La Cinquième Saison
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Connu sous le nom de The Stillness (alias le Fixe en francophonie), le monde de La Cinquième saison ressemble à un mélange de Moyen âge et de société préindustrielle. Les saisons normales s’y succèdent, entrecoupées de périodes cataclysmiques, la fameuse cinquième saison du titre, où tremblements de terre et éruptions volcaniques géantes ravagent paysage et communautés humaines. Ironie cruelle de la toponymie, le Fixe n’a pas grand chose de stable à offrir à Essun, Damaya et Syénite, trois femmes qui essaient de survivre en dépit de l’acharnement du destin. Un trio ne se distinguant pas seulement par son sexe mais également par sa condition d’orogène, autrement dit par sa faculté à agir sur l’environnement pour en contrôler certaines manifestations, comme les tremblements de terre. Exposée à la vindicte populaire des normaux, elles n’ont d’autre choix que de se cacher, de se fondre dans le paysage, ou de se soumettre au Fulcrum, l’ordre paramilitaire fondé par l’Empire de Sanze afin d’encadrer le don d’orogénie pour en faire une arme. Mais au prix de combien de sacrifices pour ses élèves, grains de poussière éduqués sans pitié et privés de tout libre-arbitre ?
Avec La Cinquième saison, tous les indicateurs de satisfaction s’affichent en vert. Alors que The Obelisk Gate, sa suite, vient de recevoir le Prix Hugo, nous découvrons dans nos contrées le premier volet de la trilogie, lui-même auréolé du prestigieux trophée. Avec ce premier tome des « Livres de la Terre fracturée », N. K. Jemisin propose une fantasy originale se démarquant des schémas classiques et des conventions du genre. Plus proche de Ursula Le Guin pour ses préoccupations que d’un G. R. R. Martin, l’autrice américaine nous immerge dans un monde cohérent et violent dont elle révèle petit à petit les contours géographiques, l’histoire et les différents aspects sociétaux. Un worldbuilding assez impressionnant qui ne paraît indigeste à aucun moment tant N. K. Jemisin distille les informations avec pondération, ménageant au passage la suspension d’incrédulité de son lectorat. Mais surtout, elle met en scène une définition de la magie stimulante, flirtant avec la science, du moins avec une apparence d’explication scientifique, qui n’est pas sans rappeler la magie éthique de Terremer. Elle dépouille également sa fantasy des oripeaux du merveilleux pour livrer une vision brute et âpre, abordant sans détours les thèmes de la différence, du féminisme et de l’identité. Enfin, dans ce monde ambivalent où la duplicité et la violence règnent en maître, N. K. Jemisin s’avance masquée, dévoilant progressivement l’astuce narrative sur laquelle repose le récit, même si l’on devine son dénouement, passée la première révélation.
Alors, certes, si tout n’est pas parfait, si l’on peut déplorer quelques longueurs, le récit accusant même un sacré coup de mou, et si l’on peut regretter le traitement parfois froid, voire artificiel des émotions, La Cinquième saison se révèle au final une réussite. Le premier tome d’une trilogie prometteuse dont on attend maintenant avec impatience la suite, d’ores et déjà annoncée dans la collection « Nouveaux millénaires ». Ouf !