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Exquise planète

Exquise planète est un ouvrage collectif construit comme un « cadavre exquis » par les trois scientifiques et le romancier susnommés. L’idée de départ était de créer un monde scientifiquement crédible et d’y faire évoluer une biosphère afin de montrer la diversité des formes planétaires et biologiques possibles. A l’heure de la découverte d’exoplanètes toujours plus nombreuses, il n’était pas inintéressant de dépasser l’anthropocentrisme par l’exemple ; les quatre auteurs s’y attèlent.

Hasard du calendrier, Exquise planète est publié alors que nous venons de découvrir la planète Kepler 186f qui ressemble beaucoup à la Terre, mais encore plus à « l’exquise planète » avec une gravité de 0,9 et un soleil de type Naine rouge.

Bien qu’amusant avec sa description de la naissance d’un système planétaire puis d’un mécanisme évolutionnaire (cette partie 2 étant la plus réussie), le livre n’est guère convaincant en raison de la combinaison périlleuse entre un faible (166) nombre de pages et la technique du cadavre exquis qui découpe le texte en quatre parties consécutives mais brèves.

L’impression est celle d’un patchwork décousu, d’autant que la troisième partie, où sont imaginées des histoires alternatives à notre Terre, paraît hors sujet. Le livre se termine avec une nouvelle racontant un contact colons humains/autochtones dans lequel Bordage fait du Bordage.

On peut lire pour une première approche de l’évolution.

Les Vaisseaux d'Omale

Avec Les Vaisseaux d’Omale, Laurent Genefort poursuit sa visite du monde d’Omale, immense sphère de Dyson créée, il y a bien longtemps, par les mystérieux Vangks qui y exilèrent d’innombrables races intelligentes. Revenues, sous l’effet de l’isolation, à un niveau technologique bien inférieur à celui de leur arrivée, les races ou « reh » vivent sur de « Grandes Aires », adaptées à leur besoin physiologique, et doivent y cohabiter avec une ou deux voisines.

L’action des Vaisseaux d’Omale débute vers 1600 CC, alors que les « rehs » retrouvent la voie de la science et que les regards des savants se tournent de nouveau vers le ciel.

Après des siècles de guerre, le pacte de Loplad a garanti la paix entre les Humains, les belliqueux Chiles, et les très empathiques Hodgqins. En dépit d’un cosmopolitisme qui se développe, la méfiance n’a pourtant pas complètement disparu, et les préjugés, parfois exprimés violemment, demeurent ; néanmoins de grandes villes triples existent, et la coopération, entre scientifiques notamment, progresse.

C’est dans l’une de ces villes triples qu’un Aezir, membre d’une étrange race spatiale, propose aux trois « rehs » un rendez-vous, dans cinq ans, pour partir explorer les planétoïdes intérieurs de la Sphère et peut-être comprendre mieux ceux qui l’ont créée. Hasard programmé, des scientifiques hodgqins sont justement en train de terminer la mise au point de vaisseaux spatiaux. L’expédition sera conduite par une scientifique humaine à la passion dévorante, Ipis, qui va diriger d’une main de fer sa petite troupe d’Humains et d’Hodgqins — plus bigarrée encore par la suite — vers l’infini et au-delà, à la rencontre des Aezirs et d’un peu du secret des Vangks.

Les Vaisseaux d’Omale offre aux lecteurs une incursion en profondeur dans l’aire hodgqine, sans doute la « reh » restée la plus mystérieuse dans le « cycle d’Omale ». On y découvre un peuple bien plus loin de nous que ne le sont les Chiles : biotechnologie, reproduction à trois sexes, empathie si vive qu’elle pousse à « l’occultation », ce moment récurrent durant lequel les Hodgqins se ferment au monde pour intégrer les faits dans leur être. Le long voyage en gwilume, sorte d’engin steampunk entre train et téléphérique, permet au lecteur, à travers le regard d’Ipis, de découvrir un monde profondément étranger, par ses habitants comme par son écologie. La longueur de ce voyage fait bien sentir combien les humains quittent leur biotope et s’enfoncent dans celui des Hodgqins, êtres amicaux mais radicalement différents. A l’issue de ce trajet et de maintes tribulations, arrivés à la base spatiale, les membres de l’expédition et quelques pièces rapportées finiront par décoller, à bord d’un vaisseau bioformé bien artisanal, afin d’honorer leur rendez-vous et d’augmenter leurs connaissances en rencontrant des êtres encore plus étranges que tous ceux qu’ils connaissent.

Les Vaisseaux d’Omale est un roman d’aventure prenant. Il offre au lecteur une vraie occasion de dépaysement. Le texte est d’une lecture rapide, agréable, et il n’a pas de défaut rédhibitoire ; ce qui ne l’empêche pas d’en avoir d’ennuyeux. Privilégiant l’action, Genefort fait trop rapide. Les périls qu’affronte l’expédition surgissent puis sont résolus en quelques lignes, les personnages, mis à part Ipis, sont peu développés et disparaissent parfois longuement du texte lorsqu’ils n’ont pas de rôle à y jouer, certains fils, enfin, sont largement sous-exploités, au point qu’on se demande s’il n’aurait pas mieux valu s’en passer pour allonger le reste. L’impression d’ensemble est celle d’un très bon plan détaillé auquel manque encore du développement et de l’approfondissement. Il est rare de dire qu’un roman devrait avoir plus de pages ; c’est le cas ici.

Le Royaume de Dieu

[Critique commune à La Main tendueLe Royaume de DieuLe Pense-bête et Vent d'est, vent d'ouest.]

Entre février et mars 2014, la collection « Dyschroniques » du Passager clandestin nous a proposé pas moins de quatre titres signés par de grands noms de la SF américaine. Comme il se doit, ces titres sont d’une qualité et d’un intérêt très divers.

Le plus faible (en qualité, mais pas en intérêt) est sans doute celui de Poul Anderson. Il met en scène de façon molle et terriblement démonstrative une idée bien tranchante qui, en 1950, relevait de la formidable intuition. Anderson avait pressenti un des effets pervers de la mondialisation : qu’au xxie siècle il y aurait (au moins) un Starbuck’s café et un McDonald’s dans chaque grande ville de la planète. Evidemment, il décrit ici le phénomène à l’échelle de la galaxie.

« Le Royaume de Dieu » de Damon Knight est bâti lui aussi sur une idée formidable : un extraterrestre à trois jambes débarque aux USA et provoque un choc empathique à l’origine de décès et de diverses catastrophes. Le plus saisissant dans ce texte longuet, qui manque terriblement de crédibilité sur la fin, c’est d’y (re)trouver en concentré quasiment toute l’œuvre de Roland C. Wagner. On côtoie dans ce « Royaume de Dieu » l’humour particulier de Damon Knight et sa faiblesse assez coutumière en matière de narration. Malheureusement, la traduction française, infecte, n’a pas été purgée de ses plus grosses erreurs.

« Le Pense-bête » de Fritz Leiber, dans lequel on côtoie, non sans déplaisir, certains des tics d’écriture de l’auteur, son humour parfois voisin de celui de Fredric Brown, son personnage masculin principal typique, très proche de celui de Notre-Dame des ténèbres, ne restera pas dans les annales pour son originalité ou sa maîtrise narrative (sans parler de la traduction française : à dégueuler). Leiber prend son temps, se perd un peu dans cette histoire d’invention qui tourne mal et d’humanité qui vit sous terre. Pas désagréable, parfois surprenant, « Le Pense-bête » a surtout un intérêt historique — il ravira ceux qui se passionnent pour l’histoire de l’informatique vue à travers la SF et ses jalons, tels que « Un logique nommé Joe »Neuromancien ou Les Mailles du réseau.

« Vent d’est, vent d’ouest » de Frank M. Robinson est une histoire de terre polluée où il est interdit de fumer, de se promener en voiture (équipée d’un moteur à combustion interne), où les climatiseurs ne se contentent pas de climatiser l’air, ils le filtrent. Le texte est construit autour d’une petite enquête policière (qui ne tient pas vraiment la route, mais peu importe), enquête qui nous permet de découvrir cette horrifiante Californie asphyxiée façon Pékin aux heures de pointe. Le meilleur des quatre volumes critiqués ici (et aussi le plus récent de la sélection : 1972).

Voilà une collection qui continue d’être très intéressante, notamment en proposant des perspectives culturelles et historiques à chaque fin de volume, chouette idée, mais il faudrait que les traductions soient mieux relues, corrigées avec plus de vigueur, voire refaites pour les plus calamiteuses.

Vent d'est, vent d'ouest

[Critique commune à La Main tendue, Le Royaume de Dieu, Le Pense-bête et Vent d'est, vent d'ouest.]

Entre février et mars 2014, la collection « Dyschroniques » du Passager clandestin nous a proposé pas moins de quatre titres signés par de grands noms de la SF américaine. Comme il se doit, ces titres sont d’une qualité et d’un intérêt très divers.

Le plus faible (en qualité, mais pas en intérêt) est sans doute celui de Poul Anderson. Il met en scène de façon molle et terriblement démonstrative une idée bien tranchante qui, en 1950, relevait de la formidable intuition. Anderson avait pressenti un des effets pervers de la mondialisation : qu’au xxie siècle il y aurait (au moins) un Starbuck’s café et un McDonald’s dans chaque grande ville de la planète. Evidemment, il décrit ici le phénomène à l’échelle de la galaxie.

« Le Royaume de Dieu » de Damon Knight est bâti lui aussi sur une idée formidable : un extraterrestre à trois jambes débarque aux USA et provoque un choc empathique à l’origine de décès et de diverses catastrophes. Le plus saisissant dans ce texte longuet, qui manque terriblement de crédibilité sur la fin, c’est d’y (re)trouver en concentré quasiment toute l’œuvre de Roland C. Wagner. On côtoie dans ce « Royaume de Dieu » l’humour particulier de Damon Knight et sa faiblesse assez coutumière en matière de narration. Malheureusement, la traduction française, infecte, n’a pas été purgée de ses plus grosses erreurs.

« Le Pense-bête » de Fritz Leiber, dans lequel on côtoie, non sans déplaisir, certains des tics d’écriture de l’auteur, son humour parfois voisin de celui de Fredric Brown, son personnage masculin principal typique, très proche de celui de Notre-Dame des ténèbres, ne restera pas dans les annales pour son originalité ou sa maîtrise narrative (sans parler de la traduction française : à dégueuler). Leiber prend son temps, se perd un peu dans cette histoire d’invention qui tourne mal et d’humanité qui vit sous terre. Pas désagréable, parfois surprenant, « Le Pense-bête » a surtout un intérêt historique — il ravira ceux qui se passionnent pour l’histoire de l’informatique vue à travers la SF et ses jalons, tels que « Un logique nommé Joe », Neuromancien ou Les Mailles du réseau.

« Vent d’est, vent d’ouest » de Frank M. Robinson est une histoire de terre polluée où il est interdit de fumer, de se promener en voiture (équipée d’un moteur à combustion interne), où les climatiseurs ne se contentent pas de climatiser l’air, ils le filtrent. Le texte est construit autour d’une petite enquête policière (qui ne tient pas vraiment la route, mais peu importe), enquête qui nous permet de découvrir cette horrifiante Californie asphyxiée façon Pékin aux heures de pointe. Le meilleur des quatre volumes critiqués ici (et aussi le plus récent de la sélection : 1972).

Voilà une collection qui continue d’être très intéressante, notamment en proposant des perspectives culturelles et historiques à chaque fin de volume, chouette idée, mais il faudrait que les traductions soient mieux relues, corrigées avec plus de vigueur, voire refaites pour les plus calamiteuses.

Aucun homme n'est une île

« L’écrivain ne bandait plus.
Pas plus pour les femmes que pour les livres ou la vie en général
. » (p. 9)

Cet écrivain c’est Ernest Hemingway, Prix Nobel de littérature, grand amoureux de Cuba, de la guerre, de la chasse, de la pêche et de la tauromachie. Alors qu’il s’apprête à se faire sauter la cervelle avec son fusil de chasse, Hemingway apprend que les Américains viennent de débarquer à Cuba et qu’ils ont repoussé dans la jungle Fidel Castro et le commandante Guevara. Alors naît en lui une idée, un moyen de partir sur un dernier grand coup d’éclat : rejoindre les barbudos dans l’Escambray et interviewer Castro, qu’il connaît, et Guevara, qui le fascine. Mis au courant des projets de l’écrivain, la CIA lui colle aux basques un « photographe », Hooper, qui aura pour mission d’éliminer les deux chefs de la revolución. Le long voyage au cœur des ténèbres, d’abord en voiture, puis en bateau, peut commencer.

Avec Aucun homme est une île, Christophe Lambert tente d’une certaine façon de retrouver le succès commercial de La Brèche, qui doit être, encore aujourd’hui, son plus grand coup d’éclat en littérature adulte. Ici, le point de divergence de l’uchronie est l’annulation de l’opération de la (célèbre) Baie des cochons, et la mise au point d’un meilleur plan pour récupérer Cuba. Les débuts du roman sont époustouflants : le suicide avorté d’Hemingway, la rencontre à La Havane de l’écrivain et de l’agent de la CIA qui se fait passer pour son photographe, la partie d’échecs qui oppose Ernesto Guevara au cameraman Nestor. On est pris dans le récit, pris à la gorge, et on ne lâche pas. Puis vers la page 60 (sur 280) le roman entame son inexorable descente, rien de catastrophique, mais à l’exception du chapitre 22 (pp. 189 à 195 — qui n’est pas aussi réussi qu’il aurait pu l’être, en plus), on ne ressent plus cette puissance évocatrice, idéale, que Christophe Lambert avait su insuffler dans les premières pages, les premiers chapitres. Plus embêtant, le lecteur n’a de cesse d’être héliporté en pleine guerre du Viêt-Nam. Comment ne pas rapprocher la remontée du fleuve qu’entreprennent Hooper et Hemingway de celle d’Apocalypse Now, comment ne pas penser au Viêt-Nam quand interviennent les hélicoptères Huey ?

Aucune homme est une île pâtit sans doute d’être raconté dans l’ordre chronologique : la partie d’échecs aurait fait un dernier chapitre parfait. La critique peut sembler sévère ; elle est surtout injuste. Christophe Lambert a depuis longtemps toutes les armes pour signer un chef-d’œuvre (attendu, donc) ; pendant soixante pages, on a vraiment cru le tenir entre les mains.

Il n’y a rien de plus rageant qu’une belle allumeuse qui s’ennuie au lit.

La Main tendue

[Critique commune à La Main tendueLe Royaume de DieuLe Pense-bête et Vent d'est, vent d'ouest.]

Entre février et mars 2014, la collection « Dyschroniques » du Passager clandestin nous a proposé pas moins de quatre titres signés par de grands noms de la SF américaine. Comme il se doit, ces titres sont d’une qualité et d’un intérêt très divers.

Le plus faible (en qualité, mais pas en intérêt) est sans doute celui de Poul Anderson. Il met en scène de façon molle et terriblement démonstrative une idée bien tranchante qui, en 1950, relevait de la formidable intuition. Anderson avait pressenti un des effets pervers de la mondialisation : qu’au xxie siècle il y aurait (au moins) un Starbuck’s café et un McDonald’s dans chaque grande ville de la planète. Evidemment, il décrit ici le phénomène à l’échelle de la galaxie.

« Le Royaume de Dieu » de Damon Knight est bâti lui aussi sur une idée formidable : un extraterrestre à trois jambes débarque aux USA et provoque un choc empathique à l’origine de décès et de diverses catastrophes. Le plus saisissant dans ce texte longuet, qui manque terriblement de crédibilité sur la fin, c’est d’y (re)trouver en concentré quasiment toute l’œuvre de Roland C. Wagner. On côtoie dans ce « Royaume de Dieu » l’humour particulier de Damon Knight et sa faiblesse assez coutumière en matière de narration. Malheureusement, la traduction française, infecte, n’a pas été purgée de ses plus grosses erreurs.

« Le Pense-bête » de Fritz Leiber, dans lequel on côtoie, non sans déplaisir, certains des tics d’écriture de l’auteur, son humour parfois voisin de celui de Fredric Brown, son personnage masculin principal typique, très proche de celui de Notre-Dame des ténèbres, ne restera pas dans les annales pour son originalité ou sa maîtrise narrative (sans parler de la traduction française : à dégueuler). Leiber prend son temps, se perd un peu dans cette histoire d’invention qui tourne mal et d’humanité qui vit sous terre. Pas désagréable, parfois surprenant, « Le Pense-bête » a surtout un intérêt historique — il ravira ceux qui se passionnent pour l’histoire de l’informatique vue à travers la SF et ses jalons, tels que « Un logique nommé Joe »Neuromancien ou Les Mailles du réseau.

« Vent d’est, vent d’ouest » de Frank M. Robinson est une histoire de terre polluée où il est interdit de fumer, de se promener en voiture (équipée d’un moteur à combustion interne), où les climatiseurs ne se contentent pas de climatiser l’air, ils le filtrent. Le texte est construit autour d’une petite enquête policière (qui ne tient pas vraiment la route, mais peu importe), enquête qui nous permet de découvrir cette horrifiante Californie asphyxiée façon Pékin aux heures de pointe. Le meilleur des quatre volumes critiqués ici (et aussi le plus récent de la sélection : 1972).

Voilà une collection qui continue d’être très intéressante, notamment en proposant des perspectives culturelles et historiques à chaque fin de volume, chouette idée, mais il faudrait que les traductions soient mieux relues, corrigées avec plus de vigueur, voire refaites pour les plus calamiteuses.

Le Pense-bête

[Critique commune à La Main tendueLe Royaume de DieuLe Pense-bête et Vent d'est, vent d'ouest.]

Entre février et mars 2014, la collection « Dyschroniques » du Passager clandestin nous a proposé pas moins de quatre titres signés par de grands noms de la SF américaine. Comme il se doit, ces titres sont d’une qualité et d’un intérêt très divers.

Le plus faible (en qualité, mais pas en intérêt) est sans doute celui de Poul Anderson. Il met en scène de façon molle et terriblement démonstrative une idée bien tranchante qui, en 1950, relevait de la formidable intuition. Anderson avait pressenti un des effets pervers de la mondialisation : qu’au xxie siècle il y aurait (au moins) un Starbuck’s café et un McDonald’s dans chaque grande ville de la planète. Evidemment, il décrit ici le phénomène à l’échelle de la galaxie.

« Le Royaume de Dieu » de Damon Knight est bâti lui aussi sur une idée formidable : un extraterrestre à trois jambes débarque aux USA et provoque un choc empathique à l’origine de décès et de diverses catastrophes. Le plus saisissant dans ce texte longuet, qui manque terriblement de crédibilité sur la fin, c’est d’y (re)trouver en concentré quasiment toute l’œuvre de Roland C. Wagner. On côtoie dans ce « Royaume de Dieu » l’humour particulier de Damon Knight et sa faiblesse assez coutumière en matière de narration. Malheureusement, la traduction française, infecte, n’a pas été purgée de ses plus grosses erreurs.

« Le Pense-bête » de Fritz Leiber, dans lequel on côtoie, non sans déplaisir, certains des tics d’écriture de l’auteur, son humour parfois voisin de celui de Fredric Brown, son personnage masculin principal typique, très proche de celui de Notre-Dame des ténèbres, ne restera pas dans les annales pour son originalité ou sa maîtrise narrative (sans parler de la traduction française : à dégueuler). Leiber prend son temps, se perd un peu dans cette histoire d’invention qui tourne mal et d’humanité qui vit sous terre. Pas désagréable, parfois surprenant, « Le Pense-bête » a surtout un intérêt historique — il ravira ceux qui se passionnent pour l’histoire de l’informatique vue à travers la SF et ses jalons, tels que « Un logique nommé Joe »Neuromancien ou Les Mailles du réseau.

« Vent d’est, vent d’ouest » de Frank M. Robinson est une histoire de terre polluée où il est interdit de fumer, de se promener en voiture (équipée d’un moteur à combustion interne), où les climatiseurs ne se contentent pas de climatiser l’air, ils le filtrent. Le texte est construit autour d’une petite enquête policière (qui ne tient pas vraiment la route, mais peu importe), enquête qui nous permet de découvrir cette horrifiante Californie asphyxiée façon Pékin aux heures de pointe. Le meilleur des quatre volumes critiqués ici (et aussi le plus récent de la sélection : 1972).

Voilà une collection qui continue d’être très intéressante, notamment en proposant des perspectives culturelles et historiques à chaque fin de volume, chouette idée, mais il faudrait que les traductions soient mieux relues, corrigées avec plus de vigueur, voire refaites pour les plus calamiteuses.

Liavek

La chance. Et si cette notion n’était pas que théorique ? A Liavek, le jour de votre anniversaire est important, c’est à ce mo-ment-là que la Chance se manifestera avec le plus de force. Ignorer quand on est né, c’est ne pas connaître la date pivot de son année. Kaloo, orpheline, est malheureusement dans ce cas. Alors qu’elle cherche à construire son avenir, elle réalise qu’elle ne peut y parvenir sans en savoir un peu plus sur son passé. Elle se rend chez un mage afin qu’il l’aide à découvrir son jour de Chance et finit par devenir son apprentie, délaissant ainsi l’avenir tout tracé que ses parents adoptifs lui réservaient.

Si Liavek raconte bien l’histoire de la jeune Kaloo tout du long, c’est pourtant à un recueil de nouvelles que nous avons affaire ici. Celui-ci comprend six récits écrits tour à tour (ou en collaboration) par Megan Lindholm (plus connue maintenant sous le nom de Robin Hobb), Steven Brust et Gregory Frost. Récits qui tourneront autour de la jeunesse de Kaloo, de son passage à l’âge adulte et de la découverte de son identité. Mais à travers elle, c’est Liavek qui nous est dépeint, et qui deviendra la véritable vedette de ce qui ressemble presque à un roman tellement ses différentes étapes se suivent logiquement.

Pourtant, si le passage entre les nouvelles se fait de manière fluide quand on s’en tient à l’histoire, il s’avère plus délicat une fois qu’on s’intéresse aux personnages. C’est que Kaloo, par exemple, semble être victime de sautes d’humeurs trop importantes pour qu’elles ne soient imputables qu’à une adolescence mouvementée. De même, sa belle-mère ou encore quelques amis de la famille changent tellement au cours des divers récits qu’il peut s’avérer nécessaire d’aller vérifier les noms des uns et des autres pour s’assurer qu’on parle encore des mêmes personnes. Un petit couac, imputable à la présence de trois auteurs différents, qui ne réfrène toutefois pas le plaisir éprouvé à la lecture de Liavek.

En effet, ce recueil fait souffler un vent de légèreté bienvenu au sein d’un genre, la fantasy, battu et rebattu. Non que l’histoire soit si originale ou différente, mais son ambiance fait rêver et apporte quelque chose de plus. Pourtant, nous ne sommes pas vraiment dans l’univers égalitariste un peu trop prestement annoncé dans la préface de l’ouvrage — on est même assez loin, à ce sujet, d’un texte comme Elle qui chevauche les tempêtes/Windhaven, par exemple, et histoire de citer un récit lui aussi né de la plume de plusieurs auteurs — Martin et Tuttle, en l’occurrence. Mais ce qu’on devine de Liavek dans ces diverses nouvelles donne envie d’y retourner, assurément.

Ainsi, si cet opus ne brille pas forcément par son originalité, il arrive pourtant à nous emporter dans un monde à la fois familier et différent, auquel il sera difficile de ne pas s’attacher. De fait, le lecteur lassé de la fantasy à gros bras, désireux de retrouver le plaisir des personnages et des univers qu’ils habitent avant tout, ferait bien de se pencher sur le présent recueil. Nous reste à espérer qu’ActuSF continue à nous faire voyager en Liavek…

Moxyland

2018, Afrique du Sud. Il y a les connectés, et il y a les autres, les moins que rien, les pestiférés, les rejetés de la société. Ceux qui n’ont pas de téléphone portable leur permettant d’être en ligne sont exclus. Les smartphones sont devenus la porte vers la vie virtuelle et réelle des citoyens. Dans ce monde, certains connectés vont commencer à se poser des questions. Et à vouloir secouer un peu les choses…

Il aura fallu attendre la sortie de Zoo City et des Lumineuses pour que soit enfin publié le premier roman de Lauren Beukes en France. Lequel porte en lui les bases de ce qui deviendra l’univers torturé de son auteur. Nous sommes ici dans un futur proche défiguré par l’hyperconnectivité. Le web 2.0 est largement dépassé et a été remplacé par une nouvelle version plus invasive et indispensable à la vie en société, ce qui ne fait que marquer encore davantage la fracture numérique.

Ce roman cristallise ainsi deux problématiques. Tout d’abord, on sent l’envie de l’auteur de réfléchir à l’invasion de plus en plus marquée et marquante d’internet dans nos vies. Et c’est là qu’on tire son chapeau à Lauren Beukes, qui, il y a six ans, a notamment réussi à prévoir la montée en puissance des vlogs (appelés streamcasts) et des Youtubeurs à travers eux (bien que Youtube ne soit jamais mentionné ici). De plus, elle arrive à créer un univers flirtant avec un cyberpunk plutôt crédible et très riche. Le seul hic serait peut-être le côté « à court terme », la petite décennie qui sépare l’écriture du monde qui est décrit condamnant en effet ce récit à une obsolescence rapide — le lire en 2014 rend déjà ce futur de 2018 peu plausible. Une vingtaine d’années auraient été un laps de temps plus crédible pour expliquer l’évolution du langage et de la technologie, et pour rendre probable la création et l’implantation de micro-organismes robotiques dans un organisme humain.

La deuxième problématique dont il est question ici est sans surprise (quand on sait que l’auteur habite en Afrique du Sud) celle de l’Apartheid. De son propre aveu, Lauren Beukes a voulu démontrer l’absurdité de la ségrégation en remplaçant une cause d’exclusion par une autre. Cette séparation des êtres connectés et hors système n’en reste pas moins une évolution tout à fait probable de notre société, et elle n’en devient que plus glaçante.

C’est donc par les réflexions qu’il suscite que Moxyland s’avère un livre notable. Cependant, le style hésitant, étouffant, parfois, de l’auteur, ne facilite pas l’immersion. A force d’assommer son lecteur de termes inhabituels contribuant à l’impression d’évoluer dans un futur beaucoup plus éloigné qu’il ne l’est en réalité, Lauren Beukes en oublie de construire l’histoire autour de l’univers qu’elle crée. On s’intéresse de fait beaucoup plus au contexte qu’aux personnages, et on s’étonne de constater combien, en définitive, le récit aurait pu s’arrêter n’importe quand sans que cela ne soit réellement gênant…

On l’aura compris, Moxyland est un premier roman à la fois bancal et enthousiasmant, rempli d’éléments pertinents mais pas forcément des plus agréables à lire. Il n’en reste pas moins intéressant à découvrir, et permettra aux amateurs de hard SF plus qu’aux autres de rentrer dans un univers différent, parfois anxiogène, mais tout autant fascinant dans ce qu’il dénonce. 

Notre fin sera si douce

2023. Depuis quelques années, le monde sombre dans la crise. Le chômage se généralise, la pauvreté devient la norme et notre planète subit de plus en plus de saccages. C’est le début d’une apocalypse lente qui se profile. Comment affronter cet univers agonisant ? La réponse semble être pour certains dans ce nouveau virus, le Docteur Bonheur, qui promet de vous rendre béats. Pour d’autres, comme Jasper, elle se trouve dans la vie en communauté, dans la tribu qui vous soutient et vous maintient en vie. Et dans l’amour, bien sûr.

Car c’est bien là la thématique centrale de Notre fin sera si douce, qui aurait pu être modestement sous-titré « L’amour au temps de l’apocalypse ». Will McIntosh décortique ici les nombreuses relations de Jasper, héros simpliste qui, alors que la fin du monde s’accomplit petit à petit autour de lui, ne vit que pour trouver celle qui sonnera comme une évidence à son cœur. Nous voilà embarqués dans sa quête d’absolu, nous demandant qui de Sophie, la maîtresse interdite lui envoyant des SMS enflammés, de Deirdre, la chanteuse allumée à la poitrine divine, ou d’Ange, la meilleure ami attitrée pour laquelle l’amitié passe aussi par le sexe, sera l’heureuse élue de cet homme qui refuse de se laisser mourir avec sa planète.

Notre fin sera si douce avait tout pour être un livre marquant. Cette idée d’apocalypse lente, perturbante et pourtant tellement pertinente, avait déjà de quoi séduire. Si l’on rajoute à cela quelques concepts originaux comme les jihadistes dadaïstes semant la terreur avec leurs actes meurtriers, violents, totalement gratuits et entièrement absurdes (certainement l’élément le plus intéressant du roman, le plus glaçant également, encore plus que l’agonie d’un monde incapable de survivre), ou comme le Docteur Bonheur, ce virus permettant d’être heureux et insouciant, Will McIntosh avait de quoi tournebouler ses lecteurs. Cependant, il délaisse complètement ses idées les plus prometteuses pour s’occuper uniquement de la vie amoureuse de son héros.

Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, mais ce n’est pas forcément ce que le lecteur de romans apocalyptiques et post-apocalyptiques recherche. Dès lors, celui-ci pourrait être désarçonné par une histoire qui, certes, se laisse lire toute seule, mais repose trop sur des stéréotypes agaçants et des personnages n’offrant pas grand-chose d’intéressant pour remplacer ces concepts ayant à peine eu le temps d’exciter l’intérêt du lecteur avant d’être laissés de côté.

Alors certes, Notre fin sera si douce conviendra sans doute à ceux qui recherchent surtout distraction et amusement léger sans conséquence (ça fait du bien, de temps en temps). Mais pour peu qu’on attende plus d’une histoire de science-fiction, il sera difficile de trouver quelque chose à se mettre sous la dent avec ce premier roman de Will McIntosh, sauf à être particulièrement versé dans les romances à la sauce « jusqu’à ce que la fin du monde nous sépare »…

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