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Molly Southourne chez le Bibliocosme

« Les meurtres de Molly Southbourne correspond tout à fait au genre de livre qu’on est incapable de poser une fois ouvert. C’est souvent dérangeant, parfois vraiment oppressant, mais toujours passionnant. Voilà encore une belle acquisition pour la collection “Une Heure Lumière” que je ne peux que vous encourager à découvrir. » Le Bibliocosme

Zelazny sur l'Épaule d'Orion

« C’est une superbe novella, très originale dans son intention, une ode à l’imaginaire, qui nous donne à lire l’élégance de la plume de Roger Zelazny, très bien rendue par sa belle traduction. Un texte de la collection Une Heure Lumière que je ne saurais trop recommander. » L'Épaule d'Orion

Diaspora

Le chef d'œuvre hard SF de Greg Egan est enfin disponible !

The Freeze-Frame Revolution

Avec l’hyperespace et les voyages supraluminiques, les portails spatiaux font partie des lieux communs de la science-fiction. Un trope plutôt éculé que Peter Watts a entrepris de dépoussiérer sévèrement en partant de cette question toute bête : les portails spatiaux, c’est bien beau… mais qui les construit ? C’est là le thème de la novelette « L’Île » (2009 - prix Hugo 2010), qui introduit de la plus fulgurante des manières le cycle « Sunflowers ». Imaginez : l’Eriophora, astéroïde aménagé, propulsé par un trou noir dompté, fonçant à une vitesse relativiste d’étoile en étoile et dont l’équipage est chargé de surveiller la construction desdits portails. Ainsi se tisse ce réseau de portails — une véritable toile d’araignée – à travers la Galaxie. Une mission au très, très long cours : la durée se comptera en millions d’années. À bord de l’Eri, le Chimp, une IA stupide (encore que) gérant le vol et les chantiers, et des milliers d’humains congelés, réveillés par intermittence pour superviser les chantiers que le Chimp ne peut gérer seul. Au sein de cet équipage, il y a Sunday Ahzmundin, forte tête entretenant un rapport privilégié avec le Chimp. L’île qui donne son titre à la novelette, c’est cette sphère de Dyson organique. Face à cette chose incommensurable, les idées reçues de Sunday sur la vie et l’intelligence vont partir en miette.

Deux nouvelles ont enrichi l’univers abordé dans « L’Île » : « Géantes », qui soulève la question de l’ingérence du Chimp pour unifier un équipage indocile et rebelle, et « Éclat », préquelle centrée sur la formation de Sunday, peu avant le départ de l’Eri, quelque part au xxiie siècle. Des détails de « L’Île » laissent deviner que le trajet n’a pas été un long fleuve tranquille. C’est le sujet de The Freeze-Frame Revolution, dernier texte en date (ou presque) de cette séquence. Son titre – la « révolution image par image » – pose d’emblée la problématique : comment concerter une révolte lorsqu’on est réveillé tous les x milliers d’années par une IA indigne de confiance ? Car le Chimp a, ou aurait, pris des décisions ayant causé la mort de quelque trois mille membres d’équipage. Une paille, à peine un dixième du total. Si certains se posaient déjà la question de la pertinence de leur mission après des millions d’années de voyage, cette révélation les incite à fomenter une révolution visant à désactiver l’IA et à prendre le contrôle de leur existence.

Les premières lignes de The Freeze-Frame Revolution rassurent : même s’il ne revient à ce cycle que tous les trois, quatre ans, Peter Watts n’a rien perdu de son talent à susciter le vertige. Nous voici soixante-six millions d’années dans le futur : une durée comparable à celle qui nous sépare de l’extinction des dinosaures… Ce court roman se permet même le luxe d’être plus accessible que les précédentes nouvelles du cycle, notre auteur s’intéressant ici davantage à ses personnages, Sunday en tête, et explorant plus en profondeur les coins et recoins de l’ Eriophora. L’astéroïde cesse ici d’être un simple décor, ses entrailles claustrophobiques devenant un protagoniste à part entière.

Cette Revolution gratouille les neurones, quoique sous un angle moins axé science qu’à l’accoutumée. Watts nous questionne : quelles responsabilités déléguer à une Stupidité Artificielle chargée de veiller sur vous pendant des millions d’années ? Quelle confiance lui accorder ? Comment mener une mission a priori dénuée de fin ? Comment aborder le très, très, très long terme ? S’il y a un reproche à adresser au récit, celui-ci, mineur, a trait à la structure : une longue mise en place pour un dénouement un brin hâtif ; on aurait apprécié que l’auteur s’offre quelques pages supplémentaires. Qu’importe. Le périple en valait la peine, et on ne peut que se montrer impatient de savoir où Watts mènera ensuite l'Eriophora. Une chose est sûre : on sera du voyage.

Au-delà du gouffre

« Ils ne sont pas bâtis pour durer. (…) Ils ne devraient même pas exister ; et s’ils existent néanmoins, ils ne devraient pas survivre. Pourtant, ils essayent. Ô, comme ils essayent. » Ainsi sont décrits les humains par le narrateur de« Les Choses », nouvelle qui ouvre Au-delà du gouffre. Lequel narrateur n’est autre que la créature extraterrestre du film The Thing de John Carpenter, que Peter Watts revisite pour l’occasion. Et la créature de poursuivre : «Ils errent à travers leursvies séparés et solitaires, incapablesmême de communiquer sauf par des gestes et des grognements (…). Le paradoxe de leur biologie est sidérant, oui ; mais l’échelle de leur solitude, la futilité de ces vies, me submerge.  » Une vision de l’humanité, de sa fragilité, où se mêlent inextricablement rêves de grandeur et étroitesse d’esprit et de corps, qui imprègne toute l’œuvre de l’écrivain.

Cette fragilité est au cœur d’une nouvelle comme « Nimbus », où ce qu’il reste de l’humanité est sous la menace permanente d’être balayé par des forces qu’elle a créées et qui la dépassent. De manière très différente, elle est également mise en lumière dans « Éphémère », qui s’intéresse à un enfant artificiel conçu dans un environnement virtuel, aux capacités bien supérieures à celles d’un humain, mais pour qui être placé dans un corps de chair et de sang constitue une torture absolument insupportable.

Et quand bien même, à force d’efforts, l’humanité parviendrait à progresser jusqu’à atteindre les étoiles, d’autres formes de vie ne manqueront pas de venir lui rappeler son insignifiance, qu’il s’agisse d’une civilisation extraterrestre disposant de technologies sans commune mesure avec les nôtres (« L’Ambassadeur »), ou d’une créature que l’on pourrait décrire comme une sphère de Dyson pensante (« L’Île »).

Chez Peter Watts, l’individu n’est le plus souvent qu’une petite chose dérisoire, dont la conscience n’est rien d’autre qu’un leurre. Comment en effet croire encore au libre arbitre lorsque votre cerveau peut être instantanément reprogrammé pour éliminer certaines de vos pulsions les moins avouables (« Les Yeux de Dieu ») ? Dans « Le Colonel », d’autres ont fait le choix de se dépouiller de leur individualité pour se fondre dans une ruche, ces entités collectives aux capacités cognitives infiniment supérieures. Quant aux membres d’équipage de l’Eriophora, vaisseau spatial d’exploration et construction que l’on retrouve dans trois nouvelles (« L’Île », « Éclat » et « Géantes »), outre le fait qu’ils ont été manipulés génétiquement dès leur naissance pour mener à bien leur mission, ils n’apparaissent que comme de simples rouages d’un ensemble plus vaste, des outils que l’on sort de leur chambre de cryogénisation lorsqu’on a besoin d’eux. Quelques millénaires plus tôt, dans «  Une niche », la situation de Lenie Clarke à bord de la station sous-marine Beebe n’est guère différente, elle qui a été choisie en raison des traumatismes qu’elle a subis dans son enfance.

Matérialiste jusqu’au bout des ongles, Peter Watts n’en aborde pas moins la question de la religion, ou plus exactement de la foi : de manière amusante dans « Hillcrest contre Velikovski », où elle est assimilée à un effet placebo, ou plus radicale dans « Un Mot pour les païens », où elle constitue le fondement même de la société. Le sujet donne également naissance à l’un des textes les plus vertigineux du recueil, « Le Second Avènement de Jasmine Fitzgerald », qui joue avec l’idée que si l’existence de Dieu était mathématiquement prouvée, il deviendrait alors possible de réécrire la réalité elle-même.

Mais malgré leurs faiblesses, leurs failles et leurs échecs, ou sans doute à cause d’eux, Peter Watts aime ses personnages, fait corps avec eux à chaque instant, fait sien leur chemin de croix, aussi douloureux soit-il. Dans le registre de la hard science, je ne connais aucun autre écrivain qui accorde une place aussi primordiale à l’humain, dans l’acception la plus charnelle du terme. Il est ce père démuni face à ce que vit son enfant (« Nimbus », « Éphémère »), cette femme qui a tué son compagnon par amour   Le Second Avènement de Jasmine Fitzgerald »), cette créature marine qui se souvient soudain avoir été quelqu’un d’autre (« Maison »), ces victimes de sévices dans leur enfance ( « Les Yeux de Dieu », « Une Niche »). Car même si la vie n’est au bout du compte que dérisoire, l’œuvre toute entière de Watts en est l’une des plus vibrantes célébrations.

Crysis: Legion

Au sein de la bibliographie de Peter Watts se cache une anomalie. À côté de la trilogie « Rifteurs » et de «  Blindopraxia » se trouve Crysis: Legion, roman officiel du jeu vidéo Crysis 2… Une novélisation de jeu vidéo ? Drôle d’idée. À première vue, cela semble un moyen comme un autre de payer ses impôts et la bouffe pour les chats et le lapin… mais pour qui a décidé de lire toute la bibliographie de Peter Watts, ce Crysis: Legion s’avère bien moins inintéressant et impersonnel qu’il ne le paraît à première vue.

Crysis premier du nom, jeu de FPS développé par Cryotek et sorti en 2007, raconte comment, en 2020, des archéologues américains découvrent un vaisseau extraterrestre enfoui dans le sol d’une île d’un archipel fictif au large de la Corée. À son bord, une engeance du genre « pas glop » : les Ceph — comme céphalopodes, vu qu’ils ont la trogne de vilains aliens poulpoïdes. Le joueur se glisse dans la peau d’un soldat ; de la baston s’ensuit.

Au vu du succès du jeu, une suite et sa novélisation ont été mise en chantier ; l’un et l’autre sont sortis en mars 2011. Nous voici trois ans plus tard à New York, nouvelle cible des Ceph. À bord d’un sous-marin, le marine Alcatraz est envoyé avec son escouade pour récupérer Nathan Gould, un scientifique. Pas de chance, le submersible est coulé et Alcatraz ne doit sa survie qu’à Prophet, un soldat au rôle prépondérant dans le premier opus du jeu. Prophet lui ayant donné sa nano-combinaison suréquipée, Alcatraz se retrouve à affronter non seulement les Ceph, mais également des mercenaires, les CELLulites (sérieux). Le joueur lecteur se glisse dans la peau d’un soldat ; de la baston s’ensuit.

Sur le strict plan de l’intrigue et des personnages, Crysis: Legion n’a guère d’intérêt. Les protagonistes sont relativement unidimensionnels et le scénario colle de près à celui du jeu, avec un déroulé linéaire. Alcatraz avance, fuit, butte des ennemis, tandis que ses supérieurs complotent, et recommence. Dire que c’est répétitif est un euphémisme, en dépit de l’ajout de documents (retranscriptions d’entretiens et de courriels) pour briser la monotonie et approfondir l’univers. Mais n’oubliez pas qu’on a là un roman de Peter Watts. Ce qui marque d’emblée, c’est le style : une écriture rentre-dedans, avec le sens de la formule qui tape et une appétence pour le jargon militaro-scientifique. Notre auteur se coule dans le moule sans difficulté, et l’écriture n’a rien ici d’utilitaire. Tant qu’à faire, Watts se permet aussi de se moquer des incohérences du jeu vidéo, des béances du scénario à la propre nature des aliens…

Surtout, il glisse çà et là ses thématiques favorites : l’élément marin, le désastre écologique en cours, des personnages salement amochés par la vie… La nano-combinaison d’Alcatraz rappelle (en mode surpuissant) celle de Lenie Clarke dans Starfish ; Alcatraz, à moitié mort, préfigure les zombies de « ZeroS ». Et là où on s’y attend le moins, Watts balance un paragraphe où il reprend, quasiment mot pour mot, les propos qu’il tient dans l’interview présente dans ce Bifrost au sujet du comportement de sa mère envers son père. Et le protagoniste de gagner en consistance. Un roman impersonnel, vraiment ?

En somme, avec Crysis: Legion, Peter Watts s’approprie le jeu vidéo éponyme et fait davantage que pondre une bête novélisation rédigée en mode automatique. L’amateur de Crysis devrait y trouver son compte, pour peu qu’il lise l’anglais. L’amateur de Watts, peut-être moins, sauf à être un fan complétiste de l’auteur – et gageons qu’il en existe quelques-uns.

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