En quête de Jack
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China Miéville est un auteur singulier, qualifié d’hybride pour son goût à mêler les genres sans aucun respect des règles, au style marqué et clivant : on l’aime ou on le déteste. Principalement connu chez nous pour son « Cycle de Bas-Lag » (cf. le dossier du Bifrost n°53), il s’est imposé comme l’un des plus brillants représentants du New Weird. On oublie parfois qu’il est aussi l’auteur d’une cinquantaine de textes courts dont certains furent réunis dans le recueil Looking for Jake (2005). Les éditions Fleuve nous proposent la traduction en français – sublimée par Nathalie Mège – de ce recueil dans son intégralité, sous le titre En quête de Jake, une formidable occasion de découvrir l’auteur sous la forme courte – dans laquelle il se révèle particulièrement convaincant. Le recueil regroupe douze nouvelles, une nouvelle graphique et une novella. Cette dernière, « Le Tain », a reçu le prix Locus en 2003. Notons enfin que les nouvelles « Compte-rendu de certains événements » et « Détails » furent publiées dans Bifrost, respectivement dans les numéros 53 et 74.
Il se peut que les lecteurs regrettent le manque d’homogénéité des textes de ce recueil en termes de qualité ; on passe de l’anecdotique à l’excellent en quelques pages. Mais il y a fort à parier que, selon ses goûts propres, chacun jettera dans ces catégories l’une ou l’autre des nouvelles sans qu’aucun consensus critique n’émerge. Car c’est l’étrange qui ici s’impose entre les fissures et les éclats de la ville de Londres peinte par l’auteur, et l’étrange réclame l’acceptation pleine et entière du lecteur. Il ne faudra pas chasser l’explication et guetter la résolution, mais se laisser porter par les impressions, les ambiances, les reflets dans le miroir, les lueurs au-delà des fenêtres ou les formes qui se dessinent dans les craquelures au mur. Ce sont d’autres cieux. Ce sont des portraits de personnages à la limite de la folie, basculant d’un côté ou de l’autre au gré des vents fantastiques qui soufflent entre les pages. C’est aussi un regard politique porté sur le monde – peut-on attendre autre chose de Miéville ? – où parfois l’horreur se cache dans l’espace jeux d’un grand supermarché, où parfois on privatise les chants de Noël, ou toujours l’individu se fait broyer par des forces qui lui sont supérieures. Les tours de passe-passe de Miéville l’illusionniste révèlent sur l’ensemble du recueil la grande cohérence de sa vision dans la peinture d’une ville tour à tour post-apocalyptique, enchantée ou dépressive, future, actuelle ou passée.
De l’excellent, donc, qui justifie amplement qu’on lise ce recueil ? Pour moi, ce sera « En quête de Jack », lettre amoureuse dans une ville devenue son ombre, « La Piscine à balles », une horreur classique transportée à Ikea, « Compte-rendu de certains événements survenus à Londres », certainement la nouvelle la plus aboutie, qui raconte des rues sauvages apparaissant et disparaissant à loisir – quelle idée sublime ! –, et « le Tain », une longue variation marxiste sur le thème du zombie.