n’en est pas moins mâtinée d’une certaine tristesse car choisir c’est renoncer, même lorsque l’on n’a pas vraiment le choix, que celui-ci s’impose à vous. Le livre terminé, reste le deuil et un lecteur qui, lui, n’en n’a pas encore tout à fait fini avec ce chef-d’œuvre…