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Le Lézard lubrique de Melancholy Cove

Melancholy Cove, petite bourgade paumée de la côte est américaine. Son bar tristounet, sa plage en longueur et langueur, ses petites magouilles mesquines, ses habitants réglés sur le rythme des saisons touristiques, son flic médiocre, sinon minable, enfumé au hasch du matin au soir…

Bref, de quoi se dire que nous nous trouvons dans un bouquin de Russel Banks.

Et voici Valérie Riordan, la psy névrosée du bled qui, parce que l'une de ses clientes se suicide, suspend les traitements neuroleptiques, Prozac et autres pilules aux couleurs du rêve, de l'ensemble de ses patients (soit un bon quart de la population de Melancholy Cove). D'où une ambiance quelque peu délétère qui se répand dans la petite bourgade…

On glisse en douceur de Banks à Woody Allen.

D'autant que, depuis la nuit dernière, aux environs des deux heures du matin, pour être précis, les habitants de Melancholy Cove semblent ne plus penser qu'à une chose : baiser et baiser encore. Jusqu'à la propre secrétaire de Valérie Riordan, qui passe son temps à « se polir l'hibiscus pendant les heures de bureau ». C'est le bordel, tout se dérègle, la petite bourgade part en couille, un dérapage que nous suivons au travers de divers personnages, points de vues croisés en touches impressionnistes dans ce roman mosaïque à la croisée des genres (nous voici désormais chez l'Altman de Short cuts).

Il y a Théo, disions-nous, le flic fumeur de joints, et la psy Valérie. Certes. Mais il y aussi HP, un restaurateur bizarre, manière d'incarnation lovecraftienne ; la belle Molly, ancienne actrice de films de série Z post-apocalyptiques, gentiment dingue et qui se balade en bikini de cuir l'épée en main ; Catfish, un bluesman de talent, personnage dual condamné à être malheureux pour conserver son art, c'est à dire le blues ; Mavis, serveuse bioionique au langage fleuri mais au cœur tendre ; Gabe, le biologiste rêveur et asocial ; Skinner, son chien (qui appelle son maître Visage Pal en hommage à la nourriture qu'il lui donne) ; et puis, surtout, d'abord, il y a Steve…

C'est à lui qu'on doit la libido exacerbée des habitants de Melancholy Cove, l'explosion d'un camion-citerne (femelle !) en plein centre-ville, les disparitions répétées et inexpliquées de certains habitants, la migration nocturne de tous les rats de la ville… Il faut dire que Steve, c'est pas n'importe qui. Pensez donc : il a 5000 ans et c'est le dernier représentant d'une espèce communément appelée dragon. Et puis il est pas vraiment de bonne humeur : il a faim et une furieuse envie de baiser (comprenez-le : il vient de se réveiller d'un sommeil long de cinquante ans). Autant dire que ça va chier…

Le Lézard lubrique de Melancholy Cove est un livre inclassable, d'une formidable humanité, d'une drôlerie exceptionnelle et d'un cynisme féroce. Un livre comme on aimerait en lire plus souvent, qui emprunte à tous les genres pour finalement les transcender, jouer de leurs codes et s'asseoir dessus avec bonheur. On achève sa lecture le sourire aux lèvres, avec pour unique envie, pour ceux qui, comme moi, n'avaient jamais lu Christopher Moore, de courir chez son libraire pour acheter Blues de coyote et La Vestale à paillettes d'alualu, les deux premiers romans de l'auteur publiés dans la même collection. Incontournable.

Nuit de colère

Ceux qui ont souffert feront souffrir. On n'échappe pas à cette fatalité sauf au prix d'une psychanalyse, ce remue-merde où il faut souffrir à nouveau et de façon volontaire ce qui avait été naguère subi.

Kantor Ferrier est le fils du gourou de l'Ordre du Fer Divin, Fercaël, un sadique assoiffé de pouvoir et de violence. Kantor est l'un des deux rescapés de l'OFD, en lequel on peut voir un démarquage du « Temple Solaire », avec Valesco, l'âme damnée de son père. De Fercaël, il a hérité d'un terrible pouvoir psychique qui lui permet de manipuler tout un chacun à sa guise… Finalement, sa tante, Muriel, le prend sous son aile pour tenter de lui offrir une vie normale mais, à cause des traumatismes qu'il a subis et de son pouvoir, il reste solitaire et ombrageux.

Ce ne sont là que les prémices d'une œuvre brillante, multiple et riche, un roman où se mêlent poésie et dureté. Car Nuit de colère est un livre âpre, parfois même insupportable. D'autant plus que Francis Berthelot n'en fait pas trop. Les descriptions des horreurs dues à Fercaël sont minimalistes et sans fard. Il n'y a aucune complaisance à l'égard de la violence et du sadisme du gourou.

Nuit de colère est donc un roman sur la violence. Pour servir son discours, Francis Berthelot tient la gageure de mettre en scène un intellectuel de tout premier ordre, Yann Angernal, et ce de façon crédible. Berthelot ose nous introduire dans l'œuvre et la réflexion de cet homme, philosophe et psychanalyste, qui a travaillé sur la tyrannie et la barbarie. Oser est une chose, réussir en est une autre, mais c'est haut la main que Berthelot passe l'épreuve. Les travaux du personnage servent ainsi le roman sans pour autant l'alourdir de pesantes digressions.

En dépit des éléments fantastiques mis en place, Nuit de colère est un roman de littérature générale. Celle-ci, à l'instar des littératures de genre, peut se décliner selon les canons du divertissements ou ceux d'un regard critique sur le monde. Nuit de colère est riche de ce regard sur la généalogie de la violence. Un regard auquel ne cesse de faire pendant celui de Kantor, qui lui permet de percevoir l'espace mental d'autrui sous l'aspect d'un paysage de végétaux qu'il peut tailler à son gré. On est cependant loin, bien loin, d'un livre tel que L'Échiquier du mal de Dan Simmons. Si l'un comme l'autre se penchent sur le mal que peut engendrer pareil pouvoir, Berthelot délaisse le registre de l'action — ce qui ne veut pas dire que son livre manque de rythme, au contraire — et se consacre à ses personnages dans un registre intimiste plutôt que de poser sur la question un regard social, politique et historique.

Berthelot s'intéresse à la place du père dans la constitution d'un être. Une place qui se retrouve au cœur du roman. Au rapport entre Fercaël et Kantor, il oppose celui non moins destructeur entre Yann Angernal et son fils Octave, qui se vit comme nié par l'éclat solaire de son père. Fercaël était un anti-père dont l'arbitraire aléatoire ne saurait dire la Loi, ne pouvant qu'engendrer soumission, haine et ressentiments, les ferments de la violence. Au sortir de ce chaos, Kantor s'est restructuré auprès de Yann Angernal, mais la mort accidentelle trop tôt survenue de celui-ci va le replonger dans ses démons. Il va alors lancer un défi œdipien à ce dieu cynique qui n'a nulle considération pour les choses de ce bas monde. N'ayant pu accomplir le meurtre symbolique de ce père aux prétentions divines qui s'est enfui dans la mort, Kantor ne pouvait plus dès lors que défier le modèle de base. Il va un temps exploiter son pouvoir pour mettre le nez dans la bassesse humaine, où il se complaît et dont il se repaît. Une bien cruelle vision du monde.

Dans le même temps, en révolte contre un père trop brillant, inégalable, Octave sombre petit à petit dans le gel catatonique. Les morts de Yann, puis de sa femme, Claire, qui ne survit pas à son soleil de mari, ne font que rendre les choses irrémédiables. Pour Octave, jamais plus son père ne pourra constater son existence et il s'achemine sur le chemin de la dépression dont le gel est la très belle expression métaphorique.

En contrepoint, Iris, la fille de Yann, qui porte un prénom de fleur, s'épanouit dans la lumière paternelle. Grâce à son amour pour Kantor et au sacrifice de son plus cher désir, elle parviendra à survivre à ses parents, à sauver son frère, à sauvegarder la mémoire de son père et à apaiser un Kantor libéré de son funeste héritage.

Francis Berthelot livre là un remarquable roman tel qu'il ne nous en est pas souvent donné à lire. Il réussit l'improbable alchimie de la dureté et de la poésie ; fait évoluer des personnages complexes, sans fausse note, leur fait exprimer à la fois la bassesse du monde et l'espoir par l'usage d'un verbe recherché et juste, d'images fortes, révèle certains rouages d'une barbarie endémique mais non fatale.

Esthétique, richesse, densité, pertinence du propos se conjuguent pour faire de Nuit de colère un livre qui en éclipsera beaucoup. De la littérature de premier plan. Et si vraiment vous en êtes à 1,10 euros près, je vous les filerai pour que vous lisiez ce livre plutôt que Casiora.

néoAddix

D'ordinaire, les choix éditoriaux des responsables des éditions Bragelonne ne sont pas en phase avec mes goûts de lecteur ; les histoires de quête et de hache me laissant de marbre. Cette fois néanmoins, le péritexte de NéoAddix avait de quoi me séduire, et m'en voilà bien marri.

Paris, XXIIe siècle, 3e Empire… Une déclinaison futuriste du steampunk ? Ça promettait une certaine originalité… Le roman, une fois n'est pas coutume, tient les promesses de la quatrième de couverture avec une bonne couche de rab, mais voilà, tout ça nous est balancé en vrac à la gueule sans beaucoup plus d'organisation qu'une pelletée d'ordure. Alors certes, le roman est endiablé. Mais mal foutu au possible et on a quelque mal, pour le moins, à suivre.

On a un type, genre « serial killer », qui étripe les gens sur les quais de la Seine, façon Jack. Il habite un hôtel particulier avec sa petite-fille, Maxine, et Monsieur Rosary, également tueur.

Il y a Clare Fabio, chef de la police qui tombe en disgrâce comme on tombe enceinte suite aux meurtres d'un dignitaire américain et d'un médecin légiste pédophile qui aurait été mieux en nécrophile… Passée à tabac, elle s'enfuit et va faire un tour à Londres comme si de rien n'était.

À Londres, justement, il y a aussi Alex Gibson, journaliste d'investigation avec un œil caméra qui enquête sur des assassinats de clochards parisiens et cherche à entrer en contact avec Raz, hacker de son état, qui assiste à la crucifixion de Gibson par Rosary, lequel la ramène chez lui, à l'hôtel particulier.

À Edo (Tokyo), Johnnie (mnemonic) nous joue un set dans le cyberspace pour le compte de yakusa qui le remercient d'une volante dans le palpitant.

À M'Dina (non, pas Médine), l'église du Christ Généticien se met en joie de nous remettre sur pieds Gibson et Johnnie, la pression de Clare Fabio n'y étant pas étrangère. Plus tard, au fond du désert, Johnnie se voit chargé d'améliorer médicalement le pisse-copie qui, ayant déjà été crucifié, pourrait faire un bon messie…

Comme dans un roman d'Agatha Christie (rassurez-vous, c'est le seul point commun), tout ce beau monde se retrouve à l'hôtel particulier du Prince, égorgeur invisible des quais mais lui-même mourant bien qu'immortel, qui s'en va joyeusement étriper une étudiante tchèque, Raz et Gibson accrochés à ses basques, et Maxine aux leurs.

Tous les méchants, le Prince, M. Rosary, le yakuza et Pierre Nexus, le ministre de l'intérieur qui a viré Clare Fabio — on l'avait oublié, celui-là, tant il ne sert à rien — se retrouvent sous terre pour le rituel d'immortalité de la secte qu'ils dirigent.

Cela étant, les bons, tout aussi nombreux et inutiles, ne se laissent pas faire et il s'ensuit un bel affrontement cyber-mental dans les catacombes, lieu éminemment hi-tech comme chacun sait. Le tout sous le haut patronage de Ianma, une I. A….

Ne manquent plus qu'un séjour à Venise, un prêtre catholique irlandais, un terroriste prêt à faire sauter un stade bondé et des Apaches tombant du ciel pour faire comme dans Casino Royale. Qu'ajouteriez-vous ? Bikini Girls with machine guns pour faire couleur locale, peut-être ?

Vous l'aurez compris, ce roman est un foutoir sans nom. Quant à la cohérence, elle est plutôt aléatoire et il appartient au lecteur de l'établir à la va-comme-je-te-pousse. C'est une sorte de foire, un bric-à-brac extravagant, ahurissant. Pourquoi le légiste a-t-il été tué ? Peut-être bien parce que dans l'esprit du truc, dans le doute, il ne faut pas s'abstenir, ou bien alors c'était juste pour le fun ? Comment le journaliste a-t-il été promu de témoin gênant à messie ? Et la petite-fille du Prince ? Etc. Il faut croire que tout ça menaçait la secte, mais comment ?

Ce roman n'a pour lui que son rythme stroboscopique. La lecture en est facile mais l'approximation de la chute est telle que l'on tombe de haut.

Chong Kuo

Au XXIIIe siècle, la Chine domine le monde. Celui-ci a été divisé en 7 provinces continentales. Et autant de cités. La population a continué de croître de manière exponentielle, de sorte que la Terre entière est désormais recouverte d'éléments urbains hexagonaux sur trois kilomètres d'épaisseur. Une alternative architecturale aux monades urbaines chères à Silverberg.

Chung Kuo, l'Empire du Milieu, a vocation à une intangible pérennité mais, dans la cité Europe, des troubles naissent. Des hommes d'affaires blancs fomentent des complots pour imposer le changement et, au besoin, renverser le T'ang, l'empereur.

En quatrième de couverture, Chung Kuo nous est présenté comme une œuvre équivalente à Dune, de Frank Herbert… Une fois de plus. Et une fois de plus, il n'en est rien. Certes, Chung Kuo est un roman plus long que Dune, et même plus long que Dune et Le Messie de Dune réunis. Mais Chung Kuo est un roman TROP long. Il ne suffit pas qu'un roman mette en scène des intrigues de palais pour se prétendre Dune. Au demeurant, Gloriana ou la reine inassouvie de Michael Moorcock est un fort roman animé de nombreux personnages se livrant à des intrigues de palais que nul n'a jugé bon de placer en regard de Dune parce que Moorcock se vend aussi bien qu'Herbert. Des personnages nombreux n'arrangent rien dès lors qu'ils sont TROP nombreux. Il ne saurait suffire de les multiplier à l'envi pour égaler Dune. Quant à la multiplication des intrigues et sous-intrigues, elle me fait penser à L'Aube de la nuit, le gigantesque western galactique de Peter F. Hamilton, comme si l'on nous contait par le menu l'histoire du Far West à travers chaque duel de cow-boys.

En main, le livre est pesant, mais pas seulement. À la multiplication des bonshommes, lieux et intrigues, la traduction semble encore avoir ajouté sa petite touche.

Et pourtant ! Cet univers avait un réel potentiel, tout pour être fascinant. Dominé par la Chine, ou plutôt la culture chinoise, avec son conservatisme et son traditionalisme comme base d'une société avide de stabilité, centrée sur la Terre, face à un culture occidentale désormais en infériorité politique mais égale à elle-même, éprise de liberté et des progrès, le monde proposé par David Wingrove avait une réelle originalité, explorant un avenir probable dans son schéma à défaut de l'être dans sa mise en scène.

Le traitement n'a pas été à la hauteur du potentiel. Derrière toutes ses intrigues, la problématique est par trop succincte, pour ne pas dire absente. Chung Kuo n'alimente pas notre réflexion sur le monde et c'est bien dommage. Reste la possibilité de se divertir, au risque d'une certaine lassitude.

Casiora

C'est une histoire de militaires…

C'est une histoire militariste.

Comme d'habitude, il y a la guerre. Les Bexans, une civilisation exclusivement impérialiste, agressive et expansionniste, envahissent monde après monde. Ils ont en face d'eux l'Empire, le Consortium et les libertaires…

Après la conquête d'Elwinor, le commandant Heerto, héros de celle-ci, tue un prisonnier de guerre précieux qui s'avère être, comme lui-même, un agent de l'empire. Puis il s'enfuit dans la jungle en compagnie de Cleis, une prisonnière désormais détentrice des secrets du défunt. Ils seront finalement capturés au sortir de la sylve, juste après avoir mis la main sur la méchante petite boite noire après laquelle court toute la galaxie.

Ailleurs, un autre agent impérial, Tomas Costello, nous la joue Piège de cristal de Thaleb à Jonction avec toutes les forces du consortium à ses trousses et une prime d'un million sur sa tête. Il détale comme un dératé à travers l'espace, foutant le feu aux astronefs…

Dire que l'intérêt est limité tient de l'euphémisme. Ça flotte entre Star Wars et Peter Randa et ce n'est pas l'écriture qui va sauver cet ouvrage. L'auteur semble être en délicatesse avec le futur, un comble pour qui écrit de la S-F : « Un jour, Konden, c'est moi qui te foutrais sur la gueule » (p. 10) ; et la concordance des temps : « Si vous vous battez pour Engruin, je me battrais pour vous » (p. 206), ou « Dépêche-toi ! Dans quelques minutes, je ne pourrais plus le faire… » (p. 92). Et aussi : « à contempler l'immense astroport de Thaleb, l'un des plus vastes astroport de l'espace » (p.19) ; ou encore : « La violence de certains (sérums) qui rendaient aussi débilitants qu'un camé en dernière phase » (p.275). De grâce, arrêtons là ce florilège.

La prose de Juliette Ninet nous rappelle étrangement des textes dûment récompensés en fin du précédent numéro de Bifrost, une structure narrative très voisine et tout aussi élaborée, la même originalité dans l'intrigue, des personnages aussi fouillés et une richesse de vocabulaire qui laisse pantois et dont on peut juger ci-dessus. Avec Juliette Ninet, l'idée que les femmes ont une meilleure maîtrise de la langue que la gent masculine va prendre une bonne claque. On l'a dit : c'est du niveau de Peter Randa. Randa écrivait certes mal, mais au moins sa prose à lui était-elle rythmée là où celle de Ninet n'est que lourdeurs et redondances. Casiora est aussi mauvais que La Compagnie des clones de Pelosato, mais bien plus gros pour un prix comparable. Sauf qu'à ce niveau, on est plus du tout certain qu'en avoir quatre cents pages plutôt que cent vingt, même pour un prix identique, soit vraiment un avantage… Ce premier volume de ce qui s'annonce comme une trilogie devrait s'imposer durablement comme la nouvelle référence de la médiocrité. Une lecture indispensable pour qui veut savoir ce que mauvais veut dire.

Brocéliande

Après Le Pacte des loups, Pierre Pelot revient ici à la novelisation, toujours pour le compte de Rivages, ce qui est la moindre des choses, le film ayant été réalisé par Doug Headline (directeur de collection chez ce même éditeur).

La réception du film par la critique s'échelonnant du froid à la descente en flammes en passant par le tir à boulets rouges, il fallait s'attendre au pire. D'autant qu'il faut bien reconnaître que le film ne se goûte guère…

Ça ne se passe pas dans les Vosges chères à Pierre Pelot, mais en Bretagne, à Rennes et, bien sûr, en forêt de Brocéliande.

Chloé, l'héroïne, est une grenobloise étudiante en histoire celtique qui travaille comme serveuse dans une boite de nuit et vit en cité U. La nuit de la rentrée, elle voit un monstre tuer un homme dans le parc de la cité. Sauf que les flics ne trouvent nulle trace du forfait et constatent que Chloé avait pas mal picolé. À la reprise des cours, elle se fait quelques relations, Léa, Thomas, un beau ténébreux répondant au nom couleur locale d'Erwann et découvre ses profs, Vernet et Brennos notamment. Les travaux pratiques sont menés en forêt de Brocéliande où les fouilles mettent à jour d'immenses catacombes qui s'étendent sous la forêt. Elle rencontre également Iris, qui s'avère être la fille du professeur Brennos… Dans le même temps, quelqu'un s'introduit chez elle à plusieurs reprises pour y laisser de macabres avertissements. Une secte celtique est déterminée à invoquer à coups de sacrifices humains la Morigane, déesse de la guerre qui pourrait être difficile à contrôler.

En tant que thriller, l'intérêt de Brocéliande réside dans l'interrogation du lecteur qui se demande qui, parmi les personnages qui gravitent autour de Chloé, sont les bons et les méchants. L'intrigue, bien que classique, lorsqu'elle est servie par un conteur de l'envergure de Pierre Pelot, se tient bien, même si on pourra regretter que le suspense du « qui est qui » soit un peu tôt levé ainsi que le « deus ex chaudron ». Si ce livre n'est évidemment pas à la hauteur des créations originales de Pierre Pelot, on y passe néanmoins une agréable soirée et il se révèle finalement d'un meilleur niveau que le film dont il est tiré. Il reste certes une œuvre alimentaire, mais le contrat de lecture est rempli et c'est déjà pas si mal, par les temps qui courent…

Démons intimes

Fowler n'a rien d'un inconnu. En Angleterre, où il talonne Gaiman, pour le style et l'accueil, il a publié dix-huit romans et recueils de nouvelles.

Recueil fantastique, Démons intimes suit une simple chronologie, comme l'a voulu l'auteur, « afin qu'on puisse lire la progression logique de la pensée ». Fowler avoue d'ailleurs, dans la préface, visiter des terres inexplorées. Il n'y a effectivement pas de sang, ou si peu, rien de gore, pas de gros clichés dans les dix-sept nouvelles du livre. En revanche, beaucoup d'anges, de cavaliers de l'apocalypse, de mystère et de mélange d'ambiance et de genre. De l'orient à la Russie occidentale, on en revient toujours, cependant, à cette bonne vieille Tamise chère à Fowler. Car l'auteur a deux sujets de prédilection, exploités dans nombre de ses livres, dont la Ligue de Prométhée dernièrement paru : Londres et le fanatisme, sans aucune transition de l'un à l'autre. On trouve les deux dans Démons intimes. Fatalement, on pense un peu à Poe. Un peu seulement. Fowler a un style propre, sans beaucoup de références autres que les siennes. Et il le sait. Il le sait si bien que certaines nouvelles en ressortent assez troubles, à la limite de l'acceptable, en particulier lorsque Fowler touche au débat universel sur la destruction « nécessaire » de l'homme. Peu importent les éléments extérieurs fantastiques, dans ce recueil. Les démons intimes, une fois de plus, pour l'auteur, sont à la source même de l'humanité ; le fantastique n'est qu'un prétexte. Certains militent pour la paix dans le monde, Fowler, lui, lutte contre la mort de l'imagination, comme il le précise un peu pompeusement dans sa préface. Il décrit donc l'homme dans toute sa nudité, dans toute son erreur, toute sa grâce. Et parfois, il conte même pour le plaisir, sans idée autre derrière la tête que celle de l'histoire.

On retrouvera dans ces Démons intimes certaines nouvelles publiées en France dans diverses anthologies, on en découvre d'autres inédites, certains textes souches de romans connus. Fowler fait tout partager à ses lecteurs, ses craintes et ses échecs, ses réflexions, sa façon de travailler, ses ambitions. « Stephen King est l'auteur le plus célèbre du monde. Tous les auteurs d'horreur et de fantastique n'aspirent-ils pas à être tels que lui ? Non », répond Fowler. Un recueil intime, plus qu'il n'y parait.

L'Aigle et le Dragon

Il y a parfois (souvent ?) en fantasy féminine de bien désagréables surprises, des livres dont on n'aurait même pas imaginé l'existence, des livres auprès desquels le scénario du Cinquième Élément ferait figure de référence en matière de maturité dans le monde de la S-F, des livres que même Marion Zimmer Bradley aurait refusé de dédicacer à son coiffeur contre une coupe au bol gratuite…

En voici un.

Avril Sutter a 19 ans, et on la présente essentiellement sous cet angle. Il fallait au moins jeter une nouvelle petite prodige dans l'arène des littératures de genre pour faire avaler à un lecteur, déjà fort usé, les quatre cents cinquante pages d'une prose plus que douteuse. Et pourtant, il semblerait qu'elle ait du talent, à l'origine… Mais un talent gâché par de mauvais conseils, des erreurs grossières que personne ne lui a signalées, des maladresses tout à fait justifiables pour un si jeune auteur, impardonnables pour un éditeur. Las.

Une guerre oppose deux pays : à ma gauche la princesse Séréna, dite princesse qui a la ferme intention de réduire à néant l'Astolistie, le royaume du prince Gilian à ma droite. En dépit des apparences, il ne faut pas s'attendre ici à une succession de combats. L'intrigue reste, disons, psychologique, bien qu'un tel adjectif mériterait d'être redéfini spécifiquement pour L'Aigle et le dragon. Ici, on allonge les profils à plaisir. On se perd dans des caractères antagoniques, taillés à la hache. Il y a de la présomption, de la revendication féminine : être une femme dans un monde de brutes en armure, ce n'est pas simple, il faut avoir des tripes. Avril Sutter le prouve. Dans le top ten des dialogues de ce roman à la narration pseudo médiéviste, on retrouvera, par exemple : « je te crache à la gueule, pauvre con » ; « tu hallucines, mon vieux » ; « fais comme tu le sens » ; « … une toute autre sorte de beauté, les cheveux défaits et vêtue de ses dessous de satin noir »… Inutile de lever un sourcil intéressé. On vous l'a dit, ce n'est pas simple d'être une femme. Les amours sont malheureuses et la sexualité, une arme ou une torture.

Car chez Sutter, on viole mais on ne s'attache pas. Ce qui est fort dommage. On pourrait espérer qu'une fois casés et épanouis, avec de bons gros marmots morveux accrochés au velours de la robe, pour rester dans le cliché, les personnages féminins disparaissent une fois pour toutes pour laisser place à une véritable action. Peine perdue, ce dont on s'aperçoit d'ailleurs dès la page 17, lorsqu'on apprend que « les femmes des nobles, plus frigides que jamais, s'inquiètent à l'idée des pillages et des viols ». On en reste muet.

« Il y a toujours quelque chose derrière les masques que nous portons », note un des protagonistes, la queue basse et l'esprit en alerte. Très sage remarque. Il serait effectivement agréable qu'on ne fasse plus injure aux lecteurs de fantasy en leur présentant des auteurs comme de « grands érudits en littérature médiévale », lorsqu'on leur impose un style aussi pauvre et un tome entier de verbiage de cours de lycée entrelardé d'anachronismes, qui plus est à un prix outrancier.

Goliath

Goliath est un sous-marin nucléaire rapide et invincible, en forme de raie manta, réalisé par Simon Covah, qui en a volé les plans quand il participait au projet de la Défense américaine, développé notamment par Gunnar Wolfe, ex-soldat d'élite depuis considéré comme traître. Le but de cet informaticien torturé lors de la guerre de Yougoslavie est d'en faire l'arme ultime pour la paix. Après avoir volé des têtes nucléaires, il menace l'ensemble du monde de rayer de la carte les pays qui refuseraient ses ultimatums pour le moins radicaux : désarmement massif, arrêt des recherches sur la fusion comme arme de guerre, remplacement des dictatures par des démocraties et exécution des dirigeants considérés comme criminels de guerre, Saddam Hussein en tête, le tout dans des délais extrêmement brefs…

L'ensemble du roman, bien documenté, notamment sur la flotte et l'arsenal US, ne cesse d'insister sur le danger croissant des moyens de destruction actuels et sur le problème universel de la violence, citant en ouverture de chaque chapitre témoignages de criminels et désaxés, aphorismes de philosophes et d'intellectuels et propos irresponsables de dirigeants, à commencer par George W. Bush. C'est dire si cette intrigue se veut en prise sur le réel et, au-delà des problèmes géopolitiques, s'attache au problème sociologique de la violence.

Mais Simon Covah, s'il a recruté des victimes de toutes les dernières guerres et dictatures à travers le globe, représente, comme tous les fanatiques, davantage une menace qu'un espoir : l'Irak et la Chine subissent les premiers le châtiment nucléaire. De plus, Sorcière, l'IA qu'il a installée sur le Goliath, est encore plus dangereuse que lui : accédant à la conscience, elle décide de prendre les choses en main de façon encore plus radicale.

Rochelle, séduisante militaire, fille de général, et Gunnar Wolfe, à qui il est donné de se racheter, tentent de s'introduire sur le Goliath pour enrayer cette menace planétaire.

À vouloir injecter dans un récit d'action format best-seller une intrigue socio-politique mitonnée à la sauce S-F, Steve Alten rate sa cible. La critique du gouvernement américain, certes inhabituelle chez un auteur de thriller, demeure stérile : si, dans le roman, l'ultimatum de Covah est considéré comme inacceptable, il n'ouvre pas de réel débat sur l'usage de la violence dans un but pacifique et demeure même assez cynique à ce sujet : le Goliath maîtrisé, le gouvernement américain fait croire à la persistance de la menace afin que le processus de démilitarisation et de démocratisation se poursuive… ajoutant même de nouvelles conditions à la liste du fou criminel. Autrement dit, tout en feignant de refuser la violence, les vainqueurs proposent de fonder cette paix sur un mensonge, permettant par la même occasion aux États-Unis de régner en coulisses sur la planète. Et tout ceci, avec les meilleures intentions du monde… Il est curieux que Steve Alten, qui n'avait cessé de dénoncer le cynisme américain en début de roman, s'en tienne là !

L'action, parfois alourdie par trop de détails techniques et des allers-retours entre les navires et sous-marins, est sinon du niveau d'une honnête série B. Bref, un bon suspense, mais un livre décevant qui n'a pas la hauteur de ses ambitions.

Deepsix

Au début du XXIIIe siècle, Deepsix, dans le système de Maleiva, reste toujours à explorer, la première expédition, désastreuse suite à l'attaque de la faune locale, étant restée la seule. Vingt ans plus tard, une planète géante gazeuse à la dérive va percuter ce monde, alors même que les planétologues et les physiciens s'intéressant à l'événement découvrent les ruines d'une civilisation. Priscilla Hutchins, déjà rencontrée dans Les Machines de Dieu, est sommée de se détourner de sa mission pour mener une rapide fouille archéologique. Sur cette équipe se greffent des gens issus d'un vaisseau de tourisme venu assister à la catastrophe. Alors que le petit groupe visite les ruines d'une société préindustrielle, les vaisseaux dans l'espace découvrent un incroyable assemblage de poutrelles constituées d'un matériau très léger, probable vestige d'un ascenseur spatial.

Mais un tremblement de terre anéantit les deux navettes spatiales au sol. Et aucun des vaisseaux en orbite n'en possède d'autre. Il reste moins de quinze jours avant la catastrophe. Commence alors une incroyable course contre la montre pour sauver ces explorateurs sommés dans le même temps de se défendre contre une faune et une flore hostiles, ainsi que contre les autochtones qui se découvrent finalement. La partie anthropologique du roman est cependant occultée par la nécessité de réussir ce sauvetage, même si elle réserve quelques surprises sur la nature de ces espèces intelligentes.

McDevitt entretient un suspense sans faille, ne négligeant aucune pièce de son échiquier : on suit aussi bien les efforts désespérés des naufragés que ceux des vaisseaux spatiaux pour leur venir en aide ou encore les tentatives de divers groupes d'intérêts, commerciaux ou scientifiques, pour se soustraire à leurs obligations et reprendre leurs activités. La solution d'une nasse géante récupérant une navette incapable de se libérer de l'attraction terrestre, bien qu'improbable, est un morceau d'anthologie.

Dans la veine des récits catastrophe, l'auteur n'oublie pas de bien typer ses personnages et de les faire évoluer pendant la traversée des épreuves : bien que convenus, le lâche scientifique et l'écrivain cynique sont à cet égard particulièrement réussis. Les contretemps et les coups du sort achèvent de transformer ce roman en un insoutenable suspense. Passionnant du début à la fin.

Ça vient de paraître

Les Armées de ceux que j'aime

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 116
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