L’année de notre guerre
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L'immortel Jant est le messager de l'empereur San. Profitant de sa capacité à voler (unique), il relie sa majesté aux cinquante immortels du Cercle, distribuant les courriers qu'il a décachetés et lus au préalable. Depuis 2000 ans, le Cercle — et donc l'Empire — est en guerre contre les insectes qui envahissent le nord du pays, des créatures peut-être en provenance de mondes parallèles. Au sein de cette tourmente fort ancienne — à laquelle s'ajoutent des luttes intestines et des défis du genre « tu vas voir que c'est moi qui ai la plus grosse » — Jant devra survivre, découvrir les origines de la menace insectoïde, tout en dominant son accoutumance au Cat (une drogue ressemblant à l'héroïne et qui a la capacité de le projeter dans l'antichambre du monde des morts, le Passage).
Arrivé deuxième au vote des lecteurs de Locus catégorie meilleur premier roman (largement battu par Jonathan Strange & Mr Norrell de Susanna Clarke, récent lauréat du prix Hugo 2005), L'Année de notre guerre de Steph Swainston (vingt-neuf ans) est un roman déconcertant (sa suite, No Present like time, est d'ores et déjà disponible en Angleterre). Déconcertant ? Pour le moins… Les deux cents premières pages (sur 360) tiennent de l'exposition pure (il ne se passe rien ou pas grand-chose, l'autrice se contentant de présenter son monde et ses personnages), puis, page 209, étonnamment, la mayonnaise prend, s'affermit : le roman, jusque-là poussif, maladroit et franchement amateur dans sa conception et sa rédaction, démarre pour de bon. Et quel démarrage ! Meurtres, batailles, défis, envolées, injures, intrigues — ça dégage et pas pour rire. Le machin ennuyeux et mal écrit devient palpitant, avec un souffle rappelant celui des quatre premiers Hawkmoon de Michael Moorcock. Il y a du Elric dans l'air, mais du Elric avec des ailes dans le dos.
On l'aura compris, cette fantasy, qui tient tout autant de Starship Troopers (le film) que de La Compagnie Noire, impressionne malgré nombre de défauts (le texte est perclus d'anachronismes et de mots non traduits — jeans, call-girls, junky et j'en passe), ne démarre pas vite (on l'a déjà dit), a été traduit sans grande pertinence (et avec la plus grande difficulté) avant d'être probablement relu par un stagiaire bulgare ou polonais ayant appris la langue française en regardant Buffy. Et puis, pour changer, rappelons l'indigence de la mise en page Bragelonne (lignes interminables, caractères trop petits), une maquette intérieure vomitive à vous percer l'estomac jusqu'à la rate. Rien qui facilite la lecture d'un livre ardu.
Néanmoins, malgré tous ces handicapes et défauts, ce premier roman se distingue SURTOUT par ses qualités et ses trouvailles — citons le Passage (ce monde parallèle où vivent certains morts et où atterrissent les camés en plein trip), le personnage de Jant (anti-héros attachant, aussi complexe qu'Elric, si ce n'est plus), les descriptions des villes-papier et des ponts des insectes. Décidément, à défaut d'avoir du métier, Steph Swainston a du talent à revendre.
Je ne sais pas vous, mais moi, maintenant que j'ai lu le premier tome (et littéralement survécu à ses 209 premières pages), je vais m'empresser de sauter sur la suite dès parution.