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L'Affaire Jane Eyre

1985. Le Royaume-Uni est dirigé par la Goliath Corporation. Ce trust omnipotent, qui repoussa l'invasion nazie, entretient en Crimée un conflit larvé qui dure depuis cent trente ans. Thursday Next, vétéran de Balaklava, y perdit un frère, et s'éloigna de son fiancé. Thursday est employée aux LittéraTec, niveau OS-27 qui traque les contrefaçons littéraires. Car les Anglais de cette réalité alternée vénèrent l'écrit, au point de jouer Richard III en continu, façon Rocky Horror Show, ou de se baptiser en masse John Milton. On débat du Poète, comme s'il s'agissait du mauvais temps, tout en écoutant les shakesparleurs débiter des tirades, et les ménagères se demandent pourquoi Charlotte Brontë ne conclut pas son chef-d'œuvre par un beau mariage. Suite au vol du Martin Chuzzlewit de Dickens, Thursday Next est contactée par Tamworth. Le directeur du OS-5 soupçonne Achéron Hadès d'avoir fait le coup. Ce maître criminel, que tout le monde espérait mort, semble bénéficier de pouvoirs étranges, qui le soustraient à toute détection et lui permettent de conditionner ses adversaires. Mais si Achéron peut surgir au simple énoncé de son nom, nul ne connaît son visage. À l'exception de miss Next qui fut son élève à l'université, et l'objet de ses avances. Thursday accepte, délaisse Pickwick, son oiseau dodo (modèle 1.2), et part à la rencontre d'Hadès et sa bande, composée du docteur Müller, savant fou, d'un acteur cabotin, pléonasme, et des Félix, assassins par contrainte qui se transmettent leur visage. L'opération est un échec. À l'hôpital, Thursday reçoit la visite de son père, pirate temporel traqué par les Chronogardes qui retapent le continuum avec des ballons, et s'entretient avec elle-même. Next reprend l'affaire, d'autant que son oncle Mycroft est contraint par Hadès d'utiliser sa formidable invention pour effacer un personnage secondaire de Dickens. Mais le maître du mal souhaite maintenant s'en prendre à Jane Eyre. Or Thursday entretient un rapport intime avec le roman depuis que, petite, elle a favorisé la rencontre de Jane et du sombre Rochester.

Dans l'injustement inédit en France The incredible umbrella, de Marvin Kaye, plusieurs héros de romans voyaient leur destin modifié par l'intrusion d'un lecteur, et l'on se souvient du personnage de Woody Allen, retenu prisonnier d'une grammaire espagnole. La modification de la trame littéraire n'est donc pas un thème nouveau. Ce à quoi vous allez me dire : « Et alors, qu'est-ce que ça peut te faire, puisque Jasper Fforde signe un formidable premier roman ? » Je vous répondrai deux choses :

1) Tu ne me tutoies pas.

2) Effectivement, l'auteur parvient à concevoir l'improbable hybride de 1984 et Modesty Blaise, récit délirant où les vers s'alimentent à la syntaxe, et qui se permet d'interrompre l'action par une exégèse de Marlowe ou Bacon. On pourrait parler d'intertextualité, de relecture critique par altération, mais il est 19h et je dois acheter du pain. Disons simplement que le Fleuve Noir a fait preuve d'audace éditoriale, pari qui mérite d'être remporté car L'Affaire Jane Eyre est l'une des meilleures parutions de l'année. En attendant la suite : Lost in a good book.

Le Da Vinci Code

Le Louvre. Jacques Saunière, conservateur en chef du musée, est abattu dans la Grande galerie par un albinos. Mortellement blessé, le vieil homme a tout juste le temps de se déshabiller, plier ses vêtements, se tracer un pentacle sur l’abdomen, écrire au stylo à lumière noire une phrase en latin qui est aussi une séquence mathématique du XIIIe siècle qui vaut à la fois pour le nombre d’or et l’anagramme de Mona Lisa, écrire des choses sur le coffrage en plexiglas de la Joconde, puis revenir au point de départ tout en essuyant le sang, dessiner sur le sol des arcs de cercle, se poser au centre en respectant la figure du pentagramme et… mourir. L’inspecteur Bézu Fache se rend sur les lieux et convoque immédiatement Robert Langdon, un Américain spécialiste de la symbolique médiévale qui avait rendez-vous avec Saunière. Les deux hommes ne s’apprécient guère mais ils apprendront à se connaître. Est aussi présente Sophie Neveu, membre de la police scientifique et petite-fille de la victime. Elle ne parlait plus à Saunière depuis que, gamine, elle l’avait vu toucher les seins d’une grosse femme devant des gens masqués. Langdon lui explique qu’il s’agit en réalité d’un rite initiatique parfaitement pur, et que ce n’est pas comme si papy avait défoncé la foune de la radasse par vice. Bonne fille, Sophie n’en disconvient pas, mais du coup regrette la brouille avec son grand-père (elle était traumatisée). Pour fuir l’albinos, Sophie et Langdon se réfugient chez un paraplégique, Leigh Teabing, qui est un spécialiste du Graal. Ensemble, ils vont déchiffrer un mystérieux cryptage qui commence par : ELC AL TSE ESSEGAS ED TOM XUEIV NU SNAD… L’Américain penche pour du Nikkudim, ancienne langue sémitique, mais ce peut être aussi du Rachi, voire du Stam. Sophie trouve la solution : c’est le fameux code de Vinci ! En fait, c’est du français écrit à l’envers (dans la version originale, c’est de l’anglais écrit à l’envers, et à Alenverland, c’est traduit à l’endroit). Nos héros vont mettre au jour une monumentale conspiration impliquant l’Opus Dei, le Vatican et la Fraternité de Sion qui cherchent à révéler ou à taire que le Christ est Marie-Madeleine ! Las, Leigh Teabing a commandité le meurtre de Saunière. Le paraplégique se débarrasse d’un complice à l’aide d’une cacahuète, mais ne parviendra pas à ses fins. Sophie et Langdon tairont pourtant la vérité, car le monde n’est pas prêt, et que le chemin parcouru vaut mieux que le but à atteindre.

C’est un beau roman qui rappelle que l’on ne doit pas se laisser manipuler, et que la richesse véritable est intérieure. Je m’a bien régalé.

L'Œcumène d'or

Difficile, d'abord. C'est le moins que l'on puisse dire de cette geste de l'avenir lointain. Dès la première page, le lecteur se trouve immergé dans un incompréhensible sabir censé rendre compte de ce futur. Décrire l'hypercivilisation de la Septième ère n'est pas une mince affaire. Imaginez un monde à mi-chemin entre celui des Danseurs de la fins des Temps de Mike Moorcock et celui de L'Orbe et la roue de Michel Jeury, animé par l'esprit de Philip K. Dick, façon cyberpunk…

John C. Wright n'est pas le premier à s'adonner à l'exercice rare et périlleux consistant à dépeindre la civilisation du lointain avenir mais, bien pire, il relève le gant de le tenter de l'intérieur, sans recourir à l'artifice littéraire d'un point de vue décalé. Et pour ce faire, il ne lésine pas sur le vocabulaire.

Wright biaise toutefois quelque peu. Si le héros, Phaéton Prime Rhadamante, appartient bien à son époque, il est cependant membre de la faction/famille Manoir Gris Argent qui est l'une des plus passéistes et traditionalistes de l'époque. Il ressemble presque encore à un humain. Les personnages ne sont pas des gens comme vous et moi, ils appartiennent à une posthumanité ; ce sont des neuroformes biochimiques ou des consciences électroniques appelées « sophotechs ». La plupart sont immortels, proches de l'omniscience et de l'omnipotence, davantage apparentés au divin qu'à l'humain.

Bien souvent, et c'est un reproche fréquemment fait à la S-F, surtout dans le space opera, le futur lointain ne se démarque guère du présent. L'alternative étant de franchir le pas pour sauter dans la fantasy à la Roger Zelazny. Les auteurs savent fort bien esquiver le clivage temporel en inventant d'excellentes raisons (le Jihad butlerien dans Dune de Frank Herbert ou la Praxis, dans Le Déclin de l'empire Shaa de Walter Jon Williams par exemple). Wright ne perd cependant pas de vue qu'en S-F, le détour par le futur n'est que le moyen de parler au lecteur du monde dans lequel l'un et l'autre vivent. Il ne fait que pousser à ses limites la démarche adoptée par Bruce Sterling dans La Schismatrice ou Michael Swanwick dans Les Fleurs du vide.

L'infosphère de l'Œcumène d'Or diffère autant de la nôtre que cette dernière, avec son Internet, ses satellites et téléphones portables, diffère de celle du Pithécanthrope. Au concept d'Humanité a succédé celui de Mentalité. Ces structures pensantes sont des ensembles autonomes d'espaces de stockage et d'outils de traitement de l'information pour lesquels la possession d'un corps biologique est un luxe anecdotique voire superflu dont se passent les plus pauvres, ou même une simple tradition. Sans parler de celui des Neptuniens, adapté aux basses énergies… L'univers proposé par Wright repose sur le postulat que seule toute information est réelle. Il importe peu que vous soyez là en chair et en os ou que vous ayez dépêché un avatar partiel ou total. Ainsi, le corps de Phaéton passe la quasi-totalité du roman dans des caissons assurant sa maintenance…

Parce que son rêve d'aller aux étoiles bouscule le frileux conformisme de l'Œcumène d'Or, Phaéton s'est vu spolié de sa mémoire et, comme de juste, se retrouve au cœur d'un complot. La trame de ce roman repose donc sur ces thèmes tout à fait convenus. Combien de fois, chez Van Vogt, Dick et d'autres, n'avons-nous croisé des héros à la recherche de leur mémoire, leur passé, leur identité ?

La société de l'Œcumène d'Or est bien davantage reconnaissable que sa civilisation. L'Etat est très édulcoré. Il ne subsiste guère que sous forme vestigielle, une gendarmerie, des tribunaux et un exécutif : le Conseil des pairs. Le pouvoir institutionnel se fait discret. L'Œcumène d'Or, c'est l'apogée du libéralisme économique et l'instance sociale suprême en est le Collège des Hortateurs, une polysynodie autocratique, incontestée, faisant autorité. Tous les groupes sociaux y sont représentés mais le poids de chaque membre y est non seulement différent mais variable selon le moment aussi bien que la question. Son rôle étant de garantir la pérennité de l'utopie œcuménique. Face, par exemple, à l'idéal libertarien de libre entreprise représenté par Phaéton, les Hortateurs incarnent la réaction, ou à tout le moins le conservatisme, et se posent en garant du conformisme. Là, on se rend compte que le roman soulève des problématiques qui sont bel et bien les nôtres. La question du progrès. Et celle, concomitante, de la fin de l'histoire. À terme, la conquête des étoiles s'avérera nécessaire mais ne doit-on pas faire l'impasse sur elle plutôt que de courir le risque d'un conflit, d'un mort, d'un seul ? À l'instar de nos comités d'éthique à la recherche du risque zéro, qui s'apprêtent à intégrer le principe de précaution à la constitution, les Hortateurs statuent dans la même perspective conservatrice, favorisant le statu quo. Comme les dieux grecs copiaient volontiers les hommes, les motivations de ces êtres confinant au divin nous restent parfaitement claires et intelligibles, voire triviales. Ils recherchent le pouvoir et la jouissance, craignent le changement, aspirent au conformisme. On croirait, y compris Phaéton, des Occidentaux aisés du début du XXIe siècle. Si Phaéton aspire à bousculer l'ordre des choses, ce n'est que pour s'enrichir, mieux jouir, acquérir davantage de pouvoir et flatter son ego.

Pour accéder à la trame narrative et à la dimension spéculative du roman de John C. Wright, il faut en forcer le blindage contextuel, ce qui devrait en rebuter plus d'un. Ni l'intrigue ni la réflexion qu'elle porte ne justifie de tels efforts mais leur récompense tient dans l'accès à cet univers ; au plaisir d'avoir forcé les portes d'une vraie vision de l'avenir. Pénétrer ce futur qui essaie de ressembler à un futur nous change agréablement de ces légions d'avenirs où les vaisseaux spatiaux ne se démarquent en rien de la marine en bois.

Le lecteur devra s'obstiner pour s'approprier l'univers créé par John C. Wright et L'Œcumène d'Or est encore un livre qu'il faudra réserver à un public de S-F chevronné, les autres risquant fort de n'y trouver que d'inextricables salmigondis.

Mélancolie des immortels

Et voilà. 10000 ans après que les Shaa se sont taillé un bel empire interstellaire, le dernier de ses immortels, las de tout, vient de choisir la mort. Bon nombre de dignitaires de haut rang appartenant aux races naguère asservies auront l'honneur de le suivre dans son trépas. Ceci dit, ces événements ne devraient pas troubler outre mesure l'ordre établi et la Praxis, la doctrine impériale Shaa, saura sans doute se pérenniser.

Dans cette société aristocratique et clientéliste, le suicide de son protecteur n'arrange pas les affaires de l'ambitieux lieutenant Martinez, de basse noblesse mais de grande fortune. Après avoir dirigé avec succès mais néanmoins en vain la périlleuse manœuvre de la cadette Caroline Sula pour secourir un riche régatier, Martinez s'adonne à la vie mondaine de Zanshaa, la capitale. Il projette de marier l'une de ses trois pestes de sœurs à P.J. Ngeni, un dandy bon à rien. La famille Ngeni étant les protecteurs des Martinez. Sans parler de sa propre vie amoureuse…

Il est transféré de l'état-major où il comptait bien faire son trou sur le Corona, une frégate dont l'équipage vient de remporter la coupe de la flotte de football (anglais — précisons, l'auteur étant américain). Or, le Corona ne vit que pour le foot. Le capitaine assure les fonctions d'entraîneur tandis qu'un bon tiers des membres de l'équipage, notamment gradés et spécialistes, ne doivent leurs affectations et promotions qu'à leurs talents footballistiques. Les autres, dont Martinez, doivent supporter l'équipe, autrement dit, se taper le boulot et les gardes des footballeurs…

Le Corona est affecté sur Mégaria, QG de la 2nde flotte où l'amiral, une Naxide, a organisé une grande fête du sport à laquelle participe l'équipe du Corona. Martinez, lui, subodore qu'il se trame quelque chose. Pendant que les équipages et officiers sont à terre pour jouer au foot, les Naxides s'emparent de tous les bâtiments de la flotte occupés par les autres races de l'empire. Sauf de celui de Martinez, qui a eu le nez creux… Le Corona échappe de justesse à ses poursuivants et parvient à rallier Zanshaa, qui n'est pas tombée grâce à la perspicacité de l'amiral Jarlath.

La 1ere flotte de Zanshaa et la 2nde de Mégaria vont s'affronter dans une grandiose bataille spatiale comme on n'en fait plus depuis Edmond Hamilton. Caroline Sula, qui n'est pas Caroline Sula, aura le privilège de porter un rude coup à l'ennemi…

Mélancolie des immortels est un roman agréable, sans grande ambition autre que de faire passer un bon moment au lecteur, et teinté d'une légère ironie qui renforce l'amusement. On reste cependant bien loin des grosses farces parodiques telles que Bill, le Héros Galactique de Harry Harrison, etc. Ce livre pouvant donc également être lu au premier degré moyennant quelques impasses mineures. Même les mondanités sont rendues attrayantes, en rien ennuyeuses. Les flash-back sur le passé de Caroline Sula contribuent à construire un personnage intéressant. L'intelligence de ce roman ne le démarque des space operas les plus traditionnels et ringards que par sa dimension ludique. Sinon, ce ne serait que du David Weber, ce qui n'a rien d'un compliment… Ce premier volume d'une tétralogie de plus ne fera pas davantage date qu'il ne révolutionnera le genre. C'est un livre sympa mais il n'y a vraiment pas de quoi casser trois pattes à un canard. Pour le fun.

Les Âmes dans la grande machine

En Australie. 2000 ans après le Grand Hiver, une glaciation provoquée par les activités humaines.

Un univers post technologique reconnaissable quoique différent. Un monde sans électricité ni radio à cause de satellites militaires toujours opérationnels qui détruisent ce type d'installations. Un monde régulièrement balayé par l'Appel, un étrange phénomène qui attire bêtes et hommes vers le Sud et la mer où ils se jettent comme des lemmings. Une société plus ou moins féodale, divisée en une multitude de mayorats guerroyant d'enthousiasme les uns contre les autres et parcourue de trains à éoliennes ou à pédales. Le duel, pratiqué à la française, considéré comme un moyen de promotion légitime, y réglant les conflits sociaux ou professionnels. Les bibliothécaires dragons, c'est-à-dire bibliothécaires et pistoleros, constituent une caste importante qui, sous l'impulsion de Zarvora Cybelline, va devenir dominante. Cette jeune femme géniale a découvert qu'une fabrique automatisée, sur la Lune, créait un voile de nanomachines autour de la Terre pour réfléchir chaleur et lumière solaires. Elle décide donc de se hisser au pouvoir pour parer à la menace d'une nouvelle glaciation…

Voilà un monde original que l'on placera non loin d'Un Cantique pour Leibowitz de Walter M. Miller sans que Les Âmes dans la grande machine ait pour autant une envergure comparable. C'est avant tout un livre d'action. Roman politiquement correct, il prend le contre-pied de la S-F de années 40/50 où les femmes ne servaient que de faire valoir aux héros. Bien que géniaux, tous les personnages sont antipathiques, tous les personnages masculins sont de fieffés pauvres types : Nikalan, Glasken, Ilyire, Tarrin, Jefton, Denkar… Par ailleurs, derrière les bonnes intentions des sauveurs du monde, le livre véhicule des idées sociales plutôt douteuses, c'est à dire totalitaires. La fin justifie les moyens et l'arbitraire de la raison d'état s'impose. Le pouvoir doit rester à ceux qui ont la force de s'en emparer et pour qui les masses oscillent entre les statuts de viande et d'outil.

Des raisons qui font que le monde de McMullen est un lieu éminemment intéressant, à savoir les vagabondes, l'Appel et la menace de glaciation représentée par le soleil miroir, seule la première est explicitée avec toute l'attention voulue. Les deux autres sont traitées par-dessus la jambe. Sean Mc Mullen préférant s'étendre sur les conquêtes amoureuses de Glasken, personnage qui aurait au moins pu s'accorder une fin tragique pour acquérir une certaine dimension héroïque. Mais non… Sans parler des batailles et autres duels.

De nos jours, Les Âmes dans la grande machine se verra malgré tout accorder une mention assez bien mais, comme de coutume, il aurait gagné à être sérieusement dégraissé. Ainsi, nous aurions pu espérer un seul et unique volume. 42 euros les 624 pages, c'est trop cher payé pour un livre qui ne sort pas de l'ordinaire. Cette pratique éditoriale qui tend à se généraliser (Passage, de Connie Willis en J'ai Lu « Millénaires » ; Perdido Street Station, de China Miéville au Fleuve Noir, ou encore Les Puissances de l'invisible de Tim Powers chez Denoël) est inacceptable pour le lecteur, lequel paie des bouquins qui seraient bien meilleurs s'ils étaient moins cher, moins gros. À défaut d'être à éviter, Les Âmes dans la grande machine n'a rien d'une priorité…

Zombies, un horizon de cendres

Jean-Pierre Andrevon aime les zombies, c'est entendu. Après plusieurs romans consacrés (au moins en partie) à ce sujet purulent par essence (dont le très efficace Les Revenants de l'ombre, toujours dispo en « PdF » si on cherche bien), l'animal récidive en sortant au Bélial' Zombies, un horizon de cendres, réjouissante contribution au genre à défaut d'être un chef-d'œuvre intemporel.

Sous une couverture qualifiée d'ignoble ou de géniale en fonction des lecteurs (une zombie aux gros seins portant un fusil à pompe, dotée d'un très transparent t-shirt sur lequel on peut lire « fuck the dead » — élégant et chic), le roman se laisse lire, sans toutefois renouveler ce courant littéraire bien particulier qu'est la littérature de morts-vivants.

Si l'histoire est basique, Jean-Pierre Andrevon s'amuse beaucoup et s'offre un hommage aux ténors du genre, de Romero à Matheson, le tout via un scénario ultra classique (dont on retrouve certains éléments au cinéma dans le très recommandable 28 jours plus tard de Danny Boyle) : un mystérieux trou noir qui passe par hasard dans notre banlieue galactique fait renaître les morts. Tous les morts. Vraiment tous. [Ceux qui aiment la hard science sont instamment priés de ne pas lire le livre, que les choses soient claires.] Ce qui, quand même, fait du monde une vraie foule. Et qui pue.

D'abord sceptiques, les pouvoirs publics sont rapidement débordés par cette marée verdâtre, lente et apparemment désœuvrée. Apparemment seulement, parce qu'au bout de quelques semaines, nos braves zombies font exactement ce qu'ils savent faire, à savoir sucer la cervelle des vivants…

Bref, pour le narrateur, la vie bascule. Sa femme et sa fille le quittent, et le voilà retranché d'abord chez lui, puis finalement dans une ex-caserne, en compagnie de nombreux cinglés de tous bords, bien décidés à massacrer du zombie avant d'y passer pour de bon. Pim, pam, poum, donc, mais avec la plume d'Andrevon, c'est-à-dire avec talent et humour, car à quoi sert de tuer un mort ?

Au final, Zombies, un horizon de cendres n'est pas exactement un roman majeur, tout au plus un divertissement sans conséquence qu'on lira quand même parce qu'Andrevon doit bien payer son électricité et qu'on aime bien Andrevon. Les fanatiques du genre apprécieront, les détracteurs ricaneront et les autres hausseront les épaules.

Le Travail du furet

Auteur phare de la défunte et mythique collection « Présence du Futur », Jean-Pierre Andrevon est l'incarnation même de la S-F française engagée, râleuse et boulimique. Avec Le Travail du furet, il revient sur le thème inquiétant et politique du contrôle des individus par l'état.

En ces années 2000 et quelques, la paix sociale n'est plus un mythe : si la logique de classe n'est plus à remettre en cause, la maladie régresse et jamais la population ne s'est aussi bien portée (les statistiques le prouvent, après tout). Seul petit hic, l'obligation de maintenir le nombre de citoyens à un joli 60 millions tout rond. En conséquence, des travailleurs assermentés (les furets) sont chargés d'éliminer (pas forcément discrètement, d'ailleurs) environ 400 000 personnes par an. La stabilité est à ce prix, que voulez-vous ma bonne dame.

Bon furet efficace, sans état d'âme et froidement méthodique, le narrateur est un amateur de films du XXe siècle. Ses tenues sont d'ailleurs régulièrement calquées sur ses héros favoris (l'occasion pour Andrevon de rendre hommage à un certain film de genre), et ses exécutions sont le prétexte à un long monologue où la haine du pauvre ne cède que devant l'horreur du riche. Il n'est d'ailleurs pas interdit de déceler çà et là quelques accents céliniens, notamment sur l'idyllique vision humaniste qu'Andrevon nous balance à travers la gueule.

Mais les choses changent quand ce parfait furet se rend compte peu à peu que le jeu est truqué. Les gibiers listés officiellement au hasard ne seraient-ils pas tout simplement gênants pour l'état ? Mais quand un furet pense, il désobéit. Et quand un furet désobéit, il faut le punir… En assassinant sa copine, par exemple, ou tout simplement en l'éliminant… La paix sociale, n'est-ce pas ?

Sujet classique (perverti par la quatrième de couverture ou différentes critiques rédigées par des gens n'ayant manifestement pas lu le livre : le furet commence à se poser des questions, donc on lui tue sa femme , et non pas « le Furet se révolte après la découverte du nom de sa femme sur la liste des gibiers du jour », ce qui n'est pas la même chose) traité de mille et une manières aussi bien au cinéma qu'en littérature, histoire de bonne facture, rythme polardisé à l'extrême, mais aussi humour cynique permanent, Le Travail du furet fait partie des excellents Andrevon. Un livre parfaitement recommandable, grâce à son scénario intelligent (et… glaçant), son ton résolument meurtrier et la verve d'un auteur qui a pris beaucoup de plaisir à écrire ces quelques 250 pages. Plaisir partagé par le lecteur. Comme quoi, il reste encore un peu d'espoir, même si ce mot est définitivement absent du bouquin.

Time Opera

À l'instar de Philip K. Dick, Robert Silverberg fait partie de ces géants de la S-F beaucoup plus efficaces dans la nouvelle que dans le roman. Nombreux sont ses textes qui, pour des raisons souvent alimentaires, s'étirent sur de trop nombreuses pages pour un résultat certes correct, mais loin de l'excellence attendue. Mais si le procédé est courant, il n'en reste pas moins que les romans de Silverberg se lisent remarquablement bien. Fluidité du texte, intérêt des situations et personnages bien fichus y sont pour beaucoup, même si le scénario est souvent prévisible, voire franchement évident.

Réunis en un seul volume au Bélial', les deux romans qui composent Time Opera en sont l'illustration parfaite : deux variations passionnantes sur le thème ô combien cher à l'auteur du voyage temporel, mais trop longues et trop délayées. Une constatation d'autant plus amère que Silverberg promène agréablement son lecteur, lequel ne lâche évidemment pas le bouquin avant de connaître le fin mot de l'Histoire (ici, avec un grand H). Reste que le célèbre américain est un grand professionnel de l'écriture, et que ses textes, même moyens, sont souvent au-dessus de ce qu'on trouve ailleurs. Et puis, soyons honnêtes, on ne refuse jamais une louche de Silverberg sans passer pour un déviant.

Premier texte de cet omnibus plutôt épais, Les Déserteurs temporels se rapproche du célèbre Les Déportés du cambrien, dans la description d'une société policière et surpeuplée où l'individualité ne signifie plus grand-chose, et où un système de castes (les classes) cimente la pyramide sociale au sens propre. Quellen, flic haut placé mais dont la vie reste médiocre, est chargé par le gouvernement de traquer un certain Lanoy, inventeur désigné d'une machine temporelle, dont la spécialité est d'offrir aux dissidents un aller simple vers un passé moins dictatorial et plus agréable à vivre. Postulat scénaristique bien séduisant, d'autant que Quellen n'est lui-même pas tout blanc, avec quelques déviances anti-sociales à son actif, déviances qui lui feraient beaucoup de tort si, par malheur, on les apprenait en haut lieu. Bref, le lecteur s'en doute, Lanoy et Quellen ne sont finalement pas si opposés…

Beaucoup plus malin et globalement mieux conçu, Les Temps parallèles permet à l'auteur de décrire une ville qu'il connaît bien et qui le fascine : Byzance. Tour à tour capitale romaine, capitale chrétienne, capitale turque, aujourd'hui musulmane mais cosmopolite dans son architecture comme dans sa singulière (et tumultueuse) histoire. Alors que le voyage dans le temps est un loisir comme un autre (il suffit d'être riche), le lecteur suit l'apprentissage d'un jeune guide temporel affecté à la zone de Byzance. Couronnements, massacres, émeutes et vie quotidienne n'ont rapidement plus de secrets pour lui, tandis qu'il comprend peu à peu les tenants et aboutissants du voyage temporel. Si la patrouille veille (un clin d'œil à Poul Anderson, mais aussi l'une des plus vieilles idées S-F) pour éviter les désordres historiques provoqués par des clients parfois mal intentionnés, elle ne peut pas non plus surveiller tout le monde. Les guides le savent bien, ce qui leur permet de prendre quelques libertés avec les règles, libertés parfois funestes, surtout quand on tombe amoureux d'une célèbre ancêtre et que l'amour vous tourne la tête…

Écrits tous deux avant 1970, Les Déserteurs temporels et Les Temps parallèles ont pour eux le charme suranné de la libération sexuelle, des drogues libres et psychédéliques, sans jamais tomber dans un ridicule désuet. C'est tout à l'honneur de Silverberg d'éviter la quincaillerie concomitante au voyage dans le temps pour se consacrer avant tout aux personnages, même si certains pêchent par leur côté caricatural ou mal fini. Reste qu'une fois l'omnibus achevé, le lecteur est partagé entre plaisir et scepticisme. On l'a vu, ces deux romans feraient d'excellentes nouvelles, percutantes et intelligentes. Dilués dans une prose certes valable, mais néanmoins trop abondante, ils ne décollent jamais vraiment et se cantonnent au simple divertissement. Du divertissement de qualité, mais du divertissement quand même.

Légendes et glossaire du futur

[Critique commune à Les Sondeurs vivent en vainLa Planète ShayolNostralie et Légendes et glossaire du futur.]

Rassemblé en quatre volumes chez Folio « SF », l'ensemble des textes qui composent le mythique cycle des Seigneurs de l'Instrumentalité est aujourd'hui disponible en édition définitive. Collection volontiers œcuménique, Folio « SF » réussit au passage un joli coup, proposant trois des plus grands cycles de la science-fiction (Fondation d'Asimov, L'Instrumentalité de Smith et — bientôt — L'Histoire du futur d'Heinlein). Si l'évènement littéraire fait le bonheur de ceux et celles qui ont dévoré tout jeunes ces nouvelles poétiques et décalées, force est de constater que l'âge d'or vieillit bien mal, surtout pour une génération qui a découvert la S-F avec des auteurs comme Simmons, Banks ou Gibson. En clair, lire aujourd'hui l'intégrale des Seigneurs de l'Instrumentalité est à la fois merveilleux et douloureux. Merveilleux car la langue de Smith ne ressemble à aucune autre et que son imagination ne se limite absolument pas à ce qui est théoriquement possible, douloureux car les dialogues pêchent par une indéniable désuétude et un simplisme parfois gênant. Merveilleux, car l'histoire du futur racontée par Smith s'articule suivant le principe de la petite touche du tableau chinois (une langue que Cordwainer Smith parlait et écrivait, rappelons-le), livrant aux lecteurs des textes exceptionnels de minutie et de malice, douloureux car les préoccupations des années 50 et 60 n'ont désormais plus grand-chose à voir avec celles d'aujourd'hui, et que le lectorat actuel risque de faire la grimace. Reste que l'œuvre vit par elle-même et dépasse largement la critique en suivant son bonhomme de chemin. C'est la nature même des oeuvres cultes que d'échapper à toute tentative de quantification, exercice par essence vain auquel on ne se livrera évidemment pas ici.

S'il est difficile d'appréhender le cycle dans son ensemble, sans même parler de le définir, un seul mot pourrait pourtant le qualifier : « singulier ». Une singularité dans la langue, toujours subtilement moqueuse et humoristique, dans les thèmes développés (la mainmise d'une sorte d'oligarchie sur l'humanité toute entière, avec les défauts corollaires qu'un tel système gentiment totalitaire implique inévitablement), mais aussi dans l'étude d'une diaspora humaine qui en perd son humanité, dans le traitement systématique de la télépathie (une lubie de l'époque, pleinement exprimée ici, et surprenante pour le lecteur d'aujourd'hui). On comprend alors mieux la très grande liberté de ton de l'auteur, dont les préoccupations chrétiennes bien connues ne transparaissent que très peu, et qui a su développer sa propre « histoire du futur » sans aucune contrainte.

Cette vision personnelle s'étale sur vingt-sept nouvelles et un roman, des années 50 à plus de 15 000 ans dans l'avenir, mais reste inachevée, la crise cardiaque qui emporte Smith (alors âgé d'à peine 53 ans et en plein déménagement) étant tout sauf prévisible.

De ces 15 000 ans d'histoire, on retient dans les grandes lignes l'évolution suivante : les nations terriennes se « civilisent » peu à peu, des conglomérats continentaux voient le jour, l'humanité mettant en place une sorte de gestion rationnelle des conflits, par le biais de règles très strictes interdisant purement et simplement la guerre et son cortège d'horreurs telle qu'on la connaît aujourd'hui. À l'instar du très particulier Le Faiseur d'Histoire d'Alasdair Gray, exceptionnel roman écossais situé dans un lointain futur dans lequel la guerre est conçue comme un match de rugby sanglant, les pays règlent leurs différents sous l'égide des conventions de Genève, avec territoire de guerre loué pour l'occasion et affrontement de dirigeables géants, dirigés à distance par des pilotes comparables à nos footballeurs actuels (« La guerre N°81-Q », repris dans sa forme originale dans le quatrième volume du cycle et dans sa forme améliorée au début du premier tome). Mais les choses évoluent vite et ce genre de consensus n'est plus suivi, l'humanité n'échappant finalement pas au grand cataclysme nucléaire, si craint au début des années 50 (et après). De ce chaos biologique et social ne subsiste plus qu'un seul état, la Chine, dont les chefs gouvernent tant bien que mal le reste de l'humanité (hommes, femmes, mais également sous-êtres, animaux modifiés pour ressembler aux humains, dotés de paroles et d'intelligence), par l'intermédiaire d'une drogue abrutissante. C'est alors qu'apparaissent les figures illustres des sœurs Vom Acht, dont le nom contracté en Vomact incarnera à jamais l'Instrumentalité. Filles d'un savant du IIIe Reich, elles ont été envoyées en orbite avant la déroute de l'Allemagne nazie pour y rester en animation suspendue de longs siècles durant. Le retour accidentel de l'une d'entre elles entraîne la redécouverte du bon vieux principe humain de révolte, et, par là même, la chute de ce qui fut un jour la Chine (« Mark Elf » et « La Reine de l'après midi »). De cette révolution naît le principe de « L'instrumentalité du genre humain », sorte de caste ultra puissante tout occupée au bonheur de l'humanité. C'est aussi le début de l'exploration spatiale intra système solaire, avec en parallèle la colonisation de Vénus par ce qui subsiste de la Chine (« Le Jour de la pluie humaine »), puis au-delà, via des vaisseaux à voile photonique pilotés par la guilde des Sondeurs (Scanners, en anglais). Mélange de machines et de chair, les sondeurs n'ont d'ailleurs quasiment plus rien d'humain, le voyage spatial provoquant une douleur qui oblige l'humanité à se renier elle-même pour s'étendre. De fait, les convois spatiaux se composent de sondeurs, chargés de l'acheminement de milliers de personnes, toutes dûment congelées pour supporter le voyage. Mais là encore, tout évolue et les découvertes d'un savant concernant l'Espace2 (résumable à une sorte d'hyperespace bien commode) rendent enfin possible les trajets supraluminiques (« Les Sondeurs vivent en vain » et « La Dame aux étoiles », magnifiques textes qui valent le détour à eux seuls). C'est une nouvelle ère pour l'humanité, désormais disséminée dans toute la galaxie, mais « transportable » par l'intermédiaire de vaisseaux « planoformes », nefs spatiales faisant appel à la technologie aussi bien qu'à la télépathie. Les pilotes sont ironiquement appelées les « braves-capitaines », mais des problèmes subsistent, le voyage spatial n'étant décidément pas de tout repos (« Pensez bleu, comptez deux », « Le Colonel revient du grand néant » et « Le Cerveau brûlé »). On sent bien que Cordwainer Smith s'autorise plus de choses et se libère des quelques chaînes qui l'entravaient encore. « Le Jeu du rat et du dragon », par exemple, est un texte exemplaire qui explique la nature exacte des aides pilotes chargés de la sécurité des navires qui évoluent dans l'Espace2 : quelques monstres spatiaux télépathes se repaissant allègrement des vaisseaux, les Hommes mettent au point un système mental de mise en commun psychique… Avec des chats, seules bestioles suffisamment rapides et malines pour contrecarrer efficacement les attaques. De véritables histoires d'amour se nouent alors entre humains et chats…

Peu à peu, l'Humanité s'installe dans un bonheur confortable, grâce à une durée de vie d'environ 400 ans, procurée par l'absorption de Stroon, cette drogue précieuse produite par les moutons mutants (et géants) norstraliens, la planète qui donne son nom au seul roman du cyle (Norstralie). La diaspora humaine devient rapidement ingérable, et l'ensemble de l'œuvre prend un tour inattendu avec le développement progressif du thème des sous-êtres, sorte de lumpenprolétariat (dont le statut s'approche de celui des robots) dénués des plus élémentaires des droits. Le sacrifice christique de la fille chien D'Jeanne marque le début d'une lente évolution du statut des sous-êtres, dont on suivra personnages et aventures dans de nombreuses nouvelles (« La Dame défunte de la ville des gueux », « Sous la vieille terre », « Le Bateau ivre », « La Ballade de C'Mell » et aussi dans le roman Norstralie, clé de voûte du thème). C'est aussi la mise en évidence de l'une des nombreuses failles du principe de l'Instrumentalité, organisme en principe dédié au bien-être humain, mais totalitaire dans son application. Une mise en évidence d'autant plus douloureuse que la perfection atteinte n'a plus rien d'humain, d'où une nécessaire remise en cause fondamentale, par le biais de « la redécouverte de l'homme ». Progressivement, les hasards de l'existence sont réinstaurés, tout comme les noms et autres menus détails (telles la maladie et la mort accidentelle) qui font que l'Humanité est ce qu'elle est.

Le cycle des Seigneurs de l'instrumentalité évolue ensuite vers une amélioration des droits des sous-êtres, mais on ignore si Smith désirait pousser ce thème jusqu'à son dénouement logique, l'égalité avec les Hommes. En parallèle, Smith développe des thèmes qui restent inachevés, comme les Daimoni, sorte de post-humains dont on perd toute trace, ou encore les dérives fascistes internes, rapidement mise au pas par l'Instrumentalité (« La Planète Shayol »).

Au final, la contemplation de l'œuvre laisse pantois. Le lecteur est frappé par la cohérence des textes, le ton poétique, le traitement quasi surréaliste du voyage spatial, des sous-êtres ou de la télépathie, sans même parler de la très délirante imagination de Smith (« La Planète Shayol », avec ses prisonniers pourvus de nombreux membres surnuméraires servant de banques d'organes est un exemple à la fois hilarant et inquiétant). Certains textes sont véritablement obscurs, désuets, voire franchement ennuyeux, mais le voyage vaut la peine, ne serait-ce que pour le rôle fondateur qu'a eu l'œuvre, sans oublier la mine d'influences que l'on décèle dans la science-fiction « d'après ». On l'a dit, Les Seigneurs de l'instrumentalité forment une œuvre singulière, unique en son genre, dont la lecture est recommandée, bien que délicate, mais dont la présence dans une bibliothèque de S-F est nécessaire. Un texte à (re)découvrir, en oubliant nos craintes d'adultes, avec un regard de gamin émerveillé. Un texte essentiel pour toute la S-F, ce qui ne veut pas forcément dire génial où agréable à lire. Saluons au passage le très bon travail de Pierre-Paul Durastanti, qui s'est attelé à la lourde tâche d'harmonisation des traductions, ce dont les plus curieux peuvent se rendre compte en confrontant ancienne et nouvelle éditions.

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