L'Évangile du Serpent
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C'est pareil en pire, un peu, et ce « un peu » c'est pas rien. C'est demain (l'euro, la mondialisation encore plus mondiale, la loi du fric et compagnie, l'intégrisme, l'ultra-médiatisation), et c'est la merde. Mais voilà qu'un petit bout d'homme tout droit venu d'Amazonie va tout remettre en cause. Il est cool, écolo, prône le retour au nomadisme, l'abandon des possessions, et il soigne les gens à tout va. Il porte un nom bizarre, Vaï Ka'i, mais tout le monde l'appelle le Christ de l'Aubrac (ce qui est aussi assez bizarre, faut avouer).
Eux, ils sont quatre. L'un est tueur à gages, elle se met à poil sur le net, lui est journaliste pour un canard merdique, celui-là est le premier fidèle du Christ de l'Aubrac. Ils ne se connaissent pas mais on un point de convergence commun : le faiseur de miracles. Ils vont nous raconter leur histoire et, avec elle, l'effondrement de ce monde pourri qu'est le nôtre et l'avènement d'un nouveau mode de pensée. Alléluia !
On se doutait bien que Bordage était assez porté sur la spiritualité (qui a dit New Age ?) : désormais, on ne doute plus. On sait aussi que Bordage maîtrise certains procédés narratifs à la perfection, que multiplier les lignes de récit ne lui fait pas peur. De ce point de vue, L'Évangile du serpent est un modèle du genre : quatre personnages, quatre vies, quatre histoires, et autant d'intrigues qui, bien sûr, se trouveront réunies en fin de volume. Voilà qui a l'avantage de multiplier les chances d'identification du lecteur. Ce perso vous emmerde ? Pas de problème, vous en avez encore trois susceptibles de vous convenir. Et côté personnages, Bordage sait plutôt y faire. Sauf que là, si le projet de départ est séduisant (décrire dans nos sociétés modernes l'avènement d'un personnage — dieu ? — qui, à lui seul, va tout remettre en cause), le résultat final est décevant. D'abord, surtout, parce que l'auteur enfile les clichés comme d'autres des perles. Trop tissés d'évidences, les personnages en deviennent transparents. Tout cela fonctionne bien, trop bien, à tel point qu'on y croit plus. On ressort de L'Évangile du serpent en se disant que c'est une belle mécanique sans âme, un comble pour un nouvel Évangile… Et puis le discours de Vaï Ka'i et tellement convenu…
Si l'auteur n'a rien perdu de ses capacités narratives, de son empathie (il y a çà et là quelques vraies fulgurances de sensibilité), peut-être est-il devenu trop sûr de son talent, trop facile dans son écriture. Reste un livre qui se lit, certes, mais qui ne se vit pas.