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Les Terrassiers

 

« Quand les gens doivent affronter un grand nombre de problèmes et qu'ils ne savent pas quoi faire, il y a toujours quelqu'un qui est prêt à raconter n'importe quoi, simplement pour obtenir le pouvoir… »

En avant pour la suite de l'hilarant Camionneurs traduit en mai dernier…

Masklinn et sa clique d'éphémères humains se sont réfugiés dans une carrière abandonnée. Non seulement l'Hiver approche, mais les Grands viennent en plus rouvrir les lieux. Malheureusement, Masklinn le fonceur n'est plus là pour guider les masses : lui et Gurder, le successeur de l'abbé, ont découvert dans un journal qu'Arnold frères, le Créateur du Grand Magasin, existait encore en la personne de « Richard Arnold Quadragénaire » — et se sont mis en route pour le rencontrer. Tandis que la panique gagne les rangs des gnomes une nouvelle fois menacés d'expulsion, Grimma, la compagne de Masklinn, propose, objecte et tempête. Rien à faire, c'est Nisodème, le remplaçant de l'abbé Gurder, que l'on écoute. Or, pour lui, l'essentiel est de restaurer le culte d'Arnold frères et reconstruire le Grand Magasin. Sinon…

Moins d'action et moins de rythme, mais toujours autant de sagesse bonhomme pour ce second volet de la trilogie. Il y a pourtant de la redite dans l'air quand à nouveau les Grands débarquent et que, par deux fois, les gnomes recourent au vol de véhicule. Côté némésis, Nisodème reste plutôt inoffensif dans son genre : pas très malin, ni féroce, et plutôt naïf Ce qui n’empêche pas Pratchett d'aller plus loin dans l'analyse des problèmes de commandement et de pouvoir (autrement dit la gestion des personnes), ce qui, lorsqu'on a été soi-même confronté à des problèmes du genre de ceux qu'affrontent Grimma, est intéressant à suivre. En fait, le plus spectaculaire se passe ailleurs que dans la carrière et fera l'objet du troisième tome : de toute évidence, Masklin et Gurder sont bien partis pour prendre l'avion et détourner une navette spatiale

Les Rails d'incertitude

 

« Le rail sera un trait d'union entre tous les hommes civilisés… Je persiste à dire que dans un environnement aussi effroyable, les hommes doivent rester soudés entre eux… Le rail transmettra un jour l'énergie jusque dans les coins les plus reculés. Il apportera de la nourriture, permettra des échanges. Les trains seront de véritables villes en déplacement avec tout le confort, des magasins, des théâtres, des jeux, des hôpitaux… »

Avec cette nouvelle série, G.J. Arnaud retourne à l'univers de son cycle de La compagnie des glaces, succès historique de la S-F française des années quatre-vingt (62 volumes et un jeu de rôles), que le Fleuve Noir a récemment entrepris d'intégralement rééditer sous la forme de gros bouquins (façon « Super Poche a) contenant chacun quatre tomes de l'édition originale.

Ainsi, avec Les rails d'incertitude, nous voilà environ un siècle après la glaciation qui anéantit la civilisation humaine sur Terre telle que nous la connaissons — et deux siècles avant l'avènement des Compagnies ferroviaires décrit dans la première série.

Question ambiance et intrigue, G.J. Arnaud connaît son ouvrage et nous restitue sans peine une atmosphère sombre et… glaciale. La seule « chaleur humaine» en ce monde d'après l'apocalypse n’a rien de tendre : la barbarie animale igloos où, parce qu'on vous interdit de parler (histoire d'économiser de précieuses calories), on a cessé de réfléchir. Ailleurs, c'est l'esclavage. Les survivants dans cette région du globe, sont deux cents tout au plus - et prêts à s'entretuer. Le jour où la communauté la plus puissante doit évacuer son abri ménagé par les feux d'une centrale atomique ensevelie sous le permafrost, une seule certitude est à l'ordre de jour: ça va saigner.

 Pour les personnages, nous voilà dans la peau de Sadon, un de ces chasseurs barbares qui a su préserver juste assez d'humanité pour ne pas être massacré une fois surpris dans la caverne du Village. Protégé, ou plutôt exploité par Rogger, le conducteur d'une locomotive montée sur crampons, Sadon va épouser ses convictions, convictions selon lesquelles le salut de l'humanité réside dans la mise en place d'un réseau de communication ferroviaire entre les survivant. Mais les intentions de Rogger sont loin d'être humanitaires.

Un roman réussi, prenant. Mais un roman qui suit sans coup férir la « tradition francophone» : un seul point de vue, une intrigue linéaire et de regrettable ellipses. Ainsi des batailles finales nous verrons en définitive très peu, tout simplement parce qu'Arnaud a concentré sa, trame sur son héros. Doubler ou tripler les points de vue aurait contribué à rendre le roman plus riche - mais aussi davantage épais.

Plus positivement, on constatera que la démarche de l'auteur — bâtir une nouvelle série pour mettre en scène les origines de la première — n’a rien de commercial : faire dans le commercial aurait, par exemple, consisté à reprendre les aventure de l’un des héros de la première série. Avec les Chroniques Glaciaires, Arnaud a choisi de développer son univers, ce qui tend à caractériser l'attitude d’un véritable maître de la Science-Fiction.

Demain les puces

 

« Au cours des années 60, un type nommé Lovelock avait eut une idée qu'il baptisa « l'hypothèse Gaïa ». Il croyait que chaque être vivant sur Terre faisait partie d'un organisme plus grand appelé Gaïa… Si je ne me trompe pas, l'organisme de Lovelock existe, mais sous une forme qu'il ne connaissait pas. Ce n'est pas notre planète, mais quelque chose qui se déplace sur elle… composé non pas d'êtres vivants, mais des relations qui existent entre eux. »

Nouvelle définition du cyberpunk, cette fois plus étroite et rigoureuse : tous les récits de Patrice Duvic auront ici un rapport étroit avec les ordinateurs et plus précisément les Intelligences Artificielles. Beaucoup plus cyber que punk, donc. On notera que la version 96 de cette anthologie sort amputée du « Johnny Mnemonic » de William Gibson (encore une fois extraite de Gravé sur Chrome chez J'ai Lu) et de « Mémoire vive, mémoire morte » de Gérard Klein (pourquoi au juste ?) - mais augmentée du curieux « BumpieTM » de Francis Valéry.

Le principal attrait de l'anthologie réside dans deux « interfaces » (préfaces entrelardées des nouvelles du recueils) de Duvic et Klein, à la fois pertinentes et très clairement rédigées, ce qui change de l'enthousiaste mais plutôt erratique bavardage de Sterling en ouverture de Mozart en verres miroirs. J'en retiendrais personnellement deux idées, celle que les récits cyberpunks sont très loin d'avoir à ce jour cerné les possibilités qu'offre la thématique de l'ordinateur tout juste effleuré à dire vrai, alors que le présent est déjà sur le point de concrétiser nos délires science-fictif. Deuxième idée, chez Klein, que la logique PC et la logique Mac sont révélatrices de l'absence ou la présence du respect de l'individu. Quand on sait que c'est à ces gens que la logique implacable du net s'apprête à confier le pouvoir monétaire et informationnel (donc politique) absolu sur la planète… Deux remarques toutefois je ne suis pas certain, comme Gérard Klein, que la Science-Fiction échappe davantage à la redite que la littérature générale : dans le détail peut-être — mais dans les grandes lignes philosophiques et humaines, les thèmes de l'intelligence artificielle, du virtuel et même du voyage dans le temps (donc de la destinée etc.), ont déjà été explorées et le seront encore et toujours. En revanche, il est certain que le cadre de la Science-Fiction rend cette exploration à la fois plus efficace et plus accessible. Autre remarque, l'idée d'un ordinateur personnel dans tous les foyers, pourrait très bien devenir de l'histoire ancienne dans quelques années. Comme celle d'ailleurs de toute l'information du monde disponible pour to Rappelons qu'en 1981, en achetant un simple Sinclair ZX81 sans débours plus qu'un millier de francs, on se trouvait à même de programmer en Basic. Aujourd'hui, sur Mac Performa, c'est impossible. La créativité et l'indépendance autorisée par les constructeurs se seraient donc réduites à une peau de chagrin ? Avec les consoles vendues comme des ordinateurs domestiques, le zéro absolu sera bientôt atteint…

 Côté nouvelles, « Un logique nommé Joe » de Murray Leinster démontre justement qu'explorer les thèmes du cyberpunk était possible dès 1946. Autrement dit, la définition historique du cyberpunk comme mouvement littéraire des années quatre-vingt prend du plomb dans l'aile. Sur un thème identique, celui de l'émergence d'une intelligence artificielle au sein d’un réseau informatique mondial, le gibsonien paranoïde « Gaïa de Silicium» de Tom Maddox prend l'avantage sur le plus laborieux « Valentina » de Delaney et Marc Stieger. « Nous avions tous décidé d'être heureux » de Philip Curval met en scène l’avidité classique des pouvoirs totalitaires de dominer jusqu'aux tréfonds les individus les plus réfractaires (cf. 1984 d'Orwell) en utilisant cette fois les technologies de numérisation des personnalités humaines comme instrument d’oppression ultime. « Des réponses » Sladek visite un autre lieu commun : la machine hostile y remplace l'extraterrestre descendu de l'espace pour mieux contrôler mentalement les êtres humains. Le côté épouvantable de ce type d'intrigue a été cent fois mieux rendu dans l'horrifique « Press Enter » de John Varley (désolé, j'ignore le titre français, mais je sais que cette nouvelle été plusieurs fois traduites, notamment dans des revues pour PC), qui commence par la découverte par le héros du suicide d'un voisin, qui semble avoir laissé derrière lui un redoutable logiciel d'incitation à l'autodestruction, « BumpieTM » de Francis Valéry est apparu à mon intellect surmené plus comme un exercice de style (intéressant : un récit présenté sous la forme d'un programme auquel il manque d'ailleurs certains renvois de boucles — 157 Goto 130). « La Muse électronique » de Shenck fait plus performant dans le genre « mélangeons le récit et son support », mais, encore une fois, l'exploitation de l'idée ne paraît pas être la meilleure possible.

Pour conclure, voici un avis incidentiel sur le coffret réuni par Denoël : pour une vision plus complète de la mouvance cyberpunk, ajoutez-y Gravé sur Chrome de Gibson (chez J'ai lu).

Mozart en verres miroirs

 

« – Alors… que ressentez-vous face à ce monde qui porte mon empreinte et celle d'autres gens à mon image?

Le ton un rien arrogant d'Alice Citrine balaie la prudence de Pierre et il manque hurler : Il est injuste ! Il se tait un instant, puis l'honnêteté le pousse à reconnaître:

« Superbe, éclatant, passionnant par moments — mais fondamentalement injuste. »

Mozart en verres miroirs et surtout sa préface de l'anthologiste Bruce Sterling, sont réputés comme étant le « manifeste du mouvement cyberpunk ». À la lecture de ladite anthologie et de ladite préface, la dénomination cyberpunk s'entend visiblement dans une acceptation purement historique.

Autrement dit, les nouvelles qui vous sont présentées (et les auteurs les ayant commis) appartiennent au genre cyberpunk parce qu'elles ont été écrites (parce qu'ils ont écrit) exactement à la même époque. Pas parce qu'ils obéissent aux mêmes critères narratifs ou dramatiques, ou à une même thématique, ou se déroulent dans un cadre commun. Autrement dit, le mot cyberpunk serait plutôt ici une appellation fourre-tout.

Que trouve-t-on en effet au sein de cette anthologie ? « Le Continuum Gernsback » de William Gibson semblerait plutôt avoir été inspiré par les délires perceptifs Dickiens doublés d'une nostalgie douce-amère (« le bon vieux temps futur ne sera jamais été ce qu'il aurait pu être »). « Les mésaventures d'Houdini » tourne (plutôt anodinement) en dérision non-sensique l'exploitation d'une star (de la disparition !) par l'industrie du spectacle. En deux chapitres et hors-contexte, Jack Finney fait mille fois mieux dans Le retour de Marion Marsh. Et que quelqu'un m'explique ce que cette histoire a à voir avec le « cyber » — ou le « punk »d'ailleurs. « Petra » de Greg Bear — en passant, l'un des textes les plus puissants de l'anthologie —, est encore plus éloigné du propos : l'histoire de l'oppression de gargouilles par des humains le tout dans une cathédrale gothique. « Un concept franchement fantastique » affirme la notice de présentation. On ne saurait mieux dire. Quant à « Mozart en verres miroirs », de Bruce Sterling et Lewis Shiner, il ne s'agit que de la nième résurrection (ici au sens figuré) d'un musicien célèbre au gré d'une uchronie quelque peu dégantée. Comble d'ironie, le verre miroir, résumé absolu de la thématique cyberpunk, est bien un simple accessoire anachronique, au même titre que le bikini de cuir choisi dans un numéro de Vogue par Marie-Antoinette (la reine, évidemment).

Parallèlement, on trouve aussi dans Mozart…, l'anthologie, une bonne moisson de textes cyber et punk dans une acceptation plus gibsonnienne. « Des yeux de serpents » de Tom Maddox se concentre sur les cyborgs, et recoure à une imagerie tout à fait reconnaissable (rappelez-vous du cobra dans Câblé de W.J. Williams). « Rock toujours » de Pat Cadigan fait bien dans la prospective, le rock, la rapacité des groupes financiers, le câblage des esprits. Avec  « Les 400 » de Marc Laidaw, on est également en terrain prospectif connu : la mégalopole, les gangs des rues, la misère des faibles, des laissés-pour-comptes et la futilité de leurs luttes. Dans « Soltice » de James P Kelly, on peut percevoir le miroitement des « raves party », la recherche de l'élan mystique, la débauche des nouvelles drogues de synthèses sur fond de pollution et rêves de pureté bio. « Le jour où les voix humaines nous éveillerons » de Lewis Shiner nous fait le coup de la manipulation biogénique dans un contexte de corporations omnipotentes. « Freezone » de John Shirley exhibe le grand jeu de la décadence postindustriel, avec une visite guidée et appuyée des lieux de perdition les plus spectaculaires, sous un vaque prétexte d'échappée terroriste contestataire. « Pierre vit » de Paul de Philippo décrit une planète Terre devenue mosaïque alternée de ghettos et de chasses gardées corporatistes, qui n'est pas sans rappeler le décor de la série FAUST de Lehman. Enfin, « Étoile Rouge, Orbite gelée » de Gibson et Sterling (déjà publié dans Gravé sur Chrome de William Gibson chez J'ai Lu) s'attarde sur le devenir de la conquête spatiale russe (un squat américain).

Bref, Bruce Sterling aurait pu se contenter de l'appellation « neuromantiques » pour désigner cette ex-nouvelle vague d'auteurs des années quatre-vingt, elle aurait au moins le mérite d'être plus… vague, justement ! Le débat de définition étant refermé, qu'en est-il du plaisir de la lecture de Mozart… aujourd'hui ? Cadigan, Maddox et Kelly brillent de tous leurs chromes délavés à l'XTC. Laidaw et de Philippo contribuent à cette prise de conscience des auteurs américains du genre d'avenir pas radieux du tout que semble nous réserver l'ordre économique mondial d'aujourd'hui (prise de conscience qu'on retrouvera en apogée horrifique et terrorisant d très recommandé Journal de nuit de Jack Womack, également chez Denoël). Gibson & Sterling anticipent peu ou prou la déconfiture de l’URSS dans un remarquable huis-clos à la conclusion inattendue. « Freezone » de Shirley en revanche fait plutôt dans le genre complaisant et gratuit. Shiner ne donne pas vraiment d l'impérissable. Hors domaine cyberpunk (sens strict), demeureront le magique « Continuum Gernsback » de Gibson et l'onirique et tétanisant « Petra » de Greg Bear.

Câblé

 

« – Tu crois que c'est vrai, demande Boy, que les Orbitaux manipuleraient les inters comme tout le reste ?

Le Roublard jette un coup d'œil nerveux en direction d'Arkady et hausse les épaules. On ne gagne rien à formuler tout haut ce genre de spéculation.

– Je veux juste savoir pour qui je bosse. Si la résistance souterraine est manip par les Orbitaux, alors on bosse pour les gens qu'on combat, qué no ? »

Câblé est, avec le Neuromancien de William Gibson (J'ai Lu), une œuvre-clef du genre cyberpunk. Et juste avant d'aborder cette réédition à proprement parler, en cette époque de cyber-trucs mis à toutes les sauces, peut-être il pis inutile de se livrer à un petit recentrage de dénomination. Les romans « cyberpunk » sont issus de la prospective, ce « jeu » littéraire consistant à mettre en scène la société de demain. Dans les années quatre-vingt, cela signifie combiner puissance toujours plus étendue des corporations multinationales, la circulation toujours plus grande de l'information et de l'argent sur les réseaux informatiques mondiaux, la marginalisation générale des populations (la faute à une « crise » commencée au début des années soixante-dix), la guerre mondiale délocalisée, les guérillas urbaines, les nouveaux virus (apparition du SlDA/syndrome de Kaposi, début quatre-vingt), les progrès galopants du génie génétique. Le film Blade Runner de Ridley Scott donne en 1982 (deux ans avant Neuromancien) à une génération de nouveaux auteurs une sorte de décor prêt à l'emploi : une jungle urbaine agressive et polluée, peuplée de flics, détectives, marginaux, répliquants / robots / hommes-machines, proies du spleen et de la violence. Notez que  Blade Runner opère en fait la fusion entre les visions de Philip K. Dick datant de 1966 et le style visuel foisonnant du réalisateur britannique, fruit de sa propre réflexion sur le futur de la Terre jusque dans ses moindres détails.

L'action de Câblé se situe en 2151, La conquête spatiale a mal tourné pour la Terre, bombardée par les stations orbitales dominées par les trusts. Les États-Unis sont désormais « balkanisées », c'est à dire que les états ont repris leur « indépendance », façon ex-URSS. Tout est importé des stations, parce que moins cher à produire. Les marchandises passant par le goulot d'étranglement des astroports, et tout le monde cherchant à prendre sa part du gâteau au passage, le résultat final est un marché noir bourdonnant d'activité contrôlé de surcroît par les mêmes corporations spatiales toutes puissantes.

Ces dernières n'ayant que faire du pouvoir sur les nations, l╒âtat est livré aux bandes de motards, policiers corrompus et autres mafias, tandis que des hordes de « migrants » errent à travers le pays.

Les héros de Câblé sont, comme il se doit, des marginaux, plus ou moins manipulés par les agents des corporations.

D'un côté Cowboy, le pilote de Panzer — une espèce de tank volant tout terrain conduit grâce à un câblage implanté directement dans le cerveau. Cowboy croit être un résistant à l'Ordre instauré par les corporations orbitales quand il passe clandestinement des médicaments dont les nouveaux maîtres de la Terre ont organisé la pénurie. À présent, son dernier chargement c'est de la drogue synthétisée en orbite qu'Arkady son employeur, ne peut s'être procurée sans passer par une de ces corporations pharmaceutiques que Cowboy déteste. Cowboy étant idéaliste et efficace, il devient vite dangereux. À éliminer.

De l'autre côté, Sarah est une enfant des rues. D'abord prostituée, à l'instar de son petit frère qu'elle couve, elle a investit ses économies dans des prothèses cybernétiques mortelles, comme le cybercobra lové dans sa gorge, capable de perforer la chair et broyer les os. Trafiquante de drogue mais surtout mercenaire, elle est recrutée par un certain Cunningham pour pirater des informations et assassiner un cadre d'une compagnie rivale. Une fois le travail accompli, le dit Cunningham tente de la faire supprimer, alors que Sarah ne rêve que de se vendre pour obtenir les billets qui lui permettront de monter au paradis orbital, elle et son frère.

Guérilla par ici, cavale et traîtrise à répétition par là, jalonnées de formidables morceaux d'anthologies telles les virées de Cowboy à travers les vastes espaces des étendues sauvages américaines sous les feux conjugués de ses poursuivants, ou les très mortels corps à corps de Sarah. Cerise sur le gâteau des cybermaniaques, le massacre inopiné d'un allié de Cowboy (Reno) en fait une personnalité virtuelle, bien pratique pour résoudre un certain nombre d'obstacles dramatiques, rapidement et facilement. Plus douteux est le manque de flair de Sarah qui, au lieu de disparaître et changer d'identité au plus vite une fois son job accompli, s'amuse à servir de cible à ses ex-employeurs. Certes on peut admettre que le fardeau constitué par son jeune frère limite ses possibilités de replis. Mais qu'est-ce qui empêchait ses ennemis de prendre en otage le dit frère pendant tout ce temps ? En conclusion un roman spectaculaire, aux hypothèses futuristes bien posées mais aux solutions plutôt simplistes (« Sponk-sponksponk » « Kawham-Kawham! »)

Enfin sachez que l'univers de Câblé (Hardwired) a été adapté en 1989 pour le jeu de rôle Cyberpunk (Talsorian Games). L'industrie du JdR de l'époque se passionne alors pour la Fantasy Donjonnesque (comme depuis sa naissance). Tandis que les univers génériques/fourre-tout (Gurps) se multiplient, l'éditeur FASA sortira la même année Shadowrun, ou le croisement improbable mais réussi de Cyberpunk avec Donjons & Dragons (avec aux commandes Robert (BoB) N. Charette, co-créateur des mythiques Bushido et Chivalry & Sorcery de l'éditeur pionnier FGU, et que l’on retrouve auteur de romans sous franchises traduits chez Fleuve Noir, comme Shadowrun et Battletech).

Gros temps

Si William Gibson fut en quelque sorte l'initiateur, ou le détonateur, du mouvement cyberpunk, Bruce Sterling en est généralement considéré comme l'idéologue et le théoricien, comme en témoigne sa préface à l'anthologie-manifeste Mozart en verres miroirs1. II y exprime notamment sa conviction que « l'auteur typiquement cyberpunk n'existe pas », et que « La tendance cyberpunk forme une extension naturelle d'éléments déjà présents dans la Science-Fiction ». On pourrait ajouter qu'une fois passés les excès liés à l'émergence d'une nouvelle manière d'aborder le genre, le destin de la tendance en question est de se fondre peu à peu dans le courant principal de la S-F, enrichissant celui-ci de ses éléments les plus pertinents.

Gros temps, qui illustre parfaitement ce processus d'intégration générique, s'inscrit dans la lignée des œuvres les plus récentes de Sterling, comme les textes réunis dans Crystal Express2 — et notamment la nouvelle donnant son titre au recueil — ou le doublement volumineux Les mailles du réseau. Dans une Amérique du proche futur où l'effet de serre a complètement détraqué le temps, les ravages effectués par des tornades d'une fréquence et d'une violence accrue ont provoqué l'exode de millions de personnes, transformant le Middle West en un véritable désert. L'épuisement des nappes phréatiques ne fait qu'aggraver cette situation cataclysmique.

Socialement, les choses ne sont guère plus riantes, et l'on ne sait qui est le plus à craindre, des bandes de pillards, des terroristes « déstructurants » ou des milices constituées pour lutter contre ces derniers. L'état d'urgence, durant lequel le gouvernement semble avoir perdu — ou abandonne — l'essentiel de son pouvoir, a laissé des traces indélébiles. À cet égard, le passage consacré à l'argent privé développe une extrapolation inquiétante, tout à la fois démente et réaliste.

Sur le plan sanitaire, le monde décrit par Sterling a tout d'un véritable cauchemar. Tous les protagonistes de l'histoire éprouvent une méfiance — justifiée — à l'égard des fluides corporels intimes, et tous les accessoires entrant en contact avec des parties sensibles du corps doivent être soigneusement désinfectés avant emploi. Ainsi, les casques et lunettes virtuelles des salles de jeux deviennent facteurs de transmission de conjonctivites, d'otites — et même de poux ! Le sida et sa mythologie sont passés par là. Pourtant, là où 

Graham Masterton ou Maurice G. Dantec3 prennent soin de montrer leurs personnages usant du préservatif — le premier d'une manière purement grotesque, le second avec beaucoup de sensibilité — , Sterling choisit de décrire des rapports sexuels non protégés ; comme Jean-Marc Ligny4, c'est la découverte par ses protagonistes du sexe... disons « naturel » qui l'intéresse5. L'intrigue, quant à elle, est tout à la fois simple et touffue. La relative linéarité de la quête d'une tornade exceptionnelle — qui motive les membres de la tribu de néo-nomades cyberpunks placée par l'auteur au cœur même du roman — s'oppose en effet à la complexité des relations entre les divers personnages. Et le dénouement, qui intervient bien entendu durant la — brève — apparition de la tornade en question, souffre de cette opposition fondamentale, ainsi que du parti pris par l'auteur de recourir à une trame « enterrée », une sorte de sous-récit pratiquement invisible, qui ne prend son importance que dans le dernier chapitre. Désirant dissimuler au lecteur les machinations qui se trament dans l'ombre, Sterling est partiellement tombé dans le piège d'une allusivité excessive ; du fait de cette rétention d'informations, certaines révélations, arrivant comme des cheveux sur la soupe, donnent à la structure de ce livre une apparence assez artificielle.

Pourtant, Gros temps n'est pas dénué de qualités, et tant l'intérêt accordé aux personnages que la minutie avec laquelle Sterling a construit son univers en font un roman de Science-Fiction passionnant, presque un modèle de l'œuvre post-cyberpunk. En effet, loin de phagocyter le récit, la tendance y devient une simple couleur, faite de technologie récupérée et d'astuces scientifiques. L'éloge du bricoleur, qui se trouve au centre de bon nombre de textes écrits par les principaux acteurs du mouvement neuromantique6, est reléguée ici au second plan par l'aspect purement hard science des choses — comme si Bruce Sterling voulait nous faire comprendre que le cyberpunk a cessé d'exister en tant que tel, pour devenir une simple réserve d'images et d'idées science-fictives.

Et, que cela ait été ou non l'intention de son auteur, telle est bien l'impression principale qui se dégage de ce thriller météorologique.

Notes :

1. Denoël « Présence du Futur » Anthologie rééditée voici quelques mois avec un sommaire modifié dans le cadre du coffret Les Cybernautes, qui comprend également l'anthologie Demain les puces et les romans Câblé de Walter Jon Williams et Le temps du twist de Joël Houssin.

2. Denoël PDF Respectivement dans la série du Manitou (Pocket « Terreur ») et dans Les racines du Mal (Gallimard « Série Noire »).

3. Inner City, J'ai Lu

4. Étrangement cette découverte, qui peut être considérée comme le symbole d'un certain retour a la normale, passe chez ces deux auteurs par la fellation. Il n'est pas certain qu'il s'agisse la uniquement — comme par exemple chez Spinrad — de l'expression d'un simple fantasme masculin.

5. Pour reprendre le terme astucieux inventé par Norman Spinrad.

Le Temps du Twist

« Peter Grant regarda le quatuor. Des gosses avec des fringues impossibles, qui se prétendaient australiens, traversaient l'Atlantique et réclamaient du raide...

— Dites, les mômes, le collège n 'a pas repris chez vous ?
La question était choquante dans la bouche de Grant.
— Pas encore, éluda Orlando.
Grant hocha la tête. Il était loin d'être aussi balourd que son aspect physique et ses manières frustres ne le laissaient supposer.
— Et votre copine, miss pimpon, elle est plus avec vous ?
— Elle cuve... »

On mélange un futur où la seule façon de se vacciner contre un virus capable de vous transformer en zombie affamé est l'absorption immodérée d'alcool ( !), un voyage dans le temps dans un Londres de 1968 décalé, une Buick hi-tech et le groupe rock Led Zeppelin, véritable fil rouge du bouquin, et voici venu Le temps du Twist ! Le cocktail peut sembler indigeste (il l'est au début, c'est vrai), mais passée la première surprise on se laisse bien volontiers prendre au jeu et suivre les aventures de ce groupe de jeunes paumés combattant les uchronies et les reformatages d'univers (le leur en l'occurrence).

Néanmoins, d'aucuns trouveront peut-être la philosophie des personnages discutable : le voyage dans le temps, c'est planant, mais les « héros » se trouvent quand même des petits coups de pouce peu recommandables... hum. Quoiqu'il en soit Joël Houssin est décidément remarquablement à l'aise dans la description d'univers sombres et désespérés ; univers d'autant plus déroutant qu'il oscille en permanence entre la déprime totale et la plus féroce des hilarités.

Pour s'étendre sur le traitement du thème de l'uchronie (que se serait-il passé si l'histoire n'avait pas pris le tour qu'on lui connaît — le nez de Cléopâtre plus long, les Nazis vainqueurs de la seconde guerre mondiale, etc.) et des incidences temporelles, on notera une déclinaison intéressante : le nouvel univers créé par l'événement déviant efface peu à peu l'ancien, qui rétrécit alors tel une peau de chagrin : la recette de la meringue disparaît en même temps que l'Amérique du Sud ! Et les protagonistes de s'y raccrocher comme à une bouée... Au total un roman cyberpunk (Grand Prix de l'imaginaire 1992) déroutant mais qui ne manque pas de piquant, le tout sur un rythme d'enfer, celui des accords de Jimmy Page.

Rendez-vous avec Rama

« L'air chargé se propageait le long de l'axe de Rama, tandis que l'air neutre se ruait dans la zone de basse pression ainsi dégagée... la meilleure tactique serait peut-être de naviguer à l'oreille ; en s'éloignant le plus possible de ce sifflement de mauvaise augure. Rama lui épargna l'embarras du choix. Une nappe de flammes se déploya derrière lui, emplissant le ciel... »

En 2130, les systèmes de surveillance anti-météores détectent un immense objet entrant dans le système solaire. D'abord pris pour une comète, il s'avère que Rama (dieu du panthéon hindou) est un objet artificiel. Un équipage est aussitôt dépêché sur place pour explorer ce véritable univers de poche créé par une civilisation extraterrestre, avant qu'il ne s'éloigne à tout jamais.

Rendez-Vous avec Rama est un grand classique de la Science-Fiction, écrit par un de ses plus célèbres maîtres. (La légende veut qu'Arthur Clarke ait été l'inventeur des satellites de télécommunication — il en a en tout cas émis l'idée le premier en présidant la British Interplanetary Society au lendemain de la Seconde Guerre). Il vit maintenant une retraite dorée au Sri Lanka (par lassitude des hivers anglais !). Clarke est également l'un des chefs de file du courant hard-science, lequel privilégie la justification scientifique dans l'écriture des textes, position qui n'est pas toujours compatible avec l'intérêt littéraire de ceux-ci : suffit pour s'en convaincre de lire les premiers textes de Clarke, comme Îles de l'Espace, indubitablement ennuyeux. Heureusement, ce roman n'est pas victime de cette volonté démonstrative, loin de là ! L'écriture est subtile. Les descriptions grandioses cohabitent avec l'action et une atmosphère mystérieuse s'installe, sous-jacente. Avec une ouverture presque identique au blockbuster mémorable de 1996 (un objet mystérieux entre dans le Système Solaire), Rama qui traite du contact (ou du non-contact) avec l'extraterrestre, est en quelque sorte un anti Independance Day. Si vous n'avez que maigrement goûté le traitement grossier et stupide du thème du contact dans le film de R. Emmerich et D. Devlin, lisez Rama ! Et si vous avez aimé ID4, essayez tout de même Rama et jugez de la différence.

Écrit en 73, ce volume devait être le premier d'une série dont les suites tardives (Rama II, Les Jardins de Rama, Rama révélé) ont été rédigées en collaboration avec Gentry Lee. Ce dernier a d'ailleurs collaboré au projet de la sonde Galileo envoyée vers Jupiter (pour de vrai, cette fois). Cette réédition a lieu à l'occasion de la sortie du jeu vidéo adapté de la série chez Sierra. Les premières impressions sur ce dernier sont plutôt favorables ; c'est en tout cas bourré d'interviews de Clarke et Lee. Dans la même veine que ses autres romans a succès, 2001 ou l'excellent et quasi mystique, Les Enfants d'Icare. Rendez-vous avec Rama est définitivement à découvrir, et de toute urgence...

Les Ravisseurs quantiques

« L'engourdissement intellectuel dont j'étais victime n'était pas naturel. Il fallait que je me détache de cette musique. Elle constituait un piège.

Tendu par Odon ?

Un rayon de lumière blanche partait de la pelote éblouissante. Un accès direct à la Psychosphère, identique — quoique d'une capacité nettement plus importante — à celui qui s'étirait à l'arrière de mon esprit.

Onésime Drond était-il un millénariste ? Il y a quelqu'un dans mon esprit... »

Le deuxième tome des aventures de Tem (alias « Temple Sacré de l'Aube Radieuse »), le détective transparent (on en oublie jusqu'à l'existence !) écumant les rues de Paris en 2063, reste dans la veine ouverte par La Balle du néant. Cette fois, le voici à la recherche d'une jeune femme sous l'influence de la secte des « copistes ». Mais alors qu'il tente de s'infiltrer, il se retrouve malgré lui embarqué dans un univers plutôt étrange.

Wagner, responsable de la rubrique littéraire dans le magazine de jeux de simulations Casus Belli (et qui lance à partir de ce numéro une nouvelle rubrique dans Bifrostsait produire des textes comme on n'en voit pas si souvent en Science-Fiction française, et moins encore au Fleuve Noir : une Science-Fiction sans scène de violence excessive ni de sexe gratuit, intelligente. Wagner évite à merveille les clichés du genre (et il y en a !) ; l'intrigue est soignée et bien menée. Pardessus tout, l'auteur ne vous assomme pas avec un style ampoulé, souvent destiné à masquer une histoire inconsistante (non, non, je ne citerai pas de nom !).

On déplorera malgré tout que l'auteur semble avoir privilégié ici des éléments science-fictifs plus classiques (l'uchronie en l'occurrence), au détriment de l'aspect d'investigation policière qu'annonçait le point de départ de la série. On progresse petit à petit dans la description de l'univers où évolue notre détective parisien, avec des éléments comme les tribus, les mutants et leurs pouvoirs, les intelligences artificielles et le réseau informatique mondial (le Wèbe !). Pour avoir une idée plus précise du tour que vont prendre les événements, il faudra patienter jusqu'au troisième volume de la série, attendu fin février au Fleuve Noir et qui marquera le glas de la collection « Anticipation » (numéro 2001, intitulé, comme il se doit, L'Odyssée de l'espèce…)

Manuscrit d'un roman de SF trouvé dans une poubelle

 

« Avant le décollage, nous avons dû subir le discours de Jack Lang qui, à son habitude, avait réussi à chourer la place de l'actuel locataire de la rue de Valois. Il était très chic en veste sportwear bleu pétrole Thierry Mügler. Mais c'était peut-être La Redoute, il paraît que le salaire de nos Ministres, et donc à fortiori ex-ministres, n'est pas ce qu'on prétend... »

Dernier né de la jeune collection « Lettres SF », Manuscrit d'un roman de SF trouvé dans une poubelle est un recueil de nouvelles partiellement inédites (quatre textes sur les neuf publiés), celle-ci représentant, à l'évidence, le principal intérêt de l'ouvrage, les autres nouvelles parues dans Fiction ou divers fanzines étant de natures, de qualités et genres très divers (c'est le moins qu'on puisse en dire !). On navigue donc à vue entre l'ultraviolence de « Et chez vous comment ça va ? », la satire de « F&SF » et la misogynie (pornographie ?) de « Tout à la main ». Aussi dans cette traversée gare à ne pas s'échouer, l'ultraviolence pouvant très vite devenir ignoble et la satire, pour peu qu'elle décrive un milieu particulier, s'avérer obscure pour le commun des mortels. Quant au troisième des genres mentionnés...

Manuscrit d'un roman de SF... mériterait donc à l'occasion, comme à la télé (dixit le CSA...), son petit carré rouge (ou son triangle bleu, allez savoir.,.), en dépit de sa couverture de qualité qui ne déparerait pas les rayons pour la jeunesse où un libraire inconscient pourrait facilement l'égarer. Ainsi le recueil pourra de fait emballer ou susciter le dégoût, suivant les sensibilités de chacun.

Reste, comme indiqué en quatrième de couverture, l'omniprésence d'un humour acide. « F&SF » est hilarant ; « L'Arme » réserve de ces développements en coup de théâtre à la Fredric Brown. Quant à « Mégalomaniaque », c'est complètement... allumé ! En revanche le mythe d'Adam et Eve revisité à la sauce andrevonienne dans « C'est la meilleure histoire... » est incontestablement téléphoné. Demeure « Chapo », décrivant une société hyper hygiénique où il est bien difficile de trouver un animal de compagnie : un texte pertinent et par certains côtés émouvant, un sombre futur dont on souhaite qu'il reste là où il est, sur le papier... Enfin ajoutons que certains des textes (dont la préface, à la formulation originale quoiqu'un tantinet surfaite) permettront aux nostalgiques et aux curieux, au travers de l'itinéraire d'un Jean-Pierre Andrevon vieux routier du genre, de (re)plonger dans le milieu de la S-F française des années 70-80.

Du bon et du moins bon, donc, mais certes pas de l'inintéressant, à commencer par le style souvent remarquable de l'auteur.

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Les Armées de ceux que j'aime

Le dernier Bifrost

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