Léviathan 99
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La composition de cet ouvrage est originale : une première partie de vingt-et-un récits rédigés entre 1946 et 2003 (The Cat’s Pajamas, 2004), une nouvelle intermédiaire en guise d’intermède (« Chrysalide », 1946), et enfin un second volet réunissant deux novellas (Now and Forever, 2007). Les textes abordent des thématiques très différentes, correspondent à des époques et des projets de rédaction éloignés dans la vie de Ray Bradbury, si bien que la lecture de l’ensemble évoque un patchwork au contenu très inégal. Il est difficile de saisir la logique générale de cette publication, d’autant plus que le style d’écriture ne semble pas toujours abouti.
On peut toutefois, çà et là, voir émerger un semblant de structure.
Ici, Bradbury décrit des expériences vécues sur le ton de la mélancolie. Dans « Nous ferons comme si de rien n’était », l’auteur se remémore Susan, la domestique qui s’occupait de lui durant son enfance, en imaginant un hypothétique rendez-vous raté. Il chante de vieilles musiques populaires américaines avec « I Get the Blues When it Rains (souvenir) ». Relate une rencontre fortuite, mais captivante, dans « Le Collectionneur fou ».
Là, d’autres récits expriment une critique du racisme américain des années 1940. Dans « Le Jeune homme et la mer », un enfant noir semble avoir tellement intériorisé le rang social que les Etats-Unis lui imposent qu’il cherche un moyen de changer sa couleur de peau. « La Transformation » met en scène un Blanc raciste dont la haine envers les Noirs se retournera contre lui. Le texte « Des goûts et des couleurs » traite également des préjugés raciaux, mais par la voie de la science-fiction — fait assez rare dans ce livre pour être souligné. Ainsi, un vaisseau spatial humain se pose sur une planète où il rencontre une espèce aussi bienveillante qu’intelligente, mais à l’apparence inconcevable.
Une autre catégorie de nouvelles peut être distinguée : Ray Bradbury dédie plusieurs de ses récits à des auteurs l’ayant influencé. C’est le cas notamment de « L’Orient-Express de l’éternité », un poème où l’auteur rencontre Chesterton, Kipling, Poe, Twain et bien d’autres, mais aussi de « Léviathan 99 », la nouvelle-titre, qui est une transposition du Moby Dick de Melville dans l’espace, avec une comète géante en guise de baleine.
Bien que l’on reconnaisse la signature du maître Bradbury dans l’ensemble ou presque de ces récits, la plupart d’entre eux demeurent anecdotiques. A l’exception notable de « Quelque part joue une fanfare », novella dans laquelle un journaliste découvre une ville mystérieuse où les pierres tombales ne sont pas datées et où aucun mort ne repose (encore ?) dans le cimetière. L’ambiance est très rapidement posée et la narration efficace.
Au final, si cette compilation de textes inédits en français possède une valeur patrimoniale indéniable, la qualité de l’ensemble, assez faible, ne peut en faire une lecture prioritaire. On réservera donc ce Léviathan 99 aux fans les plus motivés.