Étoiles Vives 1
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Inutile de se voiler la face, cette première livraison d'Étoiles Vives ressemble comme un clone à un numéro de CyberDreams. Ce qui n'est évidemment pas un défaut en soi. Dans sa présentation, l'anthologiste s'étend sur les trois revues existantes et affirme qu'Étoiles Vives trouvera sa niche éditoriale. Le fait est que cela ne semble guère patent à première vue.
Gilles Dumay nous propose ici trois nouvelles francophones et trois anglo-saxonnes publiées à l'origine dans la revue britannique Interzone, source profuse à laquelle s'abreuve également CyberDreams.
L'antho s'ouvre sur « Un vrai crabe tente toujours sa chance » de Barrington J. Bayley (traduit par Michèle Charrier) qui fut avec J. T. Sladek l'humoriste de la new wave. Censé être drôle, à l'instar de « Les amoureux du contre-espace » (CyberDreams) du même auteur, il est assez banal et tombe plutôt à plat. Des adolescents crabes draguent des filles crabes et vont au bistrot cuiter leurs déboires amoureux. Cette race extraterrestre fait preuve d'un anthropomorphisme sidérant (drôle ?) mis à part que seuls de rares élus réussiront les rites amoureux et assureront la reproduction de l'espèce. Anecdotique.
Avec « Julie » de Molly Brown (traduit par Michèle Charrier) on change radicalement de registre pour plonger dans l'horreur moderne la plus glaciale. Un texte très noir et très dur qui fait contrepoint au précédent. Molly Brown a su greffer son thème horrifique sur un fond de cauchemar économique hanté par le spectre de la famine. C'est sur un mode minimaliste marqué par le tempo de l'horreur qu'elle décrit une société proche de celle dépeinte par S. Lehman, en plus paroxystique, s'engageant sur sa courbure d'effondrement démographique.
Dernière traduction (due à Hervé Hauck), « La véritable histoire du docteur Pretorius » de Paul J. McAuley qui est le meilleur texte anglo-saxon de l'anthologie. Elle met face à face le Dr Pretorius et Cochrane, un de ces journalistes agressifs dont les méthodes sont plus proches de celles des Renseignements que d'autre chose… Pretorius a un secret que veut lui arracher Cochrane qui le sait avoir collaborer avec les nazis dans les camps de la mort. Le secret de sa longévité est celui d'un pacte avec le diable. Cerise sur le gâteau, Paul McAuley à la manière de P. J. Farmer, joue de l'intertextualité en veux-tu en voila, son personnage ayant connu ceux de Wells, Stevenson et Conan Doyle.
Le récit « martien » de cette antho, dû à la plume d'Emmanuel Levilain-Clément, est tout empreint des Chroniques Martiennes. Il nous compte l'histoire d'un cow-boy venu élever des chevaux sur une Mars terraformée. Il sera le jouet d'une entité martienne réactivée par la présence des terriens — l'ennui, qui gâche ce qui aurait dû être un beau texte plein de poésie, est qu'il n'y a aucun rapport avec le fait qu'il élève des chevaux !
Avec « Magma-Plasma », Sylvie Denis nous entraîne dans un space opera rock plein de bruit et de fureur, ainsi que de haute technologie, bien sûr. Chasseresse de prime en déprime, Johanne Epstein est lancée sur la piste du rocker Pete Tansfield — que Sylvie Denis évoque en David Bowie — qui se clone et se reclone pour échapper au stress du star-système. Or, ces clonages sont si onéreux que les cartels de la génétique envoient des mercenaires s'occuper des mauvais payeurs. En vraie fan, Epstein ne laissera pas faire… C'est plein de coïncidences et de rebondissements, du vrai space opera. Et c'est certainement le texte qui correspond le mieux au label de qualité de l'antho « 100% rêve et dépaysement ».
Le meilleur pour la fin. « Le choix du lion, le festin du chacal » est un texte impressionnant qui, à lui seul, justifierait l'achat de l'anthologie (à condition d'aimer la S-F pure et dure). Jean-Louis Trudel donne sa pleine mesure avec cette nouvelle qui surpasse celle publiée dans Genèses (J'ai lu). Il a concentré ce qui fait l'attrait de la saga de G. Benford dans un texte qui rappelle celui de Ian McDonald intitulé « Vivaldi » (in État de rêve, Robert Laffont 1990). On y retrouve la même relation triangulaire entre le père astronome, la mère et la fille sur fond d'étoiles neutroniques ; toute ressemblance s'arrêtant là. J-Louis Trudel y a greffé les idées qu'il a de supers civilisations capables de jouer aux billes avec des pulsars (article dans Galaxies N° 2). Il donne un space opera étincelant de modernité.
La part du bon, du très bon même, est largement supérieure à celle du médiocre. La présentation est bien agréable, comme il convient à une publication de ce prix, mais l'illustration est sans intérêt. Notons encore un bref aperçu en trois pages d'entreprises similaires à Étoiles Vives, pour information du grand public. À découvrir si ce n'est déjà fait.