Le dictionnaire Khazar
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Qui sont les Khazars ? Une peuplade turc semi-nomade, qui, depuis son berceau originel entre la mer Noire et la mer Caspienne, a établi un khaganat ; à son apogée, celui-ci s’est étendu des Carpates jusqu’à l’ouest du Khazastan, du Sud de la Russie actuelle jusqu’à la Géorgie. Puis, peu avant le 1er millénaire, les Khazars se sont convertis à l’une des trois grandes religions du Livre (mais laquelle ?), et ont disparu des annales historiques peu de temps après. La question de leur conversion soulève encore des controverses. C’est aussi le sujet central de ce Dictionnaire khazar, premier roman de l’auteur serbe Milorad Pavi?, originellement paru chez Belfond en 1988, indisponible depuis longtemps, et réédité au Nouvel Attila à l’automne 2015. Elégante réédition : découpage de couverture, reliure apparente, maquette sobre et créative. Sous-titré « Roman-lexique en 100 000 mots » (avouons-le, nous n’avons pas compté), ce Dictionnaire… consiste en trois dictionnaires – le premier de sources chrétiennes, le deuxième de sources islamiques, et le dernier de sources hébraïques – louvoyant autour de la polémique khazare : lorsque le khagan a convoqué trois émissaires des trois grandes religions monothéistes, et qu’il leur a demandé d’interpréter son rêve, déclarant qu’il prendrait la religion de celui qui lui apporterait l’interprétation la plus convaincante, à quel dieu – Dieu, Allah ou Yahvé – s’est-il converti ? Et quel jeu a joué la princesse Ateh ? Forts d’une quinzaine d’entrées de longueurs inégales, se renvoyant les unes aux autres, ces trois dictionnaires s’attachent aux participants à la polémique khazare au VIIIe siècle (à moins que ça ne soit le IXe), les chroniqueurs du XIIe siècle, les auteurs de ces dictionnaires au XVIIe siècle, et les chercheurs qui étudièrent la question khazare au XXe siècle, dans un jeu de vraie-fausse érudition digne de Borges. C’est certain, ce Dictionnaire khazar n’aurait pas déparé dans les ouvrages aussi magnifiques qu’imaginaires décrits par l’auteur argentin dans son recueil Fictions. Réel et fiction s’entremêlent au sein d’un écheveau serré, dans un exercice à la fois fascinant et aride : il n’y a pas d’intrigue à proprement parler, en-dehors de la non-résolution de la polémique khazare, et chaque entrée de dictionnaire prend soin d’épaissir le mystère. Histoires enchâssées, digressions parfois longuettes, symétries étranges, jeux de correspondances et de miroirs imprègnent ce livre : rien d’étonnant à ce que Le Dictionnaire khazar existe en deux versions, une édition masculine et une édition féminine, qui ne diffèrent que par un seul et unique mot, forcément crucial.
On l’aura compris, voici un indispensable pour les amateurs d’objets littéraires non-identifiés. Et l’on espère que le Nouvel Attila poursuivra son travail d’exhumation des œuvres du fascinant Milorad Pavi?.