Mes Moires – un pont sur les étoiles
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Qui est Jean-Pierre Dionnet et pourquoi lire son autobiographie ?
À la première question, nul doute que les lecteurs de Bifrost répondraient sans peine. Mais leurs réponses ne seraient peut-être pas identiques et évoqueraient la parabole des aveugles et de l’éléphant, tant les activités de notre homme sont diverses. Lecteur boulimique et curieux de tout, passionné dès son enfance par la bande dessinée, il découvre les comic-books en 1962, lorsqu’il vient faire ses études à Paris, et en acquiert très vite une connaissance encyclopédique. Il met celle-ci à profit pour rédiger des articles dans des fanzines, ce qui lui ouvre les portes de revues moins confidentielles. Dans les années 1970, on le voit écrire des scénarios pour Pilote et participer brièvement à L’Écho des savanes. Puis, après une tentative avortée, il lance en 1975 Métal hurlant avec Druillet, Mœbius et Jean-Pierre Farkas. C’est bientôt le succès, et l’apparition d’une nouvelle génération de dessinateurs et de journalistes qui va révolutionner la BD française. Mais notre homme est tenté par la télévision, et là aussi il joue le rôle de passeur qui lui est cher, faisant découvrir à un large public la musique et le cinéma qu’il aime. Hélas ! cette dispersion est fatale à sa revue chérie, qui disparaît en 1987, après avoir essaimé dans le monde entier — pas toujours selon les souhaits de son maître d’œuvre. Il revient alors au scénario de BD – ainsi qu’à de multiples autres activités – et il n’a pas fini de nous étonner.
Et pour revenir à la seconde question : ce livre est à lire parce que, non content de nous raconter sa vie – sans en omettre les périodes les plus noires –, Jean-Pierre Dionnet raconte aussi toute une période qui a vu les genres qui nous sont chers passer du statut de distractions pour débiles à celui de culture « geek ». Il suffit d’avoir vécu cette période, ne serait-ce qu’en simple lecteur, pour confirmer que les descriptions et les analyses de Dionnet sont parfaitement justes. Et comme il a fréquenté certains des acteurs les plus marquants de cette révolution, il en profite pour en brosser des portraits tantôt fouillés, tantôt esquissés, mais toujours sensibles et passionnants. Pour nous limiter aux membres de Notre Club, on croise ici Jacques Goimard, Jacques Sadoul – ses deux « Maîtres Jacques », comme il le dit –, Jacques Bergier, Michel Demuth, et même ce trublion de Harlan Ellison, avec qui ses relations finirent par devenir orageuses. Naturellement, ce sont ses amis et collaborateurs les plus proches qui ont droit à la part du lion, tant ils reviennent dans le récit de sa vie : Mœbius, Druillet et Philippe Manœuvre – on remarquera que leurs relations se sont distendues avec le temps.
Si le fond de l’ouvrage est passionnant, la forme, elle, est franchement louable. Respectant grosso modo une narration chronologique – mise en forme par son collaborateur, Christophe Quillien ? –, l’auteur travaille parfois « par sauts et gambades », évoquant telle personne ou tel événement décalé dans le temps à l’occasion d’une association d’idées. Et quant au style, il est vif, allègre, épicé d’humour mais aussi d’émotion. Seul regret en ce qui me concerne : l’absence d’un index, qui serait pourtant le bienvenu tant on croise dans ces pages des gens remarquables.
Jean-Pierre Dionnet termine en évoquant un vieux projet de roman sur lequel il a envie de revenir. On l’attend avec impatience, car notre homme prouve ici qu’il est un écrivain.