L'Empire du sommeil
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[Critique commune à La Saison des singes et L’Empire du sommeil]
Même si La Saison des singes et L’Empire du sommeil ont été écrits avec cinq ans d’écart, mieux vaut les lire d’une traite, et donc aborder ces deux tomes comme un tout de près de 900 pages. À l’origine de La Saison des singes, il y a une novella,« Avant Champollion », parue dans l’anthologie Escales sur l’horizon et décrivant une société religieuse où le froid et l’hiver sont inconnus et où le climat change doucement. Le diptyque oscille donc entre le planet opera partant du décor d’« Avant Champollion », où des naufragés vont reconstituer une société préspatiale dogmatique tout en se confrontant à la population arboricole autochtone, et un space opera où d’immenses vaisseaux spatiaux et deux conceptions des sociétés humaines (la Charte et les cartels) se livrent à une partie de cache-cache galactique. Le point commun entre ces deux réalités est le fameux naufrage : celui de l’ Abondant, vaisseau conscient ou plus exactement « grand modifié » victime d’un détournement par une terroriste échappée des cartels, Kiris T. Kiris.
À travers ces deux mondes, Sylvie Denis construit une histoire s’étendant sur des millénaires en abordant des thèmes comme la conscience de soi, le libre arbitre (des hommes mais aussi des machines, avec la Langouste et ses polytechs rebelles), l’opposition entre religion et science, l’altérité et une multitude d’autres sujets devenus des classiques du space opera depuis Ursula Le Guin et Iain M. Banks. Denis y apporte sa touche propre, passant délicatement sous le tapis ou à coups de « nanon » et de « voyage transdimensionnel » les problèmes techniques les plus insolubles pour se concentrer sur les personnages et leurs évolutions. Et il est vrai que certains d’entre eux, à l’image de la famille Malavel, Alesha, la fameuse Langouste ou Gabriel Burke, sont particulièrement réussis. Mais l’histoire souffre d’un problème de rythme flagrant. Sur le premier tome du diptyque, La Saison des singes, l’alternance entre la vie sur la planète et la vie dans l’espace est trop peu fréquente, d’autant que la première apparition des vaisseaux arrive comme un cheveu sur la soupe après la première partie alors que, chronologiquement, elle se déroule des siècles avant. Le lecteur, entraîné dans un planet opera aux frontières de la science-fiction et de la fantasy, se retrouve basculé avec de nouveaux personnages dans un space opera au tiers du roman pour, une fois qu’il commence à en comprendre les codes, repartir sur la planète vers une fin en forme de cliffhanger. La résolution n’arrivera que dans le second volume, L’Empire du sommeil, qui souffre de l’effet inverse. Chaque chapitre, extrêmement court, passe d’un bout à l’autre de la galaxie. De nouveaux personnages sont introduits et de nouvelles problématiques abordées (sans être réellement résolues, comme la surpopulation des cartels). Tout va très vite, à en donner le tournis, pour être sûr de conclure une histoire peut-être trop ambitieuse pour le format – quitte à en bâcler certains aspects. Dommage, les personnages méritaient mieux.