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Focus Nnedi Okorafor

Suite et fin des aventures de Binti, jeune fille himba partie étudier sur un monde lointain et de retour chez elle radicalement transformée. Il n’est sans doute pas inutile de relire le premier volume, en particulier sa dernière partie, « Binti : Retour », avant d’attaquer Binti : La Mascarade nocturne qui en constitue la suite directe, sans qu’Okorafor ne prenne la peine de resituer le contexte et les enjeux de manière très explicite. Après avoir découvert ses origines cachées et ses liens avec une race extraterrestre ayant autrefois fait escale sur Terre, Binti doit rejoindre de toute urgence son village, où sa famille et son poulpesque ami Okwu sont en danger de mort.

Comme les textes précédents, ce roman relève avant tout de la fantasy s’affichant sous les apparats de la science-fiction. L’autrice ne s’embarrasse jamais d’explications aux phénomènes qu’elle décrit. L’important n’est pas là. Il se trouve avant tout chez son héroïne, jeune femme qui, au fil des récits, a subi une succession de métamorphoses. Elle en connaît une dernière ici, tout aussi extrême, et qui vient compliquer davantage encore la quête d’identité qu’elle n’a cessé de poursuivre au fil de ses aventures. Là est tout l’intérêt du personnage, tiraillée sans cesse entre ce qu’elle était et celle(s) qu’elle est devenue, et tentant désespérément de concilier toutes les contradictions qui la composent. Pour le reste, Okorafor évite le côté sirupeux des débuts de la série — même si Binti ne peut s’empêcher de pleurer toutes les douze pages environ — et situe la majeure partie de son récit dans une Afrique où les coutumes ancestrales gardent davantage de poids que les progrès technologiques. À conseiller sans doute à un jeune lectorat plutôt qu’à de vieilles carnes littéraires comme votre serviteur.

En parallèle, ActuSF publie La Fille aux mains magiques, texte qui n’existait jusqu’à présent en France que sous forme de podcast, réalisé par le site Coliopod.com. Cette édition reprend la très bonne traduction réalisée par Cécile Duquenne pour l’occasion. Il s’agit ici d’une version illustrée par Zariel (qui a également signé les couvertures de Binti), choix d’autant plus pertinent que le dessin est au cœur de cette nouvelle. Fille unique d’une famille pauvre et peu aimante, Chidera voit sa vie changer lorsqu’elle fait une rencontre qu’on qualifiera de magique dans un coin de forêt. Elle se découvre alors un talent de dessinatrice qui va changer non seulement sa vie, mais également celle de ses proches, et au-delà.

Par sa narration et son propos, on qualifiera volontiers La Fille aux mains magiques de conte. Nnedi Okorafor porte un regard extrêmement bienveillant sur son héroïne et l’accompagne dans sa découverte de son don et la manière dont il transforme le regard que les autres portent sur elle. Sans mièvrerie, elle signe un texte touchant, élégant et drôle. Le résultat est d’autant plus réussi que les illustrations de Zariel qui accompagnent la nouvelle sont superbes, évoluant au fil du récit et de la maîtrise de nouvelles techniques par son héroïne. Au final, on obtient un objet de toute beauté, tant du point de vue graphique que littéraire.

Dans les profondeurs du temps

Le lectorat français a pu découvrir Adrian Tchaikovsky en 2018 avec Dans la toile du temps (cf. la critique de Bruno Para dans Bifrost n° 91), excellent space opera qui racontait en parallèle la fuite de colons humains à la recherche d’une planète plus accueillante que la leur, et le développement d’une civilisation arachnéenne extraterrestre. L’auteur donne aujourd’hui une suite à ce premier tome, semblable par certains aspects, mais dans laquelle il se montre plus ambitieux encore.

Dans les profondeurs du temps suit deux trames temporelles se déroulant à plusieurs millénaires d’intervalle. Dans la première, un vaisseau terrien découvre que la planète qu’il est chargé de terraformer abrite déjà une forme de vie inconnue. Il est alors décidé qu’il mènera à bien sa mission sur un monde de glace voisin, tandis qu’une équipe scientifique ira étudier ce biotope étranger. Dans la seconde, un groupe d’exploration composé d’araignées et d’Humains atteint à son tour ce système solaire, et y reçoit un accueil peu amical.

On pouvait reprocher à Dans la Toile du temps un certain déséquilibre entre ses deux intrigues principales, l’évolution de sa société d’araignées génétiquement modifiées s’avérant bien plus intéressante que le sort des colons coincés dans leur vaisseau. Ici, les deux parties se révèlent aussi passionnantes l’une que l’autre et s’enchaînent également de manière beaucoup plus fluide. Ainsi, l’origine des multiples menaces et mystères auxquels doit faire face la coalition Humains/arachnides se dévoile de façon progressive et naturelle au fil des flashbacks. Par ailleurs, Tchaikovsky se montre tout aussi inspiré lorsqu’il s’agit de donner à voir l’évolution de son univers et de ses créatures sur un temps long que pour mettre en scène des séquences d’action spectaculaires menées à un rythme d’enfer. Cerise sur le gâteau, ces histoires nous sont racontées du point de vue de personnages plus fascinants les uns que les autres, post-humains, créatures extraterrestres aux modes de pensée radicalement différents du nôtre ou intelligence artificielle utilisant les interactions de millions de fourmis pour exister. On se gardera d’en révéler davantage tant les surprises sont nombreuses et le sense of wonder omniprésent. Son prédécesseur était un roman remarquable à bien des égards, Dans les Profondeurs du temps l’est à tous points de vue.

L'Aiguille de Costigan

Jerry Sohl fait partie de ces auteurs américains d’après-guerre largement oubliés aujourd’hui. De la douzaine de romans qu’il a écrits, la plupart dans les années 50, seuls La Révolte des femmes (Le Rayon Fantastique, 1954) et le thriller Sommeil de mort (Presses de la Cité, 1984) ont été traduits chez nous. Ainsi donc que cette Aiguille de Costigan, dont c’est la troisième édition française en un peu plus d’un demi-siècle (les précédentes, sous le titre de L’Invention de Costigan, furent publiées dans des collections pour la jeunesse).

Le roman est composé de deux parties nettement distinctes. Dans la première, on découvre la fameuse invention du professeur Winfield Costigan, une machine ouvrant une porte vers… ailleurs. Monde lointain ou univers parallèle ? Impossible de répondre sans y envoyer quelqu’un, seuls les organismes vivants pouvant franchir le seuil (ceux qui s’essaieront à y passer la tête y laisseront d’ailleurs leurs plombages). Et les premiers courageux à s’y risquer ne semblent pas être en mesure de faire le chemin en sens inverse. Entre interrogations sur la nature et les capacités de l’appareil, vaines tentatives de cacher aux autorités les premières disparitions, puis interventions de quelques fous de Dieu jugeant cette expérience blasphématoire, on n’a guère le temps de s’ennuyer. La seconde moitié du récit, tout aussi réussie, se déroule de l’autre côté, et oblige ses protagonistes à mettre en œuvre toutes leurs connaissances technologiques et scientifiques, d’abord pour survivre, puis pour rebâtir une civilisation, avec toujours en ligne de mire l’espoir de regagner leur monde d’origine.

À certains égards, L’Aiguille de Costigan marque le poids des ans, à commencer par le rôle auquel y sont reléguées les femmes ou le côté caricatural de bon nombre de personnages. Ces quelques réserves mises à part, il s’agit d’un récit fort agréable à lire, rythmé et inventif. Jerry Sohl ne s’embarrasse pas de la moindre explication pseudo-scientifique pour justifier l’invention de Costigan, allégeant ainsi son récit de nombreuses digressions inutiles. Surtout, dans la seconde partie, il sait admirablement faire vivre la petite communauté qu’il met en scène, jusqu’à les amener à se questionner sur leur nouvelle situation, comparée à celle qu’ils ont connu autrefois. Malin jusque dans sa résolution, L’Aiguille de Costigan est un roman certes mineur, mais un indéniable plaisir de lecture.

Dangereux Fantasmes

Paprika, pour l’amateur français de SF, c’est sans doute d’abord et avant tout l’ultime long-métrage de Satoshi Kon, un sommet du fil d’animation nippon qui a captivé de nombreux spectateurs avec son imagerie surréaliste. À l’origine, pourtant, il s’agissait d’un roman, paru il y a presque trente ans maintenant, l’œuvre d’un écrivain majeur du registre, Yasutaka Tsutsui. Quelques-unes de ses productions ont été traduites en français, parmi lesquelles on pourra citer Hell, ou le classique jeunesse La Traversée du temps (qui a aussi donné lieu à une fameuse adaptation animée), mais Paprika n’avait jamais eu cet honneur. Oubli réparé par les éditions Ynnis, dans une traduction signée Nesrine Mezouane… mais une publication en deux tomes qui n’est pas sans poser problème (le second est annoncé pour la fin de l’année).

Là où le film condense énormément, et va à l’essentiel, le roman prend bien davantage son temps pour poser l’intrigue ; en cela, il est plus « classique ». Nous sommes dans un institut de recherches psychiatriques, dont deux employés sont en lice pour le prix Nobel de médecine : le brillant mais quelque peu puéril Kôsaku Tokita a mis au point une technologie révolutionnaire permettant aux thérapeutes, non seulement d’enregistrer et étudier les rêves de leurs patients, mais, en outre, de se rendre dans ces rêves, d’y participer, afin de guérir divers troubles psychiques. La talentueuse thérapeute Atsuko Chiba en a fait bon usage, usant d’une identité d’emprunt du nom de Paprika — ce qui lui confère quelque chose d’une super-héroïne, aux deux alias très distincts, Clark Kent d’un côté et Superman de l’autre. Or, il faut se montrer prudent, car cette technologie expérimentale n’est pas supposée être testée de cette manière avant d’avoir rempli beaucoup de paperasse… à ceci près que leur supérieur direct à l’institut, Shima, a bénéficié de cette thérapie, et dirige certains patients hors-normes vers les bons soins de Paprika ; il soutient les chercheurs, là où le reste du conseil d’administration se montre parfois plus frileux, voire hostile…

Les choses dégénèrent quand Tokita met au point une version perfectionnée de cette technologie, du nom de DC Mini, avec des possibilités d’interaction bien plus amples. Seulement voilà, Tokita relègue la sécurité au second plan quand il développe cet outil, ce qui s’avère des plus fâcheux quand quelqu’un vole la DC Mini… Or c’est là une technologie qui n’est pas sans risques : déjà, le procédé de base pouvait avoir pour conséquence que le thérapeute trop nonchalant se retrouve « contaminé » par les troubles psychiques du patient au travers de ses rêves… un risque démultiplié par le nouveau procédé, qui abolit la frontière entre rêve et réalité. Par ailleurs, le risque d’influer sur lesdits rêves pour aboutir à une forme de contrôle psychique devient très sérieux — entre de mauvaises mains, la DC Mini pourrait avoir des conséquences catastrophiques ! Atsuko/Paprika le sait mieux que personne, et le voleur est clairement mal intentionné… Il importe donc de mettre la main sur lui au plus tôt, et idéalement sans faire de vagues, tant cette technologie expérimentale n’aurait jamais dû leur échapper de la sorte…

Le roman vire donc au techno-thriller — comme le film. Sauf qu’il y manque quelque chose, du moins dans ce tome 1, et c’est là que le découpage du roman s’avère problématique : le délire surréaliste qui fait tant pour la réussite de l’anime est en effet presque totalement absent de ce premier volume. Pas de parade folle, ici, pas de délire visuel, et les rêves dans lesquels intervient Paprika sont plus « posés » que dans le film. Il semblerait bien, pourtant, que cette imagination délirante faisait partie du roman avant que Satoshi Kon ne l’adapte, mais on ne la ressent guère pour l’heure… Chroniquer ce tome 1 indépendamment n’est donc pas sans poser problème.

D’autant que, s’il se lit bien, il n’est pas sans défauts. Au niveau du ton, notamment, assez naïf et parfois même puéril, en dépit d’un sujet grave et très adulte qui fait appel à la psychanalyse et ouvre des portes terrifiantes sur la manipulation de la psyché humaine. On pourra s’étonner aussi de ce que ce roman, qui met en scène une héroïne très charismatique et a été publié initialement en épisodes dans un magazine féminin, soit au fond un peu macho (ce qui ne se ressent jamais autant que lors d’une scène de viol… eh bien, malaisante, comme disent les djeunz), encore qu’il soit sans doute nécessaire de faire la part des choses entre le propos du roman et les perturbations introduites par ses protagonistes, le détestable Morio Osanai en tête.

Bilan en demi-teinte, donc, à mi-parcours. L’entreprise de traduction est louable, quoi qu’il en soit, mais pour exprimer un avis véritablement pertinent quant au roman, il faudra attendre la lecture du tome 2…

L'Empire s'effondre

Ce qui frappe avant tout avec L’Empire s’effondre, premier tome d’une trilogie éponyme, c’est la communication de son éditeur — quatrième de couverture et sites marchands notamment : on y voit passer des comparaisons avec Frank Herbert, Isaac Asimov, Jean-Philippe Jaworski, Eugène Sue et Alexandre Dumas. Excusez du peu ! Outre le fait que pour un premier roman, ce genre de parallèles a bien peu de chances de se révéler fondé (et, évacuons tout suspense, ils ne le sont pas), ils ont aussi le grand tort d’établir des attentes qui, si elles ne sont pas remplies, génèreront à coup sûr de la frustration. Sans parler du fait que la comparaison avec Herbert est fort limitée (la religion en tant qu’outil de contrôle) et paraît assez opportuniste (disons que c’est de bonne guerre) à l’approche de la sortie du film Dune

Dans un empire où la technologie (centrée sur la vapeur pour l’essentiel) cohabite avec un système de castes professionnelles hyper rigide car établi par des dieux tutélaires conférant un pouvoir absolu aux Princes qui les dirigent, un attentat menace de faire s’effondrer tout l’édifice. En effet, les violentes émeutes qu’il provoque servent elles-mêmes à justifier une révolution de palais dans laquelle trois princes prennent le pouvoir au détriment des autres, tandis qu’un quatrième entre en guerre pour rétablir le régime théocratique. On sent clairement, à tous les niveaux, le potentiel de l’auteur, mais à chaque fois, quelque chose cloche : son écriture est souvent fluide et agréable, mais ne fait pas l’impasse sur des effets de manche stylistiques dont il aurait pu se passer (tout comme des quatre scènes de viol en cent pages !), sans parler de passages d’une emphase excessive et très clairement, de longueurs (l’ouvrage ne se serait pas plus mal porté dégraissé d’un bon quart) ; les personnages sont intéressants, mais le nombre de points de vue (une dizaine !) est effroyablement trop élevé, d’autant plus que certaines sous-intrigues sont achevées hors-champ et réglées d’un trait de plume (le conseil basique d’écriture « Montrer plutôt que raconter » est pourtant censé être connu de tous), quand ce n’est pas le personnage lui-même dont on se débarrasse sommairement sans qu’on comprenne l’intérêt de lui avoir consacré tant de pages ; le worldbuilding est travaillé et évocateur, mais montre aussi des détails peu crédibles, comme ces armes à feu à vapeur ou ces quartiers à étages s’accrochant au flanc des collines où se trouvent les palais des puissants ; enfin, l’aspect roman social fait lever les yeux au ciel tant il est du cent fois vu en Fantasy (si tant est que ce livre en relève, certains indices incitant au doute), avec sa stratification sociale se doublant d’une stratification spatiale, sa charge anticapitaliste, anti-élites, anti-religion, anti-journalistes, sa révolte prolétarienne, etc.

L’empire s’effondre n’est en aucun cas un mauvais roman (surtout pour une première œuvre), mais il n’est certainement pas non plus à la hauteur des comparaisons auxquelles se livre son éditeur. Coville a clairement du potentiel, et avec peu d’ajustements (et une communication plus sobre), le tome suivant pourrait être une spectaculaire réussite.

Cantique pour les étoiles

L’Humanité, ou du moins ses représentants les plus riches et privilégiés, ainsi que leurs employés, a fui il y a mille ans une Terre en proie à un effondrement écologique et une montée des océans, s’établissant sur de luxueuses stations spatiales et exploitant de façon rapace des mondes-ressources. Le déplacement entre les étoiles se fait via la Poche, dimension alternative parcourue de courants générant des flux temporels différents. Pour les équipages des vaisseaux, le voyage entre deux systèmes représente quelques semaines, alors que pour l’univers extérieur, des années ou des décennies s’écoulent. Nia, capitaine de cargo, ramène vers la civilisation un enfant mutique dont la capsule s’est écrasée sur un monde primitif. Un personnage important va alors lui demander de le cacher aux confins de l’espace régi par les corporations, car elle pense qu’il possède le don de Saut, la translation instantanée et sans machinerie entre deux points de l’espace, une faculté que les multiplanétaires convoiteraient avidement…

La quatrième de couverture souligne une parenté avec les œuvres de David Mitchell et Gabriel Garcia Márquez, mais omet la comparaison qui, à la lecture, crève pourtant les yeux : celle avec le cycle des « Cantos » de Dan Simmons. Le premier chapitre est ainsi un décalque de l’histoire de Siri et Merin, en inversant les rôles : ici, c’est Nia qui est une Siri qui ne vieillit pas et voyage dans les étoiles, puis qui devient, pour l’enfant, exact reflet d’Énée (c’est son sang qui donnera à l’Humanité le don de Saut spatial instantané), au genre près, une version féminine de Raul. Et les parallèles ne s’arrêtent pas là, même si la place nous manque pour développer. À un point tel qu’on frôle la réécriture (progressiste : les thématiques écologiques et anticapitalistes sont omniprésentes).

Si on ajoute à cela une narration qui varie les modes (y compris épistolaire), les points de vue, les personnages et les ambiances, parfois radicalement différentes, d’un chapitre à l’autre, on se retrouve devant un roman qui, sans être mauvais (la dernière partie étant la meilleure, la plus poignante), notamment sur le plan du style, invariablement agréable et occasionnellement traversé d’impressionnantes fulgurances, pose question quant à l’intérêt à lui accorder. L’admirateur de Simmons n’y trouvera ni la virtuosité ni l’impact émotionnel ni la singularité de l’œuvre du Maître ; le débutant sera plus inspiré de lire l’original plutôt que l’ersatz ; seul, peut-être, l’allergique aux positions idéologiques de Simmons trouvera-t-il de la valeur dans cette réécriture sans grande saveur (à part sur la fin, on l’a dit, sans pour autant avoir l’impact du sort d’Énée), agréable à lire mais presque aussi vite oubliée, d’un des plus grands chefs-d’œuvre de la SF.

Les Chiens et la Charrue

Voici enfin le retour des aventures de Syffe, le personnage principal de L’Enfant de poussière et de La Peste et la vigne, chroniqués dans nos numéros 91 et 92.

Le gamin des rues d’autrefois est désormais un homme, et pas n’importe lequel. Abîmé par de rudes épreuves, ancien guerrier, esclave, mercenaire… Syffe se laisse porter par les événements, n’ayant plus la force ni la volonté de lutter contre les ballottements chaotiques de son destin. Alors qu’il est au fond du gouffre, ayant perdu les êtres auxquels il tenait le plus, prêt à tout abandonner, même la vie, son passé revient le hanter tandis qu’il parcourt la rivière comme contrebandier. Son chemin, sur le point de s’achever, prend un nouveau méandre, et le voilà reparti, presque malgré lui, à voguer vers une nouvelle destination. Car Aidan Corjoug, le garçon qu’il a sauvé autrefois, est désormais un homme de pouvoir, et souhaite utiliser Syffe et sa sulfureuse réputation à des fins politiques.

Revenant sur les lieux de son enfance et retrouvant d’anciens ennemis, notre narrateur se crée une nouvelle meute et confirme qu’il est, plus que jamais, l’étincelle qui met le feu aux poudres des puissants. Mais loin des conflits politiques bassement humains, une menace se dessine, au-delà des frontières des royaumes connus. La pandémie du tome 2 n’était qu’un avant-goût, et Syffe va devoir trouver des alliés inattendus pour tenter l’impossible : rassembler les hommes et affronter ce qui pourrait bien provoquer la fin de leur monde.

Le plaisir de retrouver le personnage est amplifié par celui de savourer l’écriture de Dewdney, qui évolue de tome en tome avec maîtrise. La trame posée dans les opus 1 et 2 s’étoffe davantage, et les fils étirés au début de la trilogie continuent de dessiner un motif qu’on savait complexe, mais qui prend des couleurs de plus en plus vives. Et, toujours, cette chance incroyable, presque insolente pour notre héros, qui, habilement travaillée depuis le premier tome, a l’élégance de faire passer quelques dei ex machina en douceur. L’admirable volonté de vivre du garçon du tome 1, plus forte que toutes les épreuves, reste un pilier, même quand l’homme de ce tome 3 croit vouloir mourir. La trame géopolitique est toujours aussi précise, comme la grande Histoire effleurée par la vie de Syffe… Quelques ingrédients d’une recette qui fonctionne. La comparaison avec Robin Hobb (et George R.R. Martin) est encore d’actualité, et il sera intéressant de voir comment Dewdney clôturera ce cycle… car voilà bien le seul bémol pour cette suite attendue : on devine quelque chose de plus grand, de plus violent, de plus bouleversant, mais cela reste encore à peine évoqué, et l’on pourrait rester sur sa faim, sur cette curieuse sensation de tome transitionnel, s’il n’y avait cette galerie de portraits vivants des personnages secondaires qui soutiennent l’histoire. Une mention particulière pour les femmes, peintes avec vigueur, et qui trouvent enfin réellement leur place dans le récit.

Plus lent et moins aventureux, cet épisode laisse pourtant sur la même sensation que les deux précédents : la suite, s’il vous plaît !

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