La Guerre des mondes / Le Massacre de l'humanité
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Il y a vingt-deux ans de cela, Stephen Baxter avait accompli un coup de maître en livrant Les Vaisseaux du temps, superbe suite à La Machine à explorer le temps, de H. G. Wells, roman séminal paru un siècle plus tôt. Tout récemment, il a retenté l’expérience, en s’attaquant cette fois à un autre chef-d’œuvre du même auteur : La Guerre des mondes. Et Bragelonne, rapide à la traduction, en a profité pour sortir un gros volume rassemblant les deux romans – ce qui fait sens, car le Baxter est très scrupuleux dans sa lecture de Wells, et avoir le roman originel bien en tête peut servir pour en apprécier la suite.
Que dire de plus sur La Guerre des mondes ? C’est un immense chef-d’œuvre, sombrement visionnaire – une manière originale et forte de subvertir le « roman d’invasion » au prisme de la science, en confrontant l’arrogant empire anglais à la supériorité intrinsèque d’un ennemi prêt à l’éliminer sans y regarder à deux fois. Tout ou presque y est admirable, des aperçus terribles de la guerre totale et de ses implications technoscientifiques, jusqu’au deus ex machina qui le conclut, en forme de fin ouverte pouvant appeler une suite. Il y en a eu plusieurs, d’ailleurs – mais Le Massacre de l’humanité a été approuvé par les héritiers de Wells, « suite officielle », nous dit-on.
Nous sommes treize ans plus tard (soit en 1920, pour Baxter), dans un monde que la venue des Martiens a profondément bouleversé – ce qui lui confère un caractère uchronique tantôt intéressant (en matière scientifique, notamment : on se base sur les connaissances scientifiques d’alors, même invalidées par la suite), tantôt un peu convenu (quincaillerie pseudo- steampunk et name-dropping). Et, comme de juste, les extraterrestres reviennent ! En ayant tiré les leçons de leur échec… Pour leur faire face, encore que l’entreprise soit désespérée, plusieurs personnages (re)montent sur le devant de la scène, qui sont des « vétérans » de la première guerre, pour un nombre non négligeable d’entre eux (la narratrice incluse), des personnages anonymes du roman de Wells (dont son narrateur, qui est une sorte de décalque ou de porte-parole à la psyché fragile), mais que Baxter nomme et inscrit dans un univers davantage étendu. Il s’amuse avec les thèmes et les procédés du roman originel, avec une grande acuité, et parfois avec finesse. Mais, au bout d’un moment, cela ne trompe plus… car la réalité se fait jour : Baxter n’apporte rien à la matière. La quasi-totalité des développements du Massacre de l’humanité étaient au pire en germe dans le chef-d’œuvre de Wells, et l’hommage, sans doute trop scrupuleux, bascule dans le servile – il manque de personnalité, mais, et c’est le vrai problème, Baxter, impliqué dans son hommage, en arrive à oublier de livrer un bon roman en tant que tel : la faute à des personnages manquant de substance, et à une cohérence plus que douteuse dans leurs faits et gestes. L’exercice d’abord intrigant, voire séduisant, tourne bientôt à la paraphrase, et qui plus est à la paraphrase qui s’éternise.
L’association des deux romans dans un même volume, finalement, porte préjudice au Massacre de l’humanité : bien loin de rééditer l’exploit des Vaisseaux du temps, même avec tout le sérieux et l’application qu’on y devine, Stephen Baxter n’a pu qu’accoucher d’une suite inutile à un roman indispensable. Lisez, relisez La Guerre des mondes – les éditions beaucoup moins onéreuses ne manquent pas, d’autant que celle-ci, et c’est triste à dire, contient trois quarts de vide.