Nouvelles de la mère-patrie
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Les seize nouvelles du recueil composent le portrait acide, cynique et railleur de la Russie d’aujourd’hui, celle de Poutine et d’une oligarchie corrompue, qui épingle politiques, journalistes, hommes d’affaires, mais aussi les naïfs et les timorés, alcooliques ou rêveurs intègres, victimes consentantes d’un système oppressant. Ici, n°1 change parfois de place avec n°2 pour conserver le pouvoir, l’animateur de télévision en baisse de popularité propose une émission où les hommes politiques s’affrontent physiquement dans une arène de boue (le nom de Nemstov, opposant assassiné en plein jour dans la rue, n’est pas changé), les informations s’ingénient à ne diffuser que les bonnes nouvelles, tandis que la corruption règne à tous les niveaux, faisant des immigrés la matière première d’un trafic bien plus lucratif que le travail au noir. L’honnêteté devient une entreprise risquée pour l’enquêteur trop scrupuleux.
La charge est féroce : c’est par l’absurde que Glukhovski dénonce les aberrations économiques de son pays, imaginant que les montgolfières poussés par le vent récupèrent l’argent qui se condense sur ses parois ; à ceux qui s’inquiètent d’une éventuelle chute du vent, les politiques prétendent la chose impossible : « Depuis lafondation même de l’Étatrusse, on a toujours fabriqué l’argent à partir du vent ! »
La Mère Patrie du recueil est ici un concept destiné à fédérer une nation autour d’un sentiment patriotique, qu’un publicitaire est chargé de réactiver. Patrie est justement le nom de l’ouvrière qui découpe dans les magazines les portraits de son chanteur de boys band préféré, chacun représentant un type masculin : « Voilà longtemps que les producteurs américains ont réduit l’âme féminine à un algorithme. » Sauf qu’en Russie, les filles de l’atelier sont toutes amoureuses de la même effigie, celle du Leader dont le portrait s’affiche partout.
Le grotesque et le dérisoire dominent largement, quand, voulant faire disparaître les preuves d’alcool et de sexe à bord de la station spatiale, les occupants provoquent une catastrophe planétaire, ou lorsque le journaliste rêvant de scoop se voit empêché de diffuser en direct une visite extraterrestre en raison de la prééminence des discours politiques.
Le fantastique et la science-fiction sont déclinés sur le ton de la fable : le pays a passé contrat avec l’Enfer, le politique et le clergé sont des extraterrestres prêt à fuir sur un autre monde à asservir en cas de problème, les gens procèdent à des implants intellectuels, prétexte à un humour vache, avec le package « Blonde intellectuelle » ou l’implant, pour les hommes, d’un cerveau en silicone. Souvent, les mesures adoptées se retournent contre leur concepteur, surtout quand la vodka, l’essence de la Russie et même objet de foi, est frelatée aux nanobots.
Si la parole s’est libérée dans l’ex-Union Soviétique, les problèmes demeurent et Glukhovsky, ancien journaliste, reconverti comme on sait dans l’écriture avec succès (Métro 2033 et ses suites, Sumerki, Futu.re), sort la grosse artillerie et ne mâche pas ses mots. Au final, tout le monde en prend pour son grade. Les idées sont parfois simplistes et les récits ne s’embarrassent pas de subtilités, l’intrigue est menée au bulldozer, mais ces facilités sont compensées par un sens de la formule et de l’image choc qui font mouche. Dans le registre de la satire, un recueil plutôt réjouissant.