Cagebird
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[Critique commune à Warchild, Burndive et Cagebird.]
Si l’on se limitait à considérer la trilogie de Karin Lowachee sous le seul angle de la quincaillerie qu’elle déploie, il serait presque tentant de la classer parmi ce que la sci-fi compte de plus conventionnel, celle dont on fait les séries à rallonge. Qu’on en juge un peu : une guerre interstellaire entre humains et extraterrestres, des pirates de l’espace, des combats au laser, des abordages au cœur du vide… l’auteur n’hésite jamais à faire appel aux stéréotypes les plus éculés du space opera. Bien entendu, réduire ces trois romans à ce seul aspect reviendrait à passer complètement à côté de tout ce qui leur donne leur originalité et leur identité propre.
Dans Warchild, le premier roman de cette série (qui n’en est pas tout à fait une, mais nous y reviendrons), Karin Lowachee a la bonne idée de nous faire découvrir l’univers qu’elle met en scène à travers le regard d’un enfant de huit ans, Joslyn Musey. Et effectivement, de son point de vue, la guerre qui oppose les braves humains du ConcentraTerre aux cruels aliens Striviirc-na est on ne peut plus simple et manichéenne. Jusqu’à ce que son monde vole en éclats, lorsque son vaisseau est attaqué par un navire pirate et ses parents tués. Capturé par le sinistre Vincenzo Falcone, libéré par les Striviirc-na et leurs alliés humains qui vont assurer son éducation, envoyé enfin à bord d’un navire terrien qu’il sera chargé d’espionner, Joslyn ne va cesser d’être balloté d’un camp à l’autre. Et en même temps que sa vision du monde s’élargit, celui-ci lui apparait (et au lecteur par la même occasion) dans toute sa complexité : les humains ne sont pas forcément les victimes de ce conflit, tandis que les Striviirc-na qu’il imaginait comme des ogres de cauchemar possèdent une culture d’une grande richesse et d’une élégante subtilité.
Dans le cadre de cette guerre, Joslyn n’est qu’une victime anonyme parmi d’autres, mais une victime au destin singulier, appelée à jouer un rôle crucial dans les évènements à venir. C’est ce destin qui constitue le cœur du récit, et auquel Karin Lowachee accorde toute son attention. Le portrait qu’elle fait de cet enfant, fragile, émotif, ayant perdu tous ses repères en même temps que ses parents, ce qui en fait une proie de choix pour les adultes entre les mains desquels il passe, est le plus souvent bouleversant de justesse. Avec pudeur, elle élude les scènes les plus violentes de son histoire, sans faire l’impasse sur les traumatismes qui en découlent. C’est certainement ce qui fait de Warchild le roman le plus émouvant de cette trilogie.
Burndive constitue la suite de Warchild sans en être tout à fait une. Certains évènements du roman précédent sont prolongés, d’autres sont revisités, et une partie du casting y fait une nouvelle apparition. Mais il s’agit d’un récit totalement indépendant, d’un autre destin brisé par la guerre.
D’un certain point de vue, avec Burndive, Karin Lowachee semble avoir voulu prendre le contrepied de son prédécesseur. Son personnage principal, Ryan Azarcon, se situe aux antipodes de Joslyn Musey. Jeune adulte, il n’est pas une victime anonyme du conflit opposant humains et striviirc-na : au contraire, c’est bien parce qu’il est le fils d’un militaire haut placé et d’une riche héritière qu’il va être la cible d’un attentat. Un évènement qui va bouleverser son existence de manière radicale et le forcer à abandonner sa vie de jet-setter désœuvré pour le plonger au cœur du conflit en cours.
Comparé à Warchild, Burndive souffre en premier lieu du peu d’empathie que l’on éprouve pour son héros, pauvre petit gosse de riche cynique et superficiel. Plus gênant encore, son histoire familiale, entre un père absent et une mère distante, occupe beaucoup de place dans le récit, sans guère émouvoir ni beaucoup sortir des sentiers battus. Par défaut, on se rabat donc sur l’arrière-plan du récit, cette nouvelle donne initiée dans les derniers chapitres de Warchild qui prend ici quelques détours inattendus. De ce point de vue, Burndive parvient à enrichir la lecture que l’on pouvait avoir de son prédécesseur, mais considéré sur ses qualités propres, le roman déçoit.
Fort heureusement, dans Cagebird, Karen Lowachee renoue avec les qualités du premier tome. Il n’est guère étonnant que son histoire s’en rapproche davantage, quoique le ton y soit encore plus sombre et désespéré. L’auteur y met en scène une autre victime de Vincenzo Falcone, Yuri Kiriov, recueilli à l’âge de huit ans à bord du Gengis Khan, après avoir passé quelques années dans un camp de réfugiés sordide suite à la destruction de sa colonie natale au cours d’un raid des Striviirc-na.
Le sort de Yuri rappelle celui de Joslyn Mosey, à la différence près que cette fois personne ne lui viendra en aide pour le libérer de l’emprise de Falcone. Lequel Falcone va tout mettre en œuvre pour déshumaniser son « protégé » afin d’en faire à la fois un objet sexuel et une arme mortelle. A l’inverse de Warchild, ici Karin Lowachee n’élude rien du parcours initiatique terrifiant de son héros. Certains passages sont d’une cruauté terrible, fort heureusement tempérée par l’écriture d’une élégante sobriété de l’auteur. Même dans ses scènes les plus douloureuses, le roman ne sombre jamais dans le sordide. Au contraire, de l’horreur qui imprègne Cagebird finira par s’extraire une lueur d’espoir, celui d’une nouvelle vie, encore possible, détachée de son passé.
A travers Warchild et ses « suites », Karin Lowachee dresse donc le portrait de trois enfants marqués à tout jamais par la guerre, trois destins singuliers, trois voix amenées à se faire entendre quand bien même on souhaiterait les faire taire à tout jamais. Dans le genre, on a rarement fait mieux.