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Le Choix chez Un papillon dans la lune

Pour résumer, Le Choix de Paul J. McAuley est une novella de SF publiée dans l'élégante collection Une Heure-Lumière du Bélial. Dans ce texte récompensé en 2012 par le Prix Sturgeon, l'auteur aborde le passage à l'âge adulte dans un monde hostile de bien des façons. Un concentré d'humanisme et de bonne SF !

Pierre Pelot, guide de lecture bis

En complément du guide de lecture Pierre Pelot concocté amoureusement par l'équipe critique de Bifrost dans le numéro 81, voici un second guide, constitué des critiques parues au fil des numéros de la revue — de Messager des tempêtes lointaines à C'est ainsi que les hommes vivent

La sélection du GPI 2016

Du Bélial' dans la première sélection du Grand Prix de l'Imaginaire, millésime 2016 ! « Facteur X » de Laurence Rivière, Lum'en et « Ethfrag » de Laurent Genefort, Le Château des millions d'années de Stéphane Przybylski, La Ménagerie de papier de Ken Liu ou encore L'Été de l'infini de Christopher Priest…

Ecriture, mémoires d’un métier

Le 19 juin 1999, Stephen King a été renversé par un van alors qu’il faisait une promenade à pied et a bien failli y laisser la vie. A ce moment-là de sa carrière, il avait écrit la moitié environ de son ouvrage en cours : Ecriture, mémoires d’un métier. Pour être précis, il avait fini la partie « Curriculum Vitae » qui ouvre le livre (pages 17 à 128, édition Livre de Poche), la partie « Boîte à outils » (pages 131 à 161) et avait à peine attaqué la partie « Ecriture » (pages 165 à 298). Evidemment, au moment de proposer son ouvrage à son éditeur (et en se levant le 19 juin 1999 au matin), il ignorait que la version finale comporterait un post-scriptum (pages 301 à 321) où il relaterait son accident et explorerait les liens très forts qu’entretiennent l’écriture et la vie.

Ecriture, mémoires d’un métier est donc un livre étrange, sur tous les plans (celui de la vie de son auteur, de son élaboration et de son architecture) ; il est tranché en son mitan. Et cet équilibre qui se joue sur plusieurs niveaux (la balance a deux plateaux, une pour l’avant-accident, l’une pour l’après) confère à l’ouvrage une saveur particulière, une chair très dense et très lourde. Lire Ecriture, mémoires d’un métier c’est partager avec un auteur ce qu’il a de plus intime : son écriture et la place qu’icelle tient dans sa vie. A ce jeu-là, Stephen King se révèle une fois de plus un maître. La partie « CV » (autobiographique) nous apprend entre autres choses qu’il fait partie d’une génération qui a eu le pouvoir de changer le monde et a préféré le télé-achat. La partie « Boîte à outils » nous montre à quoi ressemble la palette d’un écrivain aussi aguerri que Stephen King (et son acuité en la matière). La partie « Ecriture » nous apprend comment utiliser cette palette/boîte à outils et pour quels résultats. Quant au post-scriptum, il nous fait pénétrer dans les pensées d’un homme revenu d’entre les morts et qui place évidemment Dieu quelque part dans le processus de sa survie (sans prêcher, Stephen King ne prêche qu’en matière d’écriture : écrivez porte fermée, évitez les formes passives, utilisez le bon mot au lieu de chercher le beau mot, supprimez tous les mots inutiles).

On peut conseiller la lecture d’Ecriture, mémoires d’un métier à trois types de lecteurs : ceux qui veulent écrire, ceux qui aiment les romans/recueils de Stephen King et veulent replonger dans son œuvre par un biais différent, et enfin ceux qui veulent le découvrir. Car paradoxalement, Ecriture, mémoires d’un métier s’adresse presque davantage à ceux qui ne l’ont pas lu, à ceux qui voudraient comprendre pourquoi Stephen King est à part, pourquoi il n’y a qu’un écrivain au monde comme lui, à la confluence des littératures de genre et du naturalisme.

Si l’ouvrage est indispensable, on regrettera son édition française (Albin Michel/Livre de Poche) affublée d’une traduction déplorable.

Cœurs perdus en Atlantide

Années soixante. Le jeune Bobby Garfield voit arriver dans la maison familiale un étrange locataire, un homme âgé : Ted Brautigan. Malgré les réticences de la mère de Bobby, veuve, Ted va se lier d’amitié avec l’enfant et lui faire découvrir, entre autres, la beauté de la littérature, notamment grâce à Sa Majesté des mouches de William Golding. Mais Ted est décidément très étrange : il a des absences, il y a des choses qu’il sait mais ne devrait pas savoir et, pire que tout, il semble recherché par des hommes en jaune plutôt inquiétants.

Voilà un des romans les plus étonnants de Stephen King, qui surprend bien davantage par sa structure que par son propos (plutôt limpide). La première moitié (pages 13 à 324 de l’édition Livre de Poche), où a lieu la rencontre entre le jeune Bobby et Ted, est un concentré de ce que King sait faire de mieux : les amours, les émerveillements et les violences de l’enfance, la peur, la menace, une description hallucinante de maîtrise des années soixante. Cette première partie, généreuse, qui prend son temps sans jamais ennuyer, force l’admiration de bout en bout, c’est tout simplement une des plus grandes réussites de l’auteur, qui se permet même de faire le lien avec une autre de ses œuvres maîtresses… je n’en dirai ici pas davantage.

Les parties suivantes du roman sont celles de la submersion de l’Atlantide, de la fin de la magie des années soixante, sorte d’âge d’or inégalable. Dans Cœurs perdus en Atlantide, Stephen King lie cette mort, ce gâchis, à la guerre du Viêtnam et à l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy (sillon qu’il creusera sur plus de mille pages dans 22/11/63). Cette deuxième moitié du roman, très américaine, est d’une certaine façon une image inversée de la première. Autant la partie avec Ted et Bobby Garfield est facile à lire, universelle, coule toute seule, autant la seconde partie demande une solide connaissance de l’histoire américaine récente et beaucoup d’attention (notamment quand on arrive sur les cinquante dernières pages). La première partie est située à une époque merveilleuse (mais pas parfaite), la seconde explore la mort et le cadavre de cette ère miraculeuse (de cette utopie ?) révolue.

Il y a des choses formidables dans cette seconde partie : les stratagèmes du vétéran Willie pour gagner sa vie en tant qu’aveugle, les longues parties de cartes (de chasse-cœur) qui vont tant coûter à Pete alors qu’il vient d’entrer à l’université, la scène d’amour dans la voiture avec Carol Gerber (personnage fil rouge qu’on verra évoluer de l’enfance jusqu’à l’âge adulte tout au long du roman). Sans oublier évidemment le morceau de bravoure naturaliste : la chute de Rip-Rip dans l’eau glacée et son sauvetage.

Il y a dans Cœurs perdus en Atlantide un destin individuel (celui de Carol Gerber), une évolution intellectuelle qu’on pourrait rapprocher de celles décrites dans le formidable Léviathan de Paul Auster. Même si les deux livres ne parlent pas de la même époque, ils évoquent l’un comme l’autre un continent perdu, une Atlantide engloutie, un idéal jadis important qui a fini par prendre l’eau et sombrer.

La Ligne verte

A l’origine de ce roman, il y a une proposition faite à Stephen King par son agent, Ralph Vicinanza : écrire, à la manière de Charles Dickens, un roman-feuilleton « à l’ancienne », où les lecteurs connaîtraient le début de l’histoire alors même que sa fin n’est pas encore écrite. Stephen King, en homme de défis, accepta le challenge, et il en résulta La Ligne verte, roman en six livraisons mensuelles, que King souhaita en outre voir publié dans les différents pays au sein de la collection la moins chère (en France, Librio fut ainsi choisie).

Alors qu’il passe ses vieux jours au sein d’une maison de retraite, Paul Edgecombe écrit ses mémoires et narre notamment les événements exceptionnels qui sont advenus durant l’année 1932. A cette époque, il était le chef du bloc E du pénitencier de Cold Mountain, le quartier des condamnés à mort surnommé « la Ligne verte » à cause de la couleur du linoléum qui recouvrait le sol. Lui et ses adjoints avaient la lourde tâche d’accompagner les condamnés jusqu’à la chaise électrique. Aussi, quelle que fût l’atrocité du crime commis, le mot d’ordre était de les traiter de manière humaine, pour éviter tout problème et ne pas surcharger inutilement une atmosphère déjà bien tendue. Paul pouvait compter sur ses adjoints, mais devait gérer le cas du gardien Percy Wetmore, jeune blanc-bec au bras long fasciné par le mode d’exécution. Paul se souvient bien de 1932, car cette année-là John Caffey (« comme la boisson, sauf que ça s’écrit pas pareil ») arriva au pénitencier : un colosse noir, coupable d’avoir tué deux fillettes, et qui prétendait « ne pas avoir pu faire autrement ». Un homme paradoxalement doué d’un incroyable pouvoir de guérison. C’est aussi en 1932 que Percy Wetmore commit l’irréparable…

En 1996, date de la parution de La Ligne verte, King a déjà pas mal d’années d’activité derrière lui, on ne sera donc guère surpris par la qualité de la narration, qui sait introduire les éléments progressivement, tout en tricotant les relations entre les différents personnages. Ainsi, le caractère des uns et des autres, les événements survenus, l’étrange pouvoir de John, tout cela constitue un ensemble logique, cohérent, dont les différentes parties résonnent entre elles. Le traitement des allers-retours entre le présent et le passé est impressionnant : alors que le lecteur pensait simplement avoir affaire à un récit en flashbacks, il s’aperçoit progressivement que les scènes dans la maison de retraite sont aussi importantes que celles de 1932, et permettent au passage à King de disserter sur la manière de raconter le plus efficacement une histoire. L’intégration des résumés de l’intrigue au début de chacun des épisodes 2 à 6, que King dit inspirée de l’œuvre de Dickens, est également une merveille d’intelligence. Et cette leçon d’écriture acquiert d’autant plus de force qu’elle sait se faire discrète. Simple comme bonjour ? Pas si sûr : de longues années de pratique, vous dit-on.

L’autre aspect qui caractérise ce roman, c’est la profonde humanité qui s’en dégage. Le bloc E représente pour les condamnés les derniers instants avant la mort et, pour les matons, une tension de tous les instants, car ils sont régulièrement confrontés à des hommes extrêmement violents. Les sentiments humains sont ainsi exacerbés, et la meilleure réponse à apporter est d’essayer de conserver un calme (de façade, au moins) permanent, ce à quoi peut contribuer l’humour. Paul et les siens alternent ainsi, comme dans un yo-yo, les moments de franche rigolade et de camaraderie, et les instants nettement plus dramatiques (les tentatives répétées de William Wharton, la méchanceté crasse de Percy…). King, encore une fois, dose parfaitement ses effets, et nous fait passer du rire aux larmes en quelques lignes, entre les pitreries de Mister Jingles, la souris intelligente, et la maladie atroce qui s’empare de la femme du directeur de la prison. Ce rollercoaster émotionnel ne laisse pas indemne, et même s’il fait la part belle aux bons sentiments, on est chez King, il contient donc sa dose de méchanceté sardonique.

Et le fantastique, dans tout ça ? Il est au cœur du roman, via le pouvoir de John. Son utilisation semble tracée à l’avance, et s’avère donc assez prévisible (Caffey guérit untel, puis untel, puis untel…) jusqu’au moment où King prolonge de manière inattendue son propos. Difficile de dire s’il avait cette idée en tête dès le début de la rédaction, qu’il a vraiment effectuée en six fois, mais si cela n’était pas le cas, sa narration rattrape merveilleusement le coup et nous fait considérer ces développements comme coulant de source.

La Ligne verte fut adaptée au cinéma par Frank Darabont, pour ce qui est l’un des meilleurs films tirés de l’œuvre de King. Sans atteindre la subtilité du livre (quelques effets grandiloquents sont malvenus), il reste fidèle et peut compter sur un casting impressionnant, dont on retiendra bien évidemment Tom Hanks dans le rôle d’Edgecombe, mais aussi le toujours impeccable David Morse et la révélation Michael Clarke Duncan dans la peau de John Caffey.

Plaidoyer contre le racisme et la peine de mort, formidable leçon d’écriture, galerie de personnages inoubliables, plongée dans l’âme humaine dans tout ce qu’elle a à la fois de beau et d’affreux, La Ligne verte est assurément l’un des tout meilleurs romans de Stephen King.

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