Connexion

Actualités

Acide organique

Partons du principe que vous connaissez déjà David Calvo, car si ce n'est pas le cas, vous avez d'ores et déjà raté quelques-uns des événements éditoriaux marquants de ces dernières années.

L'auteur de La Nuit des labyrinthes (J'ai Lu), de Wonderful (Bragelonne), d'Atomic Bomb (le Bélial' — coécrit avec Fabrice Colin), le scénariste fou de Kaarib (Dargaud — avec Krassinsky) nous revient ici avec un premier recueil de nouvelles, rassemblant une majorité d'inédits et quelques textes retravaillés en profondeur. Mais ce qu'est Acide organique ne peut être exprimé par une énumération, descriptive et critique, des textes qui le composent. Je choisis donc la voie de l'analyse globale : Acide organique est une œuvre d'art. Acide organique rend malade. Acide organique est un Manifeste déguisé en fictions.

Certes, il y a d'abord la plume de Calvo, vive, acide, inimitable, capable de brasser du réalisme exacerbé à la poésie la plus échevelée, apte à s'affranchir, comme en un acte de rébellion brutale, des règles les plus élémentaires de l'orthographe et de la grammaire (ce qui ne dédouane pas l'éditeur des « vraies » fautes qui émaillent le texte, soyons clairs…), « cette science des cons », écrit-il pour mieux nous provoquer. Mais il y a ensuite le support iconographique, très riche, qui accompagne, rehausse et magnifie chaque texte. Du coup, nos émotions jaillissent, incontrôlables, en commençant par la couverture qui provoque tout à la fois dégoût et amusement. Enfin, il y a les jeux sur la typographie et la mise en page, délibérément changeantes, voulues par l'auteur et l'éditeur, complices dans le souci de nous troubler. Les titres se mêlent aux conclusions, les slogans aux exergues. C'est sans doute, en termes d'art, l'ouvrage le plus contemporain qu'il m'ait jamais été donné d'ouvrir.

Ce livre rend malade. Vous devez y être préparés. Son but est de brouiller les frontières entre le réel et la fiction, et David Calvo s'y emploie par tous les moyens. C'est sa manière à lui d'écrire de la fiction. Non pas de vous amener en des mondes différents, mais de rendre celui que vous croyez connaître étranger. Et mou. Fuyant. Ecœurant. Il creuse le réel, à grandes pelles de lucidité, jusqu'à la trame, qui s'avère grise et souillée. Ce recueil véhicule une tristesse, une douleur rarement égalées. Les motifs apparents qui sautent à l'esprit du lecteur sont l'échec, la souffrance, la solitude, la rancœur. En livre atrabilaire, il déborde de fluides infectés et d'humeurs suspectes. Il pue, comme la Jabule. Mais cette puanteur n'est pas gratuite. Rien de ce qu'écrit David Calvo ne l'est. Et les prises de conscience de se succéder : « Ambient otaku », qui finit en carnage dans une boîte à copies, « Acide organique », qui se clôt en une plongée irréversible dans la féerie la plus végétale, « Still », qui revisite de l'intérieur le mythe de l'amour immortel et sert en définitive de déclencheur à quelque chose de très différent de la noirceur qui semble imprégner le recueil…

Car ce livre est un Manifeste qui instrumentalise les fictions qui le composent. Ce livre est un cri d'une sincérité, d'une audace, d'une transparence qui confinent à la folie. Soudain, le souvenir illuminé de Wonderful rejaillit, amplifié par le changement de siècle de référence. Car ce n'est plus aux paradigmes et aux mythes du XIXe siècle que s'intéresse David Calvo, mais aux renoncements terribles du XXe. En dépit de l'égotisme forcené, de l'auto mutilation qui se ressent dans chaque page, ce que lance David Calvo, c'est un appel à l'Absolu. Et à l'espoir de renouer avec cet absolu, à trente ans, au moment où tout peut encore basculer, grâce aux questions que l'on pose à la Jabule et qui vous répond, en séchant vos larmes : « Tu verras, demain, il fera beau ». (« Trente questions posées à la Jabule ») Car il est possible de retrouver, au plus profond de nous, sous les abandons qu'entraîne la socialisation, la magie innée de l'enfance. Celle qui permet de faire voler et atterrir un avion en le prenant entre ses doigts (« Aeroplane tonight »), celle qui peut transformer quelques cartons en château et des poèmes en lit de roses (« Ambient otaku »), celle que la publicité, ogre pédophile, ne devrait jamais atteindre, celle qui peut aussi transformer une cellule photo-électrique en véritable shotgun (« Scomark telesport 10 »). Mais naturellement, il y a un prix à payer, et c'est justement la perte de repères. Vue de l'extérieur, la quête de l'Enfance Perdue ressemble à s'y méprendre à l'inadaptation sociale…

Le dernier motif, psychologique et fictionnel, ne vient à vous que lorsque vous refermez le livre. Bien sûr, il vous crevait les yeux dès les premières pages. C'est ce texte magnifique, « Kei », qui en est la figure de proue. Car retrouver l'enfance, c'est aussi se tourner vers ceux qui ont participé à cette enfance, tant bien que mal. Dans la plupart des cas, lorsqu'on a trente ans, ils sont toujours là pour en témoigner. Ce recueil est un message d'amour aux parents. Ceux de « Kei » qui, jusqu'au bout, bâtiront pour ce rat unique en son genre un monde imaginaire délibérément anthropomorphique. Ceux évoqués dans « Archeodrome », vers lesquels le narrateur retourne, comme vers la seule île résistant encore à l'engloutissement du monde. Voilà le moment exploré par David Calvo. Celui des trentenaires qui rentrent chez eux. « Les mains des parents se posent sur mon visage pour me protéger », écrit le narrateur d' « Ambient otaku ». Cet espoir, serti dans la noirceur du recueil, est la marque d'un David Calvo qui a fait le lien entre son passé et son avenir, entre ses errances et ses expériences, et prouve qu'il a accompli son projet : concilier un regard lucide et mature sur le monde et la liberté inconditionnelle de l'enfance. Ce qui viendra ensuite ne peut qu'être merveilleux, car l'ombre de Peter Pan protège l'un de nos écrivains les plus authentiques.

Mlle Belle

En attendant la parution en numérique de Mémoire vagabonde de Laurent Kloetzer le 5 avril sur e-Bélial', faites ou refaites connaissance avec son héros, Jaël de Kherdan, dans Mademoiselle Belle, une nouvelle tirée du recueil Petites morts !

1er avril

À lire sur le blog Bifrost, l'obituaire d'un homme de génie, père de la robotique et artisan du communisme, Isaac Osimov

Coldheart Canyon

Ainsi donc, la collection « Millénaires » jette ses derniers feux avec la publication de ce nouveau Clive Barker, auteur majeur, créateur puissant et au talent empruntant les média les plus divers (écriture bien sûr, mais aussi peinture et cinéma, sans oublier, parmi les nombreuses cordes tendues sur l'arc de sa muse, l'élaboration d'attractions foraines !).

Clive Barker écrivain, ce sont entre autres les six recueils des « Livres de sang », Imajica, le formidable Galilée et surtout, surtout, un roman extraordinaire, sorte de livre monstre : Sacrements. Bref, un parcours littéraire certes non exempt de déceptions (on se souvient notamment de Cabale), mais d'un niveau global exceptionnel…

Un nouveau roman de Clive Barker, donc. À 36 euros. Un prix qui a de quoi calmer les curieux, et qui nous laisse espérer pour le moins un chef-d'œuvre. Voyons…

Résumer de manière probante un bouquin aussi vaste relève de la gageure. On se contentera de dire qu'ici, Clive Barker se livre à la mise en pièce morale, cynique mais sans aucune complaisance, d'un microcosme très particulier, à la fois ouvert sur le monde à travers le prisme de la médiatisation et extrêmement clos : celui du cinéma hollywoodien — que l'auteur connaît bien puisqu'il y évolue lui-même. Pour ce faire, Barker nous immerge dans la vie de Todd Pickett, manière de Tom Cruise, star à la notoriété planétaire mais en perte de vitesse. Ainsi, après une opération esthétique plus ou moins ratée, il part se reposer, se terrer plutôt, quelques mois dans une retraite grandiose dénichée par son agent, Coldheart Canyon, propriété gigantesque et décrépite, d'une démesure baroque, perdue dans un coin reculé d'Hollywood. Sauf qu'il s'y passe de bien étranges choses, dans cette propriété, et qu'elle n'est pas à proprement parler inoccupée… Ainsi Pickett va-t-il rencontrer la véritable propriétaire des lieux, une jeune femme se présentant comme Katya Lupi, star oubliée du cinéma muet vivant en recluse dans son repaire, un lieu où, dans les années 20, elle ne cessa d'orchestrer des orgies cruelles et immorales auxquelles le tout Hollywood participait. Une jeune femme, donc, d'une mortelle beauté… et âgée d'environ cent ans ! Quel est le secret de la magnétique Katya ? Qui provoque les bruits étranges dans les jungles environnant la villa ? Et ces créatures qui semblent y errer ? Quel est l'abominable secret enfoui dans le cœur glacé de Coldheart Canyon ?

Long. Souvent brillant, certes, mais long. Ainsi pourrait-on résumer l'impression qui demeure après lecture de ce nouveau Barker. On y retrouve l'essence du talent de l'auteur : sa capacité à nous faire basculer en deux phrases dans un univers décalé et inquiétant, la richesse et l'épaisseur des personnages, toujours très loin de la caricature… Son talent et, bien sûr, sa matière et ses fascinations : pour la chair, contrefaite ou béatifiée, le sexe (dans la même ambivalence), l'attrait pour le monstrueux et le difforme, les personnages et thématiques bibliques, les lieux creusés et syncrétiques (Coldheart Canyon fait bien sûr penser à la figure centrale de la demeure dans Galilée) qui sont souvent les véritables personnages de Barker, le vieillissement et la putrescence… Ici, Barker se livre enfin à un laminage en règle d'Hollywood et ses pratiques, sa vanité et sa vacuité, sa fascination pour l'apparence et le paraître (par définition voués à l'impermanence), fascination qui, finalement, est la véritable genèse de la monstruosité mise en scène dans le roman. Un constat sans appel, impitoyable.

On l'a dit, Coldheart Canyon aurait probablement gagné en force et impact dans un dégraissage. Mais le talent de Barker est tel que dans ces longueurs mêmes on ne s'ennuie pas, du moins pas vraiment, et force est de constater que même si certains passages sont décidemment interminables, ces longueurs, pour agaçantes qu'elles soient, ne sont pas totalement inutiles à l'échafaudage global du livre. Et de conclure en réalisant que si Coldheart Canyon n'est certes pas le meilleur roman de Barker, qu'il est loin de la puissance visionnaire de Sacrements ou même des saveurs moites et empoisonnées de Galilée, on tient néanmoins là un véritable Barker, et c'est déjà beaucoup…

La Brèche

Demain, dans cinquante ans : l'armée US invente le voyage vers le passé. Sous tutelle et avec l'accord de cette dernière, un Network privé décide d'utiliser cette formidable découverte pour donner une dimension nouvelle à la télé-réalité : envoyer des reporters filmer en direct les grands faits historiques, de préférence ceux dotés d'une aura mythique. La technologie ayant ses limites, il s'avère impossible de remonter au-delà d'un siècle et des poussières. Qu'à cela ne tienne : des événements comme la mort de Marylin ou l'assassinat de JFK font des audiences record… Des audiences record, certes, mais en baisse. C'est alors qu'un des créatifs de la chaîne à une idée susceptible de faire exploser l'audimat : filmer le débarquement de Normandie, le fameux « D » Day. Une fois trouvés les deux candidats au suicide acceptant de retourner le 6 juin 1944 pour filmer l'événement (un reporter belle gueule en pleine dépression suite à la mort de sa femme et un spécialiste des reconstitutions historiques miné par l'échec de son mariage), tout est mis en œuvre pour le grand show : un direct de trois heures sur l'une des plus grandes boucheries de l'histoire de l'humanité. La règle d'or est toujours la même : interdiction aux visiteurs du futur d'intervenir dans le déroulement des événements, de quelque manière que ce soit… Evidemment, tout ça va copieusement merder, et en direct bien sûr…

On le sait depuis un moment (probablement depuis Petit frère, roman sorti en 2003 chez Mango) : Christophe Lambert est l'un des tous meilleurs écrivains de S-F jeunesse. Auteur prolifique (à 35 ans, il a déjà publié une vingtaines d'ouvrages — dont cinq dans l'excellente collection jeunesse « Autres mondes » des éditions Mango), ses bouquins nous ont maintes fois prouvé le caractère efficace de son style et de la construction de ses intrigues, le tout sous-tendu par un goût marqué pour les questions d'ordre sociétal. D'où le double intérêt de ses romans jeunesse qui, généralement, se lisent non seulement d'une traite mais soulèvent bien souvent des questions fondamentales quant à notre devenir. Bref, un auteur qui maîtrise sa technique et a parfaitement compris les potentialités du genre dans lequel il l'exerce, la science-fiction bien sûr… Reste qu'on attend Christophe Lambert au coin du bois de la littérature adulte depuis un moment, loin des contingences de format et de style propres aux livres destinés aux plus jeunes.

Ainsi, après une première tentative en 2000 dans la collection « Quark noir » des éditions Flammarion avec Les Étoiles meurent aussi — essai sympathique mais un peu creux —, voici que les éditions Fleuve Noir nous proposent avec La Brèche un nouveau Christophe Lambert « adulte », et en grand format s'il vous plaît.

Les livres de Lambert ont ceci de remarquable qu'ils sont d'une grande évocation visuelle. Premier constat : La Brèche ne déroge pas à cette marque de fabrique. L'écriture est épurée, simple, percutante, les dialogues tout ce qu'il y a de crédible, ce qui n'est déjà pas si courant. Idem pour la rythme et l'intrigue. Le livre est charpenté autour d'une multitude de points de vus développés en chapitres extrêmement courts, une construction qu'on retrouve dans nombre des romans jeunesse de l'auteur et qui n'est pas sans évoquer celle d'un scénario de long-métrage. Le résultat est d'une redoutable efficacité, même s'il a parfois un côté un peu « facile » et systématique et que, dans le tourbillon des événements, l'épaisseur de certains des protagonistes en prend un coup. On aurait probablement aimé que Lambert développe un tantinet çà et là, mais le résultat est d'une nervosité narrative sans faille. Autre constat : la documentation et l'intégration de cette dernière dans le corps du récit est d'une maîtrise incontestable. Lambert a potassé, ça ne se voit pas mais ça se sent, ce qui est d'autant plus agréable — les scènes liées au Débarquement sont notamment d'un réalisme et d'une âpreté saisissante. Enfin, ultime remarque : comme dans tous les meilleurs ouvrages de notre auteur, La Brèche ne se contente pas d'être un livre de pur divertissement et développe à loisir son lot de questions sociétales de fond : ici bien sûr les enjeux de la télé-réalité et le droit à l'information.

Si dans La Brèche Christophe Lambert ne s'est pas totalement affranchi de ses « tics » d'auteur jeunesse, il n'en livre pas moins un excellent bouquin de S-F, nerveux, pas prétentieux pour deux ronds mais passionnant et intelligent. On savait Lambert un écrivain de S-F jeunesse remarquable. On le découvre ici remarquable tout court et c'est tant mieux : la science-fiction française ne peut que se féliciter de compter dans ses rangs un tel faiseur.

Ceux de la légion

Tous les cinéphiles et les amateurs de S-F connaissent le célèbre Mémo de 1937 adressé par David O. Selznick à ses directeurs de studios :

« Chers collaborateurs,

Certains le savent, j’ai acquis les droits du bouquin de Williamson, Legion of Space, paru l’année dernière. Pour les autres, voici un résumé : après une période de chaos, l’Empire a laissé place au Système, gouvernement démocratique conduit par les savants. Mais certains nostalgiques de la dictature complotent à la rétablir. John « Star » Ulnar est un jeune officier fougueux et fringant, qui appartient à la Légion, un ordre de combattants chevaleresques. Il a pour mission de veiller sur la princesse Aladoree détentrice du secret d’Akka, une force cosmique qui maintient l’équilibre de l’univers. Hélas, Eric Ulnar, parent de John, a basculé du côté de l’Empire. Il enlève la princesse, obligeant John et ses compagnons, derniers représentants de la Légion, à gagner l’Etoile vagabonde. Ils ne parviendront pas à libérer Aladoree. Prisonniers du satellite mort, la forteresse sidérale de l’Empire, ils s’en évaderont par les conduits avant de s’emparer du Rêve Pourpre, vaisseau rafistolé mais capable encore de prouesses. Ils échappent aux chasseurs impériaux et font route jusqu’au repaire des Méduses, une race venimeuse et ancienne qui se tient derrière le pouvoir de l’ombre. Après bien des péripéties, nos héros, assistés de la princesse et portés par la force Akka, feront valoir le bon droit.

Comme vous l’avez compris, chers collaborateurs, tout est rassemblé pour crever l’écran. Héros sans peur, compagnons typés (peut-être penser à faire du bavard Habibula un robot), méchants archétypiques et histoire d’amour. Je pense confier la réalisation à Michael Curtiz, et propose le casting suivant : Tyrone Power (John Star), Olivia de Havilland (princesse Aladoree), Basil Rathbone (Eric Ulnar)… Pour les effets spéciaux, notamment l’animation des Méduses, je compte demander à la R.K.O. qu’ils nous prêtent Willis O. Brien (nous avons tous aimé son boulot sur King Kong). La pré-production commence à la fin du mois, et je sais compter sur votre amitié et votre professionnalisme.

Vôtre,

David O. Selznick.

PS : Nos avocats ont déposé une option sur les suites : The Cometeers et One against the Legion.

 

Le film a connu le succès que l’on sait, inaugurant chez le public un goût prononcé pour l’anticipation, mais seul Time Patrol de John Huston avec Humphrey Bogart, d’après Poul Anderson (1951) peut rivaliser avec ce chef-d’œuvre. À l’occasion du quarantième anniversaire (1937-1977), les éditions du Bélial’ ont eu l’excellente idée de ressortir la première trilogie, entièrement révisée. Nul doute que les lecteurs se précipiteront !

La Vallée de la création

L'Asie centrale chinoise. Entre Tibet et Taklamakan. Les monts Kun Lun. Dans les derniers feux du Grand Jeu, alors que les communistes de Mao Zedong imposent leur hégémonie sur la région, une poignée de mercenaires occidentaux sans foi ni loi, à l'avenir plus qu'incertain, se loue à Shan Kar qui les mène dans la vallée de L'lan, bien à l'écart de la route de la soie, où la guerre entre les Humanites et la Fraternité menace. Les armes modernes d'Eric Nelson et de son groupe avide de platine feront-elles pencher la balance ?

Qui, de la Fraternité où chevaux, tigres, aigles, loups et hommes sont égaux, ou des Humanites, partisans de la supériorité des hommes sur les bêtes, l'emportera après maintes péripéties ?

Voici un simple et sympathique récit de S-F aventureuse qui trahit une conception et une facture ancienne. Né en 1904, l'auteur, dont les chefs-d'œuvre restent Les Rois des étoiles et Les Loups des étoiles, des classiques du space opera, appartient à la première génération des pulps aux côtés de Murray Leinster ou Jack Williamson. On notera que la vallée de L'lan ressemble davantage à celle de la Villamette, en Oregon, telle que David Brin a pu nous la décrire dans Le Facteur, voire à une vallée des Vosges, qu'aux images que l'on connaît de l'Asie Centrale. Les terres entre Samarkand, Lhassa et Urumqi comptent avec le Sahara parmi les moins arborées qui soient. Hamilton, mort en 1977, n'est vraisemblablement jamais allé en Asie centrale et n'avait pas à sa disposition des chaînes câblées exclusivement consacrées au reportage. Lui restait le National Geographic…

D'un point de vue littéraire, La Vallée de la création ne vaut pas 15 euros. Par contre, l'objet confectionné par Terre de Brume, qui lance là sa collection « Poussières d'Etoiles », dirigée par Sébastien Guillot, est plutôt séduisant, à l'instar des livres de fantastique et de fantasy déjà publiés. Lui les vaut.

Saluons donc la naissance de cette nouvelle collection où trois autres rééditions viennent de ou vont paraître : Le Jour des Triffides de John Wyndham, archétype du roman catastrophe anglais ; La Compagnie des fées de Garry Kilworth ; et Les Amants étrangers de Philip José Farmer dont la thématique avait jadis choqué une Amérique pudibonde ; l'intérêt sera désormais historique.

Je n'avais plus lu Edmond Hamilton depuis près de vingt-cinq ans et le sentiment qui prévaut désormais est la déception, le charme n'agit plus, tout du moins sur cet opus. Avec ses animaux télépathes parlants, La Vallée de la création, naguère parue au Masque « SF » sous le titre La Vallée magique est à lire, oui, mais avant onze ans…

Soie sauvage

Evoquons une fois encore le pourcentage élevé de déchet parmi les premiers romans. La quasi disparition du fanzinat n'a pas entraîné celle de l'espace où les jeunes auteurs pouvaient faire leurs premières armes. Au contraire, le Net a même élargi cet espace. Mais le fanzine se payait et le fanéditeur était un éditeur qui se cognait le boulot. Désormais, l'auteur est livré a lui-même. Il se met en ligne ou pas. Point. Et un beau jour, parfois même d'emblée, il passe au roman… Combien de daubes ne finissent-elles pas par être éditées ? Tâcherons poussifs ou talents mal dégrossis ? Les éditeurs les moins bien armés économiquement feront de leur mieux et certains, pas forcément les pires, finiront par jeter l'éponge. Mais du point de vue du lecteur qui met la main au gousset, c'est intolérable. Il a le droit d'en avoir pour son argent, et le prix du grand format — et non, les auteurs ne peuvent plus faire leurs dents de lait de romanciers au Fleuve Noir « Anticipation », il s'est tari — est dissuasif pour ne pas dire rédhibitoire. Aussi, quand ledit lecteur finit par mettre la main sur un premier roman abordable et qu'au bout du compte il ne s'en mord pas les doigts, jurant qu'on ne l'y reprendrait plus à perdre de la sorte son temps et son bel et bon argent, c'est déjà bien.

La première impression qui m'est venue en lisant Soie sauvage est qu'il y avait là-dedans quelque chose de Francis Berthelot ; puis qu'avec Fabienne Leloup, Nestiveqnen se dégotait une deuxième Catherine Dufour (il était temps). Le livre lisant, mon enthousiasme s'est refroidi. Refroidi, pas éteint.

Il y a trois parties distinctes bien que non matérialisées dans Soie sauvage. L'histoire du tatouage, l'histoire de la veuve noire et l'histoire du cirque. Soit Barbara, une adolescente un peu forte au physique ingrat, éclipsée par sa sœur cadette, Muriel, aussi fine et jolie que superficielle, dénigrée par sa mère. Jalouse et aigrie, animée d'obscurs fantasmes. Elle voit une femme-araignée tatouée sur l'épaule d'un homme. Fascinée, elle se fait tatouer la même et se prend à rêver d'être une veuve noire à même de prendre les hommes dans ses rets. Cette première partie, qui a soulevé mon enthousiasme, reste à mon sens la meilleure, la plus aboutie. Elle est tendue entre ambiguïté et sensualité. Tactile et olfactif avant d'être auditif et à peine visuel, tel est l'univers où nous invite Fabienne Leloup. De cette sensualité, des odeurs, de la texture des étoffes, des bruissements, Fabienne Leloup fait naître un érotisme subtile et enivrant.

La seconde partie, plus explicitement fantastique, va gagner en violence ce qu'elle perdra en finesse. C'est dommage. J'aurais bien imaginé le roman se poursuivant à la manière de « Nidification », la nouvelle de Scott Baker (Aléas, Denoël « Présence du Fantastique"). Fabienne Leloup a choisi une autre voie, plus âpre, confinant même au gore. Quoi qu'il en soit, Leloup aurait dû conclure à ce stade. Sauf que 130 pages ne suffisent pas à un roman. La mère et la sœur mortes, le déménageur inexploité, Barbara et Arachné, le tatouage animé d'une vie propre, restaient seuls en lice, Fabienne Leloup n'avait guère de solution de continuité.

Pour poursuivre, elle convie donc un étrange cirque d'insectes géants, digne de La Foire des ténèbres de Bradbury, au festin de l'araignée. L'irruption de ce nouveau contexte institue une rupture forte, trop forte, dans la trame romanesque qui n'y résiste pas. D'autant moins que Leloup choisit une fin hyperbolique, c'est-à-dire plongeant dans le fantastique alors que l'on attendait, au terme de la seconde partie, une fin parabolique, tendant à un retour vers la normale. Ce n'est pas ici surprendre mais tromper, et, en l'occurrence, se tromper.

Ce premier roman, placé sous le signe d'un pouvoir féminin, est loin d'être exempt de défauts. Il révèle par contre une romancière en devenir armée d'une jolie plume, d'un sens et d'un goût des mots et d'une sensualité peu commune qu'il va falloir suivre avec la plus grande attention. En attendant, on peut se laisser embobiner par cette Soie sauvage.

Ce court roman est suivi de 2 nouvelles naguère parues chez Denoël : « Penthouse », in Territoires de l'inquiétude 9 et « Œuvre de chair », écrite en collaboration avec feu Alain Dorémieux et publiée dans le recueil de ce dernier, Tableaux du délire (tous deux chez Denoël).

Ça vient de paraître

Au-delà du gouffre

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 120
PayPlug